PDF - Berghahn Journals

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L’IMPOSSIBLE PRÉSENCE DE L’HISTORIEN*
Stéphane Gerson
New York University
Parti « sur les traces d’un inconnu » au dix-neuvième siècle, Le Monde retrouvé
de Louis-François Pinagot marque, non pas un tournant, mais une étape significative dans l’œuvre d’Alain Corbin. Ce livre détonne dans l’historiographie
contemporaine, interpellant ses lecteurs dans sa conception et dans sa
rhétorique. Il le fait dès ses premières pages, surtout dans ses premières pages: un
« prélude » singulier, mélange de voix, de genres, de caractères typographiques
qui appréhende Louis-François Pinagot, l’énigmatique sabotier percheron,
dans sa présence et dans son absence. « Louis-François Pinagot a existé », lance
Corbin en ouverture, avant de présenter l’ouvrage, un peu plus loin, comme
une « méditation sur la disparition1 ». Le prélude renvoie à Pinagot, mais aussi
à un auteur qui se découvre dans ce même espace liminal entre absence et
présence. On trouve d’une part l’historien qui intervient comme sujet (le
« je ») et comme personne (avec sa biographie, ses convictions et incertitudes,
ses émotions2), l’historien qui adopte de multiples figures et acquiert, au sein
d’une relation personnelle avec cet individu, une visibilité qu’il n’avait pas
dans les écrits antérieurs de Corbin; d’autre part, l’historien qui, loin de se
complaire dans cette visibilité, tente de la cantonner, s’estompant, se dérobant, rechignant à se mettre en avant.
« L’impossible présence de l’historien »: inspiré d’un article d’Alain
Corbin, le titre de cette étude en précise l’objet3. À partir de ce prélude, mais
en le rapprochant du reste de l’ouvrage et, ponctuellement, de l’œuvre à laquelle elle participe, il s’agira de saisir cette présence de l’auteur, de l’historien
dans toute sa tension. Je procéderai en trois temps: d’abord, les modalités de
cette présence; ensuite, ses logiques et les phénomènes sociaux qu’elle rejoint;
enfin, le couple présence/distance. Sur ce plan comme sur d’autres, l’œuvre
d’Alain Corbin soulève avec acuité des questions d’écriture et de méthode qui
traversent l’histoire sociale et culturelle telle qu’elle se pratique aujourd’hui, en
France et ailleurs.
French Politics, Culture & Society, Vol. 22, No. 2, Summer 2004
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Stéphane Gerson
I.
Inconnu, Louis-François Pinagot le fut de son monde—absent de l’espace public, des journaux ou dictionnaires biographiques—et par conséquent du nôtre.
Inconnu: c’est-à-dire ordinaire et anonyme; c’est-à-dire oublié et désormais
retrouvé, choisi au hasard par Alain Corbin. Esquivant l’analyse quantifiée
d’un « peuple » élusif et les constructions rétrospectives de l’autobiographie, ce
livre dessine les contours d’une certaine histoire sociale et culturelle, circulant
dans les ornières, comblant les « négligence[s] » d’historiens dont Corbin tait
les noms [10]. Surtout, l’ouvrage se présente comme un défi: celui de retrouver
cet inconnu—en l’occurrence Pinagot—, d’en cerner l’existence et le métier,
les solidarités et les sociabilités, les connaissances et les souvenirs, les aspirations et les angoisses.
Qu’en est-il du texte? Une monographie à certains égards fort classique,
avec dix chapitres, 750 notes, une carte d’Origny-le-Butin et de son pays en
appendice. S’y ajoute ce prélude, comme il se doit bref (neuf pages), mais qui
mérite notre attention car les préambules ne sont pas des formalités dans
l’œuvre de Corbin. Archaïsme et modernité en Limousin débutait par un avantpropos, comme tous ses ouvrages jusqu’au Village des cannibales en 1990. Ce
récit s’ouvrait par un « prélude » de quatre paragraphes, mise en scène imagée
du massacre de Hautefaye. Vint ensuite Les Cloches de la terre, dont le préambule ne reçut qu’un titre: « L’exploration de l’inactuel ». Corbin octroya aussi
un titre au préambule du Monde retrouvé, « Recherche sur l’atonie d’une existence ordinaire », mais sous la dénomination de prélude. Le prélude est peu
fréquent dans les livres d’histoire universitaire, et son choix ne peut être fortuit. Nul besoin d’être musicologue pour savoir que, dès ses origines au quinzième siècle, le prélude se distingua par sa liberté de composition et la place
qu’il accorda à l’improvisation, aux inclinations de l’interprète. Dans son Art
de toucher le clavecin (1716), François Couperin évoque « une composition
libre où l’imagination se livre à tout ce qui se présente à elle4 ». Bach le
structura, mais Chopin et d’autres lui rendirent cette liberté au dix-neuvième
siècle. Le prélude romantique constitua, selon un spécialiste, « le genre protéique par excellence qui permet au compositeur d’être véritablement luimême ». Si son lien avec la pièce principale—lorsque telle pièce il y eut—se
distendit très tôt, le prélude continua toutefois d’en imprimer le ton5. Liberté
de forme et d’interprétation, dialogue entre compositeur et interprète, affirmation de soi, relation ambiguë avec le corps de l’œuvre: tous ces éléments se
rapportent à notre propos.
