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L’interview
var-matin
Dimanche 19 avril 2015
Axel Kahn : « La France va
moins mal qu’on ne le pense »
Le généticien a traversé le pays à pied, plus de 2000 km de la Bretagne à Menton, à la rencontre
de lui-même mais aussi des Français. Il retrace son périple et ses émotions dans un nouveau livre
I
évitée. La loi permet de mourir
paisiblement. Après avoir vécu
et combattu, quand on considère
que la chandelle va s’éteindre,
on peut demander à partir
doucement, sereinement,
dans son sommeil.
l est de ces hommes qui, plus encore que le respect, inspirent la
confiance. Pour le dire crûment,
Axel Kahn a une bonne tête d’humaniste. En 2013, le généticien devenu
marcheur forcené avait traversé la
France en diagonale, des Ardennes
au Pays basque. Du 8 mai au 22 juillet
2014, il a remis ça, reliant cette fois
la Pointe-du-Raz à Menton, 2 057 km
et 43 000 m de dénivelé positif en
72 étapes. Après Pensées en chemin,
il en a tiré un nouveau livre, Entre
deux mers, voyage au bout de soi (1).
Le cheminement solitaire d’un septuagénaire dont les genoux et
l’épaule douloureux n’ont jamais entamé l’optimisme chevillé à l’âme.
Plus qu’une aventure solitaire,
votre parcours ressemble à une
communion avec des Français…
Dès l’élaboration du projet, j’avais
deux axes. Le premier pilier
était la marche solitaire pour
ne pas connaître d’écran entre
moi-même et les beautés que
je voulais rencontrer, naturelles,
patrimoniales, humaines.
Le second, comme je suis
extrêmement sévère avec
la mode du nombrilisme,
était de constituer des conditions
de partage et d’échange, à travers
les réseaux sociaux notamment,
pour permettre aux gens qui
désiraient me rencontrer de venir
me voir et d’échanger avec moi.
En vous lisant, montent aux
lèvres Ma France, La Montagne,
les chansons de Jean Ferrat…
En traversant l’Ardèche,
La Montagne a tourné en boucle
dans ma tête. J’ai rencontré des
Ardéchois qui m’ont évoqué Jean
Ferrat. Des gens qui utilisaient
des quads pour poser des piquets
et aménager des promenades
s’en excusaient en me disant :
« Notre montagne est tellement
belle qu’il faut la faire partager. »
La marche élève-t-elle vraiment
la pensée, ou cogite-t-on surtout
à des choses très terre à terre ?
La marche est follement propice à
la pensée. Même lorsqu’on a mal
La gestation pour autrui ?
J’y ai toujours été opposé.
Faire entrer la fonction gestatrice
dans le commerce n’est pas
un progrès. Je suis très favorable
au principe d’une pénalisation
des clients de prostituées, il n’est
pas normal que des femmes
soient des marchandises libres
et des hommes des acheteurs
libres, alors je suis a fortiori
opposé à l’extension
de cette commercialisation.
Axel Kahn, chemineau infatigable, ici du côté de Saint-Martin-du-Var l’été dernier. (Photo Richard Ray)
aux genoux, on arrive à s’évader
par la pensée, c’est un oiseau qui
volette et se pose là où il a envie.
Quand je marche, je regarde,
je perçois et je pense intensément.
L’esprit est plus fort que tout. Tout
sauf… les pieds lorsqu’on a des
ampoules. Ils dominent alors
l’esprit et c’est bien décevant !
‘‘
Je suis envieux
de la foi d’autrui ”
Quel avenir pour nos territoires
ruraux ? Vous constatez qu’un
fort attachement au terroir est
souvent source de dynamisme…
Depuis - ans, nous assistons
à une revitalisation rurale.
Dans les Alpes-Maritimes ou
le Var, l’immobilier est devenu
tellement cher que cela pousse
les habitants à habiter de plus
en plus loin. À cela s’ajoute un
attachement à une autre vie que
la vie urbaine. La ruralité s’est
modifiée, avec de jeunes retraités
à bon pouvoir d’achat, mais aussi
des néoruraux qui reviennent
entreprendre au pays, malgré
Bio express
n Naissance le 5 septembre 1944 au Petit-Pressigny (Indre-et-Loire).
n Fils du philosophe Jean Kahn-Dessertenne, frère du journaliste
Jean-François Kahn et du chimiste Olivier Kahn.
n S’engage à 17 ans au Parti communiste dans une cellule de Citroën.
n Adhère au Parti socialiste en 1981. Il le quittera deux ans plus tard.
n Directeur de recherche à l’INSERM, auteur de multiples ouvrages
de vulgarisation scientifique et de réflexion éthique.
n Président de l’université Paris-Descartes de 2007 à 2011.
n En 2012, investi par le PS, il est battu (43,54 %) par François Fillon au
deuxième tour des législatives dans la deuxième circonscription de Paris.
n Hostile, pour des raisons morales, au clonage thérapeutique.
n Membre du Comité consultatif national d’éthique de 1992 à 2004.
la désertification médicale ou la
fermeture des services publics.
Quel diagnostic de la France
faites-vous après ce périple ?
