Le monde de Marcel Proust

Transcription

Le monde de Marcel Proust
Le monde de Marcel Proust
Partie 1
C’était chez la Marquise de Sainte-Euverte…
Musique Franz Liszt / Françoise d’Assise, la prédication aux oiseaux (extrait)
C’était
chez
la
Marquise
de
Saint‐Euverte,
à
la
dernière
des
soirées
où
elle
faisait
entendre
des
artistes
qui
lui
servaient
ensuite
pour
ses
concerts
de
charité.
Swann
s'était
avancé,
sur
l'insistance
de
Mme
de
Saint‐Euverte,
et
s'était
mis
dans
un
coin
où
il
avait
malheureusement
comme
seule
perspective
deux
dames
déjà
mûres
assises
l'une
à
côté
de
l'autre,
la
marquise
de
Cambremer
et
la
vicomtesse
de
Franquetot,
lesquelles,
parce
qu'elles
étaient
cousines,
passaient
leur
temps
dans
les
soirées,
portant
leurs
sacs
et
suivies
de
leurs
filles,
à
se
chercher
comme
dans
une
gare
et
n'étaient
tranquilles
que
quand
elles
avaient
marqué,
par
leur
éventail
ou
leur
mouchoir,
deux
places
voisines
:
Mme
de
Cambremer,
comme
elle
avait
très
peu
de
relations,
étant
d'autant
plus
heureuse
d'avoir
une
compagne,
Mme
de
Franquetot,
qui
était,
au
contraire
très
lancée,
trouvant
quelque
chose
d'élégant,
d'original,
à
montrer
à
toutes
ses
belles
connaissances
qu'elle
leur
préférait
une
dame
obscure
avec
qui
elle
avait
en
commun
des
souvenirs
de
jeunesse.
Musique Franz Liszt / Françoise d’Assise, la prédication aux oiseaux (extrait)
Plein
d'une
mélancolique
ironie,
Swann
les
regardait
écouter
l'intermède
de
piano
(«
Saint
François
parlant
aux
oiseaux
»
de
Liszt)
et
suivre
le
jeu
vertigineux
du
virtuose,
Mme
de
Franquetot
anxieusement,
les
yeux
éperdus
comme
si
les
touches
sur
lesquelles
il
courait
avec
agilité
avaient
été
une
suite
de
trapèzes
d'où
il
pouvait
tomber
d'une
hauteur
de
quatre‐vingts
mètres,
et
non
sans
lancer
à
sa
voisine
des
regards
d'étonnement,
de
dénégation
qui
signifiaient
:
«
Ce
n'est
pas
croyable,
je
n'aurais
jamais
pensé
qu'un
homme
pût
faire
cela»,
Mme
de
Cambremer,
en
femme
qui
a
reçu
une
forte
éducation
musicale,
battant
la
mesure
avec
sa
tête
transformée
en
balancier
de
métronome
dont
l'amplitude
et
la
rapidité
d'oscillations
d'une
épaule
à
l'autre
étaient
devenus
telles
qu'à
tout
moment
elle
accrochait
avec
ses
solitaires
les
pattes
de
son
corsage
et
était
obligée
de
redresser
les
raisins
noirs
qu'elle
avait
dans
les
cheveux,
sans
cesser
pour
cela
d'accélérer
le
mouvement.
De
l'autre
côté
de
Mme
de
Franquetot,
mais
un
peu
en
avant,
était
la
marquise
de
Gallardon
occupée
à
sa
pensée
favorite,
l'alliance
qu'elle
avait
avec
les
Guermantes
et
d'où
elle
tirait
pour
le
monde
et
pour
elle‐même
beaucoup
de
gloire
avec
quelque
honte,
les
plus
brillants
d'entre
eux
la
tenant
un
peu
à
l'écart,
peut‐
être
parce
qu'elle
était
ennuyeuse
ou
parce
qu'elle
était
méchante,
ou
parce
qu'elle
était
d'une
branche
inférieure,
ou
peut‐être
sans
aucune
raison.
Elle
songeait
en
ce
moment
qu'elle
n'avait
jamais
reçu
une
invitation
ni
une
visite
de
sa
jeune
cousine
la
princesse
des
Laumes,
depuis
six
ans
que
celle‐ci
était
mariée.
Cette
pensée
la
remplissait
de
colère,
mais
aussi
de
fierté
;
car,
à
force
de
dire
aux
personnes
qui
s'étonnaient
de
ne
pas
la
voir
chez
Mme
des
Laumes,
que
c'est
parce
qu'elle
aurait
été
exposée
à
y
rencontrer
la
princesse
Mathilde
‐
ce
que
sa
famille
ultralégitimiste
1
ne
lui
aurait
jamais
pardonné,
‐
elle
avait
fini
par
croire
que
c'était
en
effet
la
raison
pour
laquelle
elle
n'allait
pas
chez
sa
jeune
cousine.
Elle
se
rappelait
pourtant
qu'elle
avait
demandé
plusieurs
fois
à
Mme
des
Laumes
comment
elle
pourrait
faire
pour
la
rencontrer,
mais
ne
se
le
rappelait
que
confusément
et
d'ailleurs
neutralisait,
et
au‐delà,
ce
souvenir
un
peu
humiliant
en
murmurant
:
«
Ce
n'est
tout
de
même
pas
à
moi
à
faire
les
premiers
pas,
j'ai
vingt
ans
de
plus
qu'elle.
»[…]
Or,
la
princesse
des
Laumes
qu'on
ne
se
serait
pas
attendu
à
voir
chez
Mme
de
Saint‐Euverte,
venait
précisément
d'arriver.
Pour
montrer
qu'elle
ne
cherchait
pas
à
faire
sentir
dans
un
salon,
où
elle
ne
venait
que
par
condescendance,
la
supériorité
de
son
rang,
elle
était
entrée
en
effaçant
les
épaules
là
même
où
il
n'y
avait
aucune
foule
à
fendre
et
personne
à
laisser
passer,
restant
exprès
dans
le
fond,
de
l'air
d'y
être
à
sa
place,
comme
un
roi
qui
fait
la
queue
à
la
porte
d'un
théâtre
tant
que
les
autorités
n'ont
pas
été
prévenues
qu'il
est
là
;
et,
bornant
simplement
son
regard
‐
pour
ne
pas
avoir
l'air
de
signaler
sa
présence
et
de
réclamer
des
égards
‐
à
la
considération
d'un
dessin
du
tapis
ou
de
sa
propre
jupe,
elle
se
tenait
debout
à
l'endroit
qui
lui
avait
paru,
le
plus
modeste
(et
d'où
elle
savait
bien
qu'une
exclamation
ravie
de
Mme
de
Saint‐Euverte
allait
la
tirer
dès
que
celle‐ci
l'aurait
aperçue),
à
côté
de
Mme
de
Cambremer
qui
lui
était
inconnue.
Musique Chopin / Prélude opus 28 n°7
Le
pianiste
ayant
terminé
le
morceau
de
Liszt
et
ayant
commencé
un
prélude
de
Chopin,
Mme
de
Cambremer
lança
à
Mme
de
Franquetot
un
sourire
attendri
de
satisfaction
compétente
et
d'allusion
au
passé.
Mme
de
Cambremer
jeta
un
regard
furtif
derrière
elle.
Elle
savait
que
sa
jeune
bru
méprisait
Chopin
et
souffrait
quand
elle
en
entendait
jouer.
