Comment l`accès à la justice aide à réduire la pauvreté

Transcription

Comment l`accès à la justice aide à réduire la pauvreté
Note d’accompagnement
de la Conférence
d’Avocats Sans Frontières
COMMENT L’ACCÈS À LA JUSTICE
AIDE À RÉDUIRE LA PAUVRETÉ
« Le développement
doit être appréhendé comme
un processus d’expansion
des libertés réelles
dont jouissent les individus »
Amartya Sen
Prix Nobel d’économie
Development as Freedom
Introduction
A deux années du terme donné pour la réalisation des Objectifs Millénaires du Développement
(OMD), Avocats Sans Frontières prend l’initiative de mettre en évidence le potentiel de
l’interaction entre accès à la justice et lutte contre l’extrême pauvreté.
Le 22 mai 2013, Avocats Sans Frontières organise à Bruxelles une conférence intitulée
Comment l’accès à la justice aide à réduire la pauvreté. Cette initiative vise à contribuer
activement à l’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles approches de développement dans
le contexte post-OMD, où l’accès à la justice est un vecteur de lutte contre la pauvreté.
La parole sera donnée à toutes les parties concernées : acteurs de terrain, bailleurs de fonds
de l’aide internationale, Etats et rapporteurs des Nations Unies. Cette conférence sera
l’occasion pour ces intervenants d’horizons différents (approche basée sur les droits humains,
développement économique, gouvernance et Etat de droit) d’échanger sur la manière
d’améliorer les initiatives en matière d’accès à la justice en intégrant cet enjeu dans les
stratégies de réduction de la pauvreté.
Cet évènement s’inscrit dans le prolongement des objectifs programmatiques d’ASF :
permettre aux plus marginalisés de réaliser l’ensemble de leurs droits, en utilisant leur droit à
l’accès à la justice ainsi que tous les mécanismes juridiques et judiciaires disponibles.
L’accès à la justice est un droit humain. Ce droit comprend l’ensemble des processus et
mécanismes qui assurent la mise en œuvre de ce droit, afin de donner une réponse fondée sur
le droit à une situation problématique (violation des droits humains), qu'elle soit individuelle ou
collective.
Mise en contexte
« La pauvreté, qui sévit incontrôlée depuis trop longtemps, est liée aux troubles sociaux et aux
dangers qui menacent la paix et la sécurité », déclarait M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de
l'ONU lors de la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté, le 17 octobre 2012.
La majeure partie des populations civiles de pays sortant de conflits meurtriers ou de
révolutions politiques souffrent le plus souvent, à la fois, de violations massives de leurs droits
humains, d’une absence de sécurité, et de la pauvreté la plus extrême.
Dans ces contextes, la pauvreté peut être considérée davantage comme le symptôme d’une
situation structurelle liée à la privation de droits humains ainsi qu'à un contrôle insuffisant des
populations sur les choix de politiques publiques, que comme une situation causée uniquement
par des facteurs tels que l’absence de ressources naturelles disponibles ou des contraintes
d'ordre macro-économique.
Si la réalité du lien étroit entre l’extrême pauvreté et ces différentes formes de violences aussi
bien physiques que structurelles1 n’est pas discutable, il est plus que jamais nécessaire de
mettre en œuvre des politiques d’aide et de développement innovantes.
La relation entre la construction de l’Etat de droit - qui renforce la paix et la sécurité- d’une
part, et le combat contre l’extrême pauvreté, d’autre part, est particulièrement pertinente dans
des contextes dits fragiles.
Alors que 2013 célèbre la 20ème Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté,
Avocats Sans Frontières constate que l’accès à une justice indépendante, impartiale et de
qualité - composante de l’Etat de droit - reste un défi majeur pour les justiciables les plus
marginalisés.
Par ailleurs, l’enjeu de l’accès à la justice est, à ce jour, encore trop peu présent à l’agenda du
panel de haut-niveau des Nations Unies chargé de définir l'agenda de développement pour la
période après 2015, date-butoir pour réaliser les OMD, et des groupes de travail créés à cette
occasion2.
Lors de la conférence d’Avocats Sans Frontières, l’enjeu accès à la justice – lutte contre la
pauvreté sera abordé sous les angles suivants :

Intégrer l’égal accès de tous à la justice dans les stratégies de lutte contre la pauvreté
présente une véritable opportunité de développement pour les groupes de populations
socialement et économiquement les plus marginalisés. Comment s’engager
davantage dans la lutte contre la pauvreté à travers des stratégies innovantes
de renforcement de l’accès à la justice ?

