La Flottille des « Terre
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La Flottille des « Terre
La Flottille des « Terre-Neuvas ». Terre-Neuve, French Shore, boiitte et Bait-bill: ces mots ont ete sou vent pron011ces dans le cours de Ia p1'ecMente annee. &cemhre dernier, lors de la ratification par les chamhres de ['accord franco-anglais d'avril 1904, les droits de nos pecheurs ont trouve dans notre Parlement des &fenseurs ardents .... Sans doute convient-il de consacrer que/que.< pages aux heros obscurs des pecbes lointaines, qui, peu soucieux des discussions diplomatiques, peinent et souvent mettrent dans les brumes de l' Atlantique. Btt annee, plus de dix mille marins de Bretagne trons discutent. Les pourparlers commencent dehors, et de Normandie partent pour les lieux des gran des mais toujours !'affaire se conclut a !'auberge; on entre peches a Terre-Neuve. Ils sont engages par les capiau cabaret pour "!Chever !'accord, signer et recevoir taines de pee he; il est necessaire, avant de partir, de presque toujours quelques avances. bien stipuler les conditions d'engaCependant cette foire des Terregement pour la saison. Neuvas ne suffit pas a fournir les Un auteur de Saint-Malo, equipages complets pour l"armement M. E. Herpin, nous a depeint, en des navires de Saint-Malo et des termes pittoresques, la foire des goelettes de Saint-Pierre. Les capiTerre-Neuvas, ou se fait le plus grand taines et les patrons de peche, des nombre d'engagements pour la camle mojs de fevrier, s'en vont faire pagne de peche a Ia morue. Cette des tournees sur Ia cote; car il leur foire a lieu, chaque anne~, en deimporte de ne pas trop attendre, sinbn cembre, selon un vieil usage. Elle se ils s'exposeraient a n'avoir que le tient au <• Vieux-Bourg », pres de rebut des pecheurs. Les uns et les Saint-Malo. A cette foire, viennent autres boivent des bolees de cidre, pres de deux mille gars de Canca:le, debattentoles conditions de !'engageSaint- Coulomb, Saint- Guignoux, ment, le montant des avances, la part Miniac, La Ville-es-Nonais, Saint-Sude peche. E t quand tout est termine : leac, Pleudihen. Tous ces gars forme<<Tope-Ia! » dit le ·capitaine. Et on se root les equipages des goelettes qui «tope» dans Ia main. Le gars appose armeront a Saint-Pierre; ils partison signe au bas d'une feuille; on ront de Saint-Malo sur deux steamers. boit ensemble un dernier verre qui Parmi ces deux mille marins, sanctionne definitivement le contrat. nous remarquons d'abord les vrais Au moment ou les marins et les mathurins, coiff"es du beret et vetus patrons de peche scellent devant le de leur chemise de Iaine : ce sont les commissaire de Ia marine leurs enloups de · mer dont Ia demarche a gagements, les pecheurs res;oivent garde quelque chose du roulis. des avances. Malheureusement, le A cote de ces vrais pecheurs, Terre-Neuva depense presque aussise place une autre categorie de gars, tot cette somme pour son equipeUN MOUSSB DES TERRE-NEUVAS. qui tiennent plus du paysan que du ment, pour payer Ia note qui s'est marin : c'est Ia jeune generation, qui allongee chez le boulanger et l'epiD'ap•·es une photog•·aphie. n'a pas encore dans les veines le cier, et a son retour, le marin n'a sang du loup de mer. Mais ces jeunes gens naviguent souvent qu'un solde derisoire a recevoir. de puis !'age de dix ou onze ans; ils ont Ia vocation Void, en effet, lecompte d'un navire qui a rapde Ia mer, et ceux-la aussi s'engagent pour la grande porte, !'an dernier, 59 409 francs de morue. Oeduisons peche. les frais d'appat, les engins pour pecher Ia boette, les Et longuement, Terre-Neuvas, capitaines et pagratifications donnees a !'equipage, soit un total de CHAQUE A TRAVERS LE MONDE. - Ire LJV. 2 A TRAVERS LE MONDE pagne; puis, au fond, soigneusement cachees, quel14 o88 fr. 18; il reste done net 45 320 fr. 82 , dont lc ques bouteilles du cidre du pays des pommiers. Les tiers est pour !'equipage, soit 15 106 fr. 94· II faut ensouvenirs de famille n'ont pas ete oublies: des lettres, core. deduire quelques avances donnees aux hommes, des photographies. Sur le couvercle du coffre, le soit 1 954 fr. o 1, car ces gratifications sont toujours marin a place !'image de la Sainte Vierge et, a cote, .prelevees sur le tiers destine a 'I' equipage; le tiers ner retenues par une laniere de cuir, sa cuiller et sa fourest done de 13 152 fr. 9~, que no us diviserons par 36 ; chette. Ce coffre est le consolateur du marin; sou vent Ia part qui rev:iendra a chaque homme sera done de il viendra le voir; si son creur est triste , si le travail 365 fr . 