Deux voix se font entendre dans le prélude du Monde retrouvé. D’une part,
la voix neutre et distante du récit historique, écartant le locuteur. Des faits, des
certitudes sont posés avec conviction; les « évènements semblent se raconter
eux-mêmes6 ». Écoutons Corbin: « Louis-François Pinagot a passé une longue
vie à la lisière de la forêt. Son existence s’étire parallèlement à celle des grands
romantiques français » [13]. D’autre part, la voix hautement personnelle de ce
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qu’Émile Benveniste nomme le discours, s’ouvrant au locuteur et à son point
de vue particulier7. Cette voix apparaît dès le premier paragraphe: LouisFrançois Pinagot « est bien celui que je cherchais » [7]. Elle domine le prélude
puis refait surface ci et là dans le livre. S’instaure donc une polyphonie au sein
de laquelle l’historien intervient ouvertement dans le texte, sous la guise d’un
« je » que l’on n’est pas habitué à retrouver dans pareil ouvrage d’histoire8.
Alain Corbin parle de la « multiplicité des figures » de Pinagot [289]. On peut
en dire autant de l’auteur.
Il y a en premier lieu la figure du chercheur, la plus classique, la plus
fréquente aussi dans les avant-propos de livres d’histoire. Citons par exemple
le Luther de Lucien Febvre, lui-même une référence constante dans les livres de
Corbin. Les deux avant-propos de Febvre (1927 et 1944) traitent—avec une
présence timide du « je »—de choix méthodologiques, des thèses de l’ouvrage,
du statut même du livre (ni biographie, ni jugement)9. Cette figure domine les
premières pages du prélude du Monde retrouvé, se déclinant de diverses
manières. Nous découvrons d’abord l’homme de métier, le professionnel, apte
à accomplir pareil projet grâce à ses quarante ans d’expérience, sa connaissance des archives, sa méthode. Il dit recueillir des « données certaines, vérifiables », accumule et compare les indices, en identifie les contradictions,
détermine quel type de conclusions elles autorisent [9]. Il trie, il analyse, il suppose. Il invite aussi à la prudence dans l’interprétation—de l’identité incertaine
de Pinagot, par exemple, ou de son « espace sonore » [24]. Rien de surprenant,
si ce n’est la fréquence des interventions (qui se prolongent au-delà du
prélude) et la préoccupation éthique, omniprésente. L’auteur s’emporte contre
l’anachronisme de l’historien qui juge à l’aune de ses propres critères et
valeurs. Un leitmotiv dans l’œuvre de Corbin, ce souci trouve une nouvelle
intensité dans un projet axé autour de l’écoute et de la compréhension d’un
être qui n’a jamais réclamé pareille enquête. Le chercheur s’interroge donc dès
le prélude sur le bien-fondé d’un tel projet, « de quel droit [il peut] décider …
de faire revivre ainsi quelqu’un qui, peut-être, ne le souhaite pas » [10]. À la fin
du livre, il implore Louis-François Pinagot de lui « pardonne[r] cette évanescente résurrection » [289]. Ce sont là deux interventions parmi d’autres, qui
expriment une même préoccupation éthique.
L’homme de métier se double d’un enquêteur, figure plus inattendue, qui
révèle les modalités de sa recherche et ouvre les portes de son atelier dans le
cadre de ce que Corbin appelle « notre enquête » [158]. Le Monde retrouvé met
donc en scène deux trajectoires temporelles: le périple dans le passé, à la
découverte d’un homme et de son monde, et la progression de l’enquêteur, à
la recherche de traces. Ce dernier nous présente son itinéraire et ses objectifs
dans le prélude, puis nous invite à partager sa route. Il parle de ce qu’il sait, de
ce qu’il aimerait savoir et de ce qu’il ne peut savoir, des embûches qu’il doit
surmonter, de ce qu’il apprend et de comment il l’apprend. Ce n’est qu’à la page
240, par exemple, que Corbin dit découvrir que Pinagot possédait une vache.
Il l’apprit, précise-t-il, « avec surprise et tardivement, sur le registre paroissial ».
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Au-delà de ses chapitres thématiques, le livre reproduit donc la diachronie de
l’enquête et, partant, des connaissances de l’enquêteur qui confirme des
hypothèses et en infirme d’autres. Le Monde retrouvé tourne autour de Pinagot,
certes, mais également—surtout?—de ce que Corbin sait, apprend et ignore
à son sujet.
Le lecteur n’est pas naïf au point de lire ce récit comme la transposition
immédiate de notes de recherche. Mais Alain Corbin joue sur cette ambiguïté
en consacrant presque la moitié du prélude aux « fragments » d’un journal
tenu au début de son enquête. Par leur forme et l’emploi des pronoms, bien sûr,
mais aussi par le recours à l’italique, ces « fragments » constituent un espace à
part dans ce texte, distinct mais le marquant de son empreinte. Trois pages et
demie, quatre entrées, espacées sur trois journées de mai et juin 1995—c’est
peu dans un livre, mais suffisant pour lancer cette enquête, l’ancrer dans le
temps et l’espace, la situer dans le domaine du quotidien, du « discontinu », de
« l’au jour le jour10 » (Corbin convie son lecteur aux archives départementales
de l’Orne, paraît même rédiger ce journal sur place [à 14 heures], révèle ce qu’il
a appris en une semaine, et ainsi de suite). C’est suffisant pour introduire
immédiateté et contingence, accentuées par l’emploi du présent, du passé
composé, et du futur: « J’imagine les disparus … j’ai saisi l’un des volumes de
l’inventaire … je vais … orienter les séquences d’une vie » [10-11]. C’est suffisant, aussi, pour légitimer l’enquêteur et donner une consistance personnelle
au récit. Les fragments en italique produisent une diversité stylistique qui
souligne la dimension personnelle de l’ouvrage, la construction littéraire de
l’auteur par l’auteur11. Le diariste n’est « ni véridique ni naturel », notait Jean
Malaquais dans son journal. «Ici, plus qu’ailleurs, on compose12 ». L’incertitude plane, il est vrai, sur le statut du journal d’Alain Corbin. S’agit-il d’un
journal d’enquête, pareil à celui d’un Zola ou d’un quelconque ethnologue? Sa
démarche s’apparente à celle de l’ethnologue, mais Corbin n’entreprend
évidemment pas une réelle enquête de terrain13. S’agit-il alors d’un journal de
recherche, mêlant réflexions et hypothèses? Le titre prête à confusion, car
« Journal tenu les premiers jours de l’enquête » ne signifie pas tenu uniquement
pendant ces premiers jours. Ce flou est d’autant plus révélateur que ce journal
est travaillé—les « fragments » impliquent déjà un choix.
