LES IDENTITÉS MEURTRIÈRES De Amin Maalouf

Transcription

LES IDENTITÉS MEURTRIÈRES De Amin Maalouf
Revue Averroès – Variations, mars 2010
REVUE DE LIVRE : LES IDENTITÉS MEURTRIÈRES
De Amin Maalouf
Salma OTMANI*
Le débat en France sur l’Identité Nationale rend l’essai Identités meutrières (1998) d’Amin Maalouf
brûlant d’actualité. En effet, le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale Eric Besson, a ouvert
le 2 novembre 2009 un « Grand débat sur l’identité nationale » qui se déroulera jusqu’au 31 janvier
2010. Selon le ministre, « ce grand débat doit favoriser la construction d’une vison mieux partagée de ce qu’est
l’identité nationale aujourd’hui. » Pour se faire, des réunions animées par le corps préfectoral et ouvertes à
tous, se tiennent en France métropolitaine et sur les territoires d’outre-mer.
Trois mois plus tard, le bilan d’un tel dispositif ne laisse rien présager de bon. Ces espaces de
paroles se transforment en des lieux où il est possible de tenir des propos stigmatisants voire racistes
qui remettent profondément en cause la présence en France d’une certaine frange de population. Les
arabo-musulmans vivant en France - qu’ils soient de nationalité française ou étrangère – sont les
premières cibles des personnes qui s’expriment en ces lieux, que ce soient des citoyens lambda ou des
personnalités issues du champ politique. 1
Afin de lutter contre le délit de racisme légitimement perpétré sur l’espace public et non
sanctionné par l’État, l’association SOS Racisme a récemment diffusé une pétition intitulée « Arrêtez ce
débat Monsieur le Président ! »2
Dans ce contexte, qui révèle une France en pleine crise identitaire, l’ouvrage Identités meurtrières
apporte quelques lumières intéressantes à explorer.
L’initiative gouvernementale apparaît contradictoire à l’opinion exprimée par Amin Maalouf.
Alors que le ministre Besson tente de définir l’identité de chacun en la figeant dans une unité
globalisante et figée, Amin Maalouf plaide de son côté, pour une conception de l’identité qui soit
dynamique et qui tolère en son sein à la fois l’unité et la diversité. Cet essai est à l’image de son
auteur, arabo-chrétien3 dont l’identité se caractérise par ses multiples appartenances « Grâce à chacune de
Assistante sociale et étudiante en ingénierie de formation pour adultes, elle est également formatrice et anime des
formations en développement personnel et professionnel. Adresse électronique : [email protected].
1
A ce propos, je vous enjoins à visionner une vidéo qui expose quelques dérapages extraits de ces débats :
http://www.youtube.com/watch?v=ZqJrlm4M6SM&feature=player_embedded
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http://www.arretezcedebat.com/
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L’auteur est né au Liban – il a fui la guerre du Liban à 34 ans puis s’est installé à Paris où il s’est engagé dans l’écriture.
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mes appartenances, prise séparément, j'ai une certaine parenté avec un grand nombre de mes semblables ; grâce aux mêmes
critères pris tous ensemble, j'ai mon identité propre, qui ne se confond avec aucune autre. »4
Le choix d’un tel titre – Identités meurtrières – n’est pas anodin. Car la question de l’identité révèle
des enjeux de taille qui, au-delà de la France concerne le monde tout entier.
Selon l’auteur « le désir d’identité ne doit être traité ni par la persécution, ni par la complaisance, mais observé,
étudié sereinement, compris puis dompté, apprivoisé, si l’on veut éviter que le monde ne se transforme en jungle »
Pourquoi tant de personnes commettent aujourd’hui des crimes au nom de leur identité
religieuse, ethnique, nationale ou autre ?
Le racisme est l’amorce de comportements xénophobes qui amènent aux génocides.
Inversement, le radicalisme religieux peut lui aussi dévier vers des comportements meurtriers. Selon
Amin Maalouf, le phénomène de mondialisation serait à l’origine de ces comportements identitaires
réactifs et l’enjeu se situerait dans notre capacité à faire de la mondialisation une richesse plus qu’un
obstacle à l’expression de soi.
L’auteur s’intéresse particulièrement aux pays arabe et à leur relation avec les pays d’Occident. Il
estime que l’enjeu premier réside dans la capacité des uns et des autres à s’inscrire dans une relation
basée sur le principe clé de réciprocité.
Mais le problème aujourd’hui, réside dans le fait que certains groupes culturels ne se
reconnaissent pas dans la civilisation globale qui est entrain de se bâtir. En effet, la mondialisation
« uniformisante » qui se caractérise par un mouvement de modernisation et de standardisation massive
impulsé par l’Occident depuis le 15ème siècle, génère des sentiments mêlés de méfiance à l’égard de ce
qui est globalisant, de rancœur vis-à-vis d’un Occident envahisseur, et de fascination face à cette culture
dominante qui répand sa science, sa médecine et son « art de vivre ». L’hégémonie occidentale –
étouffante – laisse chez ses voisins un sentiment acerbe – celui de vivre dans un monde qui ne leur
appartient pas. Inversement, ce mouvement uniformisant amène les personnes issues de la « culture
dominante » - craintives de voir leurs prérogatives se diluer dans la diversité - à faire acte de
stigmatisation en enfermant les autres dans leurs plus étroites appartenances.
Une nouvelle conception de l’identité s’impose d’urgence, d’une part, en luttant contre la
stigmatisation, et d’autre part en combattant pour l’universalité – l’objectif étant que chacun se sente
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appartenir à la communauté humaine. « Considérer qu'il y a des droits inhérents à la dignité de la personne
humaine, que nul ne devrait dénier à ses semblables à cause de leur religion, de leur couleur, de leur nationalité, de leur
sexe, ou pour toute autre raison »5; et d’autre part, permettre à chacun d’apporter sa contribution à la culture
universelle émergente – les avancées techniques, sociales et intellectuelles le permettent. L’objectif est
« que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire, et certains symboles de sa culture propre, que chacun, là encore,
puisse s'identifier, ne serait-ce qu'un peu, à ce qu'il voit émerger dans le monde qui l'entoure, au lieu de chercher refuge
dans un passé idéalisé »
La mondialisation « universalisante », respectueuse de la diversité culturelle pourrait générer un
formidable brassage enrichissant pour tous.
Selon l’auteur, la diversité linguistique est la ressource fondamentale à préserver. A la fois
vecteur de communication et facteur d’identité, la langue a vocation à demeurer le pivot de l’identité
culturelle. « L’homme peut vivre sans religion mais pas sans langue ». Selon A.Maalouf, chaque individu devrait
maîtriser trois langues : une langue identitaire, une langue choisie par affinités, et enfin l’anglais,
indispensable pour la mobilité. Cette préconisation a été entendue par la Commission européenne qui a
missionné l’auteur en juin 2007, afin que soit rédigé un rapport sur « la contribution du multilinguisme au
dialogue interculturel et à la compréhension mutuelle des citoyens dans l'Union Européenne ». Le rapport Maalouf a
été publié en février 2008 et n’a eu que trop peu d’écho en France. L’apprentissage de l’anglais serait
selon Valérie Pécresse, ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, amplement suffisant.
Identités meurtrières a l’avantage d’inciter à une réflexion profonde liée au sens et aux enjeux du
vivre ensemble. Dans son essai, Maalouf ne propose qu’une action concrète – l’apprentissage de trois
langues – mais est-ce suffisant ? Le débat est ouvert…
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