Place des femmes dans la psychanalyse

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Place des femmes dans la psychanalyse
À propos de « La place des femmes dans la psychanalyse»
de Liliane Fainsilber, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1999.
Sera-t-il donné aux femmes d’assurer la survie et la transmission de la psychanalyse ?
Liliane Fainsilber interroge leur fonction – celle des analysantes surtout- dans la
découverte de l’Inconscient et l’élaboration de certains concepts fondamentaux tels que
le transfert, le refoulement et la forclusion.
Revisitant les théories freudienne et
lacanienne sur la sexualité féminine, elle emprunte à son tour « les difficiles chemins
de la féminité», 1pour dessiner les formes multiples des représentations de la femme et
de son sexe en psychanalyse.
De la signification du symptôme hystérique à l’interprétation du délire
paranoïaque, de la conversion à l’érotomanie, une femme fait symptôme, est elle-même
le symptôme d’une absence du féminin dans le champ du Symbolique. À travers une
écriture subjective (au féminin ?) et une construction de chapitres « en dentelles »,
Liliane Fainsilber effectue une retraversée des passions féminines qui relève à la fois
du mythe, du récit et du roman. Elle remet en scène des héroïnes ( malgré elles ?) qui
nous fascinent par leur désir de savoir ce qu’il en est de leur désir et de leur souffrance.
Dans cet ouvrage « de dame », se côtoient des déesses toutes-puissantes, des filles
sacrifiées, des mères incestueuses ou meurtrières, des amoureuses blessées, des
endeuillées du père, toutes portant leur désir vers l’absolu.
Autant d’ombres ici
convoquées, fortes de leur « dur désir de durer ». (Éluard) Désir d’exister, d’éterniser
une jouissance « par elle-même ignorée ». 2
Au fil de notre lecture de « La place des femmes dans la psychanalyse », nous
croisons Emmy von R, une veuve riche et chaste dont la sexualité s’égare dans la
conversion hystérique, Cécilia M., la créatrice de symboles qui, pour Freud, remonte
peut-être jusqu’aux sources du langage, Lucy, la gouvernante amoureuse de son
patron qui hume des odeurs insolites, Anna O., cette « belle endormie » qui fantasme la
mort de son père, Zoé Bertgang, ce personnage fictif qui sait guérir la folie par son
1
2
P. 10.
Pour paraphraser Freud qui perçoit dans « l’homme au rat », une « jouissance par lui-même ignorée ».
2
amour et Dora, secrètement amoureuse de madame K., qui « invente » le transfert. Et
plus loin, entre Freud et Jung, nous découvrons Sabina Speilrein, qui meurt d’amour
pour Jung, son analyste et qui écrit un texte inaugural sur le travail de la pulsion de
mort. Ces « théories » de femmes traversent des chapitres aux motifs variés comme
un défilée de signifiants du désir œdipien. Prises au rets de leurs identifications viriles,
elles ne pourraient accéder à leur féminité qu’`a condition de secouer les oripeaux du
père.
Pas à pas, sur les traces de ces femmes « pas toutes ». Liliane Fainsilber
ressuscite pour nous ces ombres féminines sacrifiées au désir de l’Autre ou sur l’autel
de la vertu : Antigone choisit la mort plutôt que de céder aux lois de la Cité, Iphigénie
accepte d’être immolée par son père, Jocaste se pend au nom d’une vérité dont elle ne
veut rien savoir, Io (Isis ) est transformée en vache pour avoir trop excité le désir du
maître de l’Olympe.
Le discours psychanalytique rejoint le mythique quand il met en scène des folles
d’amour telles Dolorès, l’érotomane, Aimée, la persécutée persécutrice qui nourrissant
un fantasme de sauvetage par un amant déifié capable de leur rendre leur intégrité
narcissique. Fantasme d’être aimée, sauvée que redoublent des désirs moins exaltants
de meurtre et de vengeance. Médée se venge de la trahison d’un époux en tuant ses
propres enfants, Électre poursuit sa mère de sa haine et de son désir de mort. Judith
tranche la tête d’Holopherne. Salomé fait couper celle de Jean-Baptiste Voilà qui
autorise des femmes à tuer, castrer, décapiter certains chefs un peu trop proéminents,
du moins dans leurs fantasmes !.
Rien de rassurant pour les hommes que cette galerie de portraits, mais combien
révélatrice des passions qui animent les femmes quand elles se mettent à désirer, à
aimer et haïr pour leur propre compte. Héloïse, amoureuse absolue ne se distingue
pas de ces folles amoureuses qui hantent notre imaginaire, elle aussi crie son amour
pour Abélard et, comme la Religieuse portugaise, écrit de magnifiques lettres de
détresse et de nostalgie. Jamais véritablement soumise, éternellement fidèle à son
amour perdu, elle reste l’archétype de l’amante idéale et pathétique.
