Entrepôts Dubonnet à Sète avec images
Transcription
Entrepôts Dubonnet à Sète avec images
34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 1 Entrepôts Dubonnet à Sète 52 et 54, quai des Moulins Parcelle AE 47 Une demande de permis de démolir a été déposée par la S.A. Chais des Moulins, portant sur les hangars dits actuellement Agro-Canet et situés aux numéros 52 et 54, quai des Moulins à Sète. Le 24 avril 2007, un avis défavorable a été transmis par l’architecte des bâtiments de France au pétitionnaire, car les bâtiments constituent un élément remarquable du patrimoine architectural sétois du premier quart du XXe siècle. A la suite de cet avis, une visite des lieux a été organisée le matin du 19 juillet 2007 pour reconnaître la qualité des ouvrages concernés. Description. L’ensemble industriel s’aligne le long du quai des Moulins, il se trouve ainsi desservi, au sud par le quai et par le canal et, au nord, par le chemin de fer. Depuis le quai des Moulins, on y accède par un grand portail s’ouvrant sur une vaste cour dont le sol est entièrement pavé de briques de grès cérame jaunes fabriquées à l’usine de Castries (Hérault). Cet espace permettait l’accueil des véhicules de livraison. A la fin des années 1950, le portail initial a été transformé avec l’évolution du gabarit des camions entrant ou sortant des entrepôts. © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 2 L’architecte a donné à cette cour un tracé axial fort, dotant ainsi une certaine dignité à un établissement industriel dès l’entrée franchie. Le fond de la cour, face à l’entrée principale, est clos par un haut mur conservant encore des éléments de son décor d’origine, affirmant la composition ordonnée de l’espace d’accès. Ce mur est percé d’un portail donnant sur l’arrière de la parcelle. Les installations se répartissent de chaque côté de la cour avec une volonté nette de les orner d’un décor homogène même si la succession des façades, d’un côté par rapport à l’autre, n’est pas symétrique. Sur le côté ouest, se trouvent une série de quatre hangars identiques, d’une ampleur considérable, disposés parallèlement au quai, abritant de longs alignements de cuves en béton armé destinés à recevoir les vins entrant dans la confection des apéritifs. De l’autre côté, vers l’est en entrant dans la cour, se trouvent d’abord un petit corps de bâtiment se donnant l’allure d’une habitation puis une halle de grandes dimensions. © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 3 Le premier corps de bâtiment possède deux niveaux : un laboratoire (pour l’analyse des moûts et la préparation des apéritifs) ainsi que des bureaux au rezde-chaussée et des logements de fonction à l’étage1. La grande halle, édifiée sur un plan carré, est couverte d’une charpente métallique rivetée, éclairée par un immense lanterneau zénithal lui aussi de plan carré. L’organisation intérieure de la halle est de plan centré avec deux grandes allées perpendiculaires se croisant et partageant l’espace en quatre quartiers, et une allée périphérique dessert des alignements de cuves sur chacun de part et d’autre de celle-ci. Là se situe le cœur des aménagements industriels. D’après les plaques émaillées fixées sur certaines cuves, la construction de celles-ci a été confiée aux établissements Sainrapt & Brice2, spécialisés dans les ciments armés et les « cuves verrées », dont le siège se trouvait 3, place Paul Verlaine à Paris (13e arrondissement). Dans la partie orientale de la parcelle, quatre rangs de hangars bâtis perpendiculairement au quai servaient eux aussi d’entrepôts (ils n’ont pas été 1 Mentionnés dans un courrier de l’architecte René Carlier daté de 1958. La société Sainrapt et Brice naît en deux temps. En 1852, Michel Sainrapt crée une entreprise spécialisée dans les travaux de consolidation et de fondations spéciales. A sa mort, sa belle-fille lui succède et s’associe à un jeune ingénieur recruté par Michel Sainrapt, Alexis Brice, pour donner naissance à Sainrapt et Brice, en 1901. Tout en préservant son caractère familial, la société connaît une forte croissance, grâce notamment à une bonne utilisation du béton armé. Pendant le second conflit mondial, la société Sainrapt et Brice fait le choix de la collaboration : à la Libération Louis-Pierre Brice, héritier d’Alexis Brice et président pendant les faits, est suspendu de ses fonctions pour quelques années. L’entreprise obtient cependant le droit de poursuivre son activité. Elle s’oriente avec succès vers l’outre-mer. Et c’est en Afrique qu’elle vit ses heures de gloire, grâce à une entreprise connue sous le nom de Satom. Cette filiale se développe considérablement, en Afrique et aux Antilles, alors que la maison-mère Sainrapt et Brice traverse une profonde récession. Reprise par le groupe