actualite pharmaceutique

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Entrevue avec le ministre de la Santé
« Cessez d’être idéalistes »
Par Christian Leduc
Âgé de 52 ans, Yves Bolduc exerce
la médecine depuis 1981. En plus
d’avoir travaillé en clinique et
dans les urgences, cet omnipraticien a été de tous les combats
dans l’amélioration des soins de
santé : il a été président de l’Association des conseils des médecins, dentistes et pharmaciens
du Québec, en plus d’avoir conçu
la politique d’efficacité de l’Hôtel-Dieu d’Alma lorsqu’il était
directeur des services professionnels du CSSS de Lac-Saint-JeanEst. Il a également été partie prenante des négociations menant à
la loi 90.
cer sa profession, il doit s’assurer de
créer un environnement adéquat
en ce qui concerne la distribution
des médicaments et la vérification.
C’est important car, comme médecin ou comme infirmière, tu ne
peux pas bien exercer ta profession
sans une bonne organisation des
services pharmaceutiques.
Le ministre Yves Bolduc
en entrevue avec
L'actualité pharmaceutique
Suite à la page 6
Photo : Roger Saint-Laurent
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Yves Bolduc, est un homme qui n’a pas
peur de bousculer les habitudes et l’ego parfois sensible des professionnels de la santé afin
d’offrir de meilleurs soins aux patients. L’actualité pharmaceutique l’a rencontré le 6 février
dernier dans les bureaux montréalais de son ministère. Il nous a parlé de sa vision du rôle des
pharmaciens dans le système de santé.
« Comme ministre,
je m’engage à faire
en sorte que les
discussions sur les
ordonnances collectives
entre les pharmaciens
et les infirmières se
poursuivent. »
Le Dr Yves Bolduc a été nommé
ministre de la Santé et des Services sociaux par Jean Charest en
juin 2008, dans les heures qui ont
suivi la démission de son prédécesseur, Philippe Couillard. Il
a été élu une première fois à
l’automne 2008, avant d’être
réélu quelques mois plus tard,
lors des élections générales du
8 décembre. L’entrevue qu’il a
accordée à L’actualité pharmaceutique était donc l’une des premières occasions pour lui de présenter la façon avec laquelle il
compte travailler avec les pharmaciens durant son mandat.
Q
L’actualité
pharmaceutique :
Quelle est votre vision du rôle
des pharmaciens dans
le système de santé ?
Yves Bolduc : Le pharmacien a plusieurs rôles. Il est
avant tout un professionnel qui
fait partie d’une équipe multidisciplinaire composée des autres
professionnels de la santé. Le
pharmacien a cependant des
compétences qu’on ne retrouve
pas chez les autres professionnels : il est l’expert du médicament.
Mais le pharmacien a également
un rôle dans l’organisation des services pharmaceutiques. Pour exer-
R
mars 2009 | www.monportailpharmacie.ca | l’actualité pharmaceutique | 5
actualité
les pharmaciens et les infirmières,
de faire leur travail sans avoir les
contraintes d’obtenir chaque fois
l’autorisation d’un médecin.
Les ordonnances collectives sont
conçues afin d’alléger le travail de
certains professionnels en garantissant la même qualité de soins offerts
aux patients. Je dirais même qu’elles bonifient la qualité des soins en
réduisant les délais d’attente.
Là où il y a un contentieux, c’est
que les pharmaciens ne veulent
pas assumer leur responsabilité
lorsque l’ordonnance provient
d’une infirmière. C’est quelque
chose sur lequel nous travaillons
actuellement avec l’OPQ, l’OIIQ
et le CMQ. Nous voulons que
chaque profession soit protégée,
mais que chacun assume sa responsabilité.
Suite de la page 5
Q
Les pharmaciens sont
inquiets. Comme vous
le savez, ils sont très peu
nombreux et ils sentent qu’ils
sont désavantagés par rapport
à d’autres professions.
Qu’en pensez-vous ?
