Corinne Mérini, IUFM Versailles Ma position

Transcription

Corinne Mérini, IUFM Versailles Ma position
19-11-2002
L’ ACCOMPAGNEMENT :
UN NOUVEAU GESTE PROFESSIONNEL À INTRODUIRE À
L’UNIVERSITÉ ?
Corinne Mérini, IUFM Versailles
Ma position institutionnelle d’enseignant chercheur a l’IUFM me permet de
constater la multiplication des dispositifs transversaux qu’ils s’appellent
Itinéraires de Découverte au collège –Travaux Personnels Encadrés – Projet
Personnel à caractère Professionnel au lycée – analyse de pratique ou suivi de
projet en formation des enseignants ou mise en place du système Européen
licence – master - doctorat à l’Université.
1. Significations de la multiplication des dispositifs transversaux :
Certains justifient cette multiplication par une démission des familles, d’autres
par la démocratisation / massification de l’enseignement ? Pour ma part je
n’adhère pas à ces thèses. Il me semble qu’il s’agirait plutôt d’une manière de
contribuer à une éducation au traitement de la complexité, une sorte de réponse
éducative à la complexification du champ social. Quels parents, enseignants, et
même personnel SCUIO est en mesure aujourd’hui de traiter la complexité d’un
parcours d’étude ou d’un projet professionnel ? Cette multiplication est pour
moi la manifestation d’une prise en compte des rapports qu’un sujet entretient
avec son contexte à partir d’un objet : le projet.
Ce changement se fait sous la pression de la demande sociale qui interpelle le
monde éducatif sur les compétences du jeune à traiter la complexité, la question
des connaissances est reconnue comme nécessaire et incontournable, mais pas
suffisante pour intégrer le monde professionnel et aborder la vie dans son
ensemble (santé – citoyenneté – environnement – carrière etc.). Dans le même
temps ces dispositifs apparaissent comme les structures d’expression des
singularités (prise en compte de difficultés, de talents, d’un projet professionnel
etc. (Mérini, 2001 1)).
La forme de l’objet de travail, qu’est le projet de l’étudiant, par ses dimensions
pluridisciplinaires, mais aussi personnelles, savantes, sociales etc. mobilise des
savoirs transversaux, c’est à dire des savoirs qui permettent de traiter la
complexité des situations rencontrées, autrement dit, travaille les liens qui
unissent le sujet au contexte dans lequel il se situe.
Situés à mi-chemin entre savoir (connaissance à caractère universel acquise par
l’étude) et expérience (connaissance singulière acquise dans la pratique), les
1
Mérini C. – Séré MG. (2001) «Le projet professionnel une ouverture en premier cycle universitaire : un équilibre
dynamique à trouver », Revue Française de Pédagogie n°136 juillet-août-septembre 2001. pp.21-29.
1
19-11-2002
savoirs transversaux sont considérés comme fondateurs de compétences. C’est
l’occasion pour le sujet d’articuler des champs de savoirs et d’éprouver ainsi des
connaissances ou des observations, de réactiver des inférences, des règles et des
principes d’action pour envisager des « possibles ».
Mobiliser des savoirs transversaux suppose à la fois : de travailler sur le projet et
une ouverture de l’action éducative sur des situations socialement authentiques
ce qui impose l’invention de nouveaux rôles professionnels.
2. L’accompagnement : un nouveau geste professionnel
L’acte d’enseigner, fondateur de la mission d’enseignement est inopérant dans la
mobilisation de savoirs transversaux qui obligent à la mise en oeuvre d’un geste
professionnel nouveau pour l’université ou l’école : l’accompagnement. Le
monde de la formation est plus familier de ce geste et ce n’est pas sans raison
que l’accompagnement est apparu à l’université par le biais de l’éducation aux
choix et du module projet professionnel. Le geste d’accompagnement porte
intérêt au projet du sujet (élève, se formant ou étudiant) et met le primat sur les
liens tissés entre le sujet et le contexte dans lequel il évolue. Le geste
d’enseignement met lui le primat sur l’acquisition de connaissances de l’élève
ou de l’étudiant. L’accompagnement est le geste que le Directeur de thèse met
en place avec un doctorant, en contribuant à la fois à l’élaboration de la thèse et
à la mise en place du projet de carrière du thésard par son insertion dans les
cercles scientifiques. Ce geste est longtemps resté dans l’ombre et compris
comme un accord de gré à gré entre l’étudiant et son responsable des études ou
Directeur de mémoire. Aujourd’hui la prise en compte des sorties de cursus
universitaires à Bac + 3 ou 5, et donc le traitement de grands flux d’étudiants,
imposent la mise en place de manière plus systématique et professionnalisée de
l’accompagnement.