Mais
loin
de
la
surveillance
de
cette
wagnérienne
qui
était
plus
loin
avec
un
groupe
de
personnes
de
son
âge,
Mme
de
Cambremer
se
laissait
aller
à
des
impressions
délicieuses.
La
princesse
des
Laumes
les
éprouvait
aussi.
Sans
être
par
nature
douée
pour
la
musique,
elle
avait
reçu
il
y
a
quinze
ans
les
leçons
qu'un
professeur
de
piano
du
faubourg
Saint‐Germain,
femme
de
génie
qui
avait
été
à
la
fin
de
sa
vie
réduite
à
la
misère,
avait
recommencé,
à
l'âge
de
soixante‐dix
ans,
à
donner
aux
filles
et
aux
petites‐filles
de
ses
anciennes
élèves.
Elle
était
morte
aujourd'hui.
Mais
sa
méthode,
son
beau
son,
renaissaient
parfois
sous
les
doigts
de
ses
élèves,
même
de
celles
qui
étaient
devenues
pour
le
reste
des
personnes
médiocres,
avaient
abandonné
la
musique
et
n'ouvraient
presque
plus
jamais
un
piano.
Aussi
Mme
des
Laumes
put‐elle
secouer
la
tête,
en
pleine
connaissance
de
cause,
avec
une
appréciation
juste
de
la
façon
dont
le
pianiste
jouait
ce
prélude
qu'elle
savait
par
cœur.
La
fin
de
la
phrase
commencée
chanta
d'elle‐même
sur
ses
lèvres.
Et
elle
murmura
«
C’est
toujours
charmant
»,
avec
un
double
ch
au
commencement
du
mot
qui
était
une
marque
de
délicatesse
et
dont
elle
sentait
ses
lèvres
si
romanesquement
froissées
comme
une
belle
fleur,
qu'elle
harmonisa
instinctivement
son
regard
avec
elles
en
lui
donnant
à
ce
moment
là
une
sorte
de
sentimentalité
et
de
vague.
Cependant
Mme
de
Gallardon
était
en
train
de
se
dire
qu'il
était
fâcheux
qu'elle
n'eût
que
bien
rarement
l'occasion
de
rencontrer
la
princesse
des
Laumes,
car
elle
souhaitait
lui
donner
une
leçon
en
ne
répondant
pas
à
son
salut.
Elle
ne
savait
pas
que
sa
cousine
fût
là.
Un
mouvement
de
tête
de
Mme
de
Franquetot
la
lui
découvrit.
Aussitôt
elle
se
précipita
vers
elle
en
dérangeant
tout
le
monde
;
mais,
désireuse
de
2
garder
un
air
hautain
et
glacial
qui
rappelât
à
tous
qu'elle
ne
désirait
pas
avoir
de
relations
avec
une
personne
chez
qui
on
pouvait
se
trouver
nez
à
nez
avec
la
princesse
Mathilde
et
au‐devant
de
qui
elle
n'avait
pas
à
aller
car
elle
n'était
pas
«
sa
contemporaine
»,
elle
voulut
pourtant
compenser
cet
air
de
hauteur
et
de
réserve
par
quelque
propos
qui
justifiât
sa
démarche
et
forçât
la
princesse
à
engager
la
conversation
;
aussi
une
fois
arrivée
près
de
sa
cousine,
Mme
de
Gallardon,
avec
un
visage
dur,
une
main
tendue
comme
une
carte
forcée,
lui
dit
:
«
Comment
va
ton
mari
?»
de
la
même
voix
soucieuse
que
si
le
prince
avait
été
gravement
malade.
La
princesse,
éclatant
d'un
rire
qui
lui
était
particulier
et
qui
était
destiné
à
la
fois
à
montrer
aux
autres
qu'elle
se
moquait
de
quelqu'un
et
aussi
à
se
faire
paraître
plus
jolie
en
concentrant
les
traits
de
son
visage
autour
de
sa
bouche
animée
et
de
son
regard
brillant,
lui
répondit
:
‐
Mais
le
mieux
du
monde
!
Et
elle
rit
encore.
Cependant
tout
en
redressant
sa
taille
et
refroidissant
sa
mine,
inquiète
encore
pourtant
de
l'état
du
prince,
Mme
de
Gallardon
dit
à
sa
cousine
:
‐
Oriane
(ici
Mme
des
Laumes
regarda
d'un
air
étonné
et
rieur
un
tiers
invisible
vis‐
à‐vis
duquel
elle
semblait
tenir
à
attester
qu'elle
n'avait
jamais
autorisé
Mme
de
Gallardon
à
l'appeler
par
son
prénom),
je
tiendrais
beaucoup
à
ce
que
tu
viennes
un
moment
demain
soir
chez
moi
entendre
un
quintette
avec
clarinette
de
Mozart.
Je
voudrais
avoir
ton
appréciation.
Elle
semblait
non
pas
adresser
une
invitation,
mais
demander
un
service,
et
avoir
besoin
de
l'avis
de
la
Princesse
sur
le
quintette
de
Mozart,
comme
si
ç'avait
été
un
plat
de
la
composition
d'une
nouvelle
cuisinière
sur
les
talents
de
laquelle
il
lui
eût
été
précieux
de
recueillir
l'opinion
d'un
gourmet.
‐
Mais
je
connais
ce
quintette,
je
peux
te
dire
tout
de
suite...
que
je
l'aime
!
‐
Tu
sais,
mon
mari
n'est
pas
bien,
son
foie...,
cela
lui
ferait
grand
plaisir
de
te
voir,
reprit
Mme
de
Gallardon,
faisant
maintenant
à
la
princesse
une
obligation
de
charité
de
paraître
à
sa
soirée.[…]
‐Ecoute
je
vais
te
dire,
dit‐elle
à
Mme
de
Gallardon
il
faut
demain
soir
que
j’aille
chez
une
amie
qui
m’a
demandé
mon
jour
depuis
longtemps.
Si
elle
nous
emmène
au
théâtre,
il
n’y
aura
pas
avec
la
meilleure
volonté,
possibilité
que
j’aille
chez
toi
;
mais
si
nous
restons
chez
elle,
comme
je
sais
que
nous
serons
seuls,
je
pourrai
la
quitter.
‐
Tiens,
tu
as
vu
ton
ami
M.
Swann
?
‐
Mais
non,
cet
amour
de
Charles,
je
ne
savais
pas
qu’il
fût
là,
je
vais
tâcher
qu’il
me
voie.[…}
‐
Oriane,
ne
te
fâche
pas,
repris
Mme
de
Gallardon
qui
ne
pouvait
jamais
s’empêcher
de
sacrifier
ses
plus
grandes
espérances
sociales
et
d’éblouir
un
jour
le
monde,
au
plaisir,
obscur
et
privé,
de
dire
quelque
chose
de
désagréable,
il
y
a
des
gens
qui
prétendent
que
ce
Swann,
c’est
quelqu’un
qu’on
ne
peut
recevoir
chez
soi,
est‐ce
vrai
?
‐
Mais…
mais
tu
dois
bien
le
savoir
que
c’est
vrai,
répondit
la
princesse
des
Laumes,
puisque
tu
l’as
invité
cinquante
fois
et
qu’il
n’est
jamais
venu.
