Passerelle du Queen Mary 2 24/10/07
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Passerelle du Queen Mary 2 24/10/07
Saint-Nazaire, le 24 octobre 2007 SAINT-NAZAIRE 15/11/2003 : chute d’une passerelle d’embarquement du Queen-Mary 2, 16 morts, 29 blessés. 23/10/2007 : après 4 ans d’enquêtes, fin de 2 semaines de procès, jugement attendu le 11 février 2008, le procureur (exprimant la volonté de l’Etat) réclame : • 3 ans de prison avec sursis pour chacun des 8 salariés mis en examen (4 Chantiers de l’Atlantique, 4 Endel), • une simple amende (d’un montant dérisoire de 225.000 € chacun) pour les entreprises Endel et Chantiers de l’Atlantique. Pourtant, les deux semaines de procès ont enfin permis de faire toute la lumière sur les causes et les circonstances de cette catastrophe qui n’avait rien de naturel et d’inévitable. De la passation de commande de la passerelle (début novembre), au retour d’essais-mer du Queen-Mary 2 (le 11 novembre en fin de journée), jusqu’à la chute de la passerelle (le 15 novembre en début d’après-midi), LE DÉROULEMENT DES FAITS EST PARTICULIEREMENT ÉLOQUENT : Un problème de propulsion contraint le navire à réintégrer le bassin C, non pas à flot comme initialement prévu mais à sec. Les 5 jours nécessaires pour dévaser le fond de cale entraînent la décision des Chantiers de ne pas monter une tour étayant en son milieu la passerelle. La commande d’une passerelle sans tour d’appui est passée à Endel. Endel improvise, en bricolant des bouts de plans, l’étude d’un schéma de passerelle supposée résister à une charge de 150 kg/m². En lieu et place d’une note de calcul rigoureuse, d’épures et de plans détaillés et cotés pour résister au minimum à 250 kg/m². Les Chantiers n’exigent ni note de calcul ni plan précis. Ils valident la proposition d’Endel. Le 10 novembre, de nuit, les échafaudeurs d’Endel, suivant les indications du schéma en leur possession (sans cote ni détail), effectuent le montage d’une passerelle sur le quai du bassin C. Le lendemain, en fin de journée, le Queen-Mary 2 est mis en cale sèche au bassin C. Ce jour férié, à nouveau de nuit, les échafaudeurs tentent d’installer cette 1ère passerelle. Celle-ci s’avérant trop courte, ils l’allongent d’1,5m pour atteindre les 15m nécessaires. Ils préviennent leur bureau d’étude qui estime que cette modification est sans conséquence. Le 12 novembre, avec déjà une journée de retard par rapport aux délais prévus, les Chantiers « réceptionnent » la passerelle. Les Chantiers s’aperçoivent alors qu’avec seulement 1m de large les bennes ne pourront pas passer. Ils demandent à Endel de la désinstaller et de la modifier une nouvelle fois pour atteindre les 1,5m de largeur conformes à la commande initiale. Les 2 jours suivants, la passerelle est reconstruite avec les bonnes dimensions et installée avec difficulté (problème de passage par la porte de bordé). Elle est mise en service le 14 au soir, avec 3 jours de retard, sans véritable réception. Le matin du 15 novembre, la passerelle est utilisée au même titre que d’autres coupées ouvertes. En début d’après-midi, 200 à 300 personnes doivent encore travailler sur le navire et plus de 1.000 visiteurs sont attendus. Alors qu’au minimum 2 accès à bord auraient dû être ouverts, un seul l’est et c’est un gardien qui doit choisir lequel (il choisit le plus proche du sas d’accès au quai). A 14h20, 22 visiteurs sont arrêtés sur la passerelle et laissent passer 25 travailleurs de la société de nettoyage MSNI. Sous la charge, la structure de la passerelle flambe, entraînant ses pieds vers le bord du quai. Les pieds atteignent le vide, l’extrémité de la passerelle bascule et se rabat contre le navire. L’autre extrémité de la passerelle reste accrochée quelques temps à la porte de bordé, puis son attache rompt. La passerelle bascule à nouveau, se retourne entièrement tout en chutant de 18m, jusque en fond de cale. Le déroulement de ces quelques jours montre bien - côté Endel comme côté Chantiers de l'Atlantique - dans quelles conditions d’urgence, de pagaille, d’approximation, de « c’est pas terrible, mais on n’a ni le choix ni le temps », cette passerelle a été commandée, conçue, réalisée et contrôlée. Reste alors à savoir pourquoi et comment de tels travaux, relevant de la sécurité collective, ont pu être réalisés dans de telles conditions. L’INCOMPÉTENCE ? L’incompétence et « l’erreur humaine » seraient pour certains l’explication toute trouvée : Un cadre des Chantiers chargé de la logistique-bord suit la mise en place de la passerelle sans se rendre compte, ni sur plan, ni une fois le montage effectué, des graves défauts qui l’affectent. Le responsable des études d’Endel improvise des calculs de résistance et un schéma de la passerelle. Le bureau d’étude Chantiers chargé de contrôler la proposition d’Endel n’y voit rien à redire. Le chef d’équipe Endel fait désinstaller à deux reprises la passerelle, pour « bricoler » un rallongement et un élargissement. Le superviseur Chantiers qui suit les travaux ne constate aucune anomalie. Le Service Sécurité des Chantiers n’intervient à aucun stade de la conception et de la réalisation de cette passerelle. Aucun de tous ces