La préparation du laiton par cémentation, à l`époque romaine

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La préparation du laiton par cémentation, à l`époque romaine
ARTS OU FEU ET PRODUCTIONS ARTISANALES
xxe Rencontres Internationales d'Archéologie et d'Histoire d'Antibes
Sous la direction de P. Pétrequin, P. Fluzin, J. Thiriot. P. Benoit
Éditions A POCA, Antibes, 2000
La préparation du laiton par cémentation,
à l'époque romaine
Armand DESBAT*, Éliane MEILLE", Maurice PICON'
RÉSUMÉ
Après avoir rappel é quelques notions générales sur la fabrication du laiton par cémentation, on présente de très grands creusets en terre réfractaire, découverts à Lyon. Autun et
Alésia, dont la capacité dépasse souvent 30 litre:;. T.eur datation va du milieu du l"r siècle de
notre ère, jusqu'au début elu Il". On expose les arguments qui prouvem qu' iJ s'agit bien de
creusets de cémenta tion destinés à la préparation du laiton, et l'on évoque les recherches qu'il
faudrait mener dans ce domaine peu connu de la métallurgie antique.
ABSTRACT
First some general notions about the manufacture of brass by cementation are recalled ;
then foUows a presentation of the ve1y big crucibles made of refractory clay, discovered at
Lyon, Autun and Alesia. They have a capacity ofren depassing 30 litres and date from the
middle of the 1'1 c. A.D. until the beginning of the nnù c. Arguments are given prooving their
idenrification as cementation crucibles, intended for the preparation of brass. Finally some
suggestions are exposee! for future resea rch wl'tich should he conducted in this hardly known
field of ancient metallurgy.
Le laiton, alliage de cuivre et de zinc, a été extrêmement prisé à l'époque
romaine, en Gaule notamment. Sa cou leur, jaune d 'or, est certainement pour beaucoup dans cet engouement. Il a servi à la fabrication de nombreux petits objets utilitaires ou décoratŒ'>, tels que fib ules, anneaux, pièces de harnachement, etc. Ces
objets ont été produits dans un grand nombre d'ateliers où l'on retrouve S()uvent des
• Maison de I'Orienr méditerranéen, laboratoire de céramologie, UPR 7524, 7, ru e Haulin, 69365
Lyon cedex 7, France.
f·.
.. ..... -
184
A . DESBAT, É. Mmu.E, M. PrcoN
débris de moules à la cire pe rdue, e l des cre usets. La quasi-absence de laiton parmi
les lingots e n métal cuivre:ux d'époque romaine suggère que. cet alliage pouvait ê tre
pré paré dans chaque atelier, e n vue d'une utilisation immé diate. Mais o n manquait
jusqu'ici de preuves sur l'existence de te lles pratiques.
Dans ces conditions l'ide ntificatio n récente de p lusie urs types de c re usets utilisés
pour la pré paration du laiton par cémentatio n représente un apport ce1tain pour la
connaissance de cet artisanat.
On rappe lle que le zinc était, sauf accident, un métal inconnu des métallurgistes,
à l'époque romaine (Craddock, 1995, p. 292-302). En effet, ce métal ne pouvait être
obtenu qu'à l'état de vapeurs, par suite de sa tempé rature d 'ébullition relativem e nt
basse, 907 °C, d'une part, et de la difficulté de la réduction de ses minerais par le
carbone, qui exigea it pratiquement des te mpé ratures supé rie ures à 900 °C, d 'autre
part. Une fois émises, ces vapeurs se transformaient aussitôt e n oxyde, au contact de
l'air.
Le procédé de fabrication du laiton par cémentation que no us décrivent les textes
des é poques mé diévale et mode rne, e t que confim1e nt de brèves allusions des
auteurs de l'Antiquité, consistait à produire des vape urs de zinc clans une e nceinte
fermée, à l'abri de l'air, afin que ces vapeurs réagissent sur des lames de c uivre qui y
avaie nt été placées. Il se formait alors un alliage de cuivre et de zinc, c'est-à-dire du
laiton.
L'opération avait lie u dans un creuset où les lames de cuivre étaient e ntourées
d'un mélange de charbon et de carbo nate (ou d 'oxyde) de zinc. Au-delà de 900 oc
la vapeur de zinc résultant de la ré duction de l'oxyde e nvahit le c reuset, mais la température elevait être portée a u voisinage de 1 050 °C, de te lle sorte que le laiton
formé puisse fondre e t se rassembler au fond , et que l'o n évite la fusion elu cuivre à
1 083 °C. Il s'agissait d 'une opération lo ngue de mandant de no mbre uses heures,
peut-être plus de dix .
La ré ussite de l'opération exigeait que toute circulation d'air à l'intérie ur du creuset fût re ndue impossible, afin d'évite r la transformation de la vapeur de zinc e n
oxyde. Ce résultat pouvait être obtenu en disposant une épaisse couche de charbon
sur la partie s upé rieure de la charge, ou e n scellant le c_re~1set.
On a souvent pris les cre use ts de cémentation pour des cre usets de fusion. La
distinction est re lativement facile lo rsqu'on a affaire à cette technique romaine normalisée, utilisant de grands récipie nts e n terre réfractaire, dont les premiers
exemples ont é té identifiés à Lyon, Autun e t Alés ia (fig. 1). Ces creusets, do nt la
capacité pe ut dé passer les 30 litres, ne sont pas très é loignés, par le urs dimensions ,
de ceux qui ont été employés jusqu'à l'a ube du x:rxc siècle, po ur la productio n du
laiton par cémentation. Actuellement, ces cre usets pe uve nt être datés du milie u du
I"'r siècle de notre è re, jusqu'au dé but du ne.
