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L'Accord de libre-échange Canada-Honduras: brasser des affaires à tout prix?
Le 31 août 2014
Bill Fairbairn, Tara Ward et Stacey Gomez
Malgré des témoignages convaincants recueillis au cours de la dernière année sur la situation
catastrophique des droits de la personne au Honduras, la loi mettant en œuvre l'Accord de
libre-échange Canada-Honduras a discrètement été adoptée le 17 juin dernier en troisième
lecture au Sénat, a obtenu la sanction royale et est entrée en vigueur.
Cette situation a des airs de déjà-vu pour les organisations de la société civile canadienne qui
œuvrent en Amérique latine. Une fois de plus, les intérêts commerciaux ont malheureusement
pris le dessus sur les droits de la personne, comme cela a été le cas il y a trois ans lors de
la conclusion de l'Accord de libre-échange Canada-Colombie (ALÉCCO).
L'ALÉCCO a été signé malgré les violations constantes des droits de la personne et le conflit
armé qui fait rage en Colombie depuis une cinquantaine d'années, et qui a coûté la vie à plus de
220 000 personnes, en majorité des civils. Cette entente avec la Colombie ainsi que le nouvel
accord avec le Honduras en disent long sur le peu d'importance qu'accorde le Canada aux droits
de la personne et à la possibilité bien réelle que les activités commerciales du Canada
exacerbent les crises qui sévissent déjà dans ces pays.
En mai dernier, pour la troisième année consécutive, le gouvernement canadien a failli à ses
obligations juridiques de prendre en compte les répercussions de l'ALÉCCO sur les droits de la
personne dans sa reddition de comptes sur l'accord. En effet, le rapport de cette année ne fait
qu'effleurer le sujet des droits de la personne en Colombie et passe sous silence les agressions
répétées qui coûtent vies humaines et territoires, plus particulièrement dans les régions
convoitées par des tiers pour leur potentiel économique.
Le rapport du gouvernement se concentre plutôt obstinément sur les réductions tarifaires et les
échanges commerciaux et ignore complètement les liens entre les investissements et les droits
de la personne. Le gouvernement conclut qu'«il est impossible d'établir un lien entre l'ALÉCCO
et la situation des droits de la personne en Colombie».
Ainsi, les trois rapports (premier, deuxième, troisième) rédigés jusqu'à maintenant témoignent
d'un manque d'indépendance et de transparence et d'une absence de participation des
communautés touchées directement par l'ALÉCCO.
C'est avec le même manque de transparence et de volonté à l'égard des droits de la personne
que le Parlement a conclu cette nouvelle entente avec le Honduras.
Depuis le coup d'État militaire de 2009, les habitants du Honduras subissent de la répression et
des violences constantes, et vivent dans l'absence quasi totale d'institutions gouvernementales
et d'État de droit. La pauvreté atteint également des niveaux sans précédent dans le pays.
Ces faits troublants ont été portés à l'attention des parlementaires à de nombreuses reprises.
Pablo Heidrich, de l'Institut Nord-Sud, a indiqué au Comité permanent du commerce
international que la violence était en augmentation au Honduras et qu'une moyenne de 20
homicides y était commis chaque jour, comparativement à deux au Canada, dont la population
est quatre fois plus nombreuse. Bertha Oliva, défenseure des droits de la personne au
Honduras, affirme que bien qu'il y ait du trafic de drogue dans le pays et un taux de violence
très élevé, «ce dont il est question ici ne relève ni du crime organisé ni du trafic de drogue. Il
s'agit bien de violations des droits de la personne commises par les autorités gouvernementales
contre les dissidents politiques».
Le gouvernement canadien offre un soutien politique indéfectible au gouvernement au pouvoir
au Honduras depuis le coup d'État, malgré la responsabilité de ce dernier dans la crise que
traverse actuellement le pays. À l'occasion de l'annonce de la conclusion de l'accord de libreéchange (ALE) en août 2011, le premier ministre Harper a été le premier chef d'État étranger à
séjourner au Honduras après la réintégration de celui-ci dans l'Organisation des États
américains.
Le gouvernement canadien, nombre de député(e)s et sénateur(trice)s ainsi que des
représentant(e)s de l'industrie ont affirmé à plusieurs reprises que l'ALE allait améliorer les
conditions de vie de la population hondurienne. Incapables de nier la troublante situation des
droits de la personne dans le pays, ils et elles ont à nouveau soulevé la fausse dichotomie
voulant que le Canada ait le choix entre «s'engager» auprès du Honduras en
concluant un accord de libre-échange, ou encore «l'isoler» davantage en ne le faisant pas.
Pourtant, au cours de séances parlementaires, les député(e)s se sont fait dire à plusieurs
reprises que les principaux bénéficiaires de l'ALE seraient en réalité un groupe sélect
d'investisseurs canadiens du secteur minier, de l'industrie textile et du tourisme, et non pas la
majorité pauvre du Honduras. Ricardo Grinspun, de l'Université York, estime que « ce dont a
besoin le Honduras, c'est de politiques destinées à améliorer les initiatives gouvernementales
dans le domaine social, notamment en ce qui a trait à l'éducation, à la formation, à l'aide aux
petites entreprises et à la protection des droits sociaux et des droits des travailleuses et des
travailleurs. Plusieurs de ces aspects ne font pas partie de l'ALE, et en favorisant le droit à
l'investissement au détriment des autres droits, nous faisons exactement l'inverse de ce qu'il
faut faire ».
M. Heidrich a en outre affirmé devant le Parlement qu'« à l'échelle internationale, les accords
de libre-échange se sont rarement avérés des leviers économiques efficaces, même pour les
pays qui donnent accès à un très important marché intérieur, comme les États-Unis, l'Union
européenne ou le Japon ».
Les graves déficiences du mécanisme d'établissement de rapports sur les droits de la personne
de l'ALÉCCO empêchent de connaître officiellement le nombre de personnes déplacées et de
vies perdues en Colombie au bénéfice des grandes entreprises. L'instauration d'un ALE similaire
au Honduras aura pour effet, encore une fois, de donner accès aux investisseurs au plus
puissant mécanisme de protection qui soit, l'arbitrage international privé, alors que des
communautés y laisseront leurs terres et leurs vies.
À la lumière de notre expérience avec l'ALÉCCO et des doléances répétées de nos partenaires
honduriens, nous croyons que le Canada n'aurait pas dû conclure un ALE avec le Honduras et
nous continuons à sommer le Canada de respecter ses obligations à l'égard des droits de la
personne.
Le 28 juin dernier marquait le triste cinquième anniversaire du coup d'État de 2009, nous
rappelant que le Canada a le devoir de revoir sa politique étrangère, son aide internationale et
ses stratégies commerciales afin d'accorder la priorité non pas aux «droits» des investisseurs,
mais aux droits de la personne.
Ce billet du blogue Un seul monde a été écrit par Bill Fairbairn et Tara Ward, coprésidents
du Groupe d'orientation politique pour les Amériques, un groupe de travail du Conseil canadien
pour la coopération internationale axé sur les questions de développement et de justice sociale
dans les Amériques, et Stacey Gomez, qui en est la coordonnatrice. Il a initialement été publié
en anglais dans le journal Embassy le 9 juillet 2014.
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