intervenants ne s’aperçoit de l’absence de contreventements qui rend cette passerelle dangereusement instable. En réalité, aussi bien aux Chantiers de l'Atlantique que chez Endel, les compétences de chacun, issues à la fois de la formation et de l’expérience professionnelle, sont réelles et sérieuses. Le vrai problème est la façon et dans quel objectif elles sont utilisées : • • • • • le responsable des études d’Endel (payé 1.200€/mois) est titulaire d’un BTS comptabilité avec seulement quelques jours de formation spécifique pour le travail qu’il effectue, le cadre Chantiers responsable des échafaudages à bord n’a aucune compétence technique particulière sur la résistance des matériaux des structures métalliques, les ingénieurs des bureaux d’étude des Chantiers et d’Endel qui ont cette compétence ne sont chargés ni de concevoir ni de contrôler les études nécessaires et leur réalisation, l’équipe de superviseur échafaudage du navire est insuffisante. L’un étant en congé durant ces journées, il n’y en a plus qu’un seul pour l’ensemble du navire, le Service Sécurité n’agit qu’à titre de conseil en matière de réglementation… Dans les entreprises, personne ne s’auto-proclame responsable de telle ou telle activité. Ce sont bien les directions d’Endel et des Chantiers de l’Atlantique (tellement « méticuleux » sur leur recrutement), qui ont embauché, qui ont confié un poste et qui ont procuré les moyens d’exercer leur travail à ces salariés. Et ce sont elles qui ont le devoir d’apporter les formations complémentaires et continues nécessaires. LE CONTRÔLE DU TRAVAIL RÉALISÉ Sur cette installation provisoire, essentielle pour la sécurité des travailleurs et des visiteurs, mais non destinée à être vendue à l’armateur, les contrôles réalisés par les Chantiers de l'Atlantique ont concerné le montant des devis et les délais de réalisation. Côté pratique, seule son « ergonomie » a été vérifiée (son positionnement et ses dimensions devaient permettre le passage de bennes). Pourtant, pour tout ce qui concerne directement le navire, des contrôles interviennent à chaque étape de sa conception et de sa construction pour vérifier la conformité à la commande, aux normes et aux règles de l’art. Ces contrôles sont réalisés par des équipes spécialisées des Chantiers, de l’armateur et d’un organisme certificateur indépendant. C’est le cas pour les calculs et les études, pour les plans, pour le positionnement et l’épaisseur des éléments de tôlerie, pour les soudures, pour la propulsion, pour la qualité de la tuyauterie, de la peinture, des emménagements… pour la sécurité générale des passagers. Mais pas pour une passerelle essentielle à la sécurité des travailleurs comme des visiteurs ! L’ATTITUDE DES DIRECTIONS D’ENDEL ET DES CHANTIERS Tout au long du procès, les patrons se sont renvoyés la balle, se déchargeant de leur responsabilité sur les salariés de l’autre entreprise. Chaque patron prend ainsi la posture de défenseur de ses propres salariés. Avec la garantie que côté Endel comme côté Chantiers, les patrons seront épargnés. Comme l’a souligné le procureur : « Scénario bien rodé » ! LES PATRONS ESCAMOTENT LEUR RESPONSABILITE Le dernier acte du scénario s’est déroulé le dernier jour du procès. Pour répondre aux justes critiques des victimes et de leurs proches sur l’indifférence (proche du mépris) qu’il a manifesté jusqu’alors, Patrick Boissier - PDG des Chantiers de l'Atlantique – a présenté des excuses. Puis, tout en continuant à : « contester formellement tout défaut d’organisation et de formation au sein des Chantiers de l'Atlantique », il a reconnu « des prises de décisions qui ont pu concourir à ce drame ». Excuses et reconnaissances bien formelles et tardives ! Car cela faisait plusieurs années que, relayant les demandes des salariés, la CGT dénonçait les décisions prises de faire l’économie de mesures élémentaires de sécurité telles que : recruter suffisamment et rémunérer convenablement, former et s’assurer des compétences, exercer en suffisance des contrôles, des études à la fabrication et jusqu’au montage. Ce manque de moyens a entraîné la dégradation des conditions de travail et de sécurité sur le site qui ont été régulièrement dénoncées, notamment au sein des CHSCT où les mises en garde concernant les structures échafaudées se sont multipliées à partir de 1999. Lorsque P.Boissier conteste tout défaut dans l’organisation du travail aux Chantiers, il omet de préciser que l’organisation du contrôle des échafaudages a grandement évolué (et heureusement) depuis l’accident : contrôles journaliers en interne et contrôles par sondages effectués par des organismes extérieurs, formation des techniciens Chantiers chargés du contrôle des plans des structures échafaudées, utilisation exclusive de coupées mécano-soudées, notes de calcul obligatoires pour les échafaudages spécifiques… Des mesures simples qui ne relèvent en aucun cas de la responsabilité des salariés, mais intégralement de l’organisation du travail et donc de la seule responsabilité des patrons. Des mesures qui auraient pu empêcher une telle catastrophe et qui n’ont pas été prises avant l’accident, pour réduire les coûts et les délais.