Admettons cependant qu’il ne s’agisse « que » d’un journal de recherche.
La pratique d’un tel genre est inhabituelle parmi les historiens, sa publication
rare, et sa présence au sein-même d’une monographie (un hors-texte dans le
texte) exceptionnelle14. Tout ceci reflète une volonté: celle de s’ouvrir au regard
de l’autre, de lever un voile, de se mettre en scène comme engagé dans un projet et une démarche. Inscrit dans la pratique scientifique, le journal de
recherche se démarque néanmoins de la distance que l’on associe à la science.
C’est le lieu de l’examen de conscience, de la réflexion sur, et de la critique de
soi et de son entreprise. C’est le lieu de l’envers et du tu, des tâtonnements
d’ordinaire dissimulés, de ce que René Louran appelle joliment « l’inquiétante
intimité de la recherche15 ». Lieu de l’intime, ces fragments sont aussi—par leur
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emplacement—un lieu de l’interrogation sur l’intime. Qu’il ait rédigé ce journal en vue d’une publication ou non (le lecteur l’ignore), Corbin induit un
ensemble de questions sur le statut de ces fragments (vrai journal ou non? Brut
ou remanié?); la matérialité de l’entreprise (l’historien a-t-il réellement écrit ce
journal dans la salle des catalogues?); et les intentions de l’historien (pourquoi
écrire et publier tel journal? Corbin l’a-t-il rédigé pour lui-même ou pour moi?
Ai-je accès à un texte par définition privé?). Dès les premières pages du livre,
donc, ces fragments conduisent le lecteur à s’interroger non seulement sur la
présence de Pinagot, mais aussi sur celle de l’auteur16.
Des figures du chercheur, ce journal nous mène à celle de la personne,
cette « personne … psychologique, passionnelle, biographique » que le récit
historique objectif tend à effacer17. Le journal n’est-il pas, pour poursuivre une
réflexion de Maurice Blanchot, ce « mémorial » par lequel l’écrivain se souvient de lui-même, de sa vie quotidienne, d’un moment du moins de son existence18? L’auteur de ce journal possède en effet une biographie (une longue
expérience des archives, je l’ai dit, mais aussi des origines géographiques dans
l’Orne—« mon pays natal » [11]), et des émotions (l’espérance, le doute, l’inquiétude, la satisfaction). Le journal constitue aussi, après tout, le lieu de
l’émotion immédiate, éveillée par les faits qu’il narre19. Prenons le premier
fragment, dramatique: « 2 mai 1995. 14 heures. Le jour du choix est venu.
Émotion suscitée par l’attente d’un face-à-face … avec un inconnu » [10].
Corbin s’ouvre à l’émotion dès le début de l’enquête. Dans un entretien récent,
il évoqua l’émotion qu’il ressentit en découvrant la signature de Pinagot (une
croix) au bas d’une pétition20. Émotion du plongeon dans le temps, du dialogue avec les morts, mais surtout du rapport direct et personnel entre deux
individus. Ce rapport se forge dans la durée—l’historien et le sujet passent
plusieurs années seuls ensemble, dit Corbin—et, contrairement au rapport qui
unit Clemenceau à son énième biographe, dans l’ombre et l’exclusivité. Il se
présente comme réciproque: tandis que l’historien s’identifie à l’acteur historique et le ranime21, l’acteur s’ouvre à l’historien, lui fournit une nouvelle
voie vers le passé et, peut-être, sa propre personne. D’où cette confidence de
Corbin: « Louis-François Pinagot ressuscite, et je m’enrichis de sa rencontre »
[12]. D’où aussi le refus d’appeler ce dernier « Pinagot ». Louis-François
Pinagot, oui; Louis-François aussi; mais point de Pinagot. Et pourtant les
Lebouc, Bouquet et autres Delestang foisonnent dans ces pages. Au-delà des
conventions de l’écriture biographique, cette préférence nominative peut se
lire comme une marque de respect, sinon d’estime.
À ces deux figures s’en ajoute une dernière, plus furtive: celle de l’acteur
social. Rappelons que cette figure—l’historien intervenant sur des questions de
son temps—a une longue histoire en France, du professeur au service de la
patrie (Gabriel Monod) au savant qui met son expertise critique ou savante à
la disposition de la justice ou de la paix (Affaire Dreyfus, Traité de Versailles).
