Le brûlage de la canne à sucre en Martinique

Transcription

Le brûlage de la canne à sucre en Martinique
AMADEPA, 2007
Le brûlage de la canne à sucre en Martinique :
évolution, motivations, impacts.
De la nécessité d’un engagement collectif
Hélène Mbolidi-Baron, Eugène Marie Sainte, Patrick Bellassée, Matthias Schneider
CTCS-Martinique
Centre technique de la canne et du sucre, Station Petit Morne, 97232 Lamentin
Email : [email protected] - Site : www.ctcs.mq
La récolte de la canne s’étale en Martinique de février à juillet. Au cours de cette période, tout
un chacun peut observer occasionnellement des fumées noires s’élever des champs de canne
et des particules de paille carbonisées se disperser dans l’air. Tolérant de moins en moins la
gêne attribuée au brûlage de la canne, une frange croissante de la population martiniquaise ne
cesse de décrier cette pratique et s’en inquiète. L’administration est interpellée, tandis que les
producteurs canniers concernés déplorent la perception négative de la population.
A l’heure où la filière canne-sucre-rhum retrouve une place de choix dans notre économie
agricole, tandis que la sensibilité de la population aux questions de pollution est exacerbée par
« l’affaire de la chlordécone », le CTCS tient à apporter des éléments visant à éclairer le débat
autour du brûlage de la canne. Il s’agit de contribuer à une meilleure compréhension et de fait
à une meilleure cohabitation entre les producteurs canniers et le reste de la population
martiniquaise. Partant de l’évolution de cette pratique, nous analyserons les motivations des
producteurs à y avoir recours, avant d’en cerner les impacts aux niveaux environnemental et
social, et d’évoquer des pistes pour améliorer la situation grâce à un engagement collectif.
Le brûlage de la canne : des années 1960 à aujourd’hui
Face aux contraintes économiques croissantes au début des années soixante et afin d’éviter la
disparition de la culture de la canne, qui s’étalait alors sur 14 000 ha, la profession et le CTCS
conviennent de la nécessité d’introduire la mécanisation pour la récolte.
Introduction du cane loader et de la coupe à la toise
Pour permettre un enlèvement rationnel et rapide des cannes et réduire les frais de récolte, le
cane loader est introduit en 1965, tandis que la coupe traditionnelle à la pile7 est remplacée
par la coupe à la toise. « Il fallait brûler la canne pour détruire les pailles afin de permettre
au coupeur de couper plus aisément la canne dans toute sa longueur et, d’autre part, pour
7
Une pile représente 25 paquets de 10 bouts de canne de 1 m. La tâche journalière est de 20 piles, à raison de 10
piles pour le coupeur et 10 piles pour l’amarreuse, le travail se faisant en couple.
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éviter que le cane loader ne ramasse cette paille. Il a donc fallu faire accepter par l’ouvrier
de couper des cannes brûlées et d’être payé suivant un barème calculé en fonction de la
surface récoltée. Ce fut très long à faire admettre. Finalement, ce mode de récolte s’est
répandu, l’ouvrier travaillant plus facilement et gagnant davantage pour sa journée »
(Voïvoditch, 1966). Limitant la présence de feuilles souvent recouvertes de poils irritants,
réduisant la pénibilité et favorisant l’élimination des serpents, le brûlage s’est développé.
Utilisation de la récolteuse-andaineuse et développement du brûlage
Parallèlement, différents essais de machines sont menés par le CTCS à partir de 1965. Dans le
contexte technico-économique de l’époque, la coupe mécanisée de la canne entière, andainée
puis ramassée au cane loader a été adoptée. La récolteuse-andaineuse n’est alors pas prévue
pour satisfaire à l’épaillage. Brûler la canne permet d’y pallier. Cependant, les tiges de cannes
brûlées, dépourvues de feuilles, offrent peu de prise au convoyeur de la machine, tandis que
les variétés alors cultivées versent après brûlage. D’où d’importantes pertes à la récolte. Une
alternative est mise en place : coupées en vert, les cannes andainées (rangées transversalement
sur le rang de canne) sont brûlées au lance-flamme. Ce brûlage de post-récolte n’est toutefois
pas satisfaisant (forte proportion de paille résiduelle, dangerosité). Il disparaît avec les
modèles ultérieurs de récolteuses, qui s’accommodent davantage des cannes brûlées, et avec
l’extension de la variété B 59.92, dite Canne Roseau. Cette dernière, en maintenant son port
érigé après brûlage, a véritablement permis de franchir le cap de la mécanisation de la récolte.
