Revue de presse - Théâtre Montansier
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Revue de presse - Théâtre Montansier
Revue de presse Et jamais nous ne serons séparés Jon Fosse Marc Paquien Au Théâtre Montansier Mardi 19 et mercredi 20 novembre à 20h30 Durée : 1h40 Théâtre Montansier – 13 rue des Réservoirs – 78000 Versailles 01 39 20 16 00 www.theatremontansier.com ƒƒƒ Critique Dashiell Donello Elle : « J’ai tant de choses. J’ai mes objets, les meubles, les tableaux. Je suis présente dans quelque chose qui existe » D’abord c’est la nuit qui semble rire. Un rire ? Pas vraiment. Plutôt des larmes mêlées dans l’amer du rire. Une femme seule sur son canapé, attend son ami. Elle a préparé le repas et aéré le vin qu’il aime. La table est dressée de faïence et d’amour. Il y a les beaux verres qu’elle sort rarement. Elle est « Grande, et forte, et superbe». L’amant ne rentre pas. Pourtant elle lui parle ; comme s’il était devant elle. Elle s’approche de lui. L’entoure de ses bras. Puis s’impatiente : - Il faut qu’il vienne maintenant ! Il faut qu’il vienne ! La vie n’est-elle pas qu’attente ? Cette absolue nécessité de la venue de l’être aimé, serait-elle un leitmotiv qui conjurerait un silence trop pesant ? Une attente insupportable ? Son ami ne viendra pas. Elle le sait. Elle est intelligente et brillante. Il a disparu comme dans la mort ; mais elle, est présente dans quelque chose qui existe. Quelque chose qu’elle crée. Elle existe comme dans la vie. Une vie ordinaire qui espère combler le manque dans l’hallucination de l’ami disparu. Elle ne peut pas vivre et ne peut pas mourir. Est-elle délaissée, veuve ? Avec qui parle son amant dans l’entrée ? Est-ce avec une autre amante ? Est-ce avec la mort ? Le texte de Jon Fosse a un je ne sais quoi d’une philosophie animiste, où la vie serait comme un nénufar qui éclot dans un fjord de la mort. L’expression, « Comme dans la mort », de ce point de vue, renfermerait alors une autre résonance qu’on aurait tort de prendre au pied de la lettre. Car il n’est en rien certain que « lui » soit absolument mort. Il semble disparu, ou peut-être ailleurs tout simplement. Jon Fosse parait nous dire : cette disparition est mortelle pour « elle ». Car elle est dans l’impossibilité d’être seule. Il ne lui reste plus alors qu’à vivre avec « lui » en l’imaginant toujours présent. Par ce déni de disparition, elle se construit une preuve allégorique de l’existence de son ami. Elle peut in fine le tuer à jamais dans l’attente et la solitude. « Ce sont les acteurs qui créent les personnages » Jon Fosse Marc Paquien a su « disparaître » pour mieux nous montrer les parties latentes de cette pièce énigmatique. Sa mise en scène est réglée comme un long chant, où les couplets racontent le vide de la solitude, tandis que le refrain répète à l’envi le besoin de l’être absent. C’est magnifiquement orchestré. Les rythmes alternent avec les silences et les corps répètent le vu et le non-vu. L’épiphanie du personnage, par le jeu magistral de la fascinante Ludmila Mikaël, nous montre alors le dédoublement parallèle que crée le jeu d’acteur par l’action et la suggestion. Pour Jon Fosse les mots ne sont pas ce qu’il y a de plus important ; son théâtre fait lien avec l’acteur créateur de son écrit. On dit souvent que le grand théâtre nous rend différent de ce que l’on était en entrant. C’est ce que vous éprouverez dans « Et jamais nous ne serons séparés ». Les choix du Point.fr "Et jamais nous ne serons séparés" ou les intermittences du cœur Au théâtre de l'Œuvre, dans une mise en scène de Marc Paquien, Ludmila Mikaël donne