Et
quittant
sa
cousine
mortifiée,
elle
éclata
de
nouveau
d’un
rire
qui
scandalisa
les
personnes
qui
écoutaient
la
musique,
mais
attira
l’attention
de
Mme
de
Saint‐
Euverte,
restée
par
politesse
près
du
piano
et
qui
aperçut
alors
seulement
la
princesse.
‐
Mais
comment,
princesse,
vous
étiez
là
?
‐
Oui,
je
m'étais
mise
dans
un
petit
coin,
j'ai
entendu
de
belles
choses.
3
‐
Comment,
vous
êtes
là
depuis
déjà
un
long
moment
!
‐
Mais
oui,
un
très
long
moment
qui
m’a
semblé
très
court,
long
seulement
parce
que
je
ne
vous
voyais
pas
.
Mme
de
Saint‐Euverte
voulut
donner
son
fauteuil
à
la
princesse
qui
répondit
:
‐
Mais
pas
tout
!
Pourquoi
?
Je
suis
bien
n’importe
où
!
Et,
avisant
avec
intention,
pour
mieux
manifester
sa
simplicité
de
grande
dame,
un
petit
siège
sans
dossier
‐
Tenez,
ce
pouf,
c'est
tout
ce
qu'il
me
faut.
Cela
me
fera
tenir
droite.
Oh
!
mon
Dieu,
je
fais
encore
du
bruit,
je
vais
me
faire
conspuer.
Cependant
le
pianiste
redoublant
de
vitesse,
l’émotion
musicale
était
à
son
comble,
un
domestique
passait
des
rafraîchissements
sur
un
plateau
et
faisait
tinter
des
cuillers
et,
comme
chaque
semaine,
Mme
de
Saint‐Euverte
lui
faisait,
sans
qu'il
la
vît,
des
signes
de
s'en
aller.
Une
nouvelle
mariée,
à
qui
on
avait
appris
qu’une
jeune
femme
ne
doit
pas
avoir
l'air
blasé,
souriait
de
plaisir,
et
cherchait
des
yeux
la
maîtresse
de
maison
pour
lui
témoigner
par
son
regard
sa
reconnaissance
d'avoir
«
pensé
à
elle
»
pour
un
pareil
régal.
Pourtant,
quoique
avec
plus
de
calme
que
Mme
de
Franquetot,
ce
n'est
pas,
sans
inquiétude
qu'elle
suivait
le
morceau
;
mais
la
sienne
avait
pour
objet,
au
lieu
du
pianiste,
le
piano
sur
lequel
une
bougie
tressautant
à
chaque
fortissimo
risquait,
sinon
de
mettre
le
feu
à
l'abat‐jour,
du
moins
de
faire
des
taches
sur
le
palissandre.
A
la
fin
elle
n'y
tint
plus
et
escaladant
les
deux
marches
de
l’estrade
sur
laquelle
était
placé
le
piano,
se
précipita
pour
enlever
la
bobèche.
Mais
à
peine
ses
mains
allaient‐elles
la
toucher
que
sur
un
dernier
accord,
le
morceau
finit
et
le
pianiste
se
leva.
Néanmoins
l'initiative
hardie
de
cette
jeune
femme,
la
courte
promiscuité
qui
en
résulta
entre
elle
et
l’instrumentiste,
produisirent
une
impression
généralement
favorable.
‐
Vous
avez
remarqué
ce
qu'a
fait
cette
personne
princesse,
dit
le
général
de
Froberville
à
la
princesse
des
Laumes
qu’il
était
venu
saluer
et
que
Mme
de
Sainte‐
Euverte
quitta
un
instant.
C’est
curieux.
Est‐ce
donc
une
artiste
?
‐
Non,
c’est
une
petite
Mme
de
Cambremer,
répondit
étourdiment
la
princesse
et
elle
ajouta
vivement
:
«
Je
vous
répète
ce
que
j’ai
entendu
dire,
je
n'ai
aucune
espèce
de
notion
de
qui
c'est,
on
a
dit
derrière
moi
que
c'étaient
des
voisins
de
campagne
de
Mme
de
Saint‐Euverte,
mais
je
ne
crois
pas
que
personne
les
connaisse.
Ca
doit
être
«
des
gens
de
la
campagne»
!
Du
reste,
je
ne
sais
pas
si
vous
êtes
très
répandu
dans
la
brillante
société
qui
se
trouve
ici,
mais
je
n'ai
pas
idée
du
nom
de
toutes
ces
étonnantes
personnes.
A
quoi
pensez
vous
qu'ils
passent
leur
vie
en
dehors
des
soirées
de
Mme
de
Saint‐Euverte
?
Elles
a
du
les
faire
venir
avec
les
musiciens,
les
chaises
et
les
rafraîchissements.
Avouez
que
ces
«
invités
de
chez
Belloir»
sont
magnifiques.
Est‐ce
que
vraiment
elle
a
le
courage
de
louer
ces
figurants
toutes
les
semaines
?
Ce
n'est
pas
possible
!
»
‐
Ah
!
Mais
Cambremer,
c'est
un
nom
authentique
et
ancien,
dit
le
général.
‐
Je
ne
vois
aucun
mal
à
ce
que
ce
soit
ancien,
répondit
sèchement
la
princesse,
mais
en
tous
cas
ce
n’est
pas
euphonique
ajouta‐t‐elle
en
détachant
le
mot
euphonique
comme
s'il
était
entre
guillemets,
petite
affectation
de
débit
qui
était
particulière
à
la
coterie
Guermantes.
Du
côte
de
chez
Swann,
pp.328­338,
La
Pléïade
Musique Chopin / Polonaise opus 26 n°1
4
Partie II Dîner hier chez les Daudet…
 Fermez les yeux ... vous êtes à Paris, en 1895, au 31 de la rue de Bellechasse, et vous
assistez à un des fameux « jeudis » organisés par Alphonse Daudet et sa femme Julia ; les
convives sont rassemblés autour de la table, parlent, mangent et boivent gaiement ; parmi
eux...
 Marcel Proust. Il a 24 ans ; c'est un jeune homme très brun, d'une élégance bizarre, à la fois
raffinée, anachronique et désinvolte. Son nom commence à être connu dans les milieux
mondains et littéraires, car il a déjà publié quelques études dans La Revue Blanche, écrit
des articles dans des journaux tels que Le Gaulois. Il termine sa licence de philosophie,
s'intéresse à la littérature, à la peinture, à la musique, et mène l'existence d'un jeune homme
libre, réputé dans les salons pour sa gentillesse, son extrême amabilité, sa façon de parler
inimitable, sa grande culture ; on le prend sans doute pour un jeune homme banal, un lettré
oisif, sans prêter attention au regard perçant, scrutateur et plein d'ironie qu'il porte sur le
monde qui l'entoure ...
 C’est Reynaldo Hahn qui a demandé à Madame Julia Daudet d’inviter Marcel Proust.
Après la soirée, Marcel écrit à Reynaldo...
Dîner hier chez les Daudet avec mon petit genstil, M. de Goncourt, Coppée, M.
Philipe, M. Vacquer. Constaté avec tristesse 1° l'affreux matérialisme, si
extraordinaire chez des gens « d'esprit ». On rend compte du caractère, du génie par
les habitudes physiques de la race. Différences entre Musset, Baudelaire, Verlaine
expliquées par la qualité des alcools qu'ils buvaient, caractère de telle personne par sa
race (antisémitisme).