L’accès à la justice doit être considéré comme un levier essentiel au service des
justiciables ou de ceux qui ont besoin d’une aide pour faire valoir leurs droits, afin de
conduire les Etats à rendre compte de leurs obligations à leurs égards et de donner la
priorité à la mise en œuvre de politiques de lutte contre la pauvreté non
discriminatoires et durables. Comment répondre aux défis politiques,
organisationnels et financiers que rencontrent la plupart des pays en voie de
1
Notamment à l’égard des femmes. Cfr. Rapporteur spécial chargé de la question de la violence contre les femmes, y
compris ses causes et ses conséquences, Rashida Manjoo: “Multiple and Intersecting forms of discrimination and
violence against women”. http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/17session/A-HRC-17-26.pdf
2
Un groupe de travail sur la Gouvernance réunit l’OHCHR, UNDP et l’Allemagne.
http://www.worldwewant2015.org/governance
2
développement pour que la justice soit accessible à ceux qui en ont le plus
besoin ?

Dans un contexte mondial à crises multiples, l’engagement de toutes les parties
prenantes dans le développement de l’accès à la justice est mise à l’épreuve. Ceci
nécessite de nouvelles approches qui impliqueront le renforcement de la gouvernance
des Etats et de leurs institutions, ainsi que leur redevabilité (accountability).3 En outre,
comme l’indiquent plusieurs rapports de l’OCDE, même si le montant de l’aide a
globalement augmenté ces dernières années, la crise financière et économique a un
impact direct sur les politiques de développement et d’aide internationale. Comment
maintenir - voire augmenter - l’engagement des principaux acteurs dans le
secteur de l’accès à la justice comme outil de réduction de la pauvreté?
Développement
1. L’effet de l’accès à la justice sur la pauvreté
L’accès à la justice peut avoir un effet en termes de changement effectif des conditions de vie
des populations marginalisées.
Promouvoir la primauté de ce droit, et donc de l’Etat de droit, implique le renforcement de
l'accès à la justice pour tous, particulièrement ceux qui se trouvent en situation de
vulnérabilité.
De plus en plus d’observateurs témoignent que l’accès non discriminatoire à la justice est un
pilier essentiel de développement et de lutte contre la pauvreté, en ce qu’il conduit à la mise
en œuvre effective des autres droits humains. Mais en l’absence de transparence et de
redevabilité (« accountability ») des institutions étatiques et de possibilités de participation des
justiciables, ces derniers sont privés de ce droit. Ils sont davantage fragilisés dans l’accès à
leurs autres droits humains et risquent ainsi d’être maintenus en situation d’extrême pauvreté.
A ce titre, l'absence d’accès à la justice devient un facteur aggravant de pauvreté dans laquelle
vivent les populations les plus marginalisées: l'exclusion juridique s'ajoute à l'exclusion
économique, et rend celle-ci plus difficile encore à combattre.
Cette double exclusion frappe plus particulièrement les femmes, qui subissent souvent des
formes diverses de discrimination. Celles-ci voient leur accès aux droits et à la justice limités,
ce qui fragilise davantage leur situation socio-économique.
A l'inverse, le renforcement de l’accès à la justice peut être un outil essentiel dans la lutte
contre des pratiques individuelles et collectives génératrices de pauvreté et d’insécurité ; en ce
sens, il est de nature à renforcer l'efficacité des politiques de réduction de la pauvreté.
2. L’impact des politiques publiques nationales sur l’accès à la justice
L’accès à la justice est une obligation de l’Etat. Dans la plupart des pays du Nord, cet accès est
globalement garanti par un système combinant conseils juridiques, assistance gratuite (Pro
Bono) et aide légale subventionnée par l’Etat.
Depuis 2008, le contexte de crise financière et économique a un impact direct sur
l’engagement budgétaire des Etats dans un certain nombre de secteurs de service public, y
3
Aid and beyond : mobilizing more resources for financing development
(http://www.friendsofeurope.org/Contentnavigation/Publications/Libraryoverview/tabid/1186/articleType/ArticleVie
w/articleId/3330/Aid-and-beyond-mobilizing-more-resources-for-financing-development.aspx)
3
compris celui de la justice dont l’accès à la justice pour les plus vulnérables est l’un des volets
essentiels.
Dans la plupart des contextes fragiles, mais aujourd’hui également dans des pays dits
« stables », l’Etat a des difficultés à s’engager dans la construction d’un système garantissant
l’accès à la justice pour tous. Trop souvent, la société civile (Barreaux et avocats,
organisations locales et internationales) assume seule cette responsabilité.
Or, l’absence d’engagement réel des Etats dans le développement de ce droit limite l'accès de
personnes vivant dans la pauvreté aux tribunaux et autres mécanismes de justice formelle.
Cette situation réduit d’autant leur capacité à réaliser leurs autres droits et à améliorer leurs
conditions de vie.
Comment mettre en place des mécanismes d’accès à la justice durables où l’Etat intervient au
