Antonio Da Ros - Société des Amis du musée national de Céramique

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Antonio Da Ros - Société des Amis du musée national de Céramique
Antonio Da Ros
Un inventeur du xxe siècle à Murano
Luca Melegati
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1. Pesce (Poisson) en cristal massif et immersions successives rouge,
vert, orange, bleu, violet et gris. H. 25 cm. Antonio Da Ros pour Gino
Cedenese & C., 1960–61.
2. Deux vases de section triangulaire en verre immergé, 1962.
H. 23 cm.
En novembre 2007 la galerie milanaise Bianconi a
organisé une grande exposition monographique¹
pour une des plus intéressantes personnalités des
premières années du xxe siècle à Murano, Antonio
Da Ros, première exposition entièrement consacrée
à cet artiste. Ce fut une occasion bien utile de réétudier l’histoire de la verrerie où Da Ros construisit son
propre parcours artistique, la Gino Cedenese & Fils. Si
la formation de ce designer reste emblématique dans
le panorama du verre de Murano moderne, le soutien
constant apporté par la verrerie à cet artiste constitue
une clef de lecture importante pour la compréhension du rapport fondamental instauré dès la moitié du
xixe siècle entre les différentes entreprises de Murano
et les artistes qui se tournaient vers la verre en tant que
moyen d’expression privilégié.
Il est intéressant de noter que Da Ros – destiné à
devenir le précurseur d’une série de personnalités
artistiques inspirées par l’expérience du Studio Glass
et par une approche pragmatique du verre comme
moyen d’expression artistique –, débarque à Murano
totalement ignorant des règles de ce monde et des
secrets de ce matériau (même si pourvu d’utiles études
artistiques). Il entre immédiatement dans une verrerie
fondée depuis seulement treize ans, en 1946, par Gino
Cenedese, un choix qui se révèlera heureux.
La firme avait toujours suivi la voie des collaborations avec des noms importants du verre contemporain à Murano et ce n’est pas un hasard si parmi les
associés de la naissante GINO CENEDESE & C on
retrouve des personnalités comme Alfredo Barbini,
Angelo Tosi, Gino Frot et Pietro Scaramal, c’est-à-dire
le gratin dans le domaine du verre à cette époque-là.
Né en 1936 à Venise, Da Ros arrive en 1959 avec un rôle
revue de la société des amis du musée national de céramique
3. Cavallo (Cheval) en verre immergé avec inclusions de fils de verre.
H. 28 cm. Antonio Da Ros per Gino Cedenese & C, 1962.
4. Gabbiano (Mouette) en verre immergé avec immersions
successives, 1962. H. 46 cm.
important, celui de nouveau directeur artistique. Si la
raison de ce choix sans aucun doute audacieux de la
verrerie demeure un mystère, on peut aisément imaginer l’appréhension avec laquelle Da Ros a affronté cette
aventure artistique et professionnelle.
Il faut dire qu’il trouve rapidement la clef de son
succès personnel, elle a pour nom une technique
connue qu’il revitalise avec une grande habileté, le
verre immergé. Les œuvres réalisées avec cette méthode
sont caractérisées par une coloration accentuée et par
le grand impact de la matière obtenu grâce à la superposition de nombreux et robustes strates de verres de
différentes couleurs assemblés dans une masse de verre
épaisse et lourde. L’immergé faisait déjà partie de l’histoire de Murano surtout grâce à un autre grand artiste,
Carlo Scarpa. En effet, pendant sa collaboration avec
Venini, à partir des années 1932, Scarpa avait utilisé avec
succès ce verre massif et si décoratif. Mais avec le nouveau directeur artistique de la Cedenese le verre immergé
assume un rôle tout à fait nouveau, utilisé pour réaliser
des formes innovantes comme les vases Sasso (Caillou)
ou les Contrappunto (Contrepoints), et, surtout, les très
célèbres séries d’animaux où l’utilisation abondante
de la transparence accompagne la matière robuste. Il
est évident que chacun de ces deux genres, les grands
vases aux formes aussi bien géométriques qu’arrondies
et les animaux stylisés, fait naturellement partie des
tendances stylistiques du moment.
A mon avis, les vases n’ont pas exercé une influence
particulière sur les autres productions de l’époque (se
conformant plutôt à l’esthétique contemporaine), en
revanche les figures animales paraissent si originales
qu’elles deviennent un modèle imité par diverses autres
verreries avec des résultats plus ou moins heureux.
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5. Sasso (Caillou), vase en verre immergé. H. 28 cm. Antonio Da Ros
pour Gino Cedenese & C., 1961.
6. Sogliola (Sole), bol zoomorphe en verre immergé. H. 28 cm.
Antonio Da Ros pour Gino Cedenese & C., 1960.
Editées à tirage limité ou alors pièces uniques,
réalisées dans beaucoup de cas pour être présentées
dans des expositions (comme la Biennale de Venise à
laquelle Cedenese participa avec une cadence continue
entre 1961 et 1972), les meilleures figures animales naissent entre 1960 et 1966. Spectaculaires, témoins d’un
niveau qualitatif soutenu, celles-ci peuvent atteindre
et de loin dépasser les quarante centimètres de hauteur. Elles frappent surtout par leur dessin souple et
ironique qui me rappelle la tendre attention de certains dessins animés crées par Walt Disney à partir des
années Quarante. Mais parfois cette sympathie laisse
la place à (comment peut-on l’appeler ?) une approche
quasi graphique tellement elle est essentielle, en est
un exemple le Pesce Sommersioni successive (Poisson par
immersions successives) (fig. 1), constitué par une succession sophistiquée de couleurs rouge, vert, orange,
bleu, violet et gris exaltées par la profondeur du cristal
massif. Cette figure à tirage limité est l’une des plus
rares de l’œuvre de Da Ros. Daté entre 1960 et 1961, le
modèle fut présenté à la Biennale de Venise en 1962².
En conclusion, je citerai trois autres travaux de Da
Ros également emblématiques dans le contexte de
son inspiration : un Cavallo (Cheval) de 1962 réalisé en
verre immergé avec l’utilisation de fils de verre à inclu-
sions (fig. 3)³, un des célèbres Sasso (Caillou) (fig. 5)⁴, et
enfin le fascinant bol Prototipo Sogliola (Prototype Sole),
un modèle de 1960 en verre immergé d’une hauteur de
28 centimètres (fig. 6).
Luca Melegati, expert chez Wannenes Art Auctions à
Milan
Traduit de l’italien par Barbara de Montaigut
Notes
1L. Melegati, à l’attention de Solvi et Coagula. Antonio Da Ros
alchimies de verre des années 60, catalogue de l’exposition,
Milan, 2007.
2Egalement M. Barovier, R. Barovier Mentasti et A. Dorigato, Il Vetro di Murano alle Biennali 1895–1972 (Le Verre de
Murano aux Biennales), Milan, 1995, p. 196, fig. 145 ; M.
Barovier et A. Dorigato, sous la direction de, Il Bestiario di
Murano (Le Bestiaire de Murano), Venise, 1996, tav. 106
3Dans Barovier, Dorigato, cit., pl. 109.
4 1961 ; hauteur 28 cm dans Barovier, Dorigato, cit., tav. 109.
revue de la société des amis du musée national de céramique