36. est dur, le marin l'ouvrira, jettera un regard sur ce Deux quartiers surtout arment . pour Terrecher meuble, et cette vue le ranimera, le consolera. Neuve : Saint-Malo et Fecamp. Granville envoie aussi A bord des vapeurs, Ia traversee s'effectue en uncertain nombre de navires. huit ou neuf jours. Le second mode de transport se L'embarquement des marins a Saint-Malo offre fait a bord _des voiliers. Les traversees sur ces baun spectacle qui ne manque pas d'interet et de pittoteaux sont plus dures. resque. Sur le quai, on se Les marins sont a I' etroit, presse , on s'interpelle, 150 et 200 sur un navire c'est une fourmilit!re de qui jauge a peine 250 tonmarins en partance. II y nes, et certainement ce a deux modes de transnombre est trop consideport : a bord des voirable pour un navire liers, a bord des vapeurs. d'aussi faible tonnage. Les Deux !'teamers sont ordimarins sont loges dans Ia nairement affretes pour cale ; ils etendent leur le transport des Terrepaillasse sur leur coffre, Neuvas qui armeront les voila leur lit. Pendant goelettes ayant hiverne a ces traversees, les peSaint-Pierre ; sur chacun cheurs sont inoccupes; de ces navires s'embarleur seule distraction est queront 1 200 et 1 500 male jeu, et ils jouent beaurins. coup; l'ivresse n'est pas Nos marins s'en rare non plus pendant ces vont pour 8 et 9 mois; il traversees. Sous pretexte leur est done necessaire de se faire des amabilites , d'emporter, outre leur ils se payent les uns aux equipement , leur petit autres de~ tournees de mobilier. Et en quoi conpetits verres, et de ces siste-t-il? En une paillasse, verres multiplies ils arrisoigneusement preparee vent a tomber dans un par toute Ia famille. Cette etat lamentable. paillasse est fraiche, mais, Les tra versees a dans quelques jours , elle bord des voiliers sont ne sera plus qu'un peu de • parfois tres longues. lis paille hachee menu, humide, sur laquelle le mapartent en mars, epoque rin prendra ses courts insdes mauvais temps; ils tants de repos, et sur laont ainsi a Iutter sans quelle il fera aussi secher cesse contre Ia mer; puis LE ·D E PART DES TER RE-NEU VAS . son linge, lorsque le temps les vents debout, qui rene permettra pas de faire D'aP'·es une pliotog•·ap/1ie. gnent presque continuelcetteoperation sur le pont. lement a cette saison, Le marin embarque aussi un coffre. Rien n'offre au retardent leur marche. J'ai vu, une annee, des navires regard un spectacle aussi curieux que celui des quais mettre 6o et 70 jours pour se rendre a Saint-Pierrede Saint-Malo, ou se pressent ces matelots au milieu Miquelon, et , cette meme annee, Ia moyenne des trade ces a mas de paillasses et de coffres, tour a tour versees a ete de quarante-cinq jours. Ces traversees ouverts et visites par le 'commissaire de Ia marine, qui sont, en outre, tres perilleuses. Trois dangers sont a veut se rendre compte que le marin n' embarque pas craindre : les glaces flottantes qui se detachent, au quelques litres d'alcool. Ce coffre du marin est son moment de Ia debacle,:des regions du nord, et qui sont entrainees par le courant polaire dans les parages de meilleur compagnon, son ami; c'est tout son bien . Avec quel soin il a ete prepan\! Pas un membre de Ia Terre-Neuve; le brouillard qui, sur les bancs.de Terrefamille qui n'ait mis du sien pour que tout fUt bien pret Neuve, est intense et persiste parfois pendant huit et dix jours sans un moment d'eclaircie; enfin, les paqueet que rien ne flit oublie. Dans ce coffre je vois des bots transatlantiques qui prennent le bane de Terrechemises, des gilets , des tricots de Iaine rouge, le plus souvent rapieces. J'y vois ces bottes enormes, Neuve en echarpe, marchant a des vitesses exagerees au mepris de tous les reglements. assez semblables a celles des egoutiers de Paris, bottes Les navires que montent nos marins sont geneque le marin ne quittera presque pas· de toute la cam- A T R .4 V E R 5 LE M 0 N DE. 3 ralement solides , bien grees, quelquefois meme de forme fine et elegante. On y trouve toute Ia serie depuis Ia goelette jusqu'au troismats goeiette et trois-mats barque. lls jaugent de 70 a 3 