Devars-Naudo, Sainrapt et Brice fusionne en 1981 avec la SGE. 2 © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 4 visités, cependant, grâce à la vue aérienne, on observe que celui situé à l’extrémité orientale est moins long que les trois premiers). Enfin, en fond de parcelle et sur l’arrière de la halle et des hangars orientaux, des locaux ont été apparemment aménagés plus tardivement. L’un d’eux abrite une chaudière tubulaire dont l’usage reste à préciser par une recherche dans les archives de la société Dubonnet (si elles sont conservées). En attendant, on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agissait d’un dispositif destiné à activer les pompes de transfert des liquides d’une cuve à l’autre. Décor Le décor est assez abondant pour un édifice à usage industriel. L’effort est d’abord porté dès l’entrée en se concentrant sur les deux murs de clôture de la cour : sur celui de l’entrée avec ses piliers à amortissement, ses portes latérales, la ferronnerie du portail (aujourd’hui disparu mais connu par un bleu des archives de l’agence Carlier) et sur le mur du fond de la cour et son portail, le tout traité de manière symétrique. L’architecte joue sur les contrastes qu’offre les différents matériaux utilisés sur les façades : encadrement de baies et chaînages en pierre de taille de calcaire coquillé, assises de briques rouges soulignant les cordons de pierre et enduit à la tyrolienne. La rive des toitures est ornée de planches de bois découpées formant par endroits des lambrequins, des antéfixes ou des acrotères. Le lanterneau de la halle est couronné par un épi de faîtage en zinc avec girouette. Les pignons des hangars et autres bâtiments sont l’objet d’une attention particulière et là aussi se concentre l’effort décoratif, avec un motif scalaire liant les importantes consoles qui supportent les pannes des toitures. Cet artifice constructif permet l’avancée d’un important débord en avant du pignon qui recouvre et masque en partie une génoise réduite à un simple rôle décoratif. Construction et attribution D’après la date portée sur la partie centrale de l’édifice (murs de la halle), les entrepôts Dubonnet furent construits en 1924 par l’agence Carlier. L’attribution à cette agence d’architecture montpelliéraine est attestée grâce à différentes sources : © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 5 - D’abord la publication de l’Edari consacré à l’agence qui présente une vue intérieure de la halle centrale montrant les cuves et une partie du lanterneau. Ce recueil fait état des réalisations de l’agence depuis sa fondation par Léopold Carlier (1839+1922) en 1870 jusqu’à 1930, date d’édition de cet opuscule (Carlier : Travaux d'Architecture 1870-1930. - Strasbourg : Edari, 1930). - Ensuite par un dossier trouvé dans les archives de l’agence qui confirme cette attribution. Il concerne les travaux confiés à René Carlier (1899+1985), fils de Louis et petit-fils de Léopold, lui aussi architecte : l’aménagement de logements pour deux employés de la compagnie en 1958 ; l’agrandissement du portail d’entrée pour lequel René Carlier rédige un devis le 27 mars 1959 et enfin la réalisation de peintures publicitaires sur les murs des entrepôts au cours de l’année 1960. Ces peintures publicitaires devaient être réalisées sur les murs de clôture des entrepôts et mentionnent les noms de la Compagnie Dubonnet Cinzano (la « C.D.C » fondée en 1954) mais aussi la marque Byrrh que la C.D.C. vient juste d’annexer au tout début de cette année-là. © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 6 L’intérêt des projets de René Carlier, réside surtout dans leur support. En effet, l’architecte utilise des bleus tirés du calque du projet original de l’élévation vue depuis le quai des Moulins. D’ailleurs on retrouve sur ces bleus le même cartouche avec une date portée sur les bâtiments mais au lieu de 1924, figure la date 1923, année de l’élaboration du projet de construction des entrepôts3. Le bâtiment est donc bien daté et doit donc être attribué à l’architecte Louis Carlier (1872+1956), le fils de Léopold. Cependant l’empreinte du fondateur de l’agence reste bien présente dans la réalisation et surtout dans l’esthétique des bâtiments. La distribution des locaux semble répondre à un besoin de rationalité dans le stockage et l’élaboration des vins et apéritifs, mais le vocabulaire décoratif est celui d’un éclectisme particulièrement démodé au cours des années 1920. Léopold est mort un an avant l’élaboration du projet, en 1922, mais celui-ci était resté attaché tout au long de sa carrière à ce qu’il a sa formation à l’École des Beaux-Arts dont il sort diplômé en 1870. Quant à Louis, dès l’obtention de son diplôme en 1898, et certainement bien avant, il collabore dans l’agence familiale et travaille donc longtemps sous la direction de son père. Il faut attendre la disparition de ce dernier pour voir émerger dans ses réalisations un esprit un peu plus moderne. Il demeure, pendant tout le début de sa carrière, assujetti à l’autorité paternelle. Dès la fin de ses études l’influence de Léopold sur Louis se fait nettement sentir : on en veut pour preuve le sujet de son diplôme : un grand magasin, au moment même où son père construit les Nouvelles Galeries de Montpellier. Le diplôme de Louis reprend à s’y méprendre des morceaux entiers de l’édifice montpelliérain4. 