Développé d’abord pour la coupe à la toise, puis l’utilisation des récolteuses-andaineuses, le
brûlage reste un impératif avec l’arrivée des premières récolteuses-tronçonneuses-chargeuses
qui n’éliminent pas convenablement la paille. Il reste toutefois confiné au centre et au nord de
l’île, les conditions sèches du sud le rendant prohibitif pour le redémarrage des rejetons.
Régression du brûlage avec les nouvelles récolteuses
A partir des années 1990, la récolte mécanisée en vert s’est développée grâce aux nouvelles
récolteuses, dotées d’extracteurs puissants. Certaines exploitations du nord (Macouba, SaintPierre) sont passées du jour au lendemain de la récolte semi mécanisée en cannes brûlées à la
récolte mécanisée en vert. Le passage fut progressif pour d’autres, de part les conditions
pédologiques et topographiques, impliquant d’importants investissements pour le dérochage
et le remodelage des parcelles. Depuis, le brûlage a diminué continuellement.
Actuellement, sur les 3 600 ha de canne plantés, dont environ 3 200 récoltés annuellement
pour la transformation, la proportion de cannes brûlées est estimée à 20%, avec une répartition qui
diffère selon le mode de coupe (cf. graph. 1 et 2). La pratique du brûlage a donc sensiblement
régressé, puisqu’elle était estimée à 40% en 2001 et à plus de 50% en 1991 (CTCS, 2007).
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Graphique 1. Répartition
des modes de récolte en 2007
Graphique 2. Proportion
de cannes brûlées et non brûlées
Canne brûlée : 19%
(9% méc., 10% semi-méc.)
Réco lte
semi-méc.
20%
R. mécanisée
en canne
brûlée
9%
Coupe à la
t oise en canne
brûlée
9%
Coupe à la
t onne en
canne brûlée
1%
R. mécanisée
en vert
71%
Réco lte
mécanisée
80%
Coupe à la
tonne en vert
10%
Canne non brûlée : 81%
(71% méc., 10% semi-méc.)
Aujourd’hui, qui brûle la canne et pourquoi ?
Le brûlage est aujourd’hui circonscrit dans quelques communes du centre (Lamentin,
François, Ducos, Rivière-Salée) et du centre nord atlantique (Trinité, Robert, Sainte-Marie),
principalement pour la coupe à la toise et pour quelques parcelles mécanisées.
Tableau 6. Modes de récolte de la canne en Martinique en 2007
Modes8
Coupe
Chargement
Coupe manuelle généralement en
vert, payée la tonne
= coupe à la tonne
Chargement mécanisé
par cane loader
Récolte
(grappin à griffes automoteur)
semi
Chargement mécanisé
mécanisée Coupe manuelle en cannes brûlées,
par
cane
loader + éventuellement
payée à la longueur coupée
trans-loader
(grappin à griffes fixe)
= coupe à la toise (2 m)
Coupe et chargement mécanisés, en cannes brûlées ou non brûlées
Récolte
par une récolteuse-tronçonneuse-chargeuse
mécanisée
= coupe en cannes tronçonnées
Evolution
En régression
En forte
régression
En
développement
Une gestion délicate dans le temps et dans l’espace
La canne est une matière première périssable. Après brûlage, la dégradation s’accélère,
surtout en conditions pluvieuses, alliées à de fortes chaleurs. Les risques augmentent en canne
tronçonnée, du fait de l’augmentation de la surface en contact avec l’air et les bactéries
endogènes. Le stockage prolongé de cannes tronçonnées et brûlées peut d’autant plus
rapidement se traduire par des détériorations, néfastes au niveau industriel.
8
La récolte manuelle (coupe et ramassage manuels) a aujourd’hui quasiment disparu, de même que la récolte
semi-mécanisée avec recours aux remorques auto-chargeuse (RAC) pour le chargement.