2° aucun d'eux (je mets tout le temps en dehors Reynaldo dans l'esprit duquel je ne
cesse d'admirer toutes les nuances de la vérité, aussi exactement et aussi subitement
que toutes les nuances du ciel dans la mer) aucun d’eux n'entend rien aux vers. Une
comparaison de Daudet entre Musset et Baudelaire est vraie à peu près comme si on
disait à quelqu'un qui ne connaîtrait ni Mme Straus ni ma concierge : Mme Straus a
des cheveux noirs des yeux noirs, le nez un peu gros, les lèvres rouges, la taille assez
belle - et de ma concierge la même chose et qui dirait - mais elles sont pareilles.
3° Phrases de Daudet extrêmement Daudet, esprit d'observation et qui pourtant sent
le renfermé, un peu vulgaire et trop prétentieux malgré une extrême finesse.
4° Mme Daudet charmante, mais combien bourgeoise. Un malheureux jeune homme
arrive, ne connaissant que son fils qui n'était pas là. Elle a tout fait, malgré elle sans
doute, pour le glacer, au bout de cinq minutes il était l’« intrus », et de temps en
temps elle disait, je ne connais pas Monsieur je le vois pour la première fois. À moi
déjà la première fois qu'allant la voir je la remerciais de m'y avoir autorisé elle me
répondait : « M. Hahn me l'avait demandé » mot énorme ! L'aristocratie qui a bien
ses défauts aussi reprend ici sa vraie supériorité, où la science de la politesse et
l'aisance dans l'amabilité peuvent jouer cinq minutes le charme le plus exquis,
feindre une heure la sympathie, la fraternité.
Lettre
à
Reynaldo
Hahn,
mi
novembre
1895
5
 Certains salons sont intimes, un peu réservés, des bonbonnières où une femme de qualité
entretient autour d’elle le bruissement des visiteurs amis.
 Ainsi est le salon de Laure Hayman, belle à croquer et donc courtisée. Son salon est peuplé
de soupirants et d’amants ceux que Marcel Proust nomme avec ironie « ses Saxes ».
A Laure Hayman, début novembre 1892
Ce mercredi matin
«
Chère
amie,
chères
délices,
Voici
quinze
chrysanthèmes,
douze
pour
vos
douze
quand
ils
seront
fanés,
trois
pour
compléter
les
douze
vôtres
;
j’espère
que
les
tiges
seront
excessivement
longues
comme
je
l’ai
recommandé.
Et
que
ces
fleurs,
fières
et
tristes
comme
vous,
fières
d’être
belles,
tristes
que
tout
soit
bête
–
vous
plairont.
Je
vous
remercie
encore
de
votre
gentille
pensée
pour
moi.
Cela
m’aurait
tant
amusé
d’aller
à
cette
fête
dix‐huitième
siècle,
de
voir
ces
jeunes
gens
que
vous
dites
spirituels
et
charmants
unis
dans
l’amour
de
vous.
Comme
je
les
comprends
!
Qu’une
femme
simplement
désirable,
simple
objet
de
convoitise
ne
puisse
que
diviser
ses
adorateurs,
les
exaspérer
les
uns
contre
les
autres,
c’est
bien
naturel.
Mais
quand
une
femme
comme
une
œuvre
d’art
nous
révèle
ce
qu’il
y
a
de
plus
raffiné
dans
le
charme,
de
plus
subtil
dans
la
grâce,
de
plus
divin
dans
la
beauté,
de
plus
voluptueux
dans
l’intelligence,
une
commune
admiration
pour
elle
réunit,
fraternise.
On
est
coreligionnaire
en
Laure
Hayman.
Et
comme
cette
divinité
est
très
particulière,
que
son
charme
n’est
pas
accessible
à
tout
le
monde,
qu’il
faut
pour
le
saisir
des
goûts
assez
raffinés,
comme
une
initiation
du
sentiment
et
de
l’esprit,
il
est
bien
juste
qu’on
s’aime
entre
fidèles,
qu’on
se
comprenne
entre
initiés.
Aussi
votre
étagère
de
Saxes
(presque
un
autel)
me
paraît‐elle
une
des
choses
les
plus
charmantes
qu’on
puisse
voir
‐
et
qui
ont
dû
le
plus
rarement
exister
depuis
Cléopâtre
et
Aspasie.
Aussi
je
propose
d’appeler
ce
siècle–ci
le
siècle
Laure
Hayman,
dynastie
régnante
celle
des
Saxes
–
Me
pardonnerez‐vous
toutes
ces
folies
et
me
permettrez‐vous
après
mon
examen
d’aller
vous
porter
mes
tendres
respects.
Marcel
Proust
P.‐S.‐
En
y
réfléchissant,
je
serais
assez
gêné
d’aller
dans
le
foutoir
de
vos
Saxes.
Si
cela
vous
était
égal
j’aimerais
mieux
voir
chez
vous
en
visite
celui
que
je
désire
surtout
voir.
Comme
cela
s’ils
me
trouvent
ennuyeux,
ils
ne
me
trouveront
pas
indiscret.
Et
je
n’aurai
pas
à
craindre
de
vengeances
ducales
ou
comtales
pour
avoir
dérangé
des
Saxes.
»
Proust correspondance par Jérôme Picon, GF, Flammarion p.51
 Si les salons sont pour Marcel Proust des lieux d’étude et d’observation, il finit néanmoins
par apparaître terriblement snob.
Misia Sert dans une lettre ose lui poser la question: « Etes-vous snob M. Proust ? ». Voici sa
réponse.
6
5
juin
1913
«
Madame,
Hélas
votre
lettre
datée
mercredi
m’est
venue
ici
qu’aujourd’hui
jeudi
et
on
n’est
entré
dans
ma
chambre
que
ce
soir
à
neuf
heures.
Je
ne
pouvais
donc
plus
vous
prévenir
à
temps.
J’ai
eu
tant
de
regrets,
la
similitude
des
circonstances
–
ballets
russes,
souper
chez
vous
–
rend
plus
vivants
les
souvenirs
chers
et
fait
presque
croire
à
une
sorte
de
récidive
du
bonheur.
Il
n’est
pas
jusqu’à
cette
phrase
«
Etes‐vous
snob
?
»
qui
m’avait
paru
bien
stupide
la
première
fois
et
que
je
sens
que
je
finirai
par
aimer,
parce
que
je
vous
l’ai
entendu
dire.
En
soi
elle
n’a
aucun
sens
;
si
dans
les
très
rares
amis
qui
continuent
par
habitude
à
venir
demander
de
mes
nouvelles
il
passe
ça
et
là
encore
un
duc
ou
un
prince
ils
sont
largement
compensés
par
d’autres
amis
dont
l’un
est
valet
de
chambre
et
l’autre
chauffeur
d’automobile
et
que
je
traite
mieux.
Ils
se
valent
d’ailleurs.
Les
valets
de
chambre
sont
plus
instruits
que
les
ducs
et
parlent
un
joli
français,
mais
ils
sont
plus
pointilleux
sur
l’étiquette
et
moins
simples,
plus
susceptibles.
Tout
compte
fait
ils
se
valent.
Le
chauffeur
a
plus
de
distinction.
Mais
enfin
cette
phrase
«
Etes‐vous
snob
?
»
m’a
plu
comme
une
robe
de
l’an
dernier
parce
que
je
vous
y
ai
trouvé
jolie.
