VICTOR 5 ANS 1/2, ASPERGER

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VICTOR 5 ANS 1/2, ASPERGER
VICTOR 5 ANS 1/2, ASPERGER
J’ai deux enfants, Louise 2 ans et Victor 5 ans et demi. Victor est autiste de
haut niveau, dit Asperger.
Cela signifie qu’il est touché dans les trois domaines qui caractérisent l’autisme : centres
d’intérêts spécifiques,
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communication inadaptée, cécité des codes sociaux. Victor verbalise très bien il a même
depuis toujours un vocabulaire très riche, de bonnes compétences cognitives, cela
signifie qu’il n’a aucune déficience mentale et qu’il peut être scolarisé dans un cadre
« traditionnel ». Ca c’est important pour ce que je vous expliquerai plus tard, concernant
la scolarisation.
Il y a un peu plus de deux ans que nous savons que notre fils est autiste. Et vous
ne le croirez peut-être pas mais ce fut pour moi un soulagement. Un soulagement de
savoir qu’il est atteint du syndrome d’Asperger, pouvoir enfin mettre des mots sur sa
souffrance.
Je vais tout d’abord partager avec vous ce qu’est la vie avec une personne autiste.
Sachez que Victor est avant tout un petit garçon de 5 ans et demi avec sa personnalité
et son caractère. Il a aussi la spécificité d’être autiste, troubles autistiques qui vont
s’exprimer à des degrés différents selon les personnes. Je ne parlerai ici que de mon
vécu, qui peut être différent si l’on accompagne un enfant qui ne verbalise pas ou qui est
autiste dit « de bas niveau ». Vous comprendrez les difficultés auxquelles je suis
confrontée en tant qu’accompagnant quotidien et 24h/24.
En deuxième temps j’aborderai toutes les difficultés qui tournent autour du
handicap en lui-même, vous comprendrez qu’actuellement il n’y a pour ainsi dire pas grand
chose… C’est pourquoi nous sommes là aujourd’hui.
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1 - La vie avec Victor
Je n’ai qu’un moteur : voir mon fils heureux, sourire, jouer, apprendre.
Aujourd’hui, Victor est un enfant joyeux car il a les outils pour décoder le monde qui
l’entoure. Voir une personne autiste s’épanouir : c’est possible. Et toutes les exigences
de parents d’enfants autistes sont réalisables, elles existent au-delà de nos frontières
et ponctuellement en France.
Comprendre comment fonctionne mon fils, je l’apprends tous les jours. Au niveau
sensoriel, il est différent.
Il a une mémoire visuelle hors normes notamment pour les itinéraires ayant un goût
prononcé pour le code de la route.
Son odorat est aussi très développé. Il renifle tout ce qu’il ne connaît pas. Une odeur
peut vraiment l’incommoder.
Son goût est aussi particulier. Il ne peut manger que des fruits de couleur rouge, pour
l’instant. Son alimentation a du longtemps être coupée en carré, négociable en rectangle
sinon c’est insurmontable pour lui.
Le toucher est encore brutal et souvent inadapté à la situation mais existant aujourd’hui
ce qui n’était pas le cas petit. Notamment avec ses copains à l’école… J’ai attendu
longtemps mon premier câlin.
Certains bruits lui sont insupportables et cela ne relève pas forcément de leur intensité.
Je peux crier à côté de lui il ne m’entend pas, j’ai cru longtemps qu’il avait des problèmes
d’audition. Il adore la musique et apprendra les numéros en choisissant le morceau qu’il
souhaite écouter.
Il est aussi très sensible à la lumière porte souvent ses lunettes de soleil au réveil.
Son hyper sensibilité peut être totalement paralysante et générer une crise sans
cause apparente pour moi, par voie de conséquence lui empêcher d’être disponible pour
une activité. Il va d’abord avoir une gestuelle « bizarre », il crie, jette, tape.
A moi de déceler ce qui le gêne car il ne va pas savoir l’exprimer verbalement. Il
faut tout anticiper ; un environnement épuré, adapté à son mode sensoriel, toujours
identique va favoriser son apaisement et ainsi rendre possible tout un tas d’expériences
inenvisageables dans un cadre différent. Je m’exprime par des phrases courtes et
directes, voire directives, de manière générale des formulations positives et toujours
encourageantes : tu as tout à fait raison, c’est exactement ce qu’il faut faire dans telle
situation, tu as très bien compris… Mettre un objet circulaire sur la table et le repas
part en vrille ! Pas de cuillère propre pour le dessert et il lui est impossible de le manger.