3 Sur le document le nom de la ville est orthographié « Cette ». Le calque est donc antérieur au décret du 20 janvier 1928. 4 Les diplômes d’architecte en France ; projets d’architecture des élèves de l’École Nationale des Beaux-Arts ayant obtenu le titre de : Diplôme d’architecte. Ateliers de M. Bernier, Blondel, Daumet, Deglane, Gerhardt, © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13 34 SÈTE Chais Entrepôts Dubonnet 52 et 54, quai des Moulins 7 Du point de vue de la réalisation architecturale, les entrepôts Dubonnet font appel à une technique qui commence à être un peu vieillotte dans les années 20. En effet, il s’agit d’une charpente métallique et certainement une des plus tardives de ce genre dans la région. La plus ancienne étant celle de la halle Castellane à Montpellier construite en 1869 par l’architecte Jean Cassan pour la réalisation de laquelle Baltard fut consulté. De son côté, Léopold Carlier connaissait très bien la technique de la construction métallique qu’il utilise dans plusieurs bâtiments privés et surtout dans la réalisation des grands espaces couverts : on lui doit notamment la halle de Béziers édifiée entre 1889 et 1891, celle d’Avignon édifiée entre 1897 et 1899 (avec le constructeur marseillais Gabelle, aujourd’hui disparue) et celle de Narbonne en 1901. A l’évidence, pour le chantier de Sète Louis Carlier a utilisé les compétences et les expériences de l’agence familiale. Quant, en 1930, est publié le recueil des principales œuvres de l’agence par Edari, les Carlier semblent conscients du caractère démodé de la construction sétoise, six ans seulement après sont achèvement, si bien que c’est une vue des intérieurs avec les cuves de béton qu’ils donnent et non des extérieurs pourtant plus spectaculaires. Une arrière-pensée commerciale de leur part n’est tout de même pas à écarter : le marché de la construction de caves est en pleine croissance à ce moment-là et c’est ça, les cuves, qu’il faut montrer aux éventuels clients. En tous les cas, dans les années qui suivent, Louis Carlier abandonnent totalement cette esthétique surannée pour des réalisations plus modernes influencées par le mouvement Art Déco, nettement plus en phase avec le goût du temps. Il est alors probablement encouragé dans ce sens par son fils René, jeune diplômé en 1929. Sète et le négoce des vins et spiritueux Dès sa création le port languedocien devient le lieu de transit du négoce des vins et spiritueux des régions méridionales vers l’étranger. Essentiellement fondé sur des capitaux régionaux et plus particulièrement montpelliérains, le port se développe considérablement au XIXe siècle grâce au commerce du bois, du soufre, du fer, des céréales et surtout du vin, si bien qu’alors Sète devient le premier port de tonnellerie au monde. De nos jours encore, les vins restent pour la ville un important objet de commerce, tant à l'import qu’à l’export. Les bâtiments présentent dans leur ensemble un intérêt indéniable à plusieurs titres : d’abord ils constituent un témoignage important de l’histoire économique de Sète. En 1930, les cuves avaient déjà une énorme capacité de 250 000 hectolitres. Ensuite, ils sont un l’œuvre d’une agence montpelliéraine qui a travaillé dans tout le Midi de la France, de Pau à Gap en passant par Perpignan, Narbonne, Béziers, Avignon, Miramas, Le Vigan, etc, et même en Afrique du Nord, essentielle pour qui s’intéresse à l’histoire architecturale de la région. Mais la difficulté résidera dans la réutilisation de tels bâtiments encombrés de gigantesques cuves de béton armées qui font cependant partie de l’ensemble architectural. Genin, Guadet, Laloux, Lambert, Mauyaux, Pascal, Paulin, Raulin, Redon, Scellier de Gisors.- Paris : A. Guerinet, éditeur des Musées nationaux, s.d., planches 163 à 167. René fera de même avec son diplôme présenté en 1929. Le sujet est un collège d’Afrique du nord, or Léopold et Louis avaient construit en 1909 le collège de jeunes filles de Bône (Algérie) et le diplôme de René présente des similitudes troublantes avec l’ancienne réalisation de l’agence familiale. © Région Languedoc Roussillon, Inventaire Général du Patrimoine Culturel. Document rédigé par Jean-Louis Vayssettes. État du 13/12/13