Mais
je
vous
assure
que
la
seule
personne
dont
la
fréquentation
pourrait
faire
dire
que
je
suis
snob,
c’est
vous.
Et
ce
ne
serait
pas
vrai.
Et
vous
serez
la
seule
à
croire
que
je
vous
fréquente
par
vanité
plutôt
que
par
admiration.
Ne
soyez
pas
si
modeste.
Bien
respectueusement
vôtre.
»
Lettre
à
Mme
Edwards
jeudi
soir
5
juin
1913
Musique Georges Bizet / Le gascon
 Pendant trente années Proust échangea une correspondance avec Geneviève Halévy. Veuve
de George Bizet elle épouse l’avocat Emile Straus et tint un salon très recherché par le monde
du théâtre, de la presse et de la littérature.
Fin mai 1911
«
Chère
Madame
Straus,
Je
vous
écris
au
milieu
d’une
crise
tellement
effroyable
que
proférer
un
son
au
téléphone
ou
autrement
me
serait
matériellement
impossible.
Je
suis
très
malheureux
de
ne
point
vous
voir
et
deux
ou
trois
autres
personnes.
Mais
sans
cela
les
gens
me
plaignent
de
choses
qui
ne
sont
pas
si
tristes
et
dont
la
plus
cruelle
leur
semble
être
d’être
obligé
de
rester
sans
les
voir.
Or
rien
de
plus
charmant.
D’autant
plus
que
ceux
que
j’ai
entraperçus
le
soir
où
je
suis
sorti
pour
aller
à
Saint
Sébastien,
m’ont
parus
très
empirés.
Les
plus
gentils
ont
versé
dans
l’intelligence,
et
hélas
pour
les
gens
du
monde
l’intelligence,
je
ne
sais
pas
comment
ils
font,
n’est
qu’un
multiplicateur
de
la
bêtise,
qui
l’amène
à
une
puissance,
à
un
éclat
inconnus.
les
seuls
possibles
sont
ceux
qui
ont
eu
l’esprit
de
rester
bêtes.
Si
je
vais
mieux
j’irai
à
Cabourg
et
cette
année,
la
dernière,
je
serai
encore
raisonnable
pour
travailler.
Mais
si
le
Palace
de
Trouville
était
aussi
confortable
avec
des
murs
aussi
épais
je
pourrais
peut‐être
aller
plutôt
là
pour
être
plus
près
des
Mûriers.
Adieu
Madame,
a
bientôt
votre
respectueux
ami.
»
Marcel
Proust
Lettre fin mai 1911 Correspondance par Picon. P 177
7
 Laissons à présent Céleste Albaret, la gouvernante de Marcel Proust, donner ses
impressions sur les liens qui s’étaient établis entre Proust, Mme Straus et la célèbre comtesse
de Greffulhe.
«
La
comtesse
Greffulhe
était
une
autre
grande
admiration
de
celui
qu’on
appelait
partout
«
le
petit
Proust
»,
quand
ce
n’était
pas
«
le
petit
Marcel
»,
par
manière
de
s’étonner
de
le
voir
reçu
dans
tant
de
salons,
si
jeune,
et
sans
doute
de
l’en
jalouser.
Pourtant,
il
n’y
a
jamais
eu
entre
la
comtesse
et
lui,
le
genre
d’extraordinaire
intimité
d’esprit
qu’il
avait
avec
Mme
Straus.
La
Comtesse
Greffulhe,
c’étaient
surtout
les
rencontres
mondaines
et
le
plaisir
des
yeux.
C’était
une
Caraman‐
Chimay
;
pour
réparer
la
demi‐ruine
de
sa
famille,
elle
avait
épousé
l’immense
fortune
du
comte.
On
croisait
chez
elle
le
meilleur
du
faubourg
Saint‐Germain,
du
Jockey‐Club
et
de
la
Diplomatie.
Quand
M.
Proust
m’en
parlait,
c’étaient
des
alignements
de
princes
et
de
princesses,
de
ducs
et
de
duchesses
et
c’étaient
des
fêtes
et
des
réceptions
comme
il
n’en
a
plus
existé
à
partir
de
la
guerre
de
1914,
et
comme
il
n’en
existera
sûrement
plus
–
toute
une
société
et
toute
une
forme
de
vie
qui
s’en
allaient
déjà,
et
qui
sont
bien
parties.
Musique Erik Satie / Poudre d’or (extrait)
Il
me
parlait
du
luxe
inouï,
de
la
domesticité,
des
fleurs,
des
tableaux,
des
lustres,
des
toilettes,
des
bijoux,
des
voitures
attelées
qui
encombraient
tout
le
quartier,
en
déposant
et
en
attendant
les
invités.
‐
C’est
incroyable
de
magnificence,
Céleste,
avec
parfois
de
ces
excentricités
!…
Il
y
rêvait
en
évoquant,
bien
qu’il
n’approuvât
pas
tout.
‐
Figurez‐vous
qu’un
soir
à
un
dîner
de
Mme
Straus,
un
homme
est
venu
avec
son
singe
revêtu
du
plastron
et
de
l’habit
au
complet.
Outre
que
je
n’aime
pas
les
bêtes,
c’était
indécent
et
de
mauvais
goût.
Et
chez
Mme
Greffulhe,
pour
une
fête
costumée,
j’ai
vu
deux
lionceaux
attelés
à
de
petites
charrettes
contenant
les
accessoires
du
cotillon,
et
que
conduisait
quatre
des
quarante‐
cinq
domestiques
de
la
comtesse
en
grande
livrée
à
la
française.
J’ai
trouvé
cela
un
peu
outré
aussi
:
d’ailleurs
les
lionceaux
avaient
beau
être
apprivoisés,
cela
ne
les
a
pas
empêchés
d’arracher
un
bras
au
concierge
le
lendemain.
Mais
il
ne
fait
aucun
doute
qu’il
avait
un
grand
faible
pour
Mme
Greffuhle.
‐
Voyez‐vous
Céleste,
c’est
l’aveu
que
je
peu
faire
aujourd’hui,
m’a‐t‐il
dit
une
nuit.
Je
crois
que
dès
la
première
fois
que
je
l’ai
aperçue,
j’ai
été
totalement
séduit.
Elle
avait
une
race,
une
classe,
une
allure,
un
port
de
tête
et
de
cou
!…
Et
quelle
façon
de
coiffer
son
oiseau
de
paradis
dans
ses
cheveux
!
Unique
!
»
Céleste
Albaret
p.192‐193
Musique Camille Saint-Saëns / Hémiones
8
Partie III
M. De Montesquiou est à Paris !
 Le Comte Robert de Montesquiou-Fezensac, a exercé sur Proust une grande fascination,
même si celui-ci ne pouvait s’empêcher de voir les travers du personnage.
Céleste Albaret fut le témoin privilégié des rapports complexes entre les deux hommes. Dans
ses souvenirs, elle donne peut-être quelques clefs pour mieux comprendre les liens qui les
unissaient malgré tout...
«
Montesquiou
avait
une
très
grande
culture,
et
c’était
le
genre
de
choses
qu’admirait
toujours
Proust.
Il
était
aussi
d’une
grande
intelligence
–
«
même
si
le
soleil
de
sa
vanité
et
de
son
orgueil
empêchait
souvent
qu’on
la
voie
»
disait
M.
Proust.
(...)