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La pénétration et le développement de la bactérie Leuconostoc mesenteroide dans la canne
sont plus rapides après brûlage, du fait de l’augmentation de la température et de l’altération
de la surface. Si les cannes ne sont pas rapidement traitées, cela se traduit en sucrerie par des
niveaux de dextranes9 plus élevés, qui induisent une élongation des cristaux de sucre et en
affectent la qualité (Bellassée, Bobi, 1999). En distilleries, les distillats issus de cannes
brûlées depuis trois jours peuvent s’enrichir en composés indésirables ou désagréables
(CTCS, 1994). La chaleur déclenche aussi l’hydrolyse des groupements carboxyliques se
situant sur les pectines, qui sont ensuite transformés en méthanol, ce qui augmente
l’agressivité olfactive et le « brûlant » du rhum (CTCS, 1991).
Cependant, les différences qualitatives entre les produits issus de cannes brûlées ou non sont
très faibles si l’usinage se fait rapidement. « On compte, comme délais limites jusqu’au
broyage, 48 h pour une canne entière verte, 24 h pour une canne entière brûlée et 12 h pour
une canne tronçonnée » (Fauconnier, 1991). Le brûlage implique donc une gestion spécifique
qui n’est pas accessible à tous. Afin de circonscrire le brûlage aux cannes à récolter si possible
dans les 24 h, une séparation adéquate des parcelles est nécessaire, avec parfois la création de
pare-feu. Ceci suppose une organisation très lourde et une certaine surface, afin d’assurer un
quota de livraison conséquent (généralement au moins 50-100 t/j).
Récolte semi mécanisée : un choix lié au mode de paiement des coupeurs
Tableau 7. Comparaison des coûts de la coupe manuelle en cannes brûlées et non brûlées
Coupe
à la toise
Coupe
à la tonne
Coût d’une toise (avec charges)
Nbre de toises / 1 ha sillonné à 1,65 m (6060 m linéaires)
Coût de la coupe à la toise d’un hectare
Coût d’une tonne coupée laissée par terre
Coût de la coupe à la tonne d’un hectare
70 t/ha
80 t/ha
Cannes brûlées
C. non brûlées
0,31 €*
3 030
0,62 €*
3 030
939,30 €
1 878,60 €
-
23 €*
82 t/ha
90 t/ha
1 610,00 €
1 840,00 €
1 878,60 €
2 070,00 €
* D’après Accords salariaux de février 2007 pour la filière canne.
Sur les 20% de récolte semi mécanisée pratiquée en 2007, la moitié est concernée par le
brûlage. Il s’agit surtout des chantiers de coupe à la toise, pour lesquels, « le salaire du coupeur
est 2 fois supérieur en cannes non brûlées, pour la même quantité de cannes coupées » (CTCS,
1992). Selon les derniers accords salariaux (cf. tab. 2), la coupe à la tonne devient plus chère
que la coupe à la toise en vert à partir d’un rendement de 82 t/ha. En deçà, pour une récolte
9
Polymères du glucose, produits à partir du saccharose.
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semi mécanisée en canne non brûlée, le recours à la coupe à la tonne est plus avantageux pour
l’exploitant, tandis que les coupeurs s’y retrouvent également, faisant valoir leurs habitudes
de coupe. Ainsi, de par la moindre productivité dans le sud suite à la plus faible pluviosité, la
coupe en vert à la tonne y est privilégiée en cas de récolte semi mécanisée.
A noter que la coupe à la tonne implique une organisation spécifique afin de définir la
rémunération des coupeurs en pesant le tonnage réalisé par chacun (balance des distilleries ou
peson au champ). Pour la coupe à la toise, la pesée et la détermination de la rémunération sont
découplées, cette dernière reposant sur la surface.
Généralement assurée en vert, la coupe à la tonne peut exceptionnellement se faire en cannes
brûlées, notamment en fin de campagne10. En diminuant la pénibilité du travail, le brûlage
permet d’accélérer la récolte avant la fermeture des unités de transformation ou dans le cas de
très forts tonnages ainsi que d’infestations de lianes.
