Le dico des Héros
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Le dico des Héros
Rocambole ne meurt jamais ! Johan Heliot Je me souviens de Chéri-Bibi. Il avait les traits inquiétants de Hervé Sand à la télévision, et dans le même temps il me faisait vivre mes premières aventures au cœur de la jungle de Guyane, dans le quatrième tome de ses exploits si ma mémoire ne me trahit pas. Je me souviens de Vidocq. Il avait la voix rauque de Claude Brasseur — je suis trop jeune pour l’avoir entendu parler avec la voix de Bernard Noël ! Je me souviens d’Arsène Lupin, malgré Georges Descrières et grâce à Jean-Claude Brialy dans la très belle adaptation de 813 par Alexandre Astruc… Mais je me souviens aussi du Schulmeister (vous l’aviez oublié, lui, hein ?), espion de Napoléon, qui ressemblait à Jacques Fabbri ; de John Drake qui, avec la classe so british de Patrick Mac Goohan, m’emmenait en de dangereuses destinations noir et blanc avant de m’emprisonner en couleur au Village ; et de tant et tant d’autres encore, détectives, aventuriers, espions, policiers, etc. Je me souviens d’eux tous, avec nostalgie certes, et reconnaissance, surtout. Car je suis persuadé que sans eux, je ne serais pas là où je suis, toute modeste que soit ma place dans le paysage littéraire francophone. L’image télévisuelle de ces héros a nourri mon imaginaire (pré) adolescent, de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. Puis est venu le temps des romans, à la fois continuation et approfondissement, nouvelle exploration et enrichissement de ce terreau créatif qu’on nomme parfois, faute de mieux, « inspiration ». Je sais tout devoir à ces figures et à ces gueules, fussent-elles incarnées à l’écran ou fantasmées en mon esprit. Sans elles, jamais je n’aurais osé faire vivre sur papier mes propres personnages, et ce n’est pas un hasard si certains d’entre ces derniers ont côtoyé Isidore Beautrelet (amusant et jeune Bernard Giraudeau pour la télévision) ou Vidocq — Préface 8 dans les chapitres de mes premiers romans — encore récemment, dans un ouvrage jeunesse1, le rôle du méchant est tenu par un certain Patrick Drake, vêtu d’une veste noire, et gardien d’un village d’où l’on ne s’échappe pas. J’avais sans doute besoin de la présence réconfortante en mes pages de héros (de premier ou second plan) ayant déjà fait leurs preuves, et depuis longtemps pour certains, comme une manière de relais fictionnel. Les héros de mon adolescence me sont en effet de tutélaires totems, bienveillamment penchés dessus mon épaule lorsque j’écris. Et même lorsque je m’affranchis de leur présence explicite ou implicite dans mes histoires, je sais qu’ils ne sont pas loin, à portée d’imagination, prêts à me souffler la réplique ou à guider le bras de mes personnages sans que je m’en rende forcément compte. Le vrai héros est ainsi — à mon avis — caractérisé par sa faculté de rejaillir sous les oripeaux d’une multitude d’épigones plus ou moins avoués. Je ne parle pas ici de plagiat, ni d’hommage consciemment rendu, mais bel et bien d’influence digérée d’une génération à la suivante, de telle sorte que la substantifique moelle du héros demeure même si ses traits et son apparence connaissent autant de modifications qu’il y a d’auteurs — mais c’est bien là le point commun de nombre des plus grands héros, depuis ceux de l’Antiquité : se travestir et se grimer pour mieux duper leurs ennemis. Ce qui n’est au départ qu’un stratagème favorable au suspens m’apparaît désormais comme la véritable nature héroïque, dans son essence même : protéiforme, capable d’incarnations infinies sous les plumes les plus variées, mais finalement toujours semblable, car réductible à l’émerveillement d’un enfant lecteur / spectateur qui aura entrouvert les portes de son imaginaire sans se douter que jamais plus, jamais, elles ne se refermeraient. C’est ainsi que Rocambole ne meurt jamais ! Aujourd’hui, ils sont encore nombreux à accompagner mon quotidien d’auteur qui a refusé de grandir (un choix assumé). Héros très contemporains, plus souvent ambigus, voire déviants, de Jason Bourne à Jack Bauer, en passant par Dexter2, Collins & Pine3, Jack Taylor4 ou les Swagger père et fils5 Tous armés, dangereux, et pour la plupart psychotiques, quand pas carrément psychopathes ! Mais, entre nous, étaient-ils vraiment moins borderline, ces héros du temps des BN et du chocolat au lait, le mercredi après-midi ? Permettez-moi de douter ! Entre 1 Ados sous contrôle, Mango « Autres Mondes », 2007. 2 Dans les romans de Jeff Lindsay, adaptés en série télé. 3 Chez Joe Lansdale. 4 Chez Ken Bruen. 