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Il faut comprendre que pour Victor, le quotidien est un chaos total et anxiogène.
Il doit tout apprendre. Pour se faire, tout est ritualisé, tout est écrit, tout est toujours
pareil. Nous utilisons des supports visuels
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corrélés à des outils permettant de les définir dans le temps.
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La gestion du temps et du déroulement de la journée sont indispensables pour nous,
sinon il perd ses repères. Des supports visuels pour apprendre à mettre des mots sur
ses émotions, pour savoir que faire dans telle ou telle situation.
C’est un enfant bruyant, qui se fatigue énormément puisqu’il dépense 6 fois plus
d’énergie que nous pour survivre. Et quand je dis survivre, je pèse mes mots. Jusqu’à ce
que nous trouvions une psychologue spécialisée dans l’autisme et que nous ayons
certaines clés et outils pour décoder le quotidien, Victor survivait et nous aussi.
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Aujourd’hui l’accompagnement de Victor ce sont des séances individuelles
hebdomadaires avec sa psychologue. Tous les quinze jours il participe à un groupe
d’habiletés sociales : il y apprend notamment les codes sociaux et les émotions ; une
séance de psychomotricité tous les mardis, le travail à la table tous les jours par son
père ou moi.
Pour les néophytes, le travail à la table est le moment de la journée où nous
faisons travailler Victor en individuel pour lui apprendre à rester assis, à répondre à une
consigne, à la demande de l’adulte et de le stimuler intellectuellement. En général, Victor
aime le travail à la table car tout est ritualisé et il aime entrainer son intelligence, c’est
mettre en place des moments de réussite et de travailler l’estime de soi, le plaisir
d’apprendre… Il y a un système de récompense car à la base il ne va pas savoir pourquoi
il doit faire ce travail. Mais ça marche ! La guidance parentale mensuelle par webcam
nous aide à préparer ce travail qui est un vrai boulot. Enfin il y a l’école à mi-temps
puisque nous ne bénéficions d’une Auxiliaire de Vie Scolaire que 12 heures par semaine.
Aujourd’hui, ça roule ! Mais il faut bien comprendre que chaque journée est un défi à
relever pour Victor et pour nous. Son père et moi sommes très disponibles. Nicolas
travaille de nuit ce qui permet sa présence tous les après-midis, quant à moi j’ai une
profession libérale à mi-temps à mon domicile, ce qui permet une grande flexibilité. Sa
sœur, ses grands-parents sont très importants dans l’apprentissage des codes sociaux
et pour gagner en flexibilité. Ainsi tout le quotidien est prétexte aux apprentissages et
nous nous adaptons à son rythme. Nous avons des visites « cadrées » et rares. Nous
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organisons désormais des activités cadrées aussi ! Par exemple Victor a bien compris le
code social du restaurant. Si nous arrivons de bonne heure et partons dès que le monde
arrive. Nous faisons en sorte que Victor ait une place contre un mur lui permettant
d’avoir une bonne vision de l’ensemble de la pièce. Si nous discutons avant de ce qu’il peut
manger pour éviter de commander des cerises pour le dessert en février… Alors c’est
possible !
Sans accompagnement adapté, voilà ce qu’est le quotidien de Victor : il ne
s’exprime qu’en répliques de films. Il ne parle que de son centre d’intérêt du moment et
me dit « Maman c’est mon cerveau qui m’oblige à en parler ». Nous avons droit au
système solaire, Kirikou, les égyptiens, les romains, Tintin et le capitaine Haddock, les
playmobils, certaines musiques, bref... Il s’automutile jusqu’au sang, par griffure,
morsure et frappe. Il se réveille en hurlant à 5h30 du matin. Il fait des angoisses
nocturnes d’une très grande violence. Enfin il se vide littéralement, perd du poids,
frôlant parfois l’hospitalisation. A 3 ans et demi, Victor me demandait s’il allait mourir
tellement vivre était d’une violence extrême pour lui. Victor vient de là. Du chaos, de la
tourmente.
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2- Les difficultés rencontrées
Première difficulté : une absence de diagnostic précoce
A l’époque aucun pédiatre, aucun médecin ne m’a parlé d’autisme. Tant de
moments de souffrance par ignorance. Tout ce temps perdu pour tous les apprentissages
qu’il va devoir acquérir. Des années perdues ! Parfois je me demande où nous en serions
aujourd’hui si nous avions bénéficié d’une expertise quand il avait 18 mois comme cela se
fait ailleurs ? Jusqu’à ses 3 ans j’étais la seule à penser que mon enfant avait un
problème. J’ai entendu mille fois, il est capricieux, ça va passer avec le temps… 3 ans
face à un mur, l’incompréhension totale, la fatigue et le désarroi le plus complet.