Il
me
disait
aussi
:
‐
Il
a
de
la
race,
de
la
classe
et
de
la
réplique.
Il
me
parlait
aussi
de
son
élégance,
qui
avait
été
très
tapageuse
autrefois
–
il
lui
était
arrivé
de
s’habiller
tout
en
blanc
avec
une
fleur
en
guise
de
cravate
–
mais
qui
s’était
considérablement
assagi
avec
l’âge
:
il
ne
portait
plus
que
du
noir
ou
du
gris
d’excellente
coupe.(…)
Quand
il
prenait
un
volume
des
vers
de
Montesquiou
dans
la
bibliothèque
du
petit
salon,
il
mettait
toujours
un
peu
d’ironie
en
me
les
déclamant.»
Céleste Albaret p305-306
 Le 6 mars 1905, à la suite d’un goûter organisé par ses soins, Marcel Proust écrit à Robert
de Montesquiou…
Cher
Monsieur,
Je
rentre…
j’aperçois
sur
mon
bougeoir
une
lettre…
votre
écriture…
Timbre
de
Paris
!
–
Alors,
premier
mouvement,
rien
que
de
l’égoïsme
(qui
peut
devenir
de
la
férocité)
du
maître
de
maison
(je
l’étais
encore
un
peu
quelques
heures
après
les
chandelles
éteintes).
«
M.
de
Montesquiou
est
à
Paris
!
»
J’aurais
pu,
peut’être,
l’avoir,
à
ma
fête
!
Peut’être
il
serait
venu
!
Cette
réunion
en
aurait
eu
un
éclat,
un
prix
unique.
Et
il
est
trop
tard.
Ce
n’est
plus
possible,
la
fête
est
finie
depuis
deux
heures
et
les
gens
sont
rentrés
chez
eux.
Alors
malédictions
mentales
respectueuses
à
Madame
de
Clermont‐Tonnerre
qui
m’avait
dit
que
vous
n’étiez
pas
revenu,
à
Lucien
qui
m’avait
dit
que
vous
étiez
à
Artagnan,
à
vous
qui
m’aviez
dit
que
vous
partiez
jusqu’au
printemps.
Malgré
ce
que
vous
m’aviez
dit
quand
j’ai
décidé
ce
goûter
j’ai
écrit
à
Madame
de
Clermont‐Tonnerre
pour
savoir
si
vous
reveniez.
Elle
m’avait
répondu
:
non.
J’avais
demandé
à
Lucien
qui
m’avait
dit
:
Mais
non,
j’ai
une
lettre
de
M.
de
Montesquiou
d’hier
et
il
ne
me
parle
pas
de
retour.
Et
puis
surtout
j’étais
tellement
fait
à
l’idée
que
vous
restiez
jusqu’au
printemps,
l’idée
contraire
n’aurait
été
acceptée
que
sur
preuves.
Toutes
ces
pensées
en
voyant
votre
enveloppe
datée
de
Paris,
de
pure
rage,
fureur
prédominante
du
maître
de
maison
frustré
de
sa
gloire.
Aucune
pensée
admirable,
respectueuse,
ou
tendre
pour
vous.
Tout
vu
sous
l’angle
«
matinée
»,
en
voyant
filer
le
gros
turbot
qu’on
aurait
pu
servir
à
ses
invités,
en
le
voyant
filer
à
travers
la
vitre
de
l’aquarium
du
trop
tard
:
«
je
m’appelle
ce
qui
aurait
pu
être,
je
m’appelle
ce
qui
aurait
pu
être
et
ce
qui
n’a
pas
été
».
–
Gros
turbot
9
par
l’importance
mais
aussi
assez
littéralement,
gros
et
rosé.
Car
maintenant
il
y
a
un
M.
De
Montesquiou
d’Artagnan,
gras,
très
rosé,
je
ne
dis
pas
faisant
sa
chattemite.
Et
naturellement
comme
le
goûter
était
donné
en
grande
partie
pour
le
jeune
ménage
Clermont
Tonnerre,
tous
deux
exquis,
mais
qui
ne
sont
venus
ni
l’un
ni
l’autre
!
la
première
pensée
avait
été
:
quel
malheur
que
M.
de
Montesquiou
ne
soit
pas
ici.
Toujours
en
regardant
l’enveloppe
:
J’allais
pas
trop
mal
pendant
huit
jours
et
M.
de
Montesquiou
était
à
Artagnan.
Je
suis
maintenant
horriblement
mal
et
il
est
ici
,
et
je
ne
le
verrai
pas.
Je
ne
le
vois
pas
maintenant
une
fois
en
deux
ans.
Et
puis
j’ouvre
la
lettre
et
l’en
tête
me
fait
faire
en
une
seconde
quatre
cents
kilomètres
ce
qui
est
étourdissant.
Et
je
trouve
de
plus
en
plus
que
vous
êtes
l’Aladin
dont
vous
prîtes
un
jour,
en
certain
bal
costumé,
les
habits
et
dont
vous
avez
gardé
l’âme
poétiquement
et
despotiquement
farceuse,
les
grands
jeux
d’imagination
réalisés.
Alors
où
êtes‐vous
?
Je
vous
sens
à
la
fois
à
Artagnan
et
à
Paris,
une
ubiquité
de
Pan.
[…]
Tout
de
même
la
lettre,
peut’être
écrite
à
Artagnan
et
mise
à
Paris,
peut’être
le
contraire,
qui
saura
jamais,
est
assez
troublante.
Et
maintenant
Dieu
sait
quand
je
vous
reverrai.
Marcel
Proust
Je
vais
mettre
sur
l’enveloppe
en
y
donnant
tout
son
sens
incertain,
ici
mystérieux,
«
faire
suivre
en
cas
d’absence
!
»
A Robert de Montesquiou 6 mars 1905 pp. 311-312
Musique Gabriel Fauré / Pavane
A la duchesse de Clermont-Tonnerre, le 20 février 1922
«
Madame,
on
m’a
dit
que
presque
seule
de
ses
amies
vous
étiez
à
l’enterrement
du
pauvre
Montesquiou.
Je
dis
pauvre
Montesquiou,
bien
que
tout
me
persuade
qu’il
n’est
pas
mort
et
que
dans
ces
funérailles
à
la
Charles
Quint,
le
cercueil
heureusement
était
vide.
C’est
ce
qui
me
fait
attendre
pour
écrire
l’étude
que
je
compte
lui
consacrer.
Je
ne
l’avais
pas
revu
depuis
longtemps,
mais
il
m’écrivait
les
lettres
les
plus
gentilles
et
j’avais
tâché
de
lui
faire
un
plaisir,
comme
il
m’avait
dit
qu’il
était
malade.
C’était
la
publication
par
une
revue
de
morceaux
qu’il
jugeait
avec
raison
injustement
négligés.
Malheureusement
il
était
l’homme
du
monde
à
qui
il
était
le
plus
difficile
de
faire
plaisir.
Vingt‐quatre
heures
après
il
avait
brusquement
changé
d’avis,
et
m’écrivait
une
lettre
délicieuse
pour
moi
mais
terrible
contre
le
directeur
de
la
revue
que
j’avais
pourtant
forcé
aux
formes
les
plus
déférentes.
Puis
il
m’envoya
son
dernier
livre
;
j’étais
trop
souffrant
pour
lui
dire
combien
je
l’aimais,
et
si
contre
toute
attente
il
était
vraiment
mort,
je
ne
me
consolerais
pas
de
ne
pas
le
lui
avoir
exprimé
à
temps.