à l'univers de Jon Fosse l'éclat mat et brillant du clair-obscur. Par GILLES COSTAZ Depuis une quinzaine d'années, le théâtre du Norvégien Jon Fosse a envahi les salles européennes de façon ouatée. Comme la brume avance et noie un paysage. Mais cette brume est éclairante. Les histoires que conte Fosse sont à la fois simples et énigmatiques. On comprend tout, mais l'on n'est sûr de rien. C'est un répertoire qui peut laisser perplexe et qui a intéressé en France les metteurs en scène attirés par l'insaisissable, le psychanalytique et l'indéfini. Claude Régy et Patrice Chéreau ont été certains des artistes qui, avec Jean-Claude Fall, René Loyon, Jacques Lassalle, ont tenté de projeter leur lumière sur ces œuvres en clair-obscur. Pas toujours avec bonheur, car Fosse lui-même n'est pas toujours assuré sur le fil où il s'avance. Parfois il en dit trop, parfois il n'en dit pas assez. C'est le risque de la parole déplacée jusqu'à la frontière du mutisme. Aujourd'hui, Marc Paquien, l'un des meilleurs metteurs en scène de la jeune génération - il a dirigé de façon mémorable Catherine Frot dans Oh les beaux jours de Beckett et il présente un autre spectacle dans cette rentrée, La Locandiera de Goldoni, avec André Marcon et Dominique Blanc, à l'Atelier -, monte la première pièce de Fosse, restée inédite jusque-là : Et jamais nous ne serons séparés. Quelle est la vérité ? Le titre, déjà, est un piège. Ce n'est pas un conte amoureux flamboyant et optimiste. C'est, au contraire, une pièce sur la séparation et l'éloignement, mais surtout sur le cheminement mental que provoquent l'attente et le refus de croire à la fin d'une aventure. Dans son salon, une femme espère la venue de son ami. "Il va venir", ditelle. Mais elle dit aussi le contraire : qu'il ne viendra pas. Avec la même assurance, elle accumule les contradictions : il sera là, il ne sera pas là ; c'est fini, cela ne fait que commencer. L'homme est là, tout à coup. Mais est-ce rêvé ou réel ? Il est entré seul, mais lui aussi va additionner les contradictions : il est seul, mais il va revenir avec une autre femme, et ce couple-là va avoir une existence aux gestes opposés, de l'étreinte à la froideur. Quelle est la vérité ? La femme ne cesse de croire, avec le même sourire, au pire et au meilleur, à la mort et à la continuité de son amour. Elle dit qu'elle adore attendre, qu'elle adore être seule, mais pour mieux se mentir à soi-même : intermittences du cœur et de la raison. Les scènes se recoupent comme dans un puzzle dont les pièces ne se joindraient pas tout à fait. Le spectateur est enclin à penser qu'elle a tout imaginé et que l'homme est parti avec l'autre femme. Mais en rester à cette seule version, la plus vraisemblable, serait renoncer à la polyvalence que l'auteur a mise en place. Ce théâtre de chambre est un théâtre de chambre noire : l'image se transforme sous l'effet du bain révélateur. Dans son écriture désespérée, il ne faut jamais négliger les portes qui mènent à l'espoir. CHRONIQUE LUDMILAMIKAËL:MODERNESOLITUDE… Amateurs de boulevard rigolo, passez votre chemin. Voilà une pièce d’un auteur norvégien fidèle à la réputation des Nordiques : grinçante et impitoyable. Un huis clos ironique et dépressif. Au centre de notre attention : la splendide Ludmila Mikaël qui assure comme un chef d’orchestre cette partition construite autour d’une rupture amoureuse. « Il » est parti avec une autre, elle ne s’en remet pas. Elle se « le » figure à ses côtés, elle « lui » dresse une jolie table avec un bon vin, comme « il » aime…. Elle rêve. Mais le voilà qui surgit « en vrai », maussade, boudeur, hésitant : c’est un Patrick Catalifo chiffonné, sensuel, attirant et détestable, insaisissable. Ludmila va nous tenir sur le fil incertain de sa survie avec une grâce qui nous subjugue. Dans la salle ce soir-là, pas une toux, pas un hoquet, pas un éternuement ! Le public est suspendu à son doux rayonnement et à son désespoir caché derrière l’humour. « Je suis grande, je suis belle, je suis intelligente… Très intelligente !