Aujourd’hui, alors que la demande sociale d’histoire s’intensifie encore et toujours, que commémorations et anniversaires se suivent à un rythme effréné,
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que le syndrome de Vichy fait place à celui de la guerre d’Algérie, l’historien se
voit investi de multiples fonctions sociales22. C’est l’historien-arbitre, l’historien-producteur de mémoire, l’historien-expert judiciaire, dont la légitimation,
la « dimension suis generis » ne proviendraient plus uniquement de son savoir
mais aussi de ses fonctions d’expert23. Des historiens témoignent; d’autres
enquêtent et tranchent; d’autres encore appellent leurs confrères et consœurs
à maintenir la dimension humaniste, éthique de l’histoire. La fonction sociale
de l’historien, déclara récemment Antoine Prost, est celle des Lavisse et autres
glorieux prédecesseurs qui, en expliquant « la réalité des forces profondes …
qui gouvernent l’évolution sociale », éclairaient « nos problèmes actuels » et
formaient « des citoyens conscients ». Prost regrette ainsi l’émergence d’une
histoire qui « se replie sur des sujets plus limités, avec comme ambition de
décrire des fonctionnements plus subjectifs, des représentations plus personnelles », des évolutions micro- plutôt que « macro-sociale[s] »24. On peut imaginer sa réaction au Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Alain Corbin récuse
d’ailleurs toute conception civique et par trop normative du métier d’historien. Il ne décline pourtant pas toujours la fonction d’expert25. Et, dans Le
Monde retrouvé, l’auteur intervient pour énoncer des impératifs collectifs: celui
de « faire exister une seconde fois un être dont le souvenir est aboli, … de lui
offrir une seconde chance … d’entrer dans la mémoire de son siècle »; celui,
surtout, « d’inverser modestement le travail des bulldozers, aujourd’hui à l’œuvre dans le cimetière de campagne » [8 et 10]. Reprise en quatrième de couverture des éditions françaises, cette dernière phrase découvre une fonction
sociale qui émane, tout en s’en distinguant, des pratiques du chercheur et des
sentiments de la personne.
II.
Soulignons la singularité et l’importance de la démarche. Le préambule constitue depuis longtemps un espace personnel dans le livre d’histoire (il n’y a
qu’à relire les monographies locales du dix-neuvième siècle). Mais il se limite
le plus souvent à la justification méthodologique ou théorique, au cheminement entre la question ou l’interpellation initiales et le livre achevé, à
quelques indications biographiques (relativement rares) et, finalement, aux
dettes et remerciements26. Une étude récente de ces remerciements dans les
ouvrages universitaires américains y décèle d’ailleurs un langage de la modestie, un effacement de soi et une insertion du chercheur—issu d’un univers
hyper-individualiste—dans une collectivité harmonieuse27. L’historien qui va
plus loin dans la présentation de soi peut ressentir le besoin de s’en expliquer.
Un exemple parmi d’autres: Les Collaborateurs de Pascal Ory, dont la « Préface
à l’édition de 1980 où l’auteur, innocemment, dit ‘je’ » répondrait à « une violente nécessité morale28 ». On rechercherait en vain pareille justification dans
Le Monde retrouvé. Qui plus est, le préambule s’inscrit généralement—ne fût-ce
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que sur le plan rhétorique—dans la continuité d’une recherche et de conclusions sur lesquelles il s’appuie, quand bien même implicitement. Rien de tel
ici. Retrouver cet inconnu, reconstruire le fil de son existence, s’enrichir de sa
découverte, le réinscrire dans la mémoire—les figures du chercheur, de la personne et de l’acteur social dévoilent une volonté et un pari dont le lecteur
ignore l’issue mais non la nature hautement personnelle.
Si le passage de l’histoire-récit à l’histoire-problème a suscité, en France
comme ailleurs, des réflexions sur le rapport entre l’historien et son texte,
celles-ci ont engendré peu d’applications, d’expérimentations concrètes29.
Susan Carol Rogers remarquait récemment que les ethnologues français résistent dans l’ensemble au mode autobiographique, à l’auto-réflexivité de leurs
collègues américains. Malgré certaines exceptions, « la recherche ethnologique
n’est pas présentée comme traitant d’un moi individuel30. » Il en est de même
parmi les historiens31. L’historien « parle peu de lui-même », constatait il y a
peu Guy Thuillier32. On pourrait dire: il/elle parle toujours peu de lui- ou d’ellemême. Il/elle préfère toujours le « nous » modeste et objectif au « je » par trop
subjectif. Certains parlent aujourd’hui d’un nouveau régime « qui peut
imposer le recours au ‘je’ » dans l’écriture de l’histoire33. C’est exact, et l’autobiographie de l’historien, l’essai d’ego-histoire marquent une évolution importante. Cela dit, pareils textes demeurent l’apanage d’historiens consacrés
(essentiellement des hommes) et parlent plus, d’ordinaire, de leur carrière que
de leur personne34. De plus, ce geste auto-réflexif se restreint le plus souvent à
l’épitexte ou aux écrits sur l’œuvre, marquant rarement les études historiques35. Après tout, combien d’historiens innovent-ils sur ce plan? Combien
s’éloignent d’une rhétorique qui fonde son autorité institutionnelle dans sa
neutralité et son impersonnalité, sa distance de la personne et de l’intime36?
