Après la naissance, tout n`est pas toujours rose!

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Après la naissance, tout n`est pas toujours rose!
Promotion de la santé
K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 11/2013
Stress, allaitement et maternage
Après la naissance, tout
n’est pas toujours rose!
Durant la période périnatale, les parents doivent
faire face à une succession d’événements particuliers, parfois stressants, qui peuvent influencer
le démarrage et la poursuite de l’allaitement.
L’accompagnement empathique et les conseils
des consultantes en lactation leur permettent
d’entrer dans la parentalité avec plus de
sérénité.
Texte: Christina Lombardo
Photos: Fotolia, Martin Glauser
La période du post-partum est une période pendant laquelle la mère fait parfois face à des éléments stressants qui
auront une influence sur son état émotionnel: vécu de l’accouchement, fatigue, douleur, incontinence urinaire,
alimentation et rythmes du bébé, environnement hospitalier, visites, conseils
contradictoires, etc. Dans ce contexte,
la mère aura besoin de soutien pour le
démarrage de son allaitement, soutien
qu’elle ne trouvera peut-être pas dans
son environnement familial. C’est aussi
une période d’initiation au maternage
importante pour la confiance en soi
des parents. Les conseils et l’écoute
empathique d’une consultante en lactation (voir encadré, page 67) peuvent
L’auteur
Christina Lombardo est infirmière
puéricultrice et consultante en lactation IBCLC au Département de
l’Enfant et de l’Adolescent aux HUG
à Genève.
[email protected]
Une relation intense s’installe entre la maman et le bébé, malgré la fatigue et les soucis qui
surviennent après un accouchement.
les aider à passer un cap parfois difficile.
L’hormone de l’amour
Lorsque le démarrage et la poursuite de
l’allaitement se passent bien, les professionnelles qui travaillent auprès de
mères allaitantes constatent empiriquement que ces dernières sont moins stressées que les mères qui n’allaitent pas.
L’allaitement semble en effet fonctionner comme un régulateur du stress de la
femme allaitante.
Un certain nombre d’études montrent
comment une hormone, l’ocytocine, indispensable à la lactation, a une action
sur le stress et sur l’axe limbique, régulateur des émotions et de la perception
du stress. Ainsi, ce climat hormonal par-
ticulier, lié à l’allaitement, diminue les
réponses physiologiques de stress et
permet à la mère de mieux résister aux
stresseurs physiques et d’être plus disponible à la relation qui se construit
avec son bébé.
Pour rappel, l’ocytocine est une hormone
d’origine post-hypophysaire. Elle permet
l’éjection du lait pendant la tétée en réponse à la succion du bébé. Elle a une action sur les contractions pendant l’accouchement et favorise l’involution utérine
en post-partum. Appelée aussi «l’hormone de l’amour», elle favorise la confiance,
les liens sociaux et les comportements de
maternage – et tant mieux, puisque le
post-partum est justement une période
sensible pour l’établissement des relations futures parent-enfant.
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Dépression post-partum
Des signes
qui alertent
Les infirmières qui travaillent dans le domaine de la périnatalité seront particulièrement
attentives aux symptômes suivants, définis
par la pédopsychiatre Nathalie Nanzer,
car ils peuvent être révélateurs d’une
dépression chez la mère après la naissance du bébé:
• Sentiment de solitude
• Sentiment d’être une mère mauvaise
ou incapable, culpabilité, honte, autoaccusations
• Anxiété, irritabilité
• Fatigue, épuisement
• Perte d’énergie, de motivation, d’intérêt, de plaisir
• Manque d’intérêt pour le bébé, peu
de plaisir dans les soins
• Difficultés à s’endormir ou à se rendormir
• Changement d’appétit ou de poids
• Tristesse, humeur déprimée
• Idées récurrentes de mort ou de suicide
• Sentiment négatifs envers le bébé
• Crainte de faire mal au bébé.
Quand le soutien, l’écoute et les encouragements ne suffisent plus, il est alors
nécessaire d’orienter le parent vers un
professionnel qualifié pour un suivi ou
une thérapie spécifique.
L’allaitement: une préoccupation
majeure
Dans le cadre d’une étude réalisée à
Genève entre 2008 et 2010 par Chantal
Razurel, sage-femme, le recensement
des événements stressants vécus par
les mères dans la période périnatale
montre que dans le post-partum immédiat, l’allaitement est cité comme
deuxième évènement stressant (70%)
après le personnel soignant (76,6%) et
avant l’environnement institutionnel
de la maternité (60%). Au retour à
domicile, l’allaitement est mentionné
comme premier événement stressant
(83,3%) avant l’organisation à la maison (81,6%) et les pleurs du bébé
(75%). Cette étude montre bien l’importance de l’allaitement dans les préoccupations des mères.