Pour aider à la lisibilité de ce geste d’accompagnement on peut faire une analyse
comparative des logiques qui président au déroulement d’un cours et de celles
qui organisent le module projet professionnel tel qu’il a été initié à Lyon 1
Claude Bernard.
ENSEIGNER
PRIMAT DES SAVOIRS
FORMER
PRIMAT DU CONTEXTE
Les logiques en cause sont celles de la
transmission d’un corps constitué de
connaissances => traitement de
l’appropriation des connaissances.
Les logiques en jeu en formation sont
celles du sujet et de son
parcours exprimées dans un projet =>
traitement d’un contexte.
2
19-11-2002
Les interactions s’organisent entre Les interactions qui se nouent entre
l’enseignant - l’objet d’étude - et l’enseignant et l’étudiant portent sur la
l’étudiant.
méthode et vise indirectement le
projet.
La structure pédagogique est fermée : La structure pédagogique est ouverte
le cours.
elle alterne : recherche d’informations
sur
le
terrain
et
rencontres
pédagogiques à l’université.
Les contenus sont semi-ouverts au
sens où ils débouchent sur des TD, des
recherches documentaires des TP etc..
avec une certaine variabilité suivant les
disciplines. Le cours présente peu ou
pas d’incertitudes.
Les contenus sont ouverts et liés aux
recherches terrains, il s’installe une
grande incertitude selon les données
recueillies
par
l’étudiant,
son
investissement et les échanges qu’il
noue dans le travail de sous groupes.
Le cadre méthodologique est ouvert et Le cadre méthodologique est fermé et
à la charge de l’étudiant.
prédéfini.
La nouveauté du geste et la proximité du sujet provoque des réactions
identitaires fortes de la part de certains enseignants, ils l’expriment par une
réaction fréquente : « Ce n’est pas à moi de faire cela », « Je ne suis pas
assistante sociale… ».
Par ailleurs, ce geste ressenti comme naturel en fin de cursus (doctorat) amène
une relation de parité entre les étudiants et l’enseignant, cette relation paritaire
est mieux ressentie en fin de cursus, elle est aussi parfois recherchée par des
collègues désireux de comprendre le manque d’engagement de certains
étudiants, elle moins évidente quand elle s’impose à l’enseignant et se situe à
Bac +3 ou 5.
L’accompagnement et son travail sur la transversalité n’excluent pas, (au
contraire) la mission fondamentale d’enseignement. Au contraire car les
connaissances sont indispensables à l’évolution du projet, de même qu’en retour
le projet appelle l’acquisition de nouvelles connaissances, développer un clivage
entre ces 2 missions seraient sans doute une erreur, il s’agit de les rendre
compatibles et complémentaires.
3
19-11-2002
Accompagner c’est différent d’aider ou de faire reproduire , il ne s’agit pas
d’accompagner quelqu’un mais d’accompagner l’élaboration et la mise en
œuvre de quelque chose: le projet.
? Accompagner c’est donc inciter, mais aussi contraindre à agir,
(mettre l’étudiant en mouvement par rapport à un projet), ce qui
suppose la présence d’un système de contraintes qui soit visible des
étudiants,
? Accompagner c’est aider à la réalisation c'est-à-dire contribuer à
ordonner les éléments du projet, valoriser les résultats obtenus
(soutien l’effort l’encourage), aider à les hiérarchiser et permettre
d’identifier ou de repérer les effets produits (évaluation) pour
construire de nouvelles stratégies (régulations), élargir les possibles
et gagner de la liberté de choix.
