Extrait N°2 : « Méseaulnes » Derrière un enchevêtrement de racines

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Extrait N°2 : « Méseaulnes » Derrière un enchevêtrement de racines
Extrait N°2 : « Méseaulnes »
Derrière un enchevêtrement de racines et de ronces, une porte basse en
bois fermait l’entrée du tombeau. Olivia sortit de sa poche une petite
clé pour le cadenas. Elle délia la chaîne puis abaissa la poignée en
laiton, le cœur battant. La chambre funéraire baignait dans une
fraîcheur humide, aussi dut-elle consumer plusieurs allumettes avant
de pouvoir enflammer la mèche du cierge disposé devant le catafalque.
Mathys se raidit en apercevant la forme du gisant dont le visage
semblait s’animer à la lueur vacillante du candélabre. Derrière celuici, un banc de prière sculpté dans le marbre s’appuyait contre un autel
taillé dans le rocher et recouvert d’étranges symboles.
– Autrefois, il y avait une grotte ici. Un endroit où se réunissait
une société secrète, dit-on. L’entrepreneur qui a rebâti ce
château en 1796 en faisait partie.
– Fascinant !
– Mon oncle en sait bien plus sur ce sujet. Le dernier Seigneur de
Méseaulnes est représenté sur ce catafalque. En 1791, il fut
guillotiné, mort sans descendance. Sa famille a muré la grotte et
y a fait construire son tombeau. Puis ils ont vendu le château,
trop coûteux à entretenir. Un entrepreneur l’a transformé en
fonderie. Un siècle plus tard, mon grand aïeul, Louis-Fernand
Gravel, rachetait le domaine.
Extrait N°3 : « Dans la chaleur de la nuit »
L’air était encore empli des chaudes moiteurs de la journée. Elle
portait un minuscule négligé vaporeux parsemé d’un adorable
plumetis. Le drapé en crêpe de soie ivoire pesait tout au plus cinquante
grammes. La dentelle du caraco à fines bretelles se prolongeait sur une
divine échancrure couvrant juste la pointe des seins dardés au travers
du voile soyeux. En guise de boutons pour le fermer, de jolies perles
nacrées s’arrêtaient sous le nombril. Mue par le moindre souffle d’air,
la culotte, ouverte sur les côtés, tenait seulement par trois discrètes
pressions latérales sur les hanches…
Mathys se dit qu’il lui suffirait de tirer d’un léger coup sec pour
l’enlever. De quoi faire marcher une momie sur le Nil ! L’effet
corollaire immédiat fut un mouvement ascendant qui redessina sans
équivoque la forme de son caleçon. Une obsession s’empara de lui :
sentir le contact de sa peau contre la sienne. Le désir devenu
oriflamme de son univers envahit son corps tout entier, le brûla
comme un poison dans les veines, aveuglant sa raison. À cette minute,
il atteignit une dimension telle qu’il le confondit avec l’amour. Mais il
hésitait à la rejoindre. Comment la respecter dans cet état de trouble,
d’absolue tentation, de tension douloureuse? Pouvait-il trahir leur
amitié en lui faisant l’amour et faire fi des sentiments qu’elle avait
encore pour David
Extrait N°4 : « Le doute »
Elle se sentait née pour la passion. Elle savait bien que tous les
frémissements du corps ne peuvent surpasser les penchants du cœur et
le bien-être de l’âme. Olivia plaçait l’amitié au-delà d’un instant de
plaisir, aussi grand fût-il. Le bonheur incomparable d’avoir un ami
était essentiel à son équilibre. Difficile pourtant d’occulter la volupté
d’un moment intime aussi délicieux.
Complémentaires de caractère, ils aimaient vraiment être ensemble et
cette complicité naturelle compliquait son jugement. Son ami ne
pouvait en aucun cas être un palliatif. Elle aimait encore David et elle
finit par se dire que le plus simple était d’en parler avec Mathys.
Pendant le petit déjeuner, elle ne s’en sentit pas le courage. Ils
échangèrent un sourire complice. De son côté, il avait tant à dire qu’il
ne sut par où commencer. En pareille situation, il avait le don de ne
pas laisser paraître ses sentiments et, s’il le décidait, il pouvait se
montrer extrêmement laconique. D’une certaine manière, ce silence
plein de promesses lui convenait, même s’il ne pouvait ignorer qu’un
malaise existait.
Par la fenêtre, ils aperçurent Bertrand Gravel discutant avec le
jardinier. Ils n’avaient échangé que de brefs regards; il lui sembla que
son amie détournait le sien à chaque fois qu’ils se croisaient. En
silence, Olivia se leva pour aller rejoindre son oncle.
Le vieil homme et sa nièce avaient en commun le goût des jardins
parfumés au charme anglais. Deux harmonies de couleurs
prédominaient à Méseaulnes… les blancs et bleus d’un côté et la
palette des roses tendres, fuchsia, parme et violet de l’autre. Aux
endroits ombragés, les massifs opulents d’hortensias et d’azalées
faisaient face aux rosiers grimpants chargés de roses anciennes aux
fragrances les plus délicates. Les splendides iris en arc de cercle
jouaient une partition du parme le plus lumineux au violine le plus
sombre en robe de velours soyeux. L’alysse corbeille-d’argent apportait
sa touche de fleurs blanches pour offrir ensuite son feuillage gris
bleuté. Les lierres panachés d’ivoire et de vert couraient le long des
allées. Çà et là, de belles pierres plates apportaient une touche minérale
à l’ensemble. Plus près encore, Olivia avait offert à Berty de sublimes
rosiers d’Ispahan.