Alain Corbin ne renie pas cette rhétorique dans Le Monde retrouvé de LouisFrançois Pinagot, mais il l’étire, il l’amoindrit. Ce faisant, il réintroduit dans
l’écriture historique une dimension émotionnelle qui s’y avoue toujours
rarement. Des parallèles s’imposent, il est vrai. Dans son essai Le Goût de
l’archive, Arlette Farge présente l’émotion comme une propédeutique historienne, « un instrument de plus pour ciseler la pierre, celle du passé, celle du
silence ». Farge cite Michel Foucault, qui publiait à la fin des années soixantedix des documents et récits d’individus obscurs, des empreintes d’existences
« destinées à passer sans trace », mais dont la « rencontre » l’a ému. L’essai et
le document diffèrent toutefois d’une enquête qui, au lieu de découvrir ces
existences inconnues dans les mailles du pouvoir, va à leur rencontre. Foucault
distingue d’ailleurs son ouvrage, régi par « mon goût, mon plaisir, une émotion », du « livre d’histoire »37.
Ce contraste entre plaisir et écriture de l’histoire est communément
accepté. Barthes déclarait que le travail de recherche « doit être pris dans le
désir38 »; Thuillier présente le plaisir de l’historien comme « moteur de la
recherche ». Mais ce plaisir demeure « mal vu, … caché, censuré » par la discipline, ajoute-t-il39. Ce n’est pas le cas du Monde retrouvé. L’historien intervient
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non seulement pour avertir ou fustiger, mais aussi pour exprimer son plaisir. À
celui du langage—qui traverse l’œuvre d’Alain Corbin—s’ajoute le « plaisir
particulier qui consiste à étudier ce que les acteurs croyaient ne jamais pouvoir
resurgir40 ». Plus intense sans doute dans ce livre que dans ceux qui l’ont
précédé, ce plaisir se confond avec celui du défi et de l’éclaircissement. Plaisir
intrinsèquement personnel de l’enquêteur, qui retrouve des indices et construit son édifice; plaisir du partage avec le lecteur; et, surtout—à nouveau—
plaisir du dialogue et de la rencontre de l’autre. Le plaisir de la découverte et
de la réponse côtoie celui de la question.
Car cette enquête paraît vouée à l’échec dès l’origine: non point un échec
complet, mais un échec par rapport à l’objectif de départ, qui était de
« redessiner une vie » [63]. L’échec est prévisible au regard des lacunes documentaires sur cette société non-élitaire41. Il est inéluctable au regard de la distance qui nous sépare du dix-neuvième siècle, cette distance qui, comme le
concède Corbin dans son journal, fait que « je ne suis pas apte à comprendre
Louis-François Pinagot » [12]. Tout l’enjeu, dès lors, est de restreindre cet échec
et de délinéer l’étendue et les limites de la compréhension. La rhétorique de la
certitude s’adjoint donc un langage de l’ignorance, de la contingence et de la
conjecture. Nous savons « avec certitude » que Pinagot était analphabète. En
revanche, « nous n’avons pas … de véritable certitude » sur son lieu de travail
et tant d’autres aspects de sa vie [84 et 114]. L’intervention de l’historien s’impose pour avouer, comme Corbin le dit ailleurs, « les impossibilités auxquelles
il se heurte42 ». Il s’exprime au conditionnel et émet des suppositions (des
« peut-être » et des « sans doute » à la pelle; « tout porte à croire », « il se peut »,
« on peut supposer » [24, 30]). Il pose des questions avant d’admettre son
ignorance: « on ne le saura jamais », « rien n’est moins sûr » [29, 85]. Il le fait
par rapport au savoir collectif des historiens et à son savoir, son ignorance.
Demeure alors sa capacité d’imagination devant « [c]e vide et … [c]e
silence » [9]. Après avoir épuisé le travail d’archives, il faut imaginer ce que cet
acteur peut avoir vécu. Imaginer, c’est supposer sur la base de connaissances
(« on peut imaginer qu’il a eu, périodiquement, recours à son père »). C’est
transposer des données connexes (imaginer la liesse d’Origny à partir d’un rapport sur une commune avoisinante). C’est aussi cerner le plausible (« imaginer
ce qu[e Pinagot] a pu … entendre dire » de la Révolution) [91, 259, 183]. C’est
finalement—souvent en fin de chapitre—un travail de figuration: imaginer
des jeux, une « ambiance sonore », des plaisirs et des émotions [81-82, 106,
178]. Pareilles interventions ressemblent aux passerelles qui surplomberaient
la béance du savoir: incapables de la combler, elles permettent toutefois de s’en
rapprocher, d’y voir plus clair— tout le moins d’en saisir la profondeur. Poser
de telles passerelles—poser la présence de l’historien—n’a rien de futile au sein
d’un ouvrage dont l’ambition n’a d’égale, paradoxalement, que la modestie.
L’œuvre de résurrection et « d’évocation » ne peut donc se passer de celui
ou de celle qui va élire l’individu et « découper, ordonner, orienter les
séquences de [sa] vie » [289 et 11]. Alain Corbin renoue ainsi, partiellement au
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moins, avec les visées de l’histoire romantique. De l’imagination au caractère
poétique de l’histoire, les filiations sont nombreuses. Rappelons simplement
que Michelet, c’est l’historien qui, en conférant « une seconde vie » aux morts
anonymes, remplit un devoir et trouve un plaisir: le « commerce intime avec
ces morts ressuscités43 ». Loin de s’effacer devant les acteurs historiques,
Michelet se met en scène dans le récit, mobilisant et explicitant ses sources
pour dévoiler le sens de l’histoire44. Sa personne traverse la préface de son Histoire de France: de la biographie aux intuitions, des conditions de travail au
cheminement méthodologique, des lectures aux sentiments. Par ses préventions contre l’anachronisme et sa réticence à se substituer aux acteurs historiques, Alain Corbin va plus loin que Michelet sur le plan éthique. Il en
demeure en retrait, toutefois, sur le plan civique, sur celui de l’écriture
(analyse plutôt que simple récit) et dans ses jugements et éclaircissements
autobiographiques.