? Accompagner c’est aller quelque part avec (ce qui suppose une
démarche inscrite dans le temps pour la maturation du processus)....
Autrement dit conduire, piloter, entraîner (mettre en mouvement) mais aussi
escorter, protéger, faciliter (mettre en œuvre des médiations qui rendent les
choses possibles, ce qui ne veut pas dire faciles). Le mot perd parfois cette
problématique fondamentale, pour les uns, c’est aider au point parfois de
« mâcher le travail » et d’éviter aux étudiants l’indispensable prise de risque
(indispensable pour le processus de construction identitaire qui sous-tend la
transversalité). La construction de compétences, et donc les changements qui lui
sont assortis, s’établissent entre désir (il faut qu’il y ait de l’envie et du bonheur
à agir) et résistance (de l’étudiant à se contraindre et à changer). Le rôle de
l’enseignant n’est pas seulement de rendre les choses possibles, il est aussi de
construire des systèmes de contraintes qui pousseront l’étudiant à vaincre ses
résistances naturelles en se fondant aussi sur le désir et le plaisir du changement.
Cette idée d’accompagnement est parfois confondue avec celle de
compagnonnage où la relation mise en œuvre est de type imitative, le maître
expert montre ce qu’il « faut faire », le bon schéma, les bonnes procédures et
l’étudiant doit les reproduire le plus fidèlement possible (d’autant plus que cette
reproduction s’inscrit souvent dans une action validable). De notre point de vue
l’accompagnement est une relation beaucoup plus riche, elle s’ouvre à la
créativité, à l’invention, parce qu’elle contribue à la construction de
compétences, la question identitaire est forte. La relation d’accompagnement est
une relation réciproque et interactive, inscrite dans le temps, il s’engage une
histoire commune (maturation du processus) elle met en œuvre de
l’intersubjectivité, par laquelle chacun (enseignant/étudiant) change aussi dans
l’échange. Loin des schémas de soumission qu’engendre toute pédagogie de
l’imitation, nous sommes ici dans des logiques paritaires d’échange où les
projets s’éprouvent à un contexte et au principe de faisabilité, c’est une
pédagogie de la construction.
4
19-11-2002
3. Responsabilités et obstacles à surmonter
La mise en œuvre de dispositifs transversaux rencontre une série d’obstacles sur
lesquels il est possible d’anticiper :
? Tout d’abord les résistances des personnes (enseignants, étudiants,
IATOS …) et des instances au changement (K. Lewin, 1940, Ardoino,
2000)2 De fait cela suppose des informations et des réflexions
conjointement menées avec les partenaires concernés (enseignants,
étudiants, personnels de l’orientation, personnels IATOS…) permettant à
chacun de s’approprier les vrais enjeux de ces dispositifs.
? L’accompagnement, comme geste professionnel, suppose l’invention de
nouveaux rôles (avec les bouleversements identitaires qui s’ensuivent), de
nouveaux dispositifs prenant en compte de nouveaux enjeux à
l’université. En ce sens l’accompagnement demande une formation des
personnels et des compétences particulières qui nécessitent d’être
reconnues, c'est-à-dire lisibles, et permettant de tracer les contours d’une
mission pour laquelle il est possible de se former, mais aussi valorisées
c’est à dire déclarées comme légitimes à l’université au même titre que
l’enseignement et la recherche peuvent l’être et donc à intégrer dans un
plan de carrière.
Le développement de l’accompagnement ne peut être que le résultat d’une
chaîne de volontés politiques, il solidarise des acteurs qui ne le sont pas
forcément au quotidien aujourd’hui. Cela suppose un travail d’information, de
communication, de réflexion et de production de réponses de type partenarial.
Les axes d’échanges et de décisions qui structurent habituellement l’institution
risquent d’être perturbés et donc d’influer sur l’organisation du travail au sein
des établissements. Gageons que le développement de l’accompagnement, s’il
s’impose comme une impérieuse nécessité en réponse à la demande sociale, ne
s’installera pas sans quelques bouleversements et une large réflexion sur ses
formes et sa légitimité.
2
Ardoino, 2000 Les avatars de l’éducation PUF 270p.
5