5 Chez Stephen Hunter. Préface — 9 un Chéri-Bibi prêt à faire découper en lanières le visage de son ennemi par le glaçant Kanak (formidable Daniel Emilfork, récemment disparu) pour mieux usurper son identité (encore cette obsession de l’image de l’autre !), et un Jack Bauer prêt à décapiter une petite frappe pour apporter sa tête en gage de bonne foi à l’organisation qu’il veut infiltrer (début de saison 2 de 24h), quel est le cas le plus limite ? Celui qui agit par conviction patriotique ou celui qui ne cherche qu’à assouvir une vengeance personnelle ? Je vous laisse méditer là-dessus ! Bien sûr, Dexter est un tueur en série — de tueurs en série, dans une vertigineuse mise en abyme de la folie meurtrière et une fallacieuse tentative de justification de l’assassinat. Mais quid de Fantômas, pour qui seule la vie de sa fille adorée mérite d’être épargnée ? Non, décidément, la thèse absurdement répandue de la banalisation de la violence spectaculaire, sinon gratuite, chez nos héros de fiction ne tient pas une seule seconde ! Comme toujours, la vindicte publique (et son corollaire de culpabilisation) est prompte à désigner un bouc émissaire (d’autres héros, pas recensés en ces pages, en savent quelque chose : ceux des jeux vidéos, ainsi le principal protagoniste des Grand Theft Auto par exemple). C’est là, me semble-t-il, l’autre apanage du héros authentique : rassembler au final autant de fans que de détracteurs. À ce titre, l’hyper médiatisation qui est devenue notre norme autorise tous les excès (merci le Net !) — et, loin au-dessus de la mêlée des pour et des contre, résonne encore le rire formidable de Chéri-Bibi. Alors, violence purement ludique de la fiction ou phénomène signifiant d’une dérive sociétale, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse — si possible en évitant la nausée et la gueule de bois ! Car c’est finalement tout ce qu’on demande à nos héros : altérer le temps d’un récit notre sens du réel comme le ferait un bon alcool, pour faire battre notre cœur un peu plus vite, un peu plus fort, tout en restant conscient qu’une fois tournée la dernière page, défilé le générique de fin, on retrouvera notre état normal. En ce sens, je crois qu’on peut parler de héros addictifs. Difficile en effet de résister à la tentation au moment où paraissent les nouvelles aventures de celui (ou celle, d’ailleurs : combien d’héroïnes dans les pages qui suivent ? Curieux d’en trouver si peu ; là aussi, il y aurait à dire, mais je m’en dispense !) avec qui l’on partage ces moments privilégiés, à la fois solitaires et vécus par des millions d’autres passionnés. Voici un autre paradoxe héroïque, d’ailleurs : l’impression d’une complicité particulière, quand l’identification fonctionne à plein, malgré l’universalisme (au moins dans le monde occidental — autre question à soulever : quels héros pour l’Asie ? l’Afrique ? les pays musulmans ?) des caractères les plus populaires. ChériBibi n’appartient qu’à moi, tel que je l’ai lu et vu à l’écran, même si je sais que plusieurs générations m’ont précédé dans cette fausse certitude. — Préface 10 Pour terminer sur une note sérieuse, je rappelle que malgré les quelques points communs évoqués plus haut, tous les héros ne se ressemblent heureusement pas — ce qui rendrait caduque l’existence même du présent ouvrage. Et c’est bien parce qu’ils composent une si extraordinaire mosaïque de personnalités et de destins qu’un tel recensement s’avérait nécessaire. Je suis persuadé que, tout comme moi, vous allez découvrir qui se cache sous le masque de ceux que vous croyez connaître, que vous rencontrerez pléthore de fascinantes figures aujourd’hui oubliées et que cela vous donnera envie, en évident complément de l’indispensable lecture de ce dictionnaire, de vous replonger dans leurs aventures. Les héros sont éternels, vous en avez la preuve entre les mains, mais c’est à vous qu’ils le doivent. En leur nom à tous, un grand merci ! À présent je m’efface de cette préface, parce qu’ils sont là, séparés par une mince épaisseur de papier, qui vous attendent de pied ferme. Partez à leur rencontre comme vous l’avez fait jadis. Vous connaissez le chemin, car je suis sûr que tout comme moi, vous avez laissé les portes de votre imagination entrebâillées. Ce dictionnaire va vous aider à en huiler les gonds afin que votre intrusion dans le monde des héros n’attire pas l’attention des plus redoutables — mais, déjà, Chéri-Bibi saisit son couteau de boucher ! Il est prêt à vous recevoir. Héros : n.m — Celui qui se distingue par ses exploits ou un courage extraordinaire […] Homme digne de l’estime publique, de la gloire, par sa force de caractère, son génie, son dévouement total à une cause, une œuvre.