On retrouve pourtant de tels éclaircissements dans Historien du sensible,
l’entretien que Corbin publia en 2000—à la même époque que Le Monde
retrouvé45. Œuvre autobiographique, journalistique et de vulgarisation, le livre
d’entretiens avec l’historien (renommé) constitue un genre récent mais en
plein essor en France. René Rémond s’y adonna en 1976; d’autres l’ont suivi
depuis lors46. Historien du sensible débute par un chapitre intitulé « L’enfance
normande », puis évoque diverses époques de la vie et de la carrière de Corbin,
son cheminement intellectuel, ses méthodes de travail, ses rapports au passé
et au territoire, ses émotions aussi. Le livre d’entretiens comme avatar de la
préface micheletiste? Pourquoi pas, même si le rôle directeur de l’historien
(face à l’éditeur ou celui qui l’interroge) et le statut du texte (retravaillé ou
non) y sont plus incertains47. Toujours est-il que le genre participe à une médiatisation de l’historien universitaire qui, depuis les années soixante, accroît sa
présence dans l’espace public français. Des collections de livres historiques aux
suppléments littéraires de journaux, des revues populaires aux émissions de
radio et de télévision, les contours de ce phénomène sont désormais bien
connus. Qu’il donne ou non des signes d’ « essoufflement », ce « vedettariat
médiatique » continue d’autoriser « les cumuls de fonction à l’Université …,
dans l’édition … et dans les médias48 ». Il continue aussi de nourrir une
personnalisation de l’historien sans équivalent aux États-Unis. Professeur
universitaire, directeur de collection, critique dans des organes de presse—
Alain Corbin a épousé le profil. Et, sans postuler d’équivalences hasardeuses,
reconnaissons que si Le Monde retrouvé et Historien du sensible s’inscrivent tous
deux dans la logique d’une œuvre, les deux ouvrages accentuent aussi—
simultanément ou presque—la visibilité de l’historien (d’Alain Corbin) dans
ses multiples figures.
Ultime convergence entre Le Monde retrouvé et phénomènes sociaux: la
multiplication de « mémoires et d’identités locales, particulières » depuis une
vingtaine d’années en France49. Fêtes historiques, salons du livre d’histoire,
essor de la généalogie: ce phénomène prend de nombreuses formes. La Mission
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du Patrimoine Ethnologique s’y est penchée dès 1995, lançant un appel d’offres
sur les « Production, producteurs et enjeux contemporains de l’histoire
locale ». Cet appel commence à porter des fruits, parmi lesquels un ouvrage
passionnant dirigé par Alban Bensa et Daniel Fabre: Une histoire à soi: figurations du passé et localité (2001). Ce phénomène auto-réflexif n’échappe pas à
Alain Corbin, qui rattache le succès de son livre à une quête de « racines » et
conclut sa récente conférence à l’Université de tous les savoirs en évoquant « le
désir d’aller à la rencontre de frères d’inquiétude » à une époque où « s’approfondit et s’étend la conscience de soi50 ». Sans se soustraire aux exigences de
l’histoire, Le Monde retrouvé comporte une dimension mémorielle. L’auteur
retourne dans son pays natal pour « confér[er] une mémoire neuve » à un être
qui provient, comme lui, d’une commune rurale. Il confère cette mémoire à
un individu et à une communauté (Pinagot « avec tous ceux qui l’entouraient ») qui ont disparu du « souvenir des hommes » [9, 289]. Ce désir de
comprendre—et peut-être de se comprendre—conflue en certains aspects avec
l’engouement pour le passé local que dépeignent Bensa, Fabre et d’autres.
Nous reconnaissons dans ce dernier une démarche qui lie imagination, émotion, plaisir de l’enquête et dialogue avec des morts ordinaires qu’on tire de
l’anonymat51. Nous reconnaissons un rapport étroit avec un lieu dont, par ses
arpentages et figurations, l’enquêteur épaissit « l’historicité52 ». Nous reconnaissons un langage de la trace, de l’ « englouti » et de la résurrection— par le
biais de l’archive, lien tangible avec le passé53. Nous reconnaissons, enfin, un
dessein personnel: interrogation sur soi (et sa propre mort?), mais aussi écriture de soi dans des textes qui, comme le journal de recherche, portent une
double empreinte: celle de l’objet de l’enquête et celle de l’être qui le traque54.
III.
Face au « centre inaccessible » [12] que constitue Pinagot se dresse donc l’historien qui en assemble et jauge les traces, qui explicite ses choix
méthodologiques, ses insuffisances, ses préoccupations éthiques. Cette construction discursive, cet « effet de sens55 » fondent aussi son autorité (intellectuelle et morale)—manœuvre dont peut se dispenser un professeur de la
Sorbonne, mais non sans doute celui qui devra surmonter une carence de
sources et « la prudence épistémologique » de bien des collègues56. Propre à
cette enquête—liée à un langage de l’écoute, du recouvrement de ‘l’enfoui’ et
de « l’oublié57 »—, pareille présence de l’historien s’inscrit également dans la
continuité de l’œuvre d’Alain Corbin, et notamment de son intérêt grandissant pour les sensibilités. Quel rapport cette histoire entretient-elle, tant dans
ses recherches que dans son écriture, avec la sensibilité de l’historien qui la
conduit? On peut se poser la question.