La France est très éprouvée,
elle a été marquée par les crises
et la désindustrialisation. Cela dit,
l’impression générale est que
la France va moins mal que
les Français ne le pensent.
La frontière entre l’authenticité
et le repli identitaire ?
Le repli identitaire est le refus
de ce qui est une innovation,
ce qui risquerait de changer
un type de vie. La revitalisation
rurale exige une néoruralité. Un
territoire rural ne peut plus vivre
à présent de ses seuls agriculteurs.
On voit des crispations contre
des arrivants exogènes, qui sont
pourtant la condition de la survie
des territoires. Des chasseurs,
certains écologistes, s’opposent
aux parcs naturels régionaux, alors
que partout où ils se sont créés,
c’est follement profitable aux
habitants. Certains préfèrent mourir
dans l’immobilisme que d’envisager
quelque modification que ce soit.
Le redécoupage régional ?
Dans mon périple, j’ai rencontré
une seule protestation vive, celle
des habitants de Loire-Atlantique,
qui auraient préféré faire partie
de la Bretagne. Il faut un certain
équilibre des grandes richesses.
Les Auvergnats ont bien perçu que
leur promise, Rhône-Alpes,
apportait une dot conséquente.
Le redécoupage opéré est sans
doute le moins mauvais possible.
Le retour du loup dans les Alpes
du Sud, vous y voyez une plaie…
Je suis du côté des bergers et
d’abord des brebis. Les loups
font des dégâts terribles dans les
troupeaux. Comme je suis pour
la revitalisation des territoires,
je soutiens les bergers. Il y a
un peu d’inconscience dans le
jusqu’au-boutisme des partisans
du loup. Si on peut le tolérer
en haute montagne, il faut
essayer d’éviter la coexistence de
l’élevage avec le loup. La France
n’était pas défigurée parce que le
loup avait disparu, franchement.
Vos impressions sur l’arrièrepays niçois ? Vous n’êtes pas
tendre avec l’urbanisation
extensive, « gangrène qui
remonte les vallées »…
C’est vrai, vous le constatez
comme moi. On voit des bandes
d’urbanisation qui remontent
depuis la région niçoise. Mais
on sent une volonté farouche
de maintenir, par les fêtes, la
tradition rurale. La métropole de
Christian Estrosi doit avoir pour
objectif de garder l’authenticité
de cet arrière-pays magnifique,
qui est une richesse inouïe.
Parlons un peu éthique
médicale. Votre sentiment sur
la nouvelle loi sur la fin de vie ?
Je soutiens totalement cette
nouvelle loi. Jean Leonetti l’a dit,
il s’est inspiré des discussions
qu’il a eues avec moi. C’est une loi
d’équilibre, une bonne loi.
Des individus peuvent désirer
pour ce qui les concerne suivre un
idéal stoïcien, c’est-à-dire décider
des conditions de leur mort, mais
il ne s’ensuit pas que l’État doit
leur offrir ce qu’ils souhaitent.
En revanche, le rôle de l’État
est de venir en aide aux citoyens
qui souffrent et de faire en sorte
que toute souffrance évitable soit
Agnostique, vous exprimez
« un intérêt parfois envieux
pour la foi des autres »…
J’ai été élevé dans la religion
catholique, je suis de culture
chrétienne, mais je ne crois pas
à ce qu’enseigne l’Église. Je suis
néanmoins envieux quand je vois
que la foi d’autrui rend autrui
terriblement heureux. Je suis
passionné par les ressorts du
meilleur de la créativité humaine
et je ne peux méconnaître que
l’un de ces ressorts est la foi.
Vous êtes un homme de gauche,
quel regard portez-vous sur la
présidence de François Hollande ?
Pas très positif. Mais je ne fais pas
partie des déçus, car je n’ai jamais
été un franc partisan de Hollande.
Donc je ne croyais pas qu’il ferait
très différemment de ce qu’il a fait.
Pour être objectif, quand je
regarde ces trois années et celles
qui ont précédé, il est impossible
de dire que la France s’est plus
dégradée que sous le quinquennat
précédent. Les gens de gauche ont
voté pour le François Hollande du
discours du Bourget. Par la suite,
cette vision de la France n’a pas
été rappelée et j’en suis désolé.
Repartir ?
Je fais  à  km à pied dans
Paris par jour, des marches de
- km dans la campagne. Mes
traversées de la France ont été
magnifiques, mais ce que j’ai fait
était difficile, parfois dangereux. Il
ne faut pas tenter le diable. Mais
tant que le Bon Dieu me prêtera
vie, je continuerai de marcher et
d’être un amoureux de la nature,
dont ce si bel arrière-pays azuréen.
PROPOS RECUEILLIS
PAR THIERRY PRUDHON
[email protected]
1. Éditions Stock, 250 pages, 19 €. Axel Kahn dédicacera son
livre à la librairie Masséna de Nice le 23 avril à 19 h, à la Fnac de
Cannes le 24 avril à 17 h 30, à la médiathèque de Biot le 6 juin à
16 h et au Palais des congrès d’Antibes ce même jour à 18 h 30.