Il est vrai que même si l’allaitement est
un phénomène physiologique, il n’est
pas toujours facile. Souvent, le manque de repère et de soutien de la mère
débouchent sur des problèmes d’allaitement, voire sur un sevrage précoce
du bébé. Un allaitement difficile et les
pleurs du bébé peuvent donner un sentiment d’incompétence à la mère. Parfois, l’écart entre ses représentations et
la réalité est tel qu’elle ne réussit pas
à se sentir adéquate dans son rôle de
mère.
Si l’allaitement est douloureux, vécu
comme une contrainte ou une obligation, il ne constituera pas une protection contre le stress, au contraire. Et le
stress maternel aura une influence sur
la qualité du maternage et des conséquences sur le développement de l’enfant.
Le sens du maternage
Le bébé a un appareil psychique en
construction, il vit des angoisses primitives liées aux changements d’environnement à sa naissance. La préoccupation maternelle primaire, décrite par
Winnicott comme un état de sensibilité
accrue, donne à l’enfant le sentiment de
continuer d’exister après sa naissance
et lui permet de construire son identité.
Cette aptitude du parent à prendre soin
de son enfant, ou «caregiving», permet
au bébé de recréer un sentiment de sécurité (holding) et donner du sens à ce
qu’il vit (handling, sensibilité).
Le processus des interactions précoces
est bidirectionnel, le bébé étant lui aussi
actif dans la relation. Il est prédisposé
à assurer une proximité avec sa mère
par des comportements d’attachement.
Cette proximité a une double fonction:
la survie (protection) et la socialisation
(base de sécurité).
Il a été démontré que, dans la période
postnatale, le niveau de maternage va
réguler la réponse au stress du bébé
grâce à sa plasticité neuronale précoce.
Crise identitaire et détresse
La maternité et la naissance représentent une période délicate pour l’accès à
la parentalité. Pour la mère, comme
pour le père, c’est une étape de développement, au même titre que l’adolescence. Elle peut réactiver des conflits
familiaux et nécessite une adaptation,
un changement identitaire et des renoncements. Il y a encore beaucoup de
tabous autour de la souffrance liée à
cette crise identitaire qui crée une grande
vulnérabilité émotionnelle et physiologique tant chez la mère que chez le
père et qui peut conduire à des troubles
anxieux ou à la dépression.
Des difficultés d’adaptation au rôle
parental et des perturbations dans la
mise en place de l’interaction parentenfant peuvent apparaitre lorsque le
bébé n’a pas les compétences pour être
actif dans la relation (prématurité, handicap, etc.) ou lorsque la mère ou le
père n’est pas dans un état psychologique qui lui permette d’établir une relation avec son bébé (naissance traumatique, deuil pendant la grossesse,
dépression ou anxiété, etc.)
Face à une mère qui ne répond pas à ses
besoins, le bébé manifestera des signes
de détresse qui doivent alerter les professionnels: agitation, pleurs excessifs,
troubles du tonus, troubles du sommeil, problèmes alimentaires ou digestifs – un comportement qui risque en
retour d’exacerber les difficultés de la
mère. Si cette situation est transitoire,
la réparation s’effectue. Par contre, si
elle perdure, le bébé risque de se décourager. Son détachement peut alors
signaler une insécurité affective et une
dépression du bébé avec un retrait relationnel.
L’observation précoce de l’interaction
parent-enfant permet de dépister des
troubles relationnels. Grâce à l’échelle
Alarme Détresse Bébé (ADBB), il est
possible d’observer les compétences du
bébé et de repérer des dysfonctionnements significatifs.
Du baby blues à la dépression
Le baby blues, cette mélancolie des
jeunes mamans, est un phénomène fréquent qui apparaît assez vite après la
naissance. Il s’agit d’une réaction physiologique au changement hormonal induit par l’accouchement. Le baby blues
peut être toutefois précurseur d’une dépression post-partum lorsqu’il est sévère et se prolonge au-delà de dix jours
après la naissance du bébé (voir symptômes dans l’encadré ci-contre). Lorsqu’elle est modérée, la dépression postpartum est souvent sous-évaluée et non
traitée. Elle aura pourtant des conséquences sur le développement de l’en-
www.sbk-asi.ch >Post-partum >Stress >Allaitement
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fant ainsi que sur la vie du couple et de
la famille.