Récolte mécanisée : un brûlage très occasionnel
Equipées de récolteuses performantes, les exploitations mécanisées optent dès que possible
pour la coupe en vert. Celle-ci permet d’éviter la lourde organisation du brûlage11, de
bénéficier d’une plus grande souplesse de livraison, ainsi que des avantages d’un mulch
pailleux important12 pour préserver l’humidité du sol et freiner le démarrage des adventices. Sur
les 80% de récolte mécanisée, le brûlage n’est pratiqué que pour 9% en 2007, pour palier à
certaines contraintes. « Nous ne brûlons pas pour le plaisir », nous a confié récemment un
producteur.
Une meilleure visibilité et plus de sécurité
L’une des premières justifications du brûlage en récolte mécanisée est la meilleure visibilité
dont bénéficie le chauffeur de machine. Outre les roches, les planteurs se trouvent confrontés
à la présence dans leurs champs de toutes sortes d’ordures et de débris (réfrigérateurs ou
cuisinières usagés, épaves de voiture, pièces mécaniques diverses). Ces objets insolites sont
plus nombreux à proximité des cités et en bordures de rivières. En cas de crue, l’eau ramène
en effet dans les parcelles divers troncs d’arbres et autres débris liés à l’activité humaine. De
10
Pour certaines parcelles qui ne rentrent pas dans le cadre de la « coupe en vert », au sein du Contrat
d’agriculture durable.
11
Le brûlage, surtout sur de grandes surfaces, représente une lourde responsabilité. Cela requiert une très grande
vigilance et exige des opérateurs avertis, avec la présence à proximité d’une citerne d’eau en cas de propagation
accidentelle du feu.
12
Avec une répartition d’autant plus homogène de la paille broyée grâce au shredder des nouvelles générations
de récolteuses.
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sorte que des exploitants qui avaient opté pour une récolte totalement en vert, brûlent les
parcelles sujettes à ces préjudices. A défaut, outre la sécurité, des casses importantes peuvent
survenir, conduisant à l’arrêt du chantier de récolte et à des frais de réparation conséquents.
En ne brûlant pas, les producteurs exposent des investissements de l’ordre de 250 000 €,
sachant que l’entretien annuel d’une récolteuse-tronçonneuse-chargeuse représente en
moyenne 25 000 € par an.
Une vitesse de travail accrue, des machines mieux préservées
Par ailleurs, le brûlage permet une plus grande vitesse de travail de la récolteuse, avec un gain
pouvant aller jusqu’à 30%, voire 50% en conditions difficiles. Tel est le cas des parcelles à
très forte productivité ou infestées par les lianes. Pour un rendement de 80 t/ha, le coût de la
récolte mécanisée représente entre 1 500 et 2 000 € (CTCS, 2006). L’économie permise par le
brûlage peut ainsi aller de 750 à 1 000 €/ha. En outre, la vitesse de travail accrue favorise
aussi un approvisionnement plus rapide de la sucrerie et des distilleries. Puis, soumises à
moins rude épreuve en canne brûlée, les machines s’usent moins vite et s’amortissent mieux.
Une meilleure qualité des livraisons, une transformation optimisée
Intervient également dans le choix du brûlage en récolte mécanisée la qualité des livraisons de
canne. Les études menées notamment par le CTCS (1994a ; 1994b) et le MSIRI (2000),
estiment la proportion de « matières étrangères », en récolte mécanisée, à 10% en vert et 5%
en cannes brûlées, avec des variations selon les conditions (pluviosité, variété, rendement,
etc.). Cet argument est d’autant plus incitatif pour des livraisons en sucrerie (CTCS, 1995a) :
l’augmentation des fractions indésirables se traduit rapidement par une forte pénalisation
financière, via le coefficient de paiement (CP). Le gain en canne brûlée peut aller jusqu’à 1,5
point de CP, selon les données recueillies au cours de cette campagne 2007. Pour un prix
standard de 65 €/t à 8 de CP, ceci représente une augmentation de revenu de 18,75%, soit
avec un rendement de 80 t/ha par exemple, un gain supplémentaire de 975 €/ha.
