Marseille, années 40, Mary Jane Gold
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Marseille, années 40, Mary Jane Gold
Mary Jayne Gold, Marseille, année 40 Mary Jayne Gold retrace avec beaucoup de franchise sa vie de jeune Américaine fortunée et insouciante, venue faire des études en Europe, séjournant dans des palaces et des stations de ski à la mode, allant de cocktails en soirées, habillée haute couture, profitant de la vie, aimant se mêler aux autres. Elle se laisse surprendre par la guerre à Paris, connaît l’exode sur les routes encombrées de civils et de militaires fuyant l’invasion allemande. Elle se retrouve à Biarritz, mais la côte Atlantique est déjà occupée. Elle se révèle clairement pour la liberté, contre le fascisme et contre Pétain. Résignée à rentrer en Amérique, elle se rend à Marseille, pour obtenir les visas nécessaires auprès du consulat américain. À Marseille, ville sale, obscure et surpeuplée, où se terrent de nombreux réfugiés pourchassés, elle croise Miriam Davenport, une Américaine rencontrée à la Sorbonne, qui la présente à des légionnaires souhaitant poursuivre la lutte en Angleterre. Elle tombe amoureuse de l’un deux, un jeune déserteur, aventurier, surnommé Killer (parce qu’il massacre l’anglais), qui sera arrêté et emprisonné au fort SaintNicolas. Mary Jayne Gold essaie de l’en libérer avec l’aide d’un avocat. ©Editions Phebus Mary Jayne Gold Miriam Davenport la met au courant de l’action de Varian Fry, envoyé par l’Emergency Rescue Committee (ERC) à Marseille, à la mi-août 1940. Muni dune certaine somme en dollars et d’une liste de 200 personnalités en danger, il est chargé de mettre en place un plan de sauvetage. Fry reçoit dans son hôtel, pour les faire sortir par des moyens légaux ou non, ces personnalités, mais aussi des réfugiés antinazis, juifs ou non juifs, qui ne sont pas forcément sur la liste et se croyaient à l’abri en France. Il est aidé entre autres par le Berlinois Albert O. Hirschmann et l’Autrichien Bil Spira, spécialiste des faux papiers. Fry se méfie d’abord de Mary Jayne Gold, mais après l’avoir rencontrée, il la charge d’interroger les candidats au départ. Le « Centre américain de secours » (CAS), appellation moins compromettante que « sauvetage d’urgence », s’est installé chez un marchand de valises qui a dû abandonner son commerce à cause des lois raciales, 60 rue de Grignan. Servant aussi de messagère, Mary Jane Gold doit parfois faire patienter les réfugiés, comme les Werfel et les Feuchtwanger dont le projet d’évasion par bateau échoue. Elle décrit l’enlèvement du camp de Saint-Nicolas de Lion Feuchtwanger, déguisé en femme, mené à bien avec la complicité du vice-consul américain Harry Bingham. Vichy s’opposant au départ es personnes de nationalité allemande ou originaires d’un pays occupé, le visa de sortie est pratiquement impossible à obtenir : il faut passer clandestinement par les Pyrénées. Lion Feuchtwanger franchit la montagne avec sa femme Marta, pendant que Fry accompagne Franz Werfel, sa femme Alma Mahler-Gropius-Werfel, Heinrich Mann, sa femme et son neveu Golo à Cerbère. Pendant qu’ils s’efforcent d’escalader la montagne, Varian Fry, dont les papiers sont en règle, prend le train avec leurs dix-sept valises, sans susciter d’interrogation chez les douaniers, pour les rejoindre à Port-Bou. La filière « F » de Cerbère à Port-Bou, organisée par Lisa et Hans Fittko, des militants antinazis, pour rejoindre Lisbonne par Barcelone ou Madrid, est utilisée par Walter Benjamin. Poussé à bout, cardiaque, menacé d’être refoulé par les Espagnols, l’écrivain se suicide à Port-Bou le 26 septembre 1940 : « Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir ». Malade, clouée au lit dans sa chambre d’hôtel, Gold continue de recevoir des réfugiés, des syndicalistes, des apatrides, des juifs, des Tchèques et des républicains espagnols, ce qui lui vaut un signalement par la police des mœurs, qui la qualifie de « grande blonde au petit chien noir ». Son ami Daniel Bénédite lui envoie Jean Gemähling, qui plutôt que d’aller à Londres, va s’engager au CAS et faire parallèlement de la résistance. La commission Kundt visite les camps d’internement français en juillet-août 1940 pour établir une liste noire des ennemis du Reich que Pétain mettra à la disposition des nazis, selon l’article 19 de la convention d’armistice. Fry a un sentiment d’urgence. Les socialistes Breitscheid et Hilferding, qui ont trop confiance en Vichy et refusent de fuir clandestinement, sont arrêtés en 1941 par la police française et livrés à la Gestapo. Mary Jayne Gold remplit différentes missions, dont une auprès du commandant du camp du Vernet, à qui elle fait du charme pour permettre à quatre ressortissants allemands de se rendre à Marseille et d’obtenir leurs visas. Mais le capitaine du bateau a disparu avec l’argent et les quatre, repris, retournent au Vernet d’où ils réussiront à s’échapper peu après. Daniel Bénédite, qui travaillait au service des étrangers de la préfecture à Paris, débarque à Marseille avec sa femme Théo et leur jeune fils Peterkin, pour travailler avec Fry qui l’engagera malgré son passé dans la police. Mary Jayne, Miriam et Jean s’installent avec les Bénédite dans la villa Air-Bel, sur la route d’Aubagne. Fry, qui selon Miriam a besoin de calme, les y rejoint, ainsi que d’autres qui attendent des papiers, un visa ou un affidavit (une recommandation d’un parrain américain). André Breton y séjourne en compagnie de sa femme Jacqueline Lamba, rejoints par l’antistalinien Victor Serge. La présence d’André Breton fera du « château » un lieu de réunion des surréalistes. Gold se souvient de Max Ernst, Oscar Dominguez, Victor Brauner, Wifredo Lam, Jean Malaquais, André Masson, Jacques Hérold, Sylvain Itkine, René Char, Benjamin Péret… Elle joue avec eux à différents jeux en vogue chez les surréalistes, comme le « cadavre exquis ». La venue du maréchal Pétain à Marseille, du 2 au 5 décembre 1940, leur vaut une descente de police à la villa « Espère-Visa », comme l’a surnommée Victor Serge. C’est le moment que choisit Killer pour réapparaître, armé d’un pistolet et habillé en légionnaire, avec une valise pleine de mandats volés qu’il réussit à dissimuler sous un tableau qu’il dit « complètement dingue » – un Chagall. Tout le monde est embarqué à bord du Sinaïa. La police, sur les dents, a arrêté et enfermé 20 000 personnes par mesure préventive, dans des prisons, mais aussi des casernes, des bateaux et des salles de cinéma : le Sinaïa fait partie de ces lieux de détention improvisés. Killer alerte le vice-consul américain Harry Bingham, qui montera à bord pour rendre visite à ses compatriotes. Ils sont libérés après la visite de Pétain. La situation se durcit début 1941. Parmi les intellectuels de la villa, seul Victor Serge soutient Killer, qui trempe dans des affaires louches et multiplie les incidents. Fry va demander à Mary Jayne de quitter la villa pour ne pas mettre en danger le travail du Comité. Elle va loger avec Killer dans une maison close. Victor Serge devra à son tour quitter la villa à cause de ses idées jugées trop à gauche par les donateurs américains. Sous l’influence d’un bandit, Killer vole les bijoux de Mary Jayne, à qui il expliquera ne pas supporter « qu’elle donne tout