Leur identification comme cre uset de céme ntatio n repose s ur l'existènce, dans la
paroi elu creuset, d'une très forte réduction qui se traduit, comme c'est fréquemment
le cas pour les argiles réfracta ires kaolinitiques, par des teintes ble uâtres plus o u
moins marquées. Cette ré duction s'accompagne d'une fixation impo rtante de zinc
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LA I'RÉPI\I!ATION Oll I.AJTON PAH CÉ~H:N"fATION, i\ t'ÉPOQUE ROMAINIO
Fig. 1. Reconstitution de l'un des nombreux creusets de
cémentation (au moins 270 exemplaires) découverts à
Lyon-Vaise. dans des niveaux de la fin du 1°' siècle et du
début du 11°. On notera le bouchon en argile, modelé sur la
charge dont il conserve les traces. qui assure l'étanchéité
de l'ensemble. La cavité qui a été pratiquée en son milieu a
servi à refouler l'argile sous le rebord du creuset afin d'en
parfaire l'étanchéité.
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10 cm
dans l'épaisseur de la paroi, l'une et l'autre décroissant réguliè rement q uand on va
de l'inté rieur vers l'extérieur (fig. 2 et 3). Dans le cas des creusets de fusion, les fixations de zinc sont faibles et sans commune mesure avec celles des creusets de
cémentation.
Dans de tels creusets on pouvait fabriquer une quinzaine de kilogrammes de laiton à 25 % de zinc, si l'on admet que le rendement de l'opératio n était d'un quart, ce
qui revient à elire q ue le q uatt seulement du zinc apporté par le minerai se fixait sur
le cuivre. Chiffres assez arbitraires il est vrai, qu'il faudrait vérifier par l'expérimentation. Après usage, le creuset était brisé, afin de récupérer le culot de laiton qui s'y
était formé.
Il a dû exister, dans l'Empire romain, de très grands atelie rs de préparation elu
laiton destinés à la fabrication des monnaies : sesterces, dupondii et as (en pattie au
moins). On estime en effet que la masse de laiton inunobilisée par le monnayage
impérial, au début du uesiècle, pouvait atteindre 500 tonnes (Étienne, Racher, 1984),
ce qui s upposerait que plusie urs dizaines de milliers de ces grands creusets aient été
e mployés pour cette production. Même si l'on admet q u'une pareille masse n'a pas
été élaborée en un seul lieu, on aurait dû en retrouver des traces. Mais sa ns doute
ne les a-t-on pas reconnues.
A. OI':.~BAT, É. MEru.E. M. PrcoN
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Fig. 2. Pourcentages d'oxyde de zinc fixés dans la paroi de deux creusets de cémentation, 1et Il, de Lyon-Vaise. Ces
pourcentages ont étê mesurés sur des tranches qui ont été prélevées dans l'épaisseur de la paroi, parallèlement aux
surfaces intérieure et extérieure du creuset. La position des tranches et leur épaisseur sont reportées approximative·
ment sur l'axe des abscisses, les concentrations étant en ordonnées. Le zinc est principalement fixé sous forme d'aluminate ZnAI20 4 • le silicate Zn2Si04 n'apparaissant que pour des pourcentages de zinc élevés, supérieurs ici à 15% de
ZnO. Mais il est fréquemment présent sur la surface intérieure des creusets.
Les découvertes d'Autun (Charclron-Picault, Pernot, 1999 ; Charclron-Picault,
Picon, 1999) suggèrent que les at1isans qui fabri quaie nt les no mbreux petits objets
e n laiton de la vie courante ont dû employer le laiton qui était préparé clans ces
grands creusets en terre réfractaire, et peut-être l'était-il d 'ailleurs par des artisans
s pécialisés. Mais il est certain que des modes de préparation elu laiton ont existé,
autres que celui de ces grands creusets qui semblent répondre à une volonté de
standardisation dans la fabrication du laiton. On les retrouve en effet pratiquement
identiques à Lyon, Autun et Alésia, bien que les argiles utilisées, des kaolins, aient
des origines différentes. Or on sait à présent que des procédés, utilisant des creusets
beaucoup plus petits, avec d 'autres fom1es, ont également existé . Mais leur identification est plus difficile sans le secours du laboratoire .
r·.
LA
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I'RÉI'Aiv\TION OU lAITON l'AR CÉMENTATION, À L'ÉPOQUE ROMAINE
intérieur
extérieur
intérieur
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cristobalite
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Fig. 3. Phases cristallines observées dans l'épaisseur de la paroi des creusets 1et Il de la figu re 2, et leur évolution en
fonction de la distance aux surfaces intérieure et extérieure des creusets. Pour une même phase, les variations de la
largeur des traits horizontaux suivent approximativement les variations du pourcentage de cette même phase dans
l'épaisseur de la paroi.
Il reste donc un très important travail d'inve ntaire à réaliser, pour que la préparation du laiton dans l'Antiquité nous devienne familière, et que son développement
historique et géographique commence à nous être connu (car on peut s'interroger,
par exemple, sur le fonctionneme nt des ate liers qui aura ient pu se trouver très éloignés des zones d'exploitation minière). Cet inventaire devra concerner les formes de
production standardisées que l'on vient d'évoquer, er les installations qui leur sont
liées, sur lesquelles nous ignorons tout jusqu'ici. Mais il ne faudra pas négliger pour
autant les modes de préparation plus artisanaux que l'on commence seulement à
découvrir, qui doivent être très nombreux.
Bibliographie
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