Cette qualité de livraison se retrouve également au niveau du process industriel. Ainsi, selon
les travaux mentionnés par Chen et Chou (1993), l’usinage de cannes brûlées peut conduire à
20-30% de suspensions solides en moins dans les jus, augmente la capacité de broyage de 1315%, augmente l’extraction de 0,47%, diminue la consommation énergétique (jusqu’à 12%
pour le premier moulin) et réduit la longueur de la campagne.
Des différences variétales
Selon les variétés, la coupe à la machine en vert s’avère plus difficile. Il en va ainsi pour la
B 80.08, dite Canne Zikak, surtout en période très sèche. Ses feuilles s’enroulent autour des
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séparateurs et les bloquent, pouvant même entraîner des départs de feux par frottement. D’où
de fréquents arrêts pour dégager les feuilles. Bien que la dernière génération de machines
vienne à bout de cet inconvénient, les planteurs tendent à privilégier le brûlage préalable de
parcelles en Zikak pour prévenir tout incident. La variété la plus cultivée, à savoir la B 59.92,
dite Canne Roseau, s’accommode bien de la coupe mécanisée en vert, tandis que la B 69.566,
dite Canne Bleue, caractérisée par un épaillage naturel, n’est généralement pas brûlée.
L’enherbement : lutte contre les lianes et adoption des nouveaux produits
Le paillage pour lutter contre les adventices constitue une « arme à double tranchant » : le
mulch généré par la coupe en vert freine les graminées, mais favorise les lianes. Certaines
exploitations sont ainsi confrontées à d’incessantes infestations de Paroka ou « Manjé kouli »
(Momordica charantia) et de Pois gratter (Mucuna pruriens). Pas moins de 3 ou 4 traitements
herbicides à base de 2,4-D, en plus des 2 traitements habituels incluant des anti-graminéens
sont alors requis. Face malgré tout à l’impossibilité de récolter certaines parcelles envahies
notamment de Pois gratter, pour la sécurité du personnel, le brûlage devient inévitable.
Par ailleurs, l’évolution du panel d’herbicides homologués en canne conduit à l’utilisation de
nouveaux produits : d’un profil éco-toxicologique plus favorable que les anciens, ces produits
possèdent un spectre d’action plus ciblé et nécessitent des conditions d’application strictes
quant au stade d’intervention. De sorte que pour mieux gérer la lutte contre les adventices en
rejeton, sur les parcelles sujettes à un fort enherbement, certains producteurs ont recours au
brûlage afin de positionner ensuite un traitement de pré-lévée des adventices13. Un tel
traitement sur paille est moins efficace, car il importe alors d’attendre que celle-ci commence
à se dégrader, avec un risque entre-temps de concurrence entre canne et adventices. Ainsi le
brûlage peut contribuer à l’adoption de produits herbicides plus favorables à l’environnement.
Brûlage, environnement et société : quels impacts ?
Une perte minérale et organique à relativiser
Le mulch pailleux formé par les feuilles de canne après récolte constitue un apport organique
et représente une double protection du sol : il contribue à maintenir l’humidité du sol et à
lutter contre l’érosion. Toutefois, quand on brûle les cannes, seule une partie de l’azote des
feuilles et amarres14 est perdue, soit environ 50 kg d’azote par hectare. Un apport
13
L’ensilage mécanisé de la paille sous forme de balles pour l’alimentation animale constitue une autre option à
explorer.
14
Les amarres après le brûlage de post-récolte sont toujours aussi convoitées pour l’alimentation animale. Cette
pratique n’influe donc pas sur la valorisation des extrémités feuillues de canne comme fourrage par les éleveurs.
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supplémentaire de 50 unités d’azote peut y pallier, tandis que le renouvellement annuel du
système racinaire et le retour des feuilles résiduelles contribuent à l’enrichissement du sol.
En zones sèches ou ventées, outre la difficulté à contrôler le feu (risques de propagation
accidentelle), la perte partielle de protection liée au mulch pailleux après brûlage accroît le
stress hydrique. D’où des difficultés pour le départ des rejetons, des morts de souches et, à
terme, une replantation plus fréquente. Les planteurs évitent donc de brûler dans ces zones.