cet argent aux réfugiés ». Comme dans un film policier, ils sont menacés tous les deux par la pègre marseillaise. Enfin, Mary Jayne, aidée par Charles Wolff, réussit à trouver un républicain espagnol pour faire passer les Pyrénées à Killer : après un séjour dans le camp de Miranda, ce dernier rejoindra l’Angleterre, où il sera récompensé pour son courage. On pense au film Casablanca de Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Dans son récit, Mary Jayne Gold rend sympathique son « deux-fois-déserteur ». Elle a conscience d’avoir sauvé un jeune délinquant et lui a permis de devenir un héros. Mary Jayne repart alors vers les États-Unis, via Lisbonne, munie de messages secrets cachés dans des tubes de dentifrice. Elle mène alors la lutte pour l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Allemagne. Mais l’Emergency Rescue Committee et les autorités américaines, hostiles au sauvetage de personnes qui ne sont pas des « personnalités importantes ou utiles », obtiennent de Vichy l’expulsion de France de Varian Fry, dont le passeport n'a pas été renouvelé, pour « non respect » des limites de ses instructions. Il sera escorté jusqu’à la frontière espagnole par des policiers et ses amis. Rentré aux États-Unis, il tente d’attirer l’attention sur le massacre des Juifs en publiant des articles dans la presse – sans toutefois rencontrer d’écho véritable. Jean Gemähling, qui organise parallèlement des filières d’évasion pour les soldats anglais, devient responsable du CAS avec Charles Wolff et Daniel Bénédite. Ils continuent le combat en fournissant des planques, des faux papiers et de l’argent aux réfugiés. Certains y laisseront la vie. Mary Jayne Gold a mis au service de réfugiés ne figurant pas sur la liste Fry, de grosses sommes d’argent qu'elle a changées au noir, permettant la constitution d’« une liste de Gold », comme le souligne Pierre Sauvage dans la postface. GOLD Mary Jayne, Marseille, années 40, préface d’Edmonde Charles-Roux, postface de Pierre Sauvage, traduction d’Alice Seelow, Paris, Phébus libretto, 2001, 475 p. ADORNO Theodor W., BENJAMIN Walter, Correspondance 1928-1940, Folio essais, 2006, 412 p. BADIA Gilbert, Exilés en France. Souvenirs d’antifascistes allemands émigrés (1933-1945), Paris, François Maspero, 1982, 330 p. BENEDITE Daniel, un extrait du livre de Daniel Bénédite, La filière marseillaise, éd. Clancier-Guénaud, 1984, 351 p., sur « Le Centre américain de secours après le départ de Varian Fry », revue Agone, 38-39, 2008 : http://revueagone.revues.org/225 FEUCHTWANGER Lion, Le Diable en France, Paris, Belfond 2010, 312 p. et Der Teufel in Frankreich, postface de Marta Feuchtwanger, Munich/Vienne, Langen-Müller, 1983, 268 p. Le livre complet en anglais : http://sait.usc.edu/orientation/media/Publications/DevilinFranceLibrary.pdf FITTKO Lisa, Le Chemin des Pyrénées, Paris, Maren Sell et Cie, 1985, 314 p. FONTAINE André, Un camp de concentration à Aix-en-Provence ? Le camp d’étrangers des Milles, 1939-1943, Cahors, Edisud, 1989, 245 p. FRY Varian, « Livrer sur demande... ». Quand les artistes, les dissidents et les Juifs fuyaient les nazis (Marseille, 1940-1941), nouvelle édition revue et augmentée de La Liste noire, Éditions Agone, Marseille, 2008, 356 p. GRANDJONC Jacques et GRUNDTNER Theresia (dir.), Zone d’ombres, 1933-1944. Exil et internement d’Allemands et d’Autrichiens dans le sud-est de la France, Aix-en-Provence, Alinéa, 1990, 474 p. Varian Fry, Marseille 1940-1941 et les artistes candidats à l’exil, catalogue de l’exposition à la Halle Saint-Pierre, 2008, éd. la Halle Saint-Pierre, Paris, 2007, 250 p. CR Nicole Mullier, mai 2011