côté des autres acteurs déjà actifs dans ce secteur ? Reconnaître le rôle central du droit dans
les processus de transformations sociale et politique implique la possibilité à l’ensemble des
justiciables d’y avoir accès et donc l’obligation pour l’Etat de le garantir.
Une question cruciale est au centre de la construction d’un Etat démocratique et de la bonne
gouvernance : comment rapprocher la population de l'institution judiciaire et restaurer la
confiance nécessaire à la construction d'un Etat de droit ? Le droit et, par voie de conséquence,
les institutions étatiques ne sont respectés que lorsque l’Etat n'est plus perçu comme un
facteur d'oppression, et s'acquitte de son obligation de protéger les citoyens les plus
marginalisés.
Les Etats devraient reconnaître que s’engager dans l’accès à la justice pour tous n’est pas
uniquement une obligation, mais également une opportunité de renforcer les droits humains et
de lutter contre la pauvreté.
3. L’accès à la justice dans les stratégies d’aide internationale
A deux années du terme fixé pour les OMD, il est nécessaire d’évaluer les stratégies de lutte
contre la pauvreté mises en œuvre, en particulier la place donnée au principe d’égalité dans
l’accès à la justice pour tous. A terme, toutes les parties prenantes doivent s’interroger sur les
stratégies et les moyens à mettre en œuvre dans le cadre des politiques internationales d’aide
et de développement pour amener les Etats à s’engager dans les processus de renforcement
de l’accès à la justice.
Les organisations qui promeuvent l’accès à la justice comme une composante de la lutte contre
la pauvreté s’inquiètent d’un désengagement de pays donateurs dans ce secteur. Ceux-ci
pourraient être tentés de faire de l’accès à la justice la « variable d’ajustement » de leurs
nouvelles politiques d’aide, alors que ce domaine ne représente qu’une portion mineure dans
les budgets actuellement alloués à l’aide au développement.
Ces inquiétudes relatives à la diminution de l’aide directe et à l’érosion consécutive de l’accès à
la justice dans les pays bénéficiaires doivent être comprises dans une perspective centrée sur
la réponse aux besoins des populations bénéficiaires de l’aide, en particulier des plus démunis.
Cette perspective justifie une révision des stratégies et des priorités, et la recherche des
approches les plus innovantes et les moins coûteuses en matière de politiques d’aide au
développement. Des bailleurs privés tels que les fondations ont aussi un rôle à jouer dans le
soutien aux programmes d’accès à la justice.
Les bailleurs internationaux sont invités à examiner les moyens disponibles pour amener les
Etats bénéficiaires à intégrer l’égal droit d’accès à la justice dans leurs stratégies nationales de
réduction de la pauvreté, à en faire une composante essentielle et non pas à « profiter » de
ces crises économiques pour se désengager de ce secteur.
Conclusion
4
Comment, ensemble – bailleurs de fonds, organisations de la société civile et Etats - faire de
l’égalité de tous face à l’accès à la justice une des nouvelles priorités pour la période post2015?
La réalisation de l’égal droit d’accès à une justice de qualité doit aujourd’hui être considérée
comme une des clefs de voûte des politiques de développement et d’aide internationale à
venir. Non seulement, ce droit participe de la construction de l’Etat de droit, mais il permet
d’inscrire durablement la question de la responsabilisation des Etats « bénéficiaires » dans les
politiques de réduction de la pauvreté et de transformation sociale au bénéfice des plus
vulnérables.
C’est à ce titre que la communauté internationale qui organise, avec ces pays bénéficiaires, les
stratégies de développement, doit prendre en compte et intégrer cette nouvelle composante
dans la lutte contre la pauvreté.
***
L’accès à la justice : au cœur de l’action d’Avocats Sans Frontières
Créée en 1992, Avocats Sans Frontières est devenue au fil des années une ONG
incontournable dans le développement de projets d’assistance dans le domaine de la
réalisation des droits humains, de l’accès à la justice et du soutien à l’Etat de droit dans des
pays en situation de post conflit et/ou développement, de l’Ouganda à la Tunisie, de la RD
Congo au Népal4.
L’objectif de rendre effectifs les droits humains pour tous est une des conditions essentielles
pour changer durablement la vie des plus vulnérables et des plus faibles. Pour Avocats Sans
Frontières, l’accès à la justice et à l’ensemble des droits humains est un instrument qui doit
accompagner toutes les stratégies de développement et de lutte contre la pauvreté et
l’insécurité.
Membre actif de la société civile, Avocats Sans Frontières invite toutes les parties prenantes ONG, fondations, Ministères concernés, Cours et tribunaux internationaux, Nations Unies,
bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, dont la Banque Mondiale et l’Union européenne à augmenter leur investissement dans ce double enjeu de l’accès à la justice et de la lutte
contre la pauvreté.
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Pour plus d’informations, visiter le site www.asf.be
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