… » qu’elle répète comme une litanie. Comme une arme pour surmonter la solitude, comme un passeport pour le chagrin. Ludmila n’est qu’attente, angoisse et fierté dressée sur les ergots de sa féminité. Cette actrice possède une fluidité, une capacité à dire les choses avec tout son corps : le flottement d’un regard, le frémissement de la main… Elle est grande, elle est belle, elle nous arrache le rire et les larmes en même temps. Jon Fosse est né en 1959, et l’on sent qu’il connaît cette génération de femmes « belles, intelligentes… », mais seules. Elles en crèvent mais elles sauvent les apparences de toutes leurs forces. Et y parviennent. Presque. Ludmila, c’est ce « presque » tout en nuances. Un don de soi qui ne la laisse pas intacte, avoue-t-elle à la fin, dans sa loge. Ludmila Mikaël exceptionnelle dans un texte difficile de Jon Fosse... Pour sa seconde rentrée à la tête de l'Œuvre, Frédéric Franck réaffirme sa différence avec la majorité des Théâtres Privés en proposant aux spectateurs parisiens une programmation exigeante, susceptible d'enrichir leur "temps de cerveau humain disponible" (comme disait un ancien dirigeant de chaîne tv), tout en offrant de grands et beaux moments d'émotion. C'est le cas avec "Et Jamais nous ne Serons Séparés", du norvégiens Jon Fosse. Un texte complexe et puissant sur l'absence, somptueusement porté par une Ludmila Mikaël bouleversante, dirigée avec une infinie délicatesse par Marc Paquien. Seule dans le salon dépouillé d'un appartement, une femme attend celui qu'elle aime. Très vite on devine qu'il ne viendra pas. L'a-t-il quittée ? Est-il mort ? On ne sait. Elle ne se résout pas, espère, a mis la table, a ouvert une bouteille de vin. Réalise un temps. Nie à nouveau l'évidence. Souffre de cette attente, de cette absence. Semble percevoir sa présence. Lui parle. Se remémore les moments passés à ses côtés. Se raccrochant aux quelques objets qui l'entourent, elle affirme être un lien entre l'amant disparu et sa réalité. Pour qu'il soit toujours là. Peu de mots, très peu, dans les œuvres de Jon Fosse. Beaucoup de répétitions. Enormément de silences. Son théâtre n'est pas explicite, laisse une marge de manœuvre conséquente aux metteurs en scène qui se doivent, pour nous parler, d'avoir une idée extrêmement précise de l'endroit où ils désirent nous emmener. Il demande à être incarné avec une sincérité absolue, profondément habité par ses interprètes. Pour faire court, c'est un théâtre qui ne supporte pas la médiocrité. Et dans cet exercice, nous l'évoquions plus haut, Ludmila Mikaël est plus qu'à la hauteur. L'actrice dévoile une sensibilité et une fragilité déchirantes, associées à un jeu d'une richesse et d'une évidence rare. Par sa bouche, ses regards, ses attitudes, ce texte de Fosse sur la solitude et la difficulté à vivre sans l'être aimé devient non pas limpide mais moins énigmatique. Elle nous entraîne dans les méandres de l'âme, du cœur du personnage avec une déconcertante facilité. Mille bravos. Une fois encore, Marc Paquien signe un travail remarquable. Rigoureux, sculptural, sans esbroufe, et prenant. Alors n'hésitez pas ! Avec aussi Patrick Catalifo et Agathe Dronne.