50 et queJques-uns meme )00 tonnes. Les goeiettes de 70 a go tonnes ne font pas . Ia traversee de !'Ocean, · mais arment et desarment a Saint-Pierre. No us devons constater avec plaisir que , depuis quelques an- _ nees, des bateaux neufs viennent prendre la place des vieux, et le nombre LE POS TE DE L' f: Q U l PAG E DANS U NE GO ELETT E DE TER RE-NE UVAS . de ces vieilles coque~, qui ont beauD 'ap•·es tme plzotograplzie. coup navigue et beau coup souffert, diminue de jour en jour ; et il est temps ferme , a cause du mauvais temps. II ne faut p~s a desirer qu'elles disparaissent le plus vite possible. Ce rester longtemps au-dessus de ce panneau pour sensera une securite de plus pour les marins, car il ne se tir une odeur inctefinissable qui s'echappe de ce triste passe pas de campagne sans que plusieurs d'entre locaL elles, faisant trop d'eau, doivent etre echouees et aban18, 2 5, 30 hommes sont entasses et couchent donnees . Heureux dans ce trou de encore lorsqu' elles quelques metres ne sont pas viccarres, Et Ia, on times de quelque fait tout :. on mantempete et qu' elles ge, on boit, on n ' entrainent pas fume , on dort. Les avec elles tout leur m<!rins y apportent equipage ! leurs veteme n ts Ils sont divimouilles, qui deses en trois parties. gagent bient6t une A l'arriere, nous buee epaisse ; les avons les cabines couvertures sont des officiers, ainsi perpetuellement qu' un petit carre humides . ou ils prennent leur On y mange, repas. La , rien de et" on jette a terre luxueux. Au centre le fond d' un~ gad u navire, nous . melle, des detritus avons Ia cale, c'est de poissons , un I' endroit destine a fond de verre , des recevoir Ia morue ; os, des aretes. Tout UN E G OE LETT li: ET SA D OR IS. ici , tout est propre , cela forme sur le tout est bien entreplancher une couD "apres un e photog>·a plzie. tenu, c' est pour che gluante, que !'on pourrait facilement enlever, mais qu'on laisse par ainsi dire le sanctuaire du navire. A !'avant, se trouve le poste de !'equipage. negligence. 11 y a bien le mousse ou le novice, charge de Ia prop rete du poste de 1' equipage; mais une fois Ce qu'on appelle le poste de !'equipage est toujours un trou sombre, au plancher boueux, aux cloisur le Bane, il faut qu' il travaille comme les autres, sons suintantes , un trou qui ne communique avec et il ne peut etre partout a Ia fois ; d' ailleurs , les marins sur les· Banes s'habituent vite a croupir dans une 1' exterieur que par un petit panneau charge d'y amener I' air et Ia lumiere; mais ce panneau est Ia plupart du salete repoussante. A 4 TRAVERS La nourriture des marins n' est ni delicate, ni variee. Les navires, en quittant Ia France ou SaintPierre, quand ils viennent y relacher, emportent du pain pour huit jours et un peu de viande fraiche; mais tout cela est bien vite consomme. Alors il ne leur restera plus que Ia nourriture de Ia mer, c'est-a-dire des pommes de terre; du lard, des haricots, des tetes de morue et du biscuit. Et tous les jours, meme menu ! Sur Ia plupart des navires, les hommes touchent le graissage,c' est-a-dire 2 50 gramm~s de beurre et autant de graisse par semaine et par homme. De plus, chaque homme touche un quart de vin a midi. Le biscuit est a discretion. Les marins sont tellement habitues au biscuit qu'ils finissent par regarder le pain comme un aliment de luxe. Comme liquide, independamment du quart de vin qu'ils re~oivent ~ midi, les pecheurs ont droit a une certaine ration d'alcool, ration qui est de 25 centilitres. C'est Ia trop d'alcool. Excellent homme quand il n'a pas bu, le marin devient ce que !'on sait quand il a avale son horrible vitriol! Les alcools dont on use a Terre-Neuve sont, Ia plupart, d'origine allemande, et sont achetes, par les armateurs au prix de o fr. 6o le litre, au titre de 96 degres. On les ramene a 40 ou 45 degres, ce qui met -le litre a 0 fr. 30Des son lever, le marin absorbe deja un premier boujaron d'eau-de-vie; et cela, a jeun. Quand il aura releve ses !ignes, il boira encore un boujaron, toujours a jeun. Ce n'est qu'apres ces 10 centilitres d'alcool absorbe qu'il prendra son petit dejeuner. A dix heures, a midi, a quatre heures, a six heures, autres boujarons de ce funeste alcool. En plus de ces 2 5 centilitres d' eaude-vie, je dois faire mention de gratifications qui sont fort en honneur sur le Bane de