On peut aussi se demander si la présence de l’historien est consentie,
tolérée ou souhaitée dans Le Monde retrouvé, si l’auteur l’embrasse dans ses
L’impossible présence de l’historien
101
multiples configurations. Corbin peine après tout à dépasser le clivage habituel
entre préambule et reste de l’ouvrage—moments de présence puis d’absence de
l’historien58. La dernière page du livre mise à part, le « je » se fait plus discret
qu’un « nous » occasionnel (celui de la communauté historienne et du couple
auteur-lecteurs) et qu’une rhétorique abstraite par laquelle des réanimations
s’opèrent, des acteurs apparaissent. De même, les figures de la personne et de
l’acteur social s’estompent. Seule réapparaît fréquemment celle du chercheur,
le plus souvent pour exprimer des convictions ou des intuitions fondées dans
son savoir (« je soupçonne », « je demeure persuadé » [66, 182]), ou pour
appeler à la distance. Dès le prélude, Alain Corbin se défend en effet de « porter
témoignage » ou d’entretenir « lien affectif, … croyance, … mission, … engagement, … parti pris de tendresse, voire d’empathie » avec Pinagot [8, 10]. Il se
distancie des apriorismes et s’efforce de contenir les émotions qui entraveraient l’écoute, l’identification de l’historien avec l’acteur historique.
L’ « humilité » permet l’ouverture aux habitudes, affects et cadres de pensée
des « hommes du passé59 », dit-il. Le plaisir imprime cet ouvrage, mais Corbin
ne l’évoque pas explicitement. Et si l’émotion transparaît, Corbin s’interroge
dans son livre d’entretiens sur son apport à « la démarche historienne60 ». Cet
ouvrage manifeste d’ailleurs une réticence, sinon de l’irritation, devant la
présentation de soi. Corbin aborde sa biographie, mais, à quelques exceptions
près, quand la question l’y force plutôt que de sa propre initiative. Il n’hésite
pas à répondre en quelques mots à des questions qui l’entraînent sur ce terrain.
L’historien apparaîtrait en somme pour mieux s’effacer, dans un jeu de la
présence et de la distance qui n’a plus rien à voir, lui, avec Michelet.
Au-delà de la pudeur et d’éventuelles préférences personnelles, ce jeu nous
ramène aux considérations d’ordre méthodologique et éthique qui ont conduit Alain Corbin à résister aux « effet[s] de plume » ou à la tentation de se substituer à Pinagot61. Il réfléchit également une « tension » ancienne entre, d’une
part, l’histoire tentée par le modèle explicatif des séries de documents, l’histoire s’interrogeant « sur le pensable » et, d’autre part, l’histoire qui veut « faire
revivre ou … ‘ressusciter’ un passé … et retrouver des hommes à travers les
traces qu’ils ont laissées62 ». Si la première histoire prédomina dans les travaux
initiaux de Corbin, la seconde s’y associa très tôt (en filigrane dans Archaïsme
et modernité, plus manifestement à partir des Filles de noce). Corollaire d’une
interrogation sur les sensibilités et les représentations sociales, elle accompagne un vocable de l’esquisse, de l’ébauche, qui suppose une présence plus
ouverte de l’historien63. La tension est d’autant plus aiguë dans Le Monde
retrouvé, projet axé autour du « possible et [du] probable » [9], qui épouse la seconde conception de l’histoire sans pour autant abandonner la première. Se
dessine ainsi un décalage entre un langage de l’imagination et de la conjecture
et un dépassement malaisé de l’archive. « Sans doute, s’agissait-il … »: « aucun
document ne fait toutefois état… » [181, 178]: la prudence est de mise. Cette
tension s’étend à l’émotion—inhérente à une forme de l’histoire, mais
étrangère, sinon obstacle, à l’autre—et au statut–même de ce savoir historique.
102
Stéphane Gerson
« L’histoire micheletiste s’avance par ondes … [et] a pour terme une inquiétude64 », écrit Barthes. Le Monde retrouvé implique inquiétude, incertitude,
échec, mais il se heurte néanmoins au désir de savoir. Dans les circonstances
optimales, la compréhension (même partielle) de l’autre demeure envisageable. Michel de Certeau affirma dans La Possession de Loudun que « l’histoire
n’est jamais sûre65 ». Alain Corbin, lui, se dit « condamné à la conjecture », ce
qui n’est pas la même chose [180] 66. D’où la tristesse qui, tout autant que le
plaisir, se dégage du Monde retrouvé.
Cette ambivalence en rejoint une autre, devant le particulier. Si ce dernier
est incontournable dans une enquête qui veut faire « connaissance » avec un
individu, cette « histoire en creux » débouche sur une quasi-absence: absence
faute de sources, mais aussi parce que Pinagot n’épuise pas cette enquête [106,
13]. Pinagot existe dans ce livre par son regard et ses trajectoires et dans son
anonymat, parce qu’il ne présente à première vue rien de particulier, rien qui
ne le distingue au sein des « masses» percheronnes [254]. Corbin parle à un
moment d’ « un Louis-François Pinagot » [126]: figure de style sans doute, mais
qui conduit à s’interroger sur le jeu de reflets, d’éclairages réciproques, au sein
de l’ouvrage, entre cette existence particulière et les divers groupes sociaux,
familiaux ou professionnels auxquels elle participe—y perdant parfois de sa
consistance67. Cette ambivalence s’étend à l’historien, dont le regard, les
plaisirs ou les antécédents ne peuvent cantonner la recherche à un particulier
qui deviendrait critère de vérité68. On comprend mieux, dès lors, le silence qui
entoure certaines localisations du Monde retrouvé—à commencer par le retour
au pays natal. Alain Corbin dénonce la mythification des sociétés traditionnelles dans certains écomusées, mais, contrairement à d’autres historiens, il ne
pourfend pas un désir de local et d’individuel qui menacerait l’unité de la
République69. Il se compare même à ces membres de sociétés savantes qui, au
dix-neuvième siècle, dépeignaient les richesses naturelles et historiques de leur
pays de naissance ou d’adoption. Ceci dit, Corbin minimise les parentés entre
son travail et le retour au particulier, au local qu’incarneraient les récits
pointillistes de Philippe Delerm, ces esquisses de « rites minuscules » où pointe
la nostalgie d’un quotidien simple, intime et harmonieux70.