D’un impact environnemental plus marqué que le brûlage de pré récolte, le brûlage de postrécolte, destiné à favoriser la préparation du sol, laisse le sol nu. Les risques érosifs sont alors
plus élevés, surtout les premiers mois avant couverture du sol. Cette pratique est désormais
interdite (brûlage de résidus de récolte) au titre des « Bonnes pratiques agricoles »15.
Pollution : incidences non visibles du brûlage
Le brûlage de la canne pose la question de sa contribution à l’effet de serre. Cependant,
comme le maïs, le sorgho et certaines plantes désertiques, la canne est une plante de type C4,
qui se caractérise par une très grande capacité photosynthétique, d’où une forte absorption de
gaz carbonique. Une partie sert à la fabrication de sucre dans la tige, le reste se retrouve dans
les résidus de récolte (feuilles, tiges, racines). En cas de brûlage des feuilles, le carbone rejeté
dans l’atmosphère ne représente qu’une partie de ce qui a été précédemment absorbé, tandis
que la combustion ultérieure de la bagasse engendre également des émissions de CO2.
De plus, ces impacts potentiels sont à relativiser selon le niveau de production. Actuellement
à peine 20% de la sole cannière martiniquaise est brûlée avant récolte. Que sont les 40 000
tonnes de canne concernées, au regard des 1,35 milliards de tonnes récoltées chaque année
dans le monde (FAO stat, 2004), essentiellement en canne brûlée16 ?
La donne sociale : salissure et problème respiratoire
Plus que les incidences environnementales, la principale récrimination faite au brûlage tient à
la gêne pour la société. Les riverains des canneraies, de plus en plus nombreux vu
l’urbanisation croissante, ne cessent de décrier cette pratique. Les non riverains sont
également concernés, vu le caractère très volatile des particules et cendres, propagées par le
vent sur plusieurs kilomètres. En dépit du caractère transitoire de la gêne, les particules étant
rapidement éliminées, les plaintes sont récurrentes, notamment sur les ondes radiophoniques.
15
A noter que cette évolution risque de se traduire par une augmentation du brûlage de pré-récolte pour les
parcelles très enherbées (notamment par les lianes) et destinées à être replantées, ceci lors de la dernière récolte
avant replantation.
16
Rappelons que la canne est la plus importante plante cultivée au niveau mondial, avec 20 millions d’ha (Fao).
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Ces particules carbonées ne contiennent aucune substance dangereuse pour la vie et ne
peuvent, au sens strict du terme, être considérées comme une pollution (CTCS, 1992). Elles
sont néanmoins une source de salissure et les désagréments causés sont multiples : intérieur
de maisons sali, vêtements maculés, clients incommodés aux terrasses des restaurants, etc. S’y
ajoute la question de la gêne respiratoire. Pour ce carême 2007, l’indice de qualité atmosphérique
a maintes fois été qualifié d’alarmant par la météo, suite à d’abondantes et fréquentes brumes
de sables. Ajouté aux fortes chaleurs, ceci ne serait-il pas davantage responsable des problèmes
respiratoires que le brûlage ponctuel de la canne ? Une étude mériterait peut-être d’être
conduite afin de cerner la corrélation entre le brûlage de la canne et les affections respiratoires.
De la nécessité d’un engagement collectif
De façon à tenir au mieux compte de la pression sociale, le CTCS incite les producteurs à
limiter le brûlage aux cas incontournables : à savoir la coupe à la toise, en forte régression, et,
pour la récolte mécanisée, aux parcelles à risques. De plus, de façon à limiter les risques de
propagation du feu et limiter la gêne des riverains, les producteurs sont invités à prévenir le
voisinage à l’avance et à brûler dans des conditions et à des moments propices : il s’agit
d’éviter les conditions ventées et les heures les plus chaudes de la journée ; et de brûler si
possible avant le lever du soleil17 ou après la tombée de la nuit. Dans la pratique, ces
consignes sont difficiles à respecter, les parcelles à brûler étant souvent choisies au jour le
jour, en profitant des opportunités qui se présentent au regard des aléas climatiques.
