En Afrique, le business du soleil se charge des portables

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En Afrique, le business du soleil se charge des portables
En Afrique, le business du soleil se charge des portables
Écrit par ismael
Jeudi, 28 Novembre 2013 10:08 -
Le continent ne veut plus se passer des mobiles. Dans les villages sans électricité, seul le
solaire permet de les alimenter. Une aubaine pour la population, mais aussi pour les
entreprises. Applications pour la santé, l’agriculture, l’éducation ou les services bancaires : la
révolution du mobile en Afrique - 650 millions de téléphones portables - est contagieuse.
La précarité de l’accès à l’énergie sur le continent pourrait toutefois freiner sa course. «En
milieu rural, le taux d’électrification stagne de 1 à 5%», rappelle Jean-Pierre Favennec,
président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (ADEA).
Difficile dans ces conditions pour le téléphone portable de s’imposer. Alexandre Castel,
fondateur de la start-up Station Energy l’a bien compris : «L’électricité, c’est la base de tout, on
ne peut rien faire sans». Ingénieur de formation, diplômé d’HEC, il a créé en 2012 un réseau de
stations d’énergie solaire pour répondre aux besoins d’électricité délocalisés en Afrique. Un
parcours classique, tant les projets d’entreprenariat social et de la «base de la pyramide» ou
BoP («base of the pyramid») se multiplient sur le continent.
«Epiceries solaires»
Parti seul à l’aventure avant de trouver deux associés, Alexandre Castel, 28 ans, se veut un
passionné qui «ne compte pas les heures». Présente au Sénégal, en Côte d’Ivoire, aux
Comores et bientôt au Burkina Faso, son entreprise distribue dans une trentaine de boutiques
des lampes solaires permettant de recharger un téléphone, en plus de s’éclairer. Dans les
zones plus reculées, plus enclavées - et plus précaires -, la startup, qui compte une vingtaine
de salariés et le double de «distributeurs partenaires», propose des services sur place, dans
ses «épiceries solaires», et une offre de location.
«Station Energy se positionne comme un outil de développement social et environnemental via
les services énergétiques», vante son site internet. Pas question pour autant de renier son
identité d’entreprise : «Nous faisons du business social, explique Alexandre Castel, mais on ne
l’affiche pas en local : cela reste un concept européen». Il ne le cache pas, les perspectives
économiques comptent : «On est sur un marché estimé à dix milliards d’euros», précise-t-il.
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Au-delà de l’aspect social, il l’assure, «la rentabilité n’est pas incompatible, elle est même
nécessaire pour la pérennité du projet». Pour preuve, le secteur attire d’autres investisseurs.
Pas forcément les plus attendus sur ce segment. A commencer par Total qui, depuis 2012, et
après plusieurs mois d'études, développe sous sa marque Awango by Total, des solutions
photovoltaïques dédiées aux pays émergents à faibles revenus.
«Notre but est de répondre aux enjeux des pays dans lesquels nous nous trouvons», explique
Emmanuel Léger, responsable accès à l’énergie de Total. Or, selon une étude du groupe, la
recharge des portables arrive en seconde position, après l'éclairage, des attentes des
populations rurales en Afrique. La gamme Awango by Total, composée de lampes solaires
permettant d'alimenter son téléphone ou encore de kits modulaires, est accessible dans une
dizaine de pays africains, dans quelques pays asiatiques et en Haitï.
«Un social business»
«Avec 1,3 milliards de personnes dans le monde privées d’électricité, la base de
consommateurs est énorme, juge le responsable.Bien sûr, le secteur ne va pas tirer la
croissance de Total, mais le potentiel est réel.Ce n’est pas une activité philanthropique mais un
"social business"».En 2015, après un investissement global de cinq millions d’euros, le groupe
ambitionne de vendre au moins un million d’unités qui pourraient toucher cinq millions de
personnes, et d’atteindre ainsi la rentabilité.
Mais, avec 400 000 unités vendues à ce jour, le pari n’est pas gagné. «On est dans une logique
de volume. Ce n’est pas un produit de vente immédiate, il faut une période de conviction»,
analyse Emmanuel Léger qui compte sur l’image de marque du groupe pour diffuser ses
produits.
Après un an d’existence, Station Energy espère pour sa part être rentable dès 2014. La start-up
vise un million d’utilisateurs d’ici 2020 et une implantation dans cinq pays à fin 2015.
«L’entreprise tend à l’équilibre, assure son fondateur, en partie grâce à des projets
complémentaires». Elle vient de remporter une mission pour l’Institut national de la statistique
ivoirien visant à équiper 9 000 agents pour le recensement du pays par smartphones. Une
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bonne nouvelle, selon Alexandre Castel : «La vente aux particuliers ne permet pas encore de
dégager une marge suffisante».
Le marché, qui attire de nouveaux acteurs serait-il devenu trop concurrentiel ? Non, répond
l'entrepreneur, «il y a de la place pour tous». Certes, Total est «une machine de guerre», mais
les véritables concurrents ce sont «d’abord les bougies et le kérosène», jure-t-il. Des habitudes
«bien ancrées», difficiles à faire tomber, même si «à l’usage, les solutions de Station Energy
coûtent deux fois moins cher que les lampes à pétrole». Reste que, pour une population qui ne
dispose d’aucune réserve d’argent, l’investissement est impensable.