Le Monde retrouvé soulève la question du rapport entre l’histoire universitaire et certaines évolutions de la société française. Si le rapport entre mémoire
et histoire demeure problématique71, on assiste aujourd’hui à de nouveaux
recoupements. C’est le cas des innombrables revues historiques qui jouent sur
les deux tableaux. C’est le cas aussi des acteurs provinciaux qui, pour cultiver
les souvenirs du pays, se tournent vers des « médiateurs » externes—y compris
historiens et travaux d’historiens universitaires tels que Maurice Agulhon ou
Alain Corbin72. Pareilles dynamiques rythmaient déjà au dix-neuvième siècle
les rapports des historiens provinciaux avec Augustin Thierry ou François
Guizot. Mais les travaux de Bensa et autres sur les passionnés du passé local
appellent une réflexion réciproque des historiens universitaires sur leur travail.
Rarement entreprise dans l’œuvre historique, celle-ci porterait non seulement
L’impossible présence de l’historien
103
sur le « retour » sur les lieux des connaissances qu’ils y ont élaborées73, mais
aussi sur l’impact de cet engouement mémoriel sur leurs discours et procédures, sur la manière dont ils se définissent, les projets qu’ils embrassent ou
non, leur rapport de distance et de rapprochement avec le passé, les proximités
(d’ordre affectif ou ludique, par exemple) qu’ils (s’)avouent ou non74.
Pareille réflexion contribuerait à une seconde localisation, celle qu’évoque Michel de Certeau dans ses pages célèbres sur le « lieu de production
socio-économique, politique, et culturel » où « s’effectue [l’opération historique] dans une société75 ». Alain Corbin n’élude pas cette localisation.
Nous avons vu combien il demeure attentif aux pratiques, à la conscience
historique par lesquelles s’établissent la compréhension historique et un
savoir qui « se donne … le pouvoir de dire ce que l’autre signifie76 ». Des
zones de silence persistent toutefois. À l’Université de tous les savoirs, Corbin
parla de biographes qui, face à la dévalorisation du genre, analysent le « couple formé par le biographe et son personnage ou [l]es stratégies de construction de la biographie77 ». Corbin n’emprunte pas cette voie dans Le Monde
retrouvé. Il y aborde, on l’a vu, sa relation avec Pinagot, mais n’engage pas de
réflexion sur l’historien qui imagine ou écrit Pinagot, sur l’historien qui se
met en scène et sur l’impact de cette mise en scène, de cette présence sur
son projet. Pareille réflexion se fait pourtant de plus en plus pressante. Les
travaux de Corbin ont l’immense mérite de reculer les frontières du possible
et de l’impossible. Ce faisant, ils s’acheminent vers des questions aux sources
de plus en plus lacunaires, aux traces de plus en plus fugitives, aux réponses
de plus en plus élusives. L’interrogation acquérant une nouvelle résonance,
s’impose l’obligation d’en démonter les ressorts—y compris la présence de
l’historien dans ses multiples figures.
Du Monde retrouvé de Louis-François Pinagot nous retiendrons donc cette
présence et l’important geste méthodologique et rhétorique qu’elle incarne.
Mais nous retiendrons aussi les tensions, les ambivalences et les silences qui
l’entourent. Nous retiendrons ces fragments de journal qui, rompant avec les
conventions de l’écriture historique, installent le métier et la subjectivité de
l’historien au cœur du récit. Alain Corbin tenta-t-il ainsi de répondre, d’une
manière à la fois directe et détournée, aux questions de méthode—ou même
au vertige de l’autre et du moi, de la distance et de la proximité—que provoquait cette enquête singulière? L’hypothèse se défend, même si Corbin élude
la question dans le texte. Ces fragments sont d’ailleurs précautionneux,
nébuleux concernant leur raison d’être et, somme toute, peu loquaces sur le
diariste. De ce projet nous retiendrons en définitive une impossible présence
qui, dans le champ de l’histoire culturelle et sociale, ne se limite pas à Alain
Corbin. Il y a vingt ans, Pierre Nora déclarait que l’historien effacé, cette
« transparence érudite », cédait la place à « un personnage nouveau, prêt à
avouer … le lien étroit, intime et personnel qu’il entretient avec son sujet » et
« son travail78 ». Cette tendance reflétait effectivement une nouvelle ouverture
104
Stéphane Gerson
au particulier et au subjectif, un retour de l’historien-écrivain qui n’hésitait
pas à renouer avec Michelet et parler de lui-même. Mais elle se heurta— et
continue de se heurter—à une posture du chercheur neutre, à des normes de
méthode et d’écriture solidement ancrées, à une défiance