C’est absolument faux. Pour
avoir travaillé longtemps en
établissement, je peux vous dire
que la profession de pharmacien
est parmi celles qui ont le plus
amélioré leur offre de services.
Bien qu’ils soient moins nombreux, les pharmaciens ne doivent
pas avoir de complexe d’infériorité face aux autres professionnels
de la santé. Ce sont des professionnels qui sont aussi importants
que les autres. La loi 90 permet
une redistribution des tâches avec
un élargissement pour tous les
professionnels de la santé. Les
pharmaciens doivent se dire que
leur rôle va changer dans les prochaines années, comme celui des
autres professions.
R
Q
Vous évoquez la loi 90.
Pourriez-vous nous dire
quels sont les projets visant
sa mise en œuvre ?
La loi a été bien conçue, mais
les professionnels de la santé
n’ont pas saisi toutes les opportunités qu’elle leur offrait. Il doit y
avoir une redéfinition des tâches,
en particulier du côté des médecins, qui doivent en délaisser certaines et les confier aux infirmières et aux pharmaciens. Il doit
également y avoir une redéfinition des tâches entre les infirmières et les pharmaciens.
La question que nous devons
nous poser, c’est « pourquoi faisons-nous cela ? » La réponse tient
en ceci : pour offrir un meilleur service aux patients et non pas pour
protéger des professions. Chaque
profession a des expertises qui lui
sont propres, mais certaines tâches
peuvent bel et bien être partagées.
R
Q
Vous avez récemment
souligné l’importance
des ordonnances collectives
dans l’amélioration des soins.
Pourtant, les obstacles à leur
pleine utilisation sont nombreux. Pouvez-vous nous
rappeler l’objectif des
ordonnances collectives ?
Les ordonnances collectives
sont un moyen qui permet à
certains professionnels, comme
R
6 | l’actualité pharmaceutique | www.monportailpharmacie.ca | mars 2009
Q R
Mais il y a une rupture
du dialogue entre les
pharmaciens et les infirmières...
Comme ministre, je m’engage
à faire en sorte que les discussions se poursuivent. Nous allons
travailler ensemble afin de trouver
des « voies de passage » pour que
nous sortions de cette situation.
Mais cela nécessite une médiation
que le gouvernement va faire.
Q
La facturation des
services professionnels
est un sujet d’actualité pour
les pharmaciens propriétaires. Désirez-vous les
encourager à facturer
directement leurs services
à leurs patients ?
Je serais prudent. Il y a des éléments comme la révision de la
R
médication qui sont compris dans
l’acte pharmaceutique. Certaines
personnes veulent facturer les
patients, mais je rappelle que les
pharmaciens sont des professionnels avant d’être des commerçants.
Ce n’est pas négociable avec les
patients, mais avec le gouvernement. Je serai très vigilant et j’aurai
peu de tolérance face aux abus.
Q
Si un pharmacien offrait
le service de revue de la
médication d’une personne
âgée pour 30 $, par exemple,
vous seriez donc contre cette
façon de faire ?
Il faut faire attention à cela : ce
sont des frais modérateurs,
des frais indirects. Quand un
patient prend 15 médicaments, il y
a une facturation pour 15 produits
R
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et les pharmaciens font de l’argent
avec ça. Comme professionnels, ils
ont l’obligation de s’assurer que ce
sont les bons médicaments qui
sont donnés aux patients. Je vais
vous présenter cela d’un autre
point de vue : s’ils ne le font pas, je
veux qu’on m’explique pourquoi
nous les payons !
Q
Le président de l’OPQ,
Claude Gagnon, nous
confiait l’année dernière qu’il
rêvait du jour où les honoraires du pharmacien seraient
rattachés à son service
professionnel et non pas à la
délivrance des médicaments.
Qu’en pensez-vous ?
Dans une philosophie où l’on
revoit nos façons de rémunérer les pharmaciens, c’est quelque
R
« Il y a des éléments comme la révision
de la médication qui sont compris dans l’acte
pharmaceutique. Certaines personnes veulent
facturer les patients, mais je rappelle que les
pharmaciens sont des professionnels avant
d’être des commerçants. »
chose que nous pourrions regarder. J’ai toujours dit que l’important n’était pas la façon dont on
rémunère, mais plutôt les services
qui sont rendus aux patients.