«Même avec la microfinance, cela reste trop cher»
Lors de son lancement, Awango by Total avait essuyé quelques critiques sur son prix de
commercialisation (30 euros environ pour le premier prix de lampe chargeur). «Quand on vit
dans un bidonville, le coût peut-être un frein, note le responsable du projet. Il faut trouver le prix
accessible. Les tontines et le microcrédit peuvent aussi accompagner le financement».
Alexandre Castel de Station Energy est plus nuancé : «On est conscient que nos produits
s’adressent à une clientèle qui a les moyens. Même avec la microfinance, cela reste trop cher
pour les populations rurales qui vivent au quotidien. C’est pourquoi nous proposons aussi une
offre de location».
Quant aux plus nantis, il est parfois compliqué de les convaincre admet-il, dénonçant au
passage le rôle des «ONG et du tout gratuit qui abîment les marchés». Sujet sensible, «la
question des conséquences économiques des actions des ONG doit être posée», approuve
Thierry Téné, directeur de l’Institut Afrique RSE. «Sous couvert d’actions humanitaires, avec la
distribution gracieuse des produits solaires, elles ont contribué à la disparition de certaines
entreprises ou à leur affaiblissement», analyse-t-il. Et ce d’autant plus qu’elles seraient mieux
armées pour obtenir des subventions, ajoute Alexandre Castel. «Cela crée une distorsion de
marché», s’agace-t-il, expliquant n’avoir reçu qu’une seule aide de 15 000 euros pour un projet
pilote. Aujourd’hui, il tente de trouver des fonds par le financement participatif.
«Ces entreprises font un pari sur l’avenir qui paraît évident au regard des perspectives de
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croissance dans ces pays. Mais, il faut du temps pour construire ces marchés, sur le plan de la
logistique, du marketing, de la distribution, explique David Menasce, directeur associé du
cabinet de conseil Azao, si cela fonctionne bien pour certains secteurs comme la téléphonie,
d’autres sont plus complexes à investir car les marchés informels sont souvent très défaillants».
Autre risque pointé du doigt par le spécialiste de l’innovation dans les marchés émergents : la
concurrence des produits de mauvaise qualité venus d’Asie, affichant des prix imbattables.
«Sur les marchés de Ouagadougou, on trouve des produits solaires chinois à partir de 500
FCFA (moins de un euro)», précise-t-il.
«Les solutions locales sont rares»
De quoi concurrencer les produits Awango by Total ou ceux de Station Energy qui utilisent
pourtant le même circuit, depuis les usines asiatiques jusqu’aux échoppes africaines. A la
différence, selon le responsable Total, que les produits de sa marque sont de «meilleure
qualité,grâce à une sélection rigoureuse de fournisseurs», chinois et indiens pour la plupart. Et
la possibilité de produire en Afrique ? Le groupe précise qu'il réfléchit à un scénario
d’assemblage sur place, mais «les solutions locales sont rares», souligne Emmanuel Léger.
«Cela coûte moins cher d’envoyer un container de Shanghai au Cap que de le faire voyager
entre deux villes africaines», résume David Menasce de Azao.
Une vision que ne partage pas Chris van Zyl, cofondateur de l’entreprise eChaja, basée au
Swaziland et en Afrique du Sud, qui commercialise depuis 18 mois des chargeurs de portable
solaires. «Un produit pensé et fabriqué en Afrique, par des Africains», explique avec fierté
l’entrepreneur. Selon lui, seules les idées reçues freinent le développement de la production sur
le continent : «Tout le monde peut aujourd’hui fabriquer quelque chose, il suffit d’être
suffisamment inventif, poursuit-il. Trop longtemps l’Afrique a été bombardée par des produits de
faible qualité manufacturés en Asie par des personnes qui ne saisissent pas nos enjeux». Les
produits eChaja, dont plus de 90% des composants sont fabriqués en Afrique du Sud, sont
selon lui, «la preuve qu’il est possible d’avoir une véritable valeur ajoutée locale».
Mais l’ambition de l’entreprise va plus loin. En plus de participer au développement du
téléphone mobile et de ses services dans les zones rurales, eChaja veut créer de nouvelles
sources de revenu. Achetés ou loués, ses chargeurs permettent aux utilisateurs de proposer un
service ambulant de recharge de portables rémunérateur. Chris van Zyl estime à 500 dollars
(370 euros) le salaire moyen que peut dégager cette activité. A ce jour, l’entreprise, qui emploie
14 personnes en interne, a vendu 250 chargeurs «made in Africa». Un modèle d’«exigence
africaine», conclut son fondateur.
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Cet article a été réalisé dans le cadre d’un projet soutenu par la fondation
JournalismGrants.org, qui promeut les enquêtes sur les thématiques du développement. Le
choix du sujet, son mode de traitement ou sa rédaction sont du seul ressort de Libération. Dans
le cadre de ce projet, Libération s’est associé au quotidien suédois Svenska Dagbladet et à
Journalism++ -qui a développé un outil de base de donnés detective.io, ici décliné sur le thème
de l’énergie avec l’ONG Local Energy Network.
Amandine CAILHOL
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