La dépression post-partum (DPP) est la
complication du post-partum la plus
fréquente (15% des mères, 10% des
pères). Elle résulte de difficultés à surmonter les conflits internes liés à l’accès
à la parentalité. Elle peut survenir à la
suite de la naissance. Elle est parfois
déjà présente en prénatal. Lorsque c’est
le père qui en souffre, elle peut être
favorisée par le sentiment d’exclusion
qu’il peut ressentir face à la relation privilégiée entre sa femme et le bébé.
En post-partum, la fatigue et le manque
de sommeil sont des constantes. Liés au
nouveau rythme de vie des parents avec
leur bébé, ils peuvent aussi être les
signes d’une dépression. Le manque de
soutien social peut aussi contribuer au
développement d’une dépression. Parfois l’état de stress de la mère est tel qu’il
entraîne l’apparition d’un syndrome
post-traumatique (son incidence varie
de 1,7 à 5,6% selon les études).
Un accompagnement tout
en nuance
Dans la pratique, la consultation en lactation est un mode d’abord privilégié
pendant lequel la proximité et l’observation de la tétée vont permettre de
créer une relation de confiance avec les
parents et de repérer d’éventuels signes
qui peuvent alerter et amener à la prise
en soin de la mère ou du père.
Si les interventions des professionnelles
auprès des mères sont en général bienveillantes, elles peuvent aussi être stres-
La consultante en lactation rassure
et encourage par ses conseils.
santes. Parfois trop d’information ou des
conseils contradictoires amènent encore
plus de stress – c’est donc à une dose
adaptée au besoin d’apprentissage du
moment que l’information sera transmise.
L’accompagnement de la consultante en
lactation, son «caregiving», par une
écoute empathique et sans jugement,
permet à chacun des parents de «déposer» ses préoccupations qui ne lui permettent pas d’être complètement dans
son rôle. Le fait que la professionnelle
prenne en compte le projet de la mère
peut l’aider à sortir de la culpabilité
qu’elle ressent à ne pas avoir de plaisir
ou d’envie d’allaiter son bébé. A ce
sujet, Nathalie Nanzer, pédopsychiatre
Une spécialisation en allaitement
Soutenir les mères et les familles
Les consultantes en lactation IBCLC
(International Board Certified of Lactation Consultant) sont des professionnelles de la santé qui ont suivi 210
heures de formation en cours d’emploi
dans le domaine de l’allaitement maternel. Cette formation s’adresse aux
infirmières, sages-femmes, assistantes
médicales et nurses pouvant attester
d’une expérience pratique de 1800
heures auprès de mères allaitantes. En
fin d’étude, celles-ci passent l’examen
international IBLCE (International
Board of Lactation Consultant Exami-
ners). Elles doivent faire revalider leur
certification tous les cinq ans par une
formation continue et tous les dix ans
par un examen.
Les consultantes en lactation proposent des consultations mère-enfant
concernant tous les aspects de l’allaitement maternel. Elles travaillent dans
les maternités, en pédiatrie, en néonatologie, à domicile, dans les consultations pour nourrissons ou les cabinets
médicaux.
www.allaitement.ch
et psychanalyste, précise que: «Sans
vouloir minimiser l’importance de l’allaitement pour la santé future du bébé,
il est toutefois important de rappeler
que le mode de nourrissage est moins
important que la qualité de la relation
mère-enfant et le plaisir que la mère
peut prendre avec son enfant». Dans
certains cas, la mère prend même conscience que son problème n’est pas l’allaitement mais ses autres préoccupations qui interfèrent dans son vécu avec
son bébé.
Par leur soutien et leurs encouragements, les spécialistes en lactation aideront très souvent les parents à bien
vivre l’allaitement de leur bébé, à surmonter le stress qui peut survenir après
une naissance, voire à sortir de l’isolement due à une éventuelle dépression
débutante. Mais surtout, elles leur donneront toutes les chances de bien démarrer leur nouvelle relation avec leur
enfant – un départ pour la vie.
Cet article s’inspire des journées de formation
continue des consultantes en lactation francophones qui se sont déroulées les 14 et 15 juin
2013 à Lausanne sur le thème «Stress et allaitement».
Bibliographie:
Chantal Boutet et al. Ocytocine et stress de la
mère au cours de la lactation en post-partum,
Annales d’Endocrinologie 67, No 3, juin 2006.
Nathalie Nanzer, La dépression postnatalesortir du silence, Ed. Favre 2009.
Chantal Razurel, Comment les mères primipares font-elles face aux événements de la naissance dans le post-partum? Résultats de l’étude
qualitative, novembre 2010, HES SO Genève.
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