Mais,
encore
une
fois,
j’ai
toute
les
raisons
de
croire
à
un
dernier
tour
magistralement
exécuté
par
ce
merveilleux
metteur
en
scène.
Adieu
Madame,
j’ai
trop
à
vous
dire
et
trop
peu
de
forces
pour
prolonger.
Veuillez
agréer
mes
admiratifs
et
respectueux
hommages.
»
Marcel
Proust.
Lettre
à
la
duchesse
de
Clermont
Tonnerre
pp.
1074‐1075
Musique Gabriel Fauré / Pavane
10
Partie IV
Malgré ma fatigue et ma hâte…
à Albert Nahmias
21 août 1912
Cher ami,
Malgré ma fatigue et ma hâte à être prêt pour un dîner auquel je ne peux manquer ce
soir, je tiens à vous écrire ce mot pour que, si vous appreniez que je vais réunir ces
jours-ci les jeunes gens de Cabourg et autres, vous ne puissiez pas, avant mes
explications, voir dans le fait de ne pas vous inviter, une preuve mesquine de
ressentiment aussi indigne de vous que, j’ose le dire, de moi. Vous savez qu’un petit
fait, si insignifiant qu'il soit, peut souvent, quand il amène la sursaturation d'un état
invisible mais surchargé, prendre une grande importance. Je n’étais pas bien hier,
mais comme vous m'aviez donné rendez-vous entre six et sept sur la digue, et que je
pensais que peut-être vous hâtiez votre retour de Deauville pour cela, mort ou vif j'y
serais allé. Et de plus, ayant su que de jolies personnes d'Houlgate étaient à Cabourg,
j'ai usé de ruse pour les garder afin de vous distraire par là. Naturellement vous n'êtes
pas venu, vous n'avez pas jugé à propos de me prévenir, ni même de me faire savoir
si Helleu était parti (ce qui n’a pas d'importance, car j'ai envoyé Nicolas à Trouville
et il en a parlé avec lui). Si ma lettre n'avait pas simplement pour but de ménager
votre amour-propre, par égard pour l'amitié si profonde et si vraie que j'ai eue pour
vous, elle n'en aurait aucun. Car je sais que vous n'êtes pas perfectible. Vous n'êtes
même pas en pierre, qui peut être sculptée si elle a la chance de rencontrer un
sculpteur (et vous pourriez en rencontrer de plus grands que moi, mais je l'eusse fait
avec tendresse), vous êtes en eau, en eau banale, insaisissable, incolore, fluide,
sempiternellement inconsistante, aussi vite écoulée que coulée. On peut vous
regarder passer pour les gens que cela amuse, quotidien, sans « moi ». On ne peut pas
faire davantage. Moi qui ai eu pour vous une affection vive, cela me donne envie
tantôt de bâiller, tantôt de pleurer, quelquefois de me noyer. Excusez-moi donc de
quitter à tout jamais ses rives. Je vous ai deviné, votre vraie nature, le jour où vous
m'avez dit avec cette énergie : « Mais je ne peux pas, puisqu'il y a le raout Foucart. »
Mais on veut toujours espérer, on n'aime pas s'être trompé. Et si gentiment, trop
gentiment, car mieux valait les lilas non fleuris d'alors que l'infecte odeur des lilas
pourris d'aujourd'hui, vous m'avez peint votre caractère si différent.
Et de fait cette amitié (je parle de la mienne) que je croyais si fragile, je l'ai sentie
solide comme rarement. Vous êtes un des seuls que je vis cette année. Vous pouvez
dire que vous êtes passé à côté d’une fameuse possibilité d’amitié, et que vous l’avez
gâchée. Vous n'êtes même pas capable de venir sur la digue à sept heures ! Et moi,
pour qui cela représente tant de fatigue etc., j'en ai tout l'ennui. Je suis trop fatigué
pour revoir un ami qui même matériellement, en manquant les rendez-vous, etc., soit
une cause d'énervement et de fatigue. J'ai besoin d'amis qui m'en épargnent, et non
qui m'en ajoutent. Mon cher ami, par pitié pour ma santé, ne cherchez pas le leurre
d'une réconciliation que vous n'êtes pas capable de tenir même un mois. Ce que vous
appelez vos chagrins, ce sont tout simplement ce que vous croyez des plaisirs, une
sauterie, une partie de golf, etc. Un jour je peindrai ces caractères qui ne sauront
jamais, même à un point de vue vulgaire, ce que c'est que l'élégance, prêt pour un
bal, d'y renoncer pour tenir compagnie à un ami. Ils se croient par là mondains et
11
sont le contraire. Je n'ai plus le temps d'écrire une ligne et je vous quitte une fois pour
toutes. Mais je veux en finissant vous dire que je ne veux pas que vous croyiez que je
vous dis cela d'un cœur léger ; j'ai eu, je vous le dis parce que je pense que cela vous
fait plaisir et vous donne quelque orgueil, beaucoup de chagrin ; et mon cœur n'est
pas de ceux qui sans un serrement amer mettent à l'imparfait, au passé, ce qui (même
souvent un simple objet) fut comme vous le fûtes la prédilection de leur présent et
l'espérance de leur avenir. Renvoyez-moi cette lettre, et laissez-moi ici vous serrer la
main en ami.
Marcel.
Musique Claude Debussy / Des pas sur la neige
 La disparition d’Alfred Agostinelli dans un accident d’aviation laisse une grande douleur,
dont Marcel Proust fait part à Reynaldo Hahn.
Cher
Reynaldo,
24
octobre
1914
Je
vous
remercie
de
votre
lettre
impérissable
monument
de
bonté
et
d’amitié.[…].
Mon
cher
petit
vous
êtes
bien
gentil
d’avoir
pensé
que
Cabourg
avait
dû
m’être
pénible
à
cause
d’Agostinelli.
Je
dois
avouer
à
ma
honte
qu’il
ne
l’a
pas
été
autant
que
j’aurai
cru
et
ce
voyage
a
plutôt
marqué
une
première
étape
de
détachement
de
mon
chagrin,
étape
après
laquelle
j’ai
rétrogradé,
une
fois
revenu,
vers
les
souffrances
premières.
Mais
enfin
à
Cabourg,
sans
cesser
d’être
aussi
triste
ni
d’autant
le
regretter,
il
y
a
eu
des
moments,
peut’être
des
heures,
où
il
avait
disparu
de
ma
pensée.
Mon
cher
petit,
ne
me
jugez
pas
trop
mal
par
là
(si
mal
que
je
me
juge
moi‐
même
!).
Et
n’en
augurez
pas
un
manque
de
fidélité
dans
mes
affections,
comme
moi
j’ai
eu
le
tort
de
l’augurer
pour
vous
quand
je
vous
voyais
regretter
peu
des
gens
du
monde
que
je
croyais
que
vous
aimiez
beaucoup.
Je
vous
ai
alors
supposé
moins
de
tendresse
que
je
n’avais
cru.
Et
j’ai
compris
ensuite
que
c’était
parce
qu’il
s’agissait
de
gens
que
vous
n’aimiez
pas
vraiment.
J’aimais
vraiment
Alfred.
Ce
n’est
pas
assez
dire
que
je
l’aimais,
je
l’adorais.