Terre-Neuve, pour stimuler le zele des marins. Avec un boujaron d'eau-de-vie, on obtient ce que !'on veutdu morutier. «L'alcool, disait un capitaine de peche, c'est Ia boette du pecheur, comme I'encornet est la boette de la morue. " Les navires.de peche americains circulent sur le Bane de Terre-Neuve, au milieu de nos navires; ils font le meme metier, partagent les memes soutfrances, et cependant l'alcool a bord est formellement interdit. Au lieu d'alcool, les marins americains ont a discretion des boissons chaudes, the et cafe, une cuisine soignee, et Ia proprete de ces navires et des marins forme un contraste frappant avec Ia malproprete repoussante de nos navires et de nos pecheurs. Car, avec l'alcool, la malproprete est 1e vice le plus enracine du pecheur fran~ais; il faut a voir vu et a voir senti pour s' en faire une idee ; je n' exagere rien; Ia constatation est douloureuse, mais elle n'est que !'expression de Ia verite. Comments' etonner, des lors, de ces actes dignes de-Ja sauvagerie de jadis, qui se commettent sur certains navires, et qu'il vaut mieux taire? Tout cela est le resultat de I'alcool, fleau du pecheur! Salaire insignifiant, maigre nourriture, hygiene deplorable. alcoolisme; tels sont les compagnons de route des Terre-Neuvas. Et ces fleaux sont couronnes par les miseres et les dangers que Ia campagne de peche reserve a ces malheureux sur les Banes! ABBE CRAMILLON. Ancien aum6nier des bateaux-hopitaux, LE MONDE. L'Emigration des Boers.- Une Entente avec I' Allemagne leur est-elle possible en Afrique? L Boers, si !'on en croit les journaux d' Amsterdam, ne seraient pas eloignes de prendre un parti qui renouvellerait le grand exode des annees 1834-1844, epoque a laquelle, ne voulant pas se soumettre au Gouvernement anglais, -ils quitterent la colonie du Cap pour chercher dans le nord un pays de liberte. Leurs tentatives d'emigration ont ete jusqu'a present peu nombreuses et n'ont pas, dlt-on , donne a ceux qui se sont transplantes les satisfactions qu'ils attendaient. De petits groupes se sont etablis au Chili, dans I' Argentine, au Mexique, a Madagascar, a Java, sans reussir a qeer un courant continu. Il semble que le Boer ne puisse bien prosperer q!-1' en Afrique. Il existe, d'ailleurs, des colonies boers dans quelques districts .africains non soumis a I' Angleterre. Depuis un quart de shkle, quelques familles sont etablies a Mossamedes, d·ans I' Afrique occidentale portugaise. D'autres ont ete chercher refuge sur Ia cote: de Mozambique, mais les fievres les y ont decimees. C'est principalement vers les colonies allemandes de !'Afrique orientale et sud-occidentale que les Boers se sentent attires et que les circonstances climatiques leur sont le plus favorables. Des amities allemandes leur ont fait entrevoir un projet qui consisterait a creer. dans I' Afrique occidentale, un Etat libre boer, sous Ia suzerainete de l'Allemagne. ' Un autre projet tendrait a ouvrir a Ia colonisation boer les territoires de I' Afrique sud-occidentale. Environ 2 ooo Boers se sont deja etablis, depuis la guerre sud-africaine. sur le territoire de Ia colonie. Mais le Gouvemement colonial n'a pas montre, il est vrai, beaucoup d' empressement a les accueillir. L' Allemagne redoute Ia presence d'un element refractaire a toute organisation politique. Les Boers seraient d'un tres grand secours contre-les indigenes, et leur experience agricole et pastorale mettrait les terres en valeur. Mais on sait qu'ils ne veulent pas s'astreindre au service militaire obligatoire et qu'ils sont avant tout preoccupes d'assurer Ia persistance de leur langue derivee du hollandais. Une feuille nationale boer d' Amsterdam, Ia Zuid-Afrikaanscbe-Post, recommande aux Boers de se plier, dans I' Afrique sud-occidentale allemande, a toutes les exigences du Gouvernement colonial. Une fois qu' ils seront etablis dans Ia colonie allemande, ils y seront des citoyens jouissant de tous les droits, et par consequent ils devront accepter tous les devoirs. Leur etablissement dans Ia colonie voisine de celles -qu' ils viennent de perdre serait un coup droit porte a leurs vainqueurs d'hier. En privant !'Orange et le Transvaal du travail de leurs mains et de la force que leur presence porte a I' Angleterre vis-a-vis des indigenes, ils enleveraient aux Anglais une partie des benefices de leur conquete. ES