Florence Aubenas

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Florence Aubenas
Florence Aubenas
ITS Tours, 2010
Florence Aubenas (née le 6
février 1961 à Bruxelles) est
une journaliste française.
Elle a effectué la plus grande partie de sa carrière au
sein du quotidien Libération
comme grand reporter jusqu’à son départ en 2006 pour
l’hebdomadaire Le Nouvel
Observateur. Lors d’un reportage en Irak, en 2005,
elle a été retenue en otage
pendant plusieurs mois. Le 2
juillet 2009, elle a été élue à
la tête de l’Observatoire international des prisons (OIP).
Publications
u La fabrication de l’information. Les journalistes et l’idéologie de la communication, avec
Miguel Benasayag, La Découverte, 1999
u Résister, c’est créer, avec Miguel Benasayag,
La Découverte, 2002
u
La méprise. L’Affaire d’Outreau, Seuil,
2005
u Grand reporter, Bayard, 2009
u Les détenus sont-ils des citoyens ?, avec
Julien Bach, Virginie Bianchi, Caroline Mécary,
Patrick Marrest, Willy Pelletier et Évelyne SireMarin, Syllepse, 2010
u Le quai de Ouistreham, Éditions de l’Olivier, 2010
Florence Aubenas en femme invisible, par Béatrice Vallaeys,
http://www.liberation.fr/livres/0101619969-florence-aubenas-en-femme-invisible
La journaliste, employée pendant six mois dans une entreprise de nettoyage, a vécu la précarité au quotidien.
C’est un long reportage. Une œuvre journalistique. Une histoire vraie, nullement
romancée, qui ne manque pourtant pas
de romanesque. C’est une somme d’aventures vécues avec des hommes et des femmes (essentiellement des femmes) qui forme
une aventure. Celle dans laquelle Florence
Aubenas s’est lancée en février
2009. Elle y a mis un terme en
juillet de la même année, quand
elle a fini par décrocher un CDI :
« Je ne voulais pas bloquer un emploi réel ».
Six mois pour comprendre, de
l’intérieur, ce que le mot « crise »
signifie. Pour ceux qui en paient
le prix le plus lourd : les travailleurs
précaires. Ceux qui passent par la
case « Pôle Emploi » qui désigne
désormais l’ex-ANPE, où les chômeurs doivent remplir deux conditions pour ne pas chuter SDF : être
disponibles à toute heure du jour
et de la nuit, dimanche et jours fériés, et dire
qu’ils sont prêts à accepter n’importe quel
boulot.
Connivence. L’aventure de Florence Aubenas
n’est pas unique : d’autres journalistes avant
elle se sont mis dans la peau de leur « personnage », sont passés de l’autre côté du miroir
pour tenter d’y voir plus clair, de saisir des situations que les reporters décrivent tous les jours
mais avec la distance qu’impose le métier. Une
distance que Florence Aubenas a transformée
en connivence salutaire. Son livre raconte la vie
des « agents d’entretien », traduisez « femmes de
ménage », le secteur où elle a fini par trouver des
emplois. « Les femmes veulent toutes faire du nettoyage, mais elles ne comprennent pas qu’il ne
suffit pas d’en avoir envie pour y arriver. La plupart décrochent très vite. Croyezle si vous voulez : on a du mal à
recruter ». Ainsi parle M. Médard
(…), responsable à l’Immaculée
- une entreprise de nettoyage - où
Florence Aubenas a réussi à figurer
dans la liste des personnels disponibles partout, tout le temps et à tout
moment.
Pour écrire son livre, Florence
Aubenas s’est immergée en Basse-Normandie, a pris chambre en
ville à Caen, et sillonné la région
où, quand il ne pleut pas, le ciel
est gris et menaçant. Comment
a-t-elle fait pour ne pas être reconnue, c’est
la première énigme qui vient à l’esprit. En
2005, en reportage en Irak pour Libération,
journal où elle a forgé son talent pendant
plus de vingt ans, elle fut capturée et prisonnière pendant cinq mois. Cinq mois
où sa photo circulait dans nombre de
manifestations de soutien, était diffusée chaque jour à la télévision, affichée sur les frontons des mairies
de France. Cinq mois au
Publication : Centre de documentation -Institut du Travail Social de Tours - www.its-tours.com
Page terme desquels elle
devint une otage « célèbre », comme d’autres l’ont été
avant et après elle. Pas la célébrité
façon Lady Di, mais tout de même
quelqu’un qui, croit-on, ne peut plus passer inaperçu. Preuve est faite que si, car
à part avoir éclairci ses cheveux naturellement châtains (…) et gardé ses lunettes
sur le nez, elle n’a même pas changé son
nom. Preuve est faite surtout que, comme
le lui prédit Victoria, retraitée forte en gueule
rencontrée là-bas, « tu verras, quand tu seras
femme de ménage tu seras invisible ».