C’est le Centre d’Action Médico-Social Précoce (CAMSP), les premiers à nous
parler de traits autistiques. On comprendra vite que cela signifie que Victor est autiste.
Dur à croire, notamment pour son père. On a tous le cliché de l’enfant autiste qui se
balance et qui semble hypnotisé par un mouvement perpétuel. Mais voilà, c’est un cliché !
Difficile de se dire que Victor est autiste alors qu’il apprend l’alphabet un mois avant sa
première rentrée scolaire en petite section en regardant les chiffres et les lettres.
Difficile à croire quand on le voit jouer avec ses petites voitures, oui mais elles sont
parfaitement classifiées et organisées en forme géométrique qu’il saura nommer.
Difficile à croire quand on l’entend parler avec un vocabulaire si précis mais souvent il ne
répond pas à bon escient. La relation à l’autre est plus que problématique. A 4 ans il se
présente d’une manière particulière : « Bonjour, je m’appelle Victor j’habite sur la
planète Terre, en France à Vals-les-Bains ! », je ne parle même pas du groupe… Bref,
Victor est bien autiste.
On nous dit d’attendre qu’il ait 7 ans, qu’il ne faut pas l’enfermer dans une case si
petit. Nous sommes vite orientés vers un Centre Médico-Psychologique (CMP) et l’hôpital
de jour. Implicitement, le CAMSP est surchargé et surtout ils n’ont pas les outils pour
aider un enfant autiste ! Ce sont les seuls à nous avoir parlé d’autisme et en ça nous les
remercions.
Pour autant, je ne peux me résoudre à vivre encore 4 ans de cette manière,
sentir mon enfant en souffrance et ne rien faire. IMPOSSIBLE ! Je prends contact
avec le Centre Alpin de Dépistage Précoce de l’Autisme (CADIPA) à Saint-Egrève, à côté
de Grenoble, le plus proche de chez nous. J’habite à côté d’Aubenas… Là on prend un
train à grande vitesse. 4 heures d’échange. On nous parle du syndrome d’Asperger.
Nicolas comprend, intègre que Victor est autiste. C’était le 24 juin 2010. Enfin nous nous
sentons compris, reconnus et oui nous avons un petit garçon formidable ! Pour autant
pour passer des tests plus approfondis, il nous faut encore attendre 18 mois, liste
d’attente oblige ! Alors aujourd’hui, nous n’avons toujours aucun diagnostic écrit par un
spécialiste, mais nous savons.
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Deuxième difficulté, trouver des professionnels compétents
Au début naïvement, j’ai cherché autour de chez moi des professionnels, des
structures, j’avais l’impression d’être dans une sorte de nébuleuse et je n’arrivais pas à
me faire à cette idée, ça ne rentrait pas dans mon cadre. Finalement, j’ai compris qu’il
n’y avait rien d’adapté pour Victor.
Grâce au CADIPA, nous rencontrons Pascale, sa psychologue. Ce sera le début d’une
route dans la lumière.
Pascale est à 125 kms de chez nous, pour que Victor ait un suivi adapté, nous
faisons 250 kms tous les samedis. Loin de l’approche psychanalytique dévastatrice pour
une personne autiste, nous mettons en place l’Education Structurée : TEACCH, ABA,
PECS… Et ca marche ! Franchement, Victor évolue au-delà de tout ce que nous aurions pu
imaginer. C’est que du bonus. Des outils pour vivre le quotidien avec plus de flexibilité,
apprendre, transmettre, avoir du plaisir à apprendre, à transmettre, rire, apprendre à
jouer, rendre possible des moments d’échanges de qualité. Bref, elle a changé la vie de
Victor. Pascale a changé notre vie. Tout à l’heure je me demandais où serait Victor si
nous avions bénéficié d’un dépistage précoce ? Je n’ose pas envisager où il en serait
aujourd’hui si nous avions attendu qu’il ait 7 ans ? Nous sommes aujourd’hui plus sereins.
Nous n’entendons plus le discours stérile de certains pédopsychiatres qui nous disent
que c’est de notre faute. Je ne parle même pas de ces familles dont les enfants sont
médicamentés et mis dans des institutions pour des troubles qu’ils n’ont pas, comme la
schizophrénie. Quelle violence ! Comment accepter le néant de la prise en charge
actuelle en France. Il n’y a pour ainsi dire rien ! Une formation sur Paris, une formation à
Lille, un centre de formation privée.