Antigone et Anna Freud poursuivent le culte du père au-delà la mort. Plus que
des bâtons de vieillesse, elles sont les porte-parole du désir paternel, elles sont les
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héritières qui peuvent induire une orthodoxie paralysante de la pensée. À l’opposée
des vestales du père, Mélanie Klein, - Hélène Deutsch dans une moindre mesure, sonde les abîmes du maternel archaïque, pour dévoiler un lieu originaire autrement
menaçant que l’objet maternel œdipien. Tout un univers se déploie sous le regard
acéré de la « géniale tripière » 3(Klein ainsi nommée par Lacan)
Liliane Fainsilber met ces destins féminins en parallèle avec des fragments
d’analyse de Freud, de Lacan, de Klein, de Winnicott, de Tower, de Bouvet et de
Deutsch.
Progressivement, des thèmes en émergent.
Partant de la séduction
originaire par le père et du fantasme de castration dans ses rapports avec la formation
du symptôme hystérique, elle relève habilement certaines anticipations de Freud sur les
rapports entre langage et Inconscient. Ainsi dans la conversion par symbolisation,
l’hystérique ne se contente pas d’utiliser le langage, mais puisait possiblement à la
même source que lui pour « créer » du symptôme ( et traduire ainsi des pensées
inconscientes ). Mais quelles pourraient être ces sources du langage, demande l’auteur
?
La Chose sous les espèces de l’Autre préhistorique, l’Étrangère, celle qui vient
rompre le continuum primitif. L’Autre absolu que le sujet ne peut que haïr car il introduit
la différence et par-là à l’univers du langage et de l’ailleurs. La haine, la détestation, la
rage naissent en ce point de rupture de la fusion originaire mère/enfant.
Rien de
nouveau ici, sauf le repérage par Fainsilber d’un élément affectif qui annonce une des
conditions de résolution de l’œdipe féminin, à savoir ces passages obligés par la haine
du père œdipien ( cet « impensé » ), succédant au rejet originaire de la mère préœdipienne par la petite fille. Ces expériences de haine ouvriraient la voie à un
renoncement nécessaire au phallus ( être le phallus de l’autre maternel ) en faveur
d’une identification à l’idéal du Moi paternel qui marque la sortie de l’œdipe. C’est en ce
point que s’inscrit la normativation œdipienne de la fille vouée désormais à vouloir
l’enfant et/ou l’amour comme substitut phallique.
Leitmotiv bien connu : l’envie du pénis tracerait les voies vers la féminité et
marquerait de son empreinte la personnalité féminine et ses choix d’objets amoureux :
3
p. 123.
4
quête d’un objet aimé, d’un homme qui aurait pour mission salvatrice de restaurer le
narcissisme malmené des filles. Ce fantasme, cet appel au regard d’un homme qui la
magnifie, constitue, selon Liliane Fainsilber un appel à la métaphore du désir d’un
homme capable de prendre le relais de la métaphore paternelle. Il m’est plus difficile de
la suivre dans cette voie où un rôle essentiel est accordé au fait qu'un homme donne
son nom à une femme et lui permette de changer de lignée et d’accepter l’interdit de
l’inceste. Au Québec, une loi oblige les femmes à garder le nom de leur père toute leur
vie même quand elle se marie. Par ailleurs, les enfants prennent le nom du père,
quoique ce ne soit pas obligatoire quand les conjoints sont en union de fait. Mais audelà des lois et coutumes nationales, cette conception qui fait dépendre l’avènement de
la féminité du désir de l’homme me paraît suspecte car elle perpétue un discours qui
conçoit la sexualité féminine comme subordonnée, assujettie au désir de l’homme, tout
en lui donnant le sceau de la « norme » psychanalytique. D’autre part, l’analyse de
Liliane Fainsilber me paraît contredire une analyse structurale de la sexualité des deux
sexes en faisant retour par la bande à un déterminisme plus socioculturel que
symbolique et langagier. Sans doute, ne veut-elle pas dire qu'il suffit que ce désir
masculin existe effectivement ( et le don du nom de l’homme ), pour qu'une femme
advienne comme sujet désirant, ( mais cela n’est pas précisé ) encore faut-il que celleci ait les moyens psychiques de le reconnaître et la capacité de se situer par rapport à
ce même désir. Cette prise de position de l’auteur ne risque-t-elle pas d’enfermer les
femmes dans une quête du désir de l’homme plus aliénante que libératrice de leur
féminité ? Étant donné que le Nom-du-Père est un Signifiant pur, sans subjectivité, en
quoi la substitution du nom du mari au Nom-du-père peut-il permettre à la femme de
renoncer à son amour pour le père. Le premier est un signifiant nécessaire à
l’avènement de la métaphore paternelle dans la structuration du sujet, le second relève
du socio-juridique et de la coutume. Il y a là quelque chose qui m’échappe. Si tout est
langage, comme le dit Dolto, ne s’agit-il pas surtout de soutenir nos analysantes dans
leur difficile traversée de la métaphore paternelle, dans cette expérience de l’angoisse
que suscite l’apparition du sexuel dont le père est le paradigme.
Par ailleurs, il m’est arrivé de me demander si le propos de Liliane Fainsilber
était de traiter de la sexualité féminine ou de l’apport des femmes à la théorie
5
psychanalytique. Il m’a semblé que les deux perspectives se rejoignaient souvent.
Nonobstant ces réserves, « La place des femmes dans la psychanalyse » se lit comme
un roman et avec un plaisir qui croît avec l’usage.
Louise Grenier
Courriel : [email protected]