[…] Plus que la description des conditions de
travail, qu’on sait féroces, c’est de ces femmes
invisibles que Florence Aubenas fait son miel
pour dresser une galerie de portraits édifiants,
sans apitoiement. En saisissant au vol des paroles, opinions, sentences, elle donne à ces êtres
« transparents » une épaisseur émouvante, jamais
larmoyante.
Morceaux choisis. Une formatrice du Pôle Emploi explique aux candidats que « les employeurs
exigent des compétences ». Puis elle demande :
« Qu’est-ce que c’est les compétences ? ». Elle
attend un peu, finit par répondre elle-même : « un
ensemble de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire ». Ma voisine se penche vers moi : « J’ai bien
fait de rien dire ».
Un chômeur au stage CV de Pôle Emploi : « La
crise, la crise, on entend répéter ça depuis tellement longtemps. Les usines ont déjà fermé. Ils
pourraient au moins faire l’effort d’inventer un
nouveau mot ».
Françoise. Elle s’est inscrite à Pôle Emploi il y a
quelques mois à peine. Elle a commencé à faire des remplacements dans une usine, la nuit.
Elle est passée au ménage, puis a décroché un
premier contrat à l’Immaculée presque tout de
suite. Beaucoup d’autres se sont accumulés.
Maintenant, elle est levée à 4 heures, ne revient
pas avant 20 heures. « Je ne tiens pas à rester
en bas de l’échelle. J’ai de l’ambition. Je veux
monter ».
Fanfan et Victoria, qui ont milité ensemble, jadis,
au syndicat. Fanfan nous ouvre. Avant de l’embrasser, Victoria procède à une inspection rigoureuse. « Comme tu as maigri ! Ça te va drôlement
bien ». Fanfan émet un rire coquet. « Je sais, c’est
grâce à mon cancer ».
Laetitia s’est fait virer du ferry. Laetitia a trouvé
« autre chose ». Un fast-food à Blainville. Pas un travail bien sûr, personne ne le croirait : aujourd’hui
on ne trouve pas de travail, on trouve « des heures ». Depuis trois ans, Laetitia faisait vingt-cinq
heures par semaine sur le ferry. Au fast-food, elle
en aura trente, presque un coup de chance. Laetitia encore, à son pot de départ : « On est bien
obligé d’avoir une télé chez soi. Sinon, qu’est-ce
qu’on ferait quand on a des invités ? ».
Allocation. Mme Tourlaville, une collègue au
camping le Cheval blanc : « Si tu refuses une fois,
tu es foutue, disparue, à la trappe. La boîte ne
te rappelle jamais. Il y en a plein qui attendent
derrière nous. Tu te souviens comment c’était dur
quand on n’avait rien ? ».
Le fiancé de Mélissa dit: « Elle fait passer le boulot
avant tout ». La grande Mélissa dit que c’est vrai.
Elle est une « executive woman ». La même Mélissa, un peu plus loin : « Plus on nous fait travailler,
plus on se sent de la merde. Plus on se sent de
la merde, plus on se laisse écraser ». Allocation
surprise. « 150 euros, ça fait un paquet de pognon qui tombe du ciel ». « Oui, c’est notre parachute doré. Nous aussi, on y a droit ».
Germain. Le petit Germain pousse son aspirateur, grave comme un adolescent : « Moi,
si on me dit de faire l’aspi, je le fais à fond
jusqu’au bout de la nuit. Je suis un warrior ».
Geneviève. « L’argent, je crois que c’est
mon premier souvenir d’enfance ».
Roland, « un petit blond mignon », raconte avec exaltation sa « vocation » :
« j’adore ce métier. Je l’ai découvert
par hasard il y a un an, je ne peux
plus m’en passer ».