Et
je
ne
sais
pourquoi
j’écris
cela
au
passé
car
je
l’aime
toujours.
Mais
malgré
tout,
dans
les
regrets,
il
y
a
une
part
d’involontaire
et
une
part
de
devoir
qui
fixe
l’involontaire
et
en
assure
la
durée.
Or
ce
devoir
n’existe
pas
envers
Alfred
qui
avait
très
mal
agi
avec
moi,
je
lui
donne
les
regrets
que
je
ne
peux
faire
autrement
que
de
lui
donner,
je
ne
me
sens
pas
tenu
envers
lui
à
un
devoir
comme
celui
qui
me
lie
àvous,
qui
me
lierait
à
vous,
même
si
je
vous
devais
mille
fois
moins,
si
je
vous
aimais
mille
fois
moins.
Si
donc
j’ai
eu
à
Cabourg
quelques
semaines
de
relative
inconstance,
ne
me
jugez
pas
inconstant
et
n’en
accusez
que
celui
qui
ne
pouvait
mériter
de
fidélité.
D’ailleurs
j’ai
eu
une
grande
joie
de
voir
que
mes
souffrances
étaient
revenues
;
mais
par
moment
elles
sont
assez
vives
pour
que
je
regrette
un
peu
l’apaisement
d’il
y
a
un
mois.
Mais
j’ai
aussi
la
tristesse
de
sentir
que
même
vives
elles
sont
pourtant
peut’être
moins
obsédantes
qu’il
y
a
un
mois
et
demi
ou
deux
mois.
Ce
n’est
pas
parce
que
les
autres
sont
morts
que
le
chagrin
diminue,
mais
parce
qu’on
meurt
soi‐même.
Et
il
faut
une
bien
grande
vitalité
12
pour
maintenir
et
faire
vivre
intact
le
«
moi
»
d’il
y
a
quelques
semaines.
Son
ami
ne
l’a
pas
oublié
le
pauvre
Alfred.
Mais
il
l’a
rejoint
dans
la
mort
et
son
héritier,
le
«
moi
»,
d’aujourd’hui
aime
Alfred
mais
ne
l’a
connu
que
par
les
récits
de
l’autre.
C’est
une
tendresse
de
seconde
main.
(Prière
de
ne
parler
de
tout
cela
à
personne;
si
le
caractère
général
de
ces
vérités
vous
donnait
la
tentation
d’en
lire
quelques
extraits
à
Gregh
ou
à
d’autres,
vous
me
feriez
beaucoup
de
peine.
Si
je
veux
formuler
de
telles
choses
ce
sera
sous
le
pseudonyme
de
Swann.
D’ailleurs
je
n’ai
plus
à
les
formuler.
Il
y
a
longtemps
que
la
vie
ne
m’offre
que
des
événements
que
j’ai
déjà
décrits.
Quand
vous
lirez
mon
troisième
volume,
celui
qui
s’appelle
en
partie
à
L’Ombre
des
Jeunes
filles
en
fleurs,
vous
reconnaîtrez
l’anticipation
et
la
sûre
prophétie
de
ce
que
j’ai
éprouvé
depuis).
Mille
tendresse
de
votre
Marcel.
Lettre
du
24
octobre
1914
pp
707
708
Musique Reynaldo Hahn / chanson d’automne
«
Je
ne
connaissais
Marcel
Proust
que
depuis
peu
de
temps,
quand
nous
fûmes
invités,
l'un
et
l'autre,
à
passer
quelques
jours
à
la
campagne
chez
une
amie.
Dans
nos
rares
entretiens
j'avais
admiré
l'amabilité
ingénieuse
de
Marcel,
sa
miraculeuse
rapidité
de
compréhension,
son
sens
du
comique
;
mais
je
ne
soupçonnais
pas
son
génie,
dont
je
n'eus
la
révélation
que
petit
à
petit,
et
je
ne
me
doutais
même
pas
qu'il
fût
quelqu'un
d'extraordinaire.
Je
savais
qu'il
écrivait,
mais
il
n'en
parlait
pas,
je
n'avais
rien
lu
de
lui
et
il
ne
ressemblait
en
rien
aux
hommes
de
lettres
que
je
fréquentais.
Le
jour
de
mon
arrivée,
nous
allâmes
ensemble
nous
promener
dans
le
jardin.
Nous
passions
devant
une
bordure
de
rosiers
du
Bengale,
quand
soudain
il
se
tut
et
s'arrêta.
Je
m'arrêtai
aussi,
mais
il
se
remit
alors
à
marcher,
et
je
fis
de
même.
Bientôt
il
s'arrêta
de
nouveau
et
me
dit
avec
cette
douceur
enfantine
et
un
peu
triste
qu'il
conserva
toujours
dans
le
ton
et
dans
la
voix
:
«
Est‐ce
que
ça
vous
fâcherait
que
je
reste
un
peu
en
arrière
?
Je
voudrais
revoir
ces
petits
rosiers.
»
Je
le
quittai.
Au
tournant
de
l'allée,
je
regardai
derrière
moi.
Marcel
avait
rebroussé
chemin
jusqu'aux
rosiers.
Ayant
fait
le
tour
du
château,
je
le
retrouvai
à
la
même
place,
regardant
fixement
les
rosiers.
La
tête
penchée,
le
visage
grave,
il
clignait
des
yeux,
les
sourcils
légèrement
froncés
comme
par
un
effort
d'attention
passionnée,
et
de
sa
main
gauche
il
poussait
obstinément
entre
ses
lèvres
le
bout
de
sa
petite
moustache
noire,
qu'il
mordillait.
Je
sentais
qu'il
m'entendait
venir,
qu'il
me
voyait,
mais
qu'il
ne
voulait
ni
parler,
ni
bouger.
Je
passai
donc
sans
prononcer
un
mot.
Une
minute
s'écoula
puis
j'entendis
Marcel
qui
m'appelait.
Je
me
retournai
;
il
courait
vers
moi.
Il
me
rejoignit
et
me
demanda
si
«
je
n'étais
pas
fâché
».
Je
le
rassurai
en
riant
et
nous
reprîmes
notre
conversation
interrompue.
Je
ne
lui
adressai
pas
de
questions
sur
l'épisode
des
rosiers,
je
ne
fis
aucun
commentaire,
aucune
plaisanterie
:
je
comprenais
obscurément
qu'il
ne
fallait
pas...
Que
de
fois,
par
la
suite,
j'ai
assisté
à
des
scènes
similaires
!
Que
de
fois
j'ai
observé
Marcel
en
ces
moments
mystérieux
où
il
communiait
totalement
avec
la
nature,
avec
l'art,
avec
la
vie,
en
ces
«
minutes
profondes
»
où
son
être
entier,
concentré
dans
un
travail
transcendant
de
pénétration
et
d'aspiration
alternées
entrait,
pour
ainsi
dire,
en
état
de
transe,
où
son
intelligence
et
sa
sensibilité
surhumaines,
tantôt
par
une
série
de
fulgurations
aiguës;
tantôt
par
une
lente
et
irrésistible
infiltration,
parvenaient
13
jusqu'à
la
racine
des
choses
et
dé
couvraient
ce
que
personne
ne
pouvait
voir,
‐
ce
que
personne,
maintenant,
ne
verra
jamais.
»
Reynaldo
Hahn
Musique Franz Liszt / Consolation (extrait)
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