Troubles du comportement alimentaire du sportif

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Troubles du comportement alimentaire du sportif
D.U. Nutrition du Sportif AF Creff
Troubles du comportement alimentaire
du sportif
Situation actuelle et principaux débats
Dr Didier Chapelot
Laboratoire des Réponses Cellulaires et Fonctionnelles à l'Hypoxie, EA 2363
Equipe Physiologie du Comportement Alimentaire et Psychologie Cognitive
UFR Santé Médecine et Biologie Humaine
Université Paris 13
Pour tout contact : [email protected]
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1. Anorexie, boulimie, binge eating, restriction
Historique - définition – caractéristiques - modifications biologiques – évolution - traitement (voir document
annexe).
2. Préoccupation des experts face aux carences alimentaires des athlètes
En 2000, le CSMF (Committee on Sports Medicine and Fitness) a publié un document(Pediatrics, 2000),
dans lequel les experts se disaient préoccupés face aux risques de "désordres alimentaires" (eating disorders)
encourus par les athlètes féminines, qui pouvaient entraîner un déficit énergétique et, plus largement,
nutritionnel, avec pour principale conséquence (en termes de morbidité), une absence de menstruations –
ovulations et une masse osseuse insuffisante.
Cette carence alimentaire pouvait être secondaire soit à une incapacité à équilibrer son bilan énergétique et
nutritionnel soit, le plus souvent, à des régimes alimentaires initiés dans une perspective esthétique ou de
nécessité par rapport à la pratique sportive. Une fraction de la population féminine présente aussi un syndrome
anorexique et/ou boulimique.
Le plus préoccupant était, pour les experts, que les adolescent(e)s étaient particulièrement touchés. A noter
que l'exercice entre parfois dans le cadre des symptômes du régime ou de l'anorexie (exercice ayant pour but de
maigrir) mais que chez l'athlète cette situation est plus rare.
3. Les entraîneurs face aux TCA de leurs athlètes : les leçons d'une enquête
Une enquête a été menée tout récemment aux USA (Vaughan et al., 2004) auprès de 236 entraîneurs certifiés
d'athlètes adolescentes (collèges américains) via un questionnaire de 53 questions sur leur sentiment d'être aptes
à aider les jeunes athlètes féminines qui présenteraient des TCA. Seuls 171 répondirent, faible retour dû le plus
souvent à des soucis d'identification administrative du destinataire.
Quoi qu'il en soit, il est intéressant de voir que 91% des répondeurs avaient eu l'expérience d'au moins un cas
de TCA parmi leurs athlètes, mais De manière un peu paradoxale (apparemment) cependant, pour près de 80%
des entraîneurs, ce qu'ils peuvent faire de plus efficace c'est de s'assurer que les athlètes présentant des TCA
reçoivent des soins appropriés mais seulement 35% pensent que ces soins vont améliorer leur TCA, comme s'ils
admettaient qu'ils se couvrent plus qu'ils n'ont vraiment confiance en l'efficacité de ces soins. Cette absence de
confiance dans l'efficacité d'une mesure est connue pour être un sérieux handicap dans le dépistage d'une
affection, l'individu étant moins disposé à la détecter, ne croyant guère rendre service. Il faudrait donc
convaincre ceux qui encadre les jeunes athlètes féminines de l'efficacité de la prise en charge.
4. La détection des TCA - 2 exemples : a) questionnaires b) le signe de Russell
a) Plusieurs questionnaires sont utilisés pour détecter les TCA, que ce soit chez les athlètes ou les nonsportifs. Le plus utilisé et l'Eating Attitude Test (EAT) de Garner & Garfinkel (Garner & Garfinkel, 1979) mais
il y en a d'autres, tels le Eating Disorder Inventory (EDI) qui fut comparé au EAT chez l'adolescent (Williams,
1987). Pour les athlètes, certains auteurs tentent de mettre au point des questionnaires spécifiques. Ainsi le
Female Athlete Screening Tool (FAST) qui semble assez fiable (McNulty et al., 2001) et qui deviendra peut être
une référence internationale.
b) Chez les boulimiques, il existe aussi des questionnaires mais contrairement à l'anorexie, les signes
physiques sont souvent absents. Un signe souvent négligé qui permet de repérer une boulimie c'est la présence
sur le dos de la main, au niveau des articulations métacarpo-phalangiennes et inter-phalangiennes, de
dermabrasions ou callosités liées au frottement répété des dents lors des vomissements auto-induits : c'est le
signe de Russell qu'il est bon de connaître (Daluiski et al., 1997).
5. La triade de l'athlète féminine et son actualisation
Il y a 30 ans (1972), sous l'impulsion de Nixon et de sa loi dite Title IX favorisant l'égalité des hommes et des
femmes devant l'accès aux pratiques sportives, le nombre de jeunes femmes pratiquant un sport à un niveau
"collège" ou "élite" a été multiplié par 10.
Depuis plus d'une dizaine d'années, il est apparu clairement qu'une triade clinique touchait avec une
fréquence élevée cette population féminine : la female athlete triad qui consiste en des TCA, une aménorrhée et
une ostéoporose (Burrows & Bird, 2000; Golden et al., 2002; Golden, 2002; Donaldson, 2003; Papanek, 2003).
Les 3 signes sont bien sûr dépendants, l'insuffisance des apports nutritionnels (en énergie, en macro et en micronutriments) étant causale aux deux autres. l'adiposité via la baisse de la leptine (et surtout la disparition de sa
pulsatilité) provoque l'aménorrhée et la réduction de et l'hyposécrétion oestrogénique va conduire à son tour à
l'ostéoporose aggravée par la carence en vitamine D et en calcium. Les autres complications graves potentielles
portent sur la baisse de l'immuno-compétence avec des risques d'infections récurrentes.
La Triad Consensus Conference de 1992 avait toutefois posé une définition aux critères un peu sévères. En
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effet, la présence concomitante de ces 3 signes est assez peu fréquente et cette triade s'est progressivement affinée
(Khan et al., 2002). Ainsi, l'oligoménorrhée (règles peu fréquentes) peut remplacer l'aménorrhée (absence de règles),
l'ostéopénie, évaluée par absorptiométrie biphotonique (1 à 2,5 DS de la moyenne) peut remplacer l'ostéoporose (>
2,5 DS de moyenne). On notera, pour donner une idée de la gravité, qu'une ostéopénie à 20 ans est de moins bon
pronostic dans les années qui suivent qu'une ostéoporose à 65 ans.
Les études montrent que les disciplines les plus touchées sont logiquement celles où l'accent est porté sur
l'apparence et surtout sur la minceur (gymnastique, danse, patinage).
Les pouvoirs publics considèrent comme insuffisante la prise en compte de cette triade qui pourrait avoir à longterme des effets néfastes importants (fractures de fatigue lors de la pratique ou spontanées avant même la
ménopause). Ils conseillent entre autres de réduire la charge d'entraînement jusqu'au retour des menstrues, de
supplémenter en vitamine D et en calcium par voie nutritionnelle ou pharmacologique. Le rôle de la contraception
est à ce jour encore controversé.
6. Prévalence des TCA chez les athlètes. Quelles disciplines ? Rôle de l'origine ? Résumé des enquêtes
publiées
Les TCA concerneraient avant tout le sexe féminin mais la progression chez les hommes est manifeste
Sur le plan des disciplines, elles concernent surtout la gymnastique, l'endurance, la danse classique, le patinage
artistique, pratiques où la minceur est souvent "obsessionnelle". Cette prévalence supérieure a été montrée à l'aide de
questionnaires sur 263 athlètes australiennes représentant une grande variété de disciplines sportives (Byrne &
McLean, 2002). Les sports avec des catégories de poids sont aussi très pourvoyeurs de TCA mais souvent de façon
plus sporadiques, liées aux périodes de compétitions ou de matchs.
Sur le Eating Disorder Examination Questionnaire rempli par 181 athlètes féminines anglaises entre 1996/97, 29
avaient un TCA (7 une anorexie, 2 une boulimie). La comparaison entre ces athlètes et les autres révélèrent qu'elles
avaient une estime de soi inférieure (Hulley & Hill, 2001). Cette fréquence de TCA est supérieure à celle attendue
dans un échantillon de population de non athlètes. Les auteurs concluent par ailleurs que la demande de minceur et
non pas d'intensité d'effort est le principal facteur de risque de TCA chez l'athlète.
Lorsque gymnastes, coureuses et anorexiques entre 13 et 15 ans sont comparées (Bale et al., 1996), les résultats
sont intéressants : ainsi la masse maigre des deux groupes d'athlètes est supérieure à celle des anorexiques et leur
masse grasse inférieure. De même, comparé à un groupe de non-athlètes, 20 % des gymnastes, 40% des coureuses et
70% des anorexiques avaient débuté leurs cycles même si toutes les anorexiques avaient vu ces cycles s'interrompre
par la suite, contre la moitié des coureuses et ¼ des gymnastes.
Autre étude (Afrique du Sud), parmi 49 danseuses de ballet d'âge moyen 19 ans, étudiées via le EAT et des
symptômes menstruels, 2 avaient des signes d'anorexie complète, 4 d'anorexie partielle (le Grange et al., 1994).
En Australie (Abraham, 1996), un auteur a rapporté que 11,5% des danseuses contre 5,5% des sujets témoins
avaient des TCA.
Autre population visiblement touchée : les professeurs d'aérobie femmes. Chez 30 d'entre elles (Olson et al.,
1996), 23% rapportaient une histoire personnelle de boulimie et 17% d'anorexie. De plus, les scores aux
questionnaires portant sur le perfectionnisme et la quête de la minceur étaient identiques ou supérieurs à ceux
d'anorexiques.
Moins considérée comme à risque, les nageuses le sont pourtant. Ainsi Dummer GM et al. (1987) montraient que
60% de jeunes nageuses d'élite tentaient de perdre du poids dont 17% en se faisant vomir.
D'autres facteurs entrent en jeu : socio-économiques avec un risque supérieur pour les classes les plus élevées,
mais aussi ethniques avec un risque supérieur pour les femmes athlètes de certaines origines ethniques. Ainsi, chez
571 athlètes américaines comparées à 463 femmes témoins, l'EDI montrait que les athlètes avaient plus de signes de
TCA et que les caucasiennes et les hispaniques étaient plus touchées que les afro-américaines (Rhea, 1999).
7. Controverse concernant la comparaison entre anorexiques et coureurs "obligatoires" : où en est-on
aujourd'hui ?
Un débat agite la communauté scientifique : celui qui fait des "obligatory runners", définis comme des adeptes
de la course d'endurance qui courent "coûte que coûte", des équivalents comportementaux des anorexiques. Ceci a
été proposé (Yates et al., 1983) du fait de similitudes entre les deux populations aussi bien sur le plan du passé
familial, de la classe sociale, de traits de personnalité (inhibition de la colère, déni des risques, tolérance au mal,
tendance dépressive).
Ces deux comportements furent catalogués comme des tentatives de se fabriquer une personnalité. En tout cas,
des différences profondes existent entre coureurs "par obligation" ou "forcenés" et autres coureurs notamment
concernant la rigidité vis-à-vis de leur poids et le goût pour la solitude.
Ceci a toutefois été contesté très rapidement par des auteurs qui ne trouvèrent pas beaucoup de TCA parmi leurs
coureuses, 18 sur 125 par exemple chez Weight & Noakes (Weight & Noakes, 1987) mais dans une étude sur 265
femmes réparties en 4 quartiles selon leur pratique de la course (Estok & Rudy, 1996), il était clair que les femmes
du quartile le plus élevé présentaient beaucoup plus de TCA que les autres (25%). Ce problème est un peu laissé en
l'état ces dernières années.
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