Florence Aubenas a travaillé pour Le Matin de Paris et Le Nouvel Économiste, avant d’entrer en
1986 au journal Libération. Elle a couvert de nombreux événements au Rwanda, au Kosovo, en
Algérie, en Afghanistan et en Irak, ainsi que plusieurs grands procès en France. C’est ainsi qu’elle
s’était fait connaître pour sa couverture du procès d’Outreau, étant l’une des premières à exprimer
ses doutes sur la culpabilité des prévenus finalement innocentés.
En septembre 2006, elle invoque la clause de conscience pour quitter Libération et rejoindre le
Nouvel Observateur.
Le 4 juillet 2008, lors du retour en France de la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt après 5 ans
de captivité, elle commente les images pour France 3.
Le 2 juillet 2009, elle est élue présidente de l’Observatoire international des prisons (OIP).
De février à juillet 2009, elle prend un congé sabbatique laissant circuler la rumeur qu’elle part
au Maroc écrire un roman. Dans les faits, elle s’installe à Caen et s’inscrit comme chômeuse au Pôle
emploi pour chercher du travail. Elle mène l’enquête sur la France des travailleurs précaires qui vivent
avec un salaire inférieur au SMIC, comme l’avaient fait en Allemagne Günter Wallraff dans les années
1960 en se faisant passer pour un Turc ou Elsa Fayner en France au cours des années 2000. Après
avoir enchainé les petits boulots, elle embarque comme femme de ménage sur un ferry au quai de
Ouistreham. De cette expérience naît le livre Le Quai de Ouistreham, publié le 18 février 2010, qui
devient un succès de librairie avec 120 000 exemplaires vendus au 12 avril 2010.
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Page Florence Aubenas :
« Je n’ai pas de problème d’identité »
L’Express
http://www.lexpress.fr/culture/livre/florence-aubenas-je-n-ai-pas-de-probleme-d-identite_906184.html
Il y a cinq mois la journaliste publiait le Quai de Ouistreham, récit d’une
immersion dans le monde du travail précaire. Elle revient sur ce qui est
devenu un best-seller.
l Comment expliquer le succès de votre livre : près de 200 000
exemplaires ?
Je n’ai pas d’explication, de commentaire chic. Mon précédent livre sur Outreau s’était déjà
très bien vendu, à près de 50 000 exemplaires. Il est vrai que je venais de rentrer d’Irak quatre
mois plus tôt et que le deuxième procès d’Outreau allait durer un mois et demi. Donc, il y avait
une surexposition de tout, de moi, de l’affaire. Pour ce livre-ci, je pensais atteindre la moitié... Ce
succès me fait très plaisir, notamment pour tous les gens qui y figurent et qui voient là une reconnaissance de ce qu’ils sont, de leur boulot....
l Ils
vous l’ont écrit ?
Oui, c’est incroyable, je reçois quelque 25 lettres par jour. Il y a de tout, des gens qui me demandent quelque chose, un avis, un coup de main, d’autres qui voient un miroir de leur vie dans
mon livre, d’autres encore qui veulent juste raconter leur histoire. Je n’ai jamais connu cela, on
m’arrête même dans la rue pour me confier une lettre, un mot. Cela mesure le désarroi de tous
ces chômeurs, intérimaires ou vacataires. Ils ont l’impression de pouvoir faire entendre une voix
singulière, et, du coup, de n’être plus une statistique mais une personne.
l Il
n’y a aucun écho discordant ?
Bien sûr, mais ceux-là ne me contactent pas, ils se manifestent plutôt par Internet. Certains ricanent : « Elle découvre subitement la précarité mais où vivait-elle donc ? » ou s’insurgent : « Elle
n’est restée que six mois, c’est trop facile ». Je trouve normal qu’il y ait un débat, mais personne
ne parle jamais d’imposture lorsque je vais enquêter en Afghanistan ou en Irak. Or travailler sur la
vie des autres, ici ou là-bas, est le propre du boulot de journaliste.
l La
vie de « vos » précaires s’est-elle améliorée grâce à ce livre ?
