La critique int?grale en pdf
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Deux filles au tapis de Robert Aldrich Rébecca ROUX Hypokhâgne Lycée Jean-‐Pierre Vernant Dernier film de Robert Aldrich, réalisé deux ans avant sa mort, Deux filles au tapis est considéré comme le dernier exploit du réalisateur qui n'aura rien perdu de son talent durant ses dernières années. Ce long métrage de près de deux heures nous expose le road-trip précaire de deux catcheuses, Iris et Molly, et de leur manager, Harry Sears, tous trois en quête de gloire et, accessoirement, d'argent. Loin d'être une quête initiatique avec morale ou leçon de vie, ce voyage fera connaître au spectateur les difficultés du catch sans se terminer par un happy-end à l'américaine : le réalisateur se veut réaliste, sincère, sans chercher à masquer la brutalité du sport ni les difficultés du métier, hors du ring. En sortant de la salle, le spectateur se sentira armé d'une nouvelle lucidité sur le monde après un tel désenchantement concernant les sports de combat, domaine dans lequel la haine viscérale peut constituer un atout. Deux jeunes femmes féminines et sensuelles, qui gagnent leur vie grâce à une brutalité hors norme sur un ring de catch : là réside le premier contraste du film, suivi de bien d'autres. On peut noter les alternances entre scènes de catch et vie quotidienne, que le réalisateur entremêle avec brio : la vie des protagonistes en elle-même n'est qu'une succession de hauts et de bas, les hauts représentés par les nombreuses victoires, les applaudissements et les projecteurs, les bas résidant dans leur combat au quotidien pour vivre, dépendantes de leur manager. C'est précisément dans ces contrastes que le film peut exister comme chef-d'oeuvre du cinéma américain, car on observe rapidement qu'il n'y a que dans la brutalité du catch que nos deux héroïnes s'affirment, réussissent à s'extirper de leur condition précaire. Puis il y a la vie en dehors du catch, un combat perpétuel pour parvenir à garder le moral et à vivre de manière décente. Si le combat physique se fait sur le ring, le véritable combat psychologique est à l'extérieur, vis à vis du manager, des promoteurs véreux, vis à vis du catch même, lorsque la tentation d'abandonner se fait trop grande. Le féminisme n'est pas à sous-estimer, on notera le combat sous-jacent des héroïnes pour s'affirmer face à leur manager Harry Sears, macho moralisateur multipliant les petites combines pour gagner leur croûte. Etonnant pour un Aldrich qui placera pour la première fois les femmes comme des combattantes acharnées gardant espoir en une future gloire dans le Nouveau Monde idéalisé. Rappelons que dans Le Démon des Femmes ou encore Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, les femmes ne sont pas montrées sous leur meilleur jour mais porteuses de nombreux vices et défauts. Dans Deux filles au tapis, et notamment dans le combat final, nos deux protagonistes font véritablement leur loi, déversant leur rancune et les humiliations subies sur l'arbitre acheté et impuissant contre les deux "California Dolls" qui arrachent par cette dernière rébellion leur étiquette de bimbo pour n'être plus que des combattantes en quête du succès mérité. Jusqu'à sa dernière oeuvre cinématographique, Robert Aldrich oscillera dans le domaine de la morale sans jamais se positionner. Dans un monde dépourvu de justice qu'est le catch et, à plus grande échelle, l'Amérique présentée comme une désillusion après le rêve américain, les personnages sont d'une complexité hors norme, refusant un combat de boue par fierté mais acceptant de coucher pour obtenir un contrat. Pourtant, si l'univers qui nous est présenté semble d'une bassesse impitoyable (à commencer par les spectateurs de catch, filmés de manière très désavantageuse), la victoire finale termine le long-métrage sur une note d'espoir : bien que cela se soit fait par des voies plus ou moins morales dans un monde d'instincts et de brutalité, le but de nos héros est atteint. Ainsi on peut considérer le regard lucide du réalisateur comme un regard tout simplement humain, et surtout gardant espoir en l'humanité.