Si on veut revoir nos façons de
faire et que les pharmaciens ne
veulent plus insister sur le volume
d’ordonnances mais plutôt sur les
services professionnels, je suis
ouvert à la discussion. Je sais pertinemment que si on favorise le
volume, on encourage le volume.
Si on favorise l’acte professionnel,
on encourage l’acte professionnel.
Autant j’ai été ferme tantôt, autant
je suis ouvert sur ce sujet. Mais
c’est un ou l’autre. Ils ne peuvent
pas avoir les deux.
Q
Vous venez de vous
entendre avec l’APES
concernant la rémunération
des heures supplémentaires,
mais la pénurie de pharmaciens d’établissement subsiste toujours. Quelles sont
les propositions du gouvernement afin d’atténuer ce
problème ?
Il y a deux éléments qui causent la pénurie de pharmaciens d’établissement : la pénurie
globale de pharmaciens au Québec ainsi que la concurrence entre
le secteur public, le secteur communautaire, l’enseignement, la
recherche et l’industrie.
R
Or, ce n’est pas vrai qu’en donnant un meilleur salaire aux pharmaciens ils vont tous venir travailler en établissement. Le travail
doit plutôt être revu en pharmacie d’hôpital. La question que je
me pose actuellement, c’est si les
pharmaciens ont tous besoin
d’une maîtrise pour travailler en
pharmacie d’établissement. La
réponse est non. Il y a des tâches
pharmaceutiques qu’on peut faire
en établissement de santé, dont
certains soins aux personnes
âgées, qui ne nécessitent pas une
maîtrise.
Un autre aspect important pour
combattre la pénurie est la délégation des tâches et l’utilisation des
appareils d’automatisation, qui
réduisent du même coup le nombre d’erreurs. Il faut également
voir comment nous pourrions
valoriser davantage le rôle de
pharmacien d’établissement.
Q
Des pharmaciens sont
outrés de vous entendre
dire que la maîtrise ne
devrait pas être obligatoire
pour travailler en établissement. Ils estiment que
c’est ne pas en reconnaître
la valeur...
Ma réponse est qu’il faut être
pragmatique. Il faut cesser
d’être idéaliste. D’un côté, ils se
plaignent qu’ils ne sont pas assez.
De l’autre, ils ne veulent pas que
nous leur donnions un coup de
main afin de leur trouver d’autres
professionnels formés adéquatement pour les aider.
Nous ne pourrons pas doubler
en quelques années le nombre de
pharmaciens qui vont sortir des
universités. Il faut donc se réorganiser à l’intérieur des ressources
qui sont disponibles. Je suis
d’ailleurs étonné de voir qu’ils ne
l’ont pas suggéré eux-mêmes
avant.
Nous avons besoin de 10 % de
pharmaciens supplémentaires
dans les établissements. Cela veut
dire environ 150 pharmaciens de
plus sur l’ensemble des finissants
au Québec qui choisirait une carrière en établissement.
Il faut rappeler que le régime
public donne des avantages
sociaux qui sont différents des
pharmacies privées. Dans le système public, les pharmacies ont
des équipes de garde. Ils finissent
à 17 heures. Ils travaillent une fin
de semaine sur six ou sur sept. En
officine, certains pharmaciens
sont obligés de travailler le soir et
les fins de semaine. Il faut comparer des pommes avec des pommes
et des oranges avec des oranges.
C’est pour cela que nous allons
mesurer l’écart salarial réel entre
les régions.
R
Q
R
En conclusion, auriezvous un message à
livrer aux pharmaciens ?
Mon message en est un de
partenariat. Je veux travailler
avec l’OPQ et l’AQPP afin de voir
comment bien intégrer les pharmaciens dans le système de santé.
Je crois que chaque profession va y
trouver son compte, mais qu’il faut
mettre en place des mécanismes
pour résoudre les problèmes. 
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