Il y a un léger progrès, oui, des heures supplémentaires mieux payées, des aménagements d’horaires, des locaux plus agréables... Pour être sincère, je garde un goût amer d’Outreau. J’avais
très clairement écrit un livre pour témoigner et influer. Cela s’est passé presque comme dans un
rêve, les accusés ont été acquittés, indemnisés, tout le monde a fait repentance, une loi a été
votée. Or, cette loi n’est toujours pas appliquée et l’on tend plutôt vers la suppression du juge
d’instruction. Bref, aujourd’hui, je crois plus aux petites avancées qu’aux grandes lois, à la prise
de conscience de chacun sur cette précarité qui nous concerne tous.
l Vous
avez conçu votre livre sur le travail précaire dans ce but ?
Non, cela serait mentir. En fait, j’ai découvert des évidences. Dans ma profession, être une femme
grand reporter est quelque chose de très valorisé. Quand on cherche du travail comme agent
de propreté, la musique est autre. J’ai attendu quarante-huit ans pour savoir ce que signifie être
une femme sur le marché du travail précaire.
l Depuis
cinq mois, vous courez les Salons du livre, les conférences...
Pourquoi ?
Cela me semble important de parler de la condition de ces employés, d’autant plus qu’on est
en plein débat sur les retraites. Or 20 % des travailleurs français - les précaires, donc - sont exclus
de ce débat. Ils sont invisibles, dans une espèce d’angle mort. Il faut les intégrer dans les négociations, réfléchir à un mode de calcul particulier. Sinon, jusqu’à quel âge vont-ils travailler ?
Toutefois, en ce moment, je freine, je compte beaucoup sur les vacances pour arrêter le cycle...
l Avec
la médiatisation, votre vie a-t-elle changé ?
Non, en rien, ni hier ni aujourd’hui. En revanche, pour la première fois et en de multiples endroits, on ne m’a pas présentée comme ex-otage ex-journaliste à Libération, mais comme
quelqu’un qui fait quelque chose, c’est plus agréable.
Cela dit, je n’ai pas de problème d’identité, il n’y a pas pour moi un avant ou après-Irak,
un avant ou après ce livre.
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Page Florence Aubenas :
« La prise d’otages est une méthode criminelle »
http://humanite.fr/02_09_2010-florence-aubenas-«-la-prise-d’otages-est-une-méthode-criminelle-»-452631
À la veille des deux cent cinquante jours de captivité pour Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, retenus en Afghanistan, Florence Aubenas,
marraine du comité du soutien pour leur libération, rappelle l’importance de
lutter contre l’oubli, de défendre la liberté de la presse et de l’information.
l Deux cent cinquante jours dimanche. Deux cent cinquante jours qu’Hervé Ghesquière et
Stéphane Taponier sont retenus en Afghanistan. Quel message continuer à faire passer ?
Florence Aubenas. Le plus terrible, c’est l’oubli. Et en ce sens, tout ce qui peut permettre de les maintenir parmi nous
est important. Ne pas oublier, continuer de défendre notre métier et ce droit fondamental qu’est la liberté de la presse,
dire qu’ils étaient là-bas pour l’information, pour nous raconter l’Afghanistan, qu’ils faisaient simplement leur travail,
mettre leur histoire sur la place publique, c’est primordial. C’est vrai pour Hervé et Stéphane, mais aussi pour tous les
autres otages. Le comité de soutien a été créé précisément pour faire passer ce message, pour faire entendre notre voix,
qui n’est ni celle de France Télévisions ni celle du gouvernement. Il aurait tout de suite fallu mettre un nom et un visage
sur Hervé et Stéphane et surtout expliquer pourquoi aujourd’hui des journalistes sont enlevés à l’autre bout du monde.
C’est quand même le monde à l’envers quand la presse elle-même décide de taire l’identité de ceux qui sont enlevés et
dans quelles conditions. Ça doit être su, dit, raconté, expliqué. Il n’y a pas de place à donner à l’omerta sur ce sujet. Il faut
répéter que la prise d’otages est une méthode criminelle, qu’elle fait reculer la démocratie et qu’il faut lutter contre. La
solidarité s’est mise en place, du simple citoyen qui colle une affiche aux militaires sur le terrain afghan, en passant par les
journalistes, les politiques et les membres des services secrets, tous contribuent à leur libération. Et si cette chaîne solidaire
pouvait être créée sur d’autres sujets que les prises d’otages, ce serait fantastique ! Quand il s’agit de grands principes, on
se doit d’être mobilisés.
l Les jours passent, ne craignez-vous pas qu’une certaine lassitude s’installe dans les esprits, une
forme de « normalisation », un banal « risque du métier » ?
