Heurt(s) et Malheur(s) des Comores - L`assassinat d

Transcription

Heurt(s) et Malheur(s) des Comores - L`assassinat d
PRÉLUDE
Dans la capitale des îles Comores la population est calme, on y
déteste l’agitation, les gens parlent peu mais font ce qu’ils disent. Ils
sont très respectueux du pouvoir. Si bien que lorsqu’on arrive, on a
l’impression de se trouver face à un milieu rural, même dans les
moyens villages où l’on cache tout à l’étranger qui est de passage.
Ce lundi 27 novembre 1989, l’inquiétude et l’angoisse planent à
Moroni. Il est 7 heures du matin, tous les fonctionnaires se rendent
au travail et distribuent au passage les « salamalekum ».
Mais ce jour-là, trois soldats comoriens en treillis standard vert,
sans arme, baguenaudent devant chaque administration publique en
fumant des cigarettes Marlboro. Et devant la résidence présidentielle, deux grands gaillards européens tout de noir vêtus, armés de
fusils d’assaut légers Heckler & Koch XM-8, d’un gilet pare-balles
et d’un béret rouge, montent la garde.
Sans savoir ce qui se passe, la population vaque à ses occupations quotidiennes tout en se transmettant du bout des lèvres quelques rudiments d’informations. On entend dire par ici que des manœuvres militaires avaient eu lieu durant la nuit ; par-là qu’il y aurait
eu tentative de coup d’État.
La rumeur s’étend et se précise : il y a eu tentative de renversement du régime en place. Tout se confirme à 7 h 30 car la route qui
mène à la présidence est barrée par des militaires.
Il y aurait eu des morts et des blessés transportés à l’hôpital central El Maaruf. On avance même le chiffre d’un commando de treize
personnes armées à la tête duquel se serait trouvé un Comorien
haut gradé.
Bien entendu personne ne connaît son nom.
Tout le monde se regarde et s’interroge des yeux comme pour
demander : « Où se trouve le président de la République ? Lui est-il
arrivé quelque chose ? » Il était en lieu sûr, affirme la rumeur dont
la déception se lit sur des visages qui se ferment.
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Heur(s) et Malheur(s) des Comores
Mais voilà qu’à 8 h35 résonne sur Radio Comores la voix de Said
Mohamed Djohar, président de la Cour suprême qui annonce :
« Comoriennes et Comoriens, en ma qualité de président de la Cour
suprême, j’ai le pénible devoir de vous annoncer que des éléments
incontrôlés ont attaqué cette nuit la présidence et qu’à l’issue
d’échanges de coups de feu, Son Excellence le président de la République et son garde de corps, le sergent-chef Jaffar ont trouvé la
mort. Devant cette douloureuse circonstance, j’en appelle à votre
civisme, à votre sang froid et au calme pour l’intérêt de la nation. À
cet effet, j’ai le devoir de décréter quarante jours de deuil national
pendant lesquels les drapeaux seront en berne. Par ailleurs, trois
jours de deuil sont également décrétés à partir de ce jour, pendant
lesquels les journées seront chômées. »
Tout de suite après l’information, la stupeur envahit la foule,
tout le monde s’agite et comme souvent, les questions sont plus
nombreuses que les réponses.
Pendant que dans la capitale bourdonne cet événement de mauvais augure, les gens venus faire leurs courses sont pris de panique
et rentrent chez eux, au village.
Debout dans des véhicules militaires, le torse nu, des mercenaires
bien armés de M-16 et de solides pistolets sur la hanche, se contentent
d’offrir aux ruelles tortueuses de la capitale, qui en répercutent les
échos, des images odieuses d’intimidation et de conquête.
Une fois de plus, les Comores, frappées déjà par de graves difficultés sociales, économiques et financières, se doivent de supporter
d’autres problèmes… politiques.
En rassemblant des faits épars, en interrogeant des témoins, en
replaçant chaque acteur dans son contexte historique, en analysant
la permanence des hommes impliqués, cet ouvrage ne prétend pas
établir la vérité sur les événements politiques auxquels l’auteur ne
fut pas mêlé, mais simplement les écrire comme ils étaient vécus à
l’époque, et propose pour la première fois les Heur(s) et Malheur(s) des
Comores – l’assassinat d’Abdallah (1978–1989), un récit plein d’histoires sur l’histoire de la IIe République comorienne.
Bien que des événements expliquent comment un chef d’État
peut mésestimer la souveraineté d’un pays pour se faire maître du
territoire, les pages qui suivent ne se contentent pas de rappeler
quelques faits saillants ou d’en révéler d’autres restés cachés. Elles
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L’assassinat d’Abdallah
présentent de nombreux éclairages sur les épisodes clés du règne
d’Ahmed Abdallah et mettent en valeur les tenants et les aboutissants jusqu’ici insoupçonnés. Seul le recul du temps pouvait le
permettre, dans les limites de ce qui peut être dit aujourd’hui…
Qui a tué Mjomba1 Ahmed Abdallah Abderemane ? « L’histoire
est écrite pour raconter, non pour prouver » disait Quintilien…
1
Mjomba : tonton en swahili.

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