Un exploitant enquêté sur cette question s’insurgeait, en évoquant la contradiction relevée
dans les comportements de nos concitoyens. « Il y a des gens qui se plaignent du brûlage de
la canne, mais ils lâchent leurs ordures dans les champs. Comment veulent-ils qu’on s’en
sorte ? ». Les producteurs déplorent également le manque de tolérance des néo-ruraux vis-àvis des contraintes liées à l’agriculture : « Ils veulent vivre à la campagne, mais ils ne veulent
pas de la canne. Pourtant, quand ils sont venus s’installer, la canne était déjà là ».
De même que les producteurs sont amenés à faire des efforts pour gérer la cohabitation avec
une urbanisation croissante, n’est-il pas possible de mieux informer la population sur les
enjeux du brûlage de la canne et sur la réalité à laquelle sont confrontés les planteurs ? Des
campagnes d’informations seraient à prévoir en ce sens. Tout en participant à la prévention
des feux accidentels, qui constituent un véritable fléau pour les producteurs, de telles actions
17 Le brûlage matinal s’inscrit dans ce que les Mauriciens qualifient de cool burning : la rosée du matin tempère l’effet du
brûlage et permet d’en minimiser les incidences sociales.
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pourraient contribuer à une meilleure acceptation sociale de cette pratique traditionnelle, qui
par ailleurs ne manque pas d’attrait touristique18.
Conclusion
Passé de 50 à moins de 20% en 15 ans, le brûlage de pré récolte de la canne est en constante
régression, grâce à l’essor de la récolte mécanisée en vert. Cette tendance peut encore être
renforcée par l’extension de variétés s’épaillant naturellement, ce à quoi oeuvre en amont le
CTCS par le biais de la sélection variétale. Le brûlage perdure dans quelques cas ponctuels,
pour des raisons structurelles (coupe à la toise) ou conjoncturelles. Selon la localisation de la
parcelle (risque d’objets dangereux), la variété et les conditions de culture (densité de
peuplement, enherbement), le brûlage peut contribuer à une meilleure rentabilité du chantier
de récolte : la sécurité et la vitesse de travail sont accrues, tandis que l’apport de matières non
usinables diminue, favorisant la qualité des livraisons. Ce double gain peut représenter près de
2 000 €/ha pour une productivité de 80 t/ha, soit 38% par rapport au chiffre d’affaires à 8 de
CP (livraisons en sucrerie) pour la même productivité (5 200 €/ha). L’adoption de nouveaux
herbicides plus respectueux de l’environnement peut aussi être facilitée en cannes brûlées.
Alors que le brûlage de post-récolte est désormais interdit, les impacts environnementaux du
brûlage de pré récolte de la canne sont à relativiser. La gêne demeure sur le plan social. Aussi,
afin de contribuer à l’établissement d’un climat plus serein, les producteurs canniers sont
amenés à limiter autant que possible le brûlage ou à choisir le moment opportun pour brûler,
en prévenant les riverains. En vue de rassurer ces derniers, des mesures atmosphériques visant
à quantifier l’impact du brûlage pourraient être envisagées. Des actions de communication en
début de campagne seraient par ailleurs bienvenues pour mieux informer la population quant
aux enjeux de cette pratique. Ce pourrait être aussi l’occasion d’apprendre à voir la canne
autrement, et de prendre conscience que cette culture constitue, de part ses multiples intérêts
sur le plan environnemental, un atout pour notre territoire insulaire.
Bibliographie
Bellassée B., Bobi A., 1999. Dosage de l’amidon, des dextranes et bilan couleur au cours du
process. Campagne 1998. CTCS-Martinique, Lamentin, 13 p.
Chen J.C.P., Chou C.C., 1993. Cane sugar handbook. 12th edition. A manual for sane sugar
manufacturers and their chemists. Ed. John Wiley & Sons, Etats-Unis, 1090 p.
CTCS, 1991. Cours de dégustation. Lamentin, Martinique.
18
Lors des brûlages, les planteurs sont souvent interpellés par les touristes en quête de dimension patrimoniale,
qui les interrogent sur les fondements de cette pratique ancestrale, dont ils ne manquent pas de prendre de
multiples photos.
8ème Journée Technique de l’AMADEPA – 13 juin 2007 – Recueil des communications
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