Florence Aubenas. Je ne crois pas. C’est frappant pour Hervé et Stéphane mais ça l’était déjà pour Ingrid Betancourt.
Plus les jours passent, plus les mobilisations s’étoffent, se renforcent. Ce n’est pas une règle, bien sûr, et le risque existe
d’entendre simplement les gens dire « ah, encore un otage », mais il ne faut surtout pas s’y habituer. Ne pas oublier, les
garder coûte que coûte parmi nous.
l Vous qui l’avez vécu en Irak, les mobilisations de soutien sont-elles perceptibles en captivité ?
Florence Aubenas. Là encore il n’y a pas de règle. Jean-Paul Kauffmann en a eu des échos. Moi, je n’en ai pas eu. En
revanche, je me souviens d’un jour où les preneurs d’otage ont voulu me faire enregistrer une vidéo. Pour la dater, ils
avaient allumé la télé derrière moi. C’était TV5 Monde. Je regardais du coin de l’œil et sous la présentatrice était écrit
«Florence-Hussein» et un chiffre. Je n’ai pas compris qu’il s’agissait de nous et du décompte de nos jours de captivité. Je
pensais que c’était le nom de la présentatrice. Le simple fait de voir nos noms accolés sans comprendre qu’il s’agissait de
nous m’a redonné le moral. C’est fou le bien que ça procure. Voilà pourquoi il est extrêmement dangereux de critiquer les
otages. Pour Hervé et Stéphane, certains politiques et militaires ont dit des choses terribles. Le but d’un preneur d’otages
est évidemment d’affaiblir celui qu’il retient. Il se fait un plaisir de faire passer ce genre de message, c’est un ancrage de sa
position de force. C’est humainement odieux que d’oser dire publiquement que des journalistes se sont mis délibérément
en danger. C’est simplement indigne. Les politiques doivent s’engager à travailler sérieusement en accord avec les principes qu’a toujours défendus la France : la négociation et la vie des otages. Le comité de soutien a pris part aux universités
d’été des Verts, du PS et de l’UMP dans le but d’unifier le message officiel, de parler enfin d’Hervé et de Stéphane à l’unisson. Nous avons réussi à créer un consensus politique, derrière eux et pour eux.
l Le grand reportage, votre métier, celui d’Hervé et de Stéphane, va mal, la presse traverse de grandes difficultés. Qu’en pensez-vous ?
Florence Aubenas. Oui, le métier va mal. Sur les dix dernières années, la place consacrée par la presse écrite aux
reportages a diminué de près de 40 %. C’est énorme. Bien sûr, l’information a un coût, mais c’est notre fierté que de la
défendre. On entend souvent dire que les gens se désintéressent des sujets graves, qu’ils ne se sentent plus concernés,
qu’ils ne lisent pas les articles trop longs, etc. Le reportage nécessite du temps et de la place, mais comment faire
croire que les gens achètent de la presse écrite alors qu’ils n’aiment pas lire ? Je n’en crois pas un mot. Il faut remettre
du journalisme dans les journaux. Notre travail est un métier de passeur. C’est d’embarquer les gens, de leur dire :
« Venez, on vous emmène en Irak, en Tchétchénie, en Afghanistan, montez à bord ». C’est notre rôle que d’intéresser
le lecteur à des sujets à l’opposé de leur vie quotidienne. On a besoin de redécouvrir notre métier dans ce sens-là.
La presse s’est installée dans une réflexion marketing et financière, la logique économique des journaux est en train
de les tuer. C’est chez nous que les journaux meurent. Nous qui avons la chance de pouvoir jouir de la liberté de
la presse, nous tuons l’information. Les postes de correspondants ferment les uns après les autres, les connaissances sur certains pays sont moins fines, et, quand le discours dérange, on arrive à faire couler un journal par des
sanctions financières. Nous avons petit à petit inventé des moyens pour tenter de cadenasser l’information.
Toute l’économie de la presse est à réinventer.
Publication : Centre de documentation -Institut du Travail Social de Tours - www.its-tours.com
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