Je rappelle le taux de prévalence dans le cas de Victor c’est 1 personne sur 10000. 1
personne sur 150 est autiste ou a des troubles envahissants du développement.
Statistique étudiée par Monsieur Fombonne, épidémiologiste, congrès Autisme France
2010. Cela questionne, n’est-ce-pas ?
Troisième difficulté : l’école et le problème des Auxiliaires de Vie
Scolaire
Victor doit aller à l’école, c’est pour lui la meilleure alternative. Il y va 12 h par
semaine. Il pourrait y aller davantage mais il n’y a pas de budget. Et quand nous avons la
chance d’avoir une AVS, elle ne connaîtra rien à l’autisme. Dans notre cas, c’est Pôle
Emploi qui gère Elina. Pour faire simple il y a 2 types de contrat : ceux recrutés par le
rectorat pour 6 ans mais rares et de plus en plus, puis les contrats aidés gérés par Pôle
Emploi de 18 mois et maintenant 6 mois. Pôle Emploi nous a bien expliqué que ce type de
contrat doit favoriser la réinsertion sociale du demandeur d’emploi (ce qui est le rôle
d’une agence pour l’emploi), l’accompagnement de l’enfant n’est pas la priorité, alors
l’autisme… A nous parents de la motiver pour qu’elle puisse être efficace auprès de
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notre enfant. Nous avons la chance d’être tombés sur une école, une maîtresse et une
AVS bienveillantes et aimantes pour notre fils. Pour autant, la bienveillance ne suffit
pas pour accompagner un enfant autiste, sinon ça se saurait ! C’est très difficile de
mettre en place des outils spécifiques dans une classe. C’est dur de s’entendre dire que
si l’école ne nous convient pas, on peut mettre notre enfant dans une institution ! Quand
bien même ce serait bénéfique pour Victor, ce qui n’est pas le cas, encore faudrait-il
qu’il en existe ! (C’est vrai, il y a une CLIS mais ce n’est pas du tout adapté pour Victor).
Et puis tous les 6 mois, on nous l’enlève ! Pas de sous ! Alors tous les 6 mois nous
harcelons l’inspection académique, nous mobilisons les politiques pour que Victor puisse
aller à l’école.
Nous menons un combat permanent auprès de tous les acteurs décisionnaires de
l’enfance pour expliquer ce qu’est l’autisme, argumenter, se justifier, convaincre, faire
reconnaître ce handicap spécifique et invisible. Comme la France accuse un retard
considérable, rien n’est reconnu donc rien n’est pris en charge. Nous sommes obligés de
demander de l’aide car un enfant autiste ça coûte cher ! Nous faisons des dossiers
administratifs récurrents et lourds, parfois les mêmes plusieurs fois… C’est un vrai
travail d’écriture, d’heures passées au téléphone, de RDV.
Au final, le plus révoltant et le plus usant pour moi c’est ça ! Ca me prend
beaucoup d’énergie et c’est une denrée que je dois gérer avec justesse. Si j’avais une
baguette magique, je changerais ça et je garderais mon fils tel qu’il est.
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3 - POUR CONCLURE
Les difficultés que nous rencontrons sont malheureusement pour tous les parents
d’enfant autiste d’une grande banalité. Nous luttons tous contre l’autisme au quotidien.
Je suis heureuse, je vois le chemin parcouru, et je suis si fière, si fière de lui…
Mon fils n’est pas capricieux, mon fils n’est pas violent, c’est un enfant volontaire et
courageux, capable de savoir ce qui est bon pour lui, il sera autonome. C’est Possible !
Il a le droit d’être heureux comme tout un chacun, d’être reconnu et accepté
dans son intégrité. En tant que parent, qui ne souhaite pas le meilleur pour son enfant ?
Pourquoi devoir courber l’échine pour bénéficier d’un accompagnement au rabais ? Quel
sera le coût social de tant d’ignorance alors qu’un accompagnement adapté permettra à
beaucoup de personnes autistes d’être autonomes ?
Je lutte contre l’autisme chaque seconde, et votre présence me prouve que je ne
suis pas seule, cotisez à l’association pour nous permettre de former des AVS, des
professionnels, monter des structures comme des Service d’Accompagnement Spécialisé
et de Soins A Domicile (SESSAD).
Et pour votre seule présence aujourd’hui, je vous accorde un 8. Pas un 18 ou un
28, le plus parfait des chiffres que Victor m’accorde quand son bonheur est complet, un
beau 8 plein d’espoir et de lumière.
Laure, maman de Victor
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