Le charme austère d`une femme d`action

Transcription

Le charme austère d`une femme d`action
Barbara Haering, consultante
Le charme
austère d’une
femme d’action
Joëlle Fabre Texte
Florian Cella Photo
L
a finesse d’un tanagra. Un port
de ballerine, à peine occulté
par la sobre élégance d’un
tailleur-pantalon noir. Il y a
quelque chose d’ascétique
chez Barbara Haering, minuscule créature
qui fut un des poids lourds du Parlement
fédéral de 1990 à 2007. L’ex-conseillère
nationale socialiste zurichoise fut même,
chose insolite pour une femme – rose de
surcroît –, présidente de la commission de
la politique de sécurité, et l’un des experts
les plus respectés en la matière.
Pour les besoins de la photo ci-contre,
elle prévoyait de tirer un fauteuil de bureau dans le patio japonisant de l’Institut
de hautes études en administration publique (IDHEAP) dont elle préside le Conseil
de Fondation depuis neuf ans. «Je paraissais si petite que j’ai opté pour un siège
moins imposant.» Aérienne, mais bien
campée sur ses pieds, efficace, sans fioriture: la fameuse chaise Eames lui va
comme un gant. A l’image de cet objet
culte, Barbara Haering semble imperméable aux ravages du temps: «Les années
passent terriblement vite», proteste l’éternelle jeune femme avec l’étonnement
d’un enfant qui refuse d’interrompre ses
jeux pour aller dormir. Trois cheveux gris
dans son impeccable carré châtain et toujours ce regard ardent, tendu vers le prochain objectif. Un léger rire fuse: «Je suis
sans cesse on the move.»
A 60 ans, cette adepte de la flexibilité
de l’âge de la retraite reste totalement
étrangère au concept de repos bien mérité. Depuis ses études en sciences de l’environnement à l’EPFZ, passionnée par la
recherche et la formation, elle s’active à
promouvoir une Suisse ouverte, durable
et équitable, d’abord dans l’arène politique où l’ont précipitée, à 21 ans, les atrocités de la guerre du Vietnam, puis au sein
de différentes institutions et organismes.
Coprésidente du comité de l’Espace européen de la recherche et de l’innovation,
elle siège notamment au Conseil des EPF,
préside le Centre international de déminage humanitaire de Genève et dirige
econcept, une entreprise de recherche et
de conseil en gestion publique avec 35
collaborateurs. «Je n’ai pas vécu le vide,
j’ai la chance de pouvoir prolonger mes
engagements politiques à d’autres niveaux.»
L’an dernier, pour la première fois de
sa vie, cette femme d’action jette un œil
dans le rétroviseur. D’abord à la faveur
d’un voyage en Inde où l’emmenait un
important mandat de la Confédération
confié à son entreprise. «A Bombay, j’ai
retrouvé une partie de mes racines. Mes
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parents, décédés récemment, s’y étaient
rencontrés.» Deuxième flash-back l’été
dernier à Montréal, lors d’une escapade
avec son amoureux, l’historien Jacques
Picard: «C’est la ville où je suis née. J’ai
réalisé a posteriori que ce retour aux sources coïncidait avec ma soixantième année
- qui aura quand même été spéciale.»
Son enfance se dessine en demi-teinte.
Riche du point de vue culturel, mais ponctuée d’arrachements et de ruptures. Un
déménagement inopiné à Zurich l’été de
ses six ans - «Je croyais venir pour les
vacances et nous ne sommes jamais repartis au Québec» -, des parents qui divorcent peu après, un frère qui sombre dans
la toxicomanie, mais aussi les robinsonades dans la forêt, les joies de la campagne
en pleine ville de Zurich. Des bribes de
Carte d’identité
Née le 20 septembre 1953 à Montréal,
d’une mère zurichoise et d’un père
lausannois.
Cinq dates importantes
1959 Sa famille quitte Montréal et
s’installe à Zurich.
1975 Fin de la guerre du Vietnam, qui
motiva son engagement politique.
1985 Naissance de sa fille Anja le 1er août.
1989 Chute du mur de Berlin: «Quelle
chance pour l’Europe!»
2014 Son entreprise Econcept fête ses 20
ans avec 35 collaborateurs/rices.
Histoire
Ce jour-là
Il fait l’actualité le
Tiré de
du
Signature
K
H
son passé émergent, entre deux silences.
Barbara Haering préfère parler de ce qui
va bien, comme sa fille Anja, en train
d’écrire une thèse de droit.
Est-elle aussi peu drôle qu’on le dit? «Je
prends les choses vraiment très au sérieux, la vie, les gens, ce que je fais. Je ne
peux pas le nier. Je suis assez structurée.
Ce qui m’a valu l’étiquette de quelqu’un
de sévère.» Une dame de fer trop intelligente pour être aimée? «On rit beaucoup
avec Barbara», rectifie par téléphone le
professeur Picard.
Quoi qu’il en soit, même ses adversaires politiques respectaient la brillante
parlementaire dont la force de conviction
reposait sur une maîtrise sans faille des
dossiers doublée d’un réalisme réfractaire à toute idéologie: jamais d’effets de
manches, ni de slogans racoleurs. Son
opiniâtreté lui a d’ailleurs valu quelques
victoires historiques. C’est elle, par exemple, qui est à l’origine de la solution des
délais décriminalisant l’avortement adoptée par le peuple en 2002, neuf ans après
le dépôt de son initiative parlementaire.
Ultracompétente dans les domaines
les plus pointus, Barbara Haering figurait
parmi les papables à la succession de Moritz Leuenberger. Elle ne s’est pas lancée
dans la course. «Je n’ai jamais souhaité
être élue dans un exécutif. Je préfère vivre
dans différents mondes et agir sur les sujets qui me tiennent à cœur: l’environnement, la science, la paix. Ma peau est bien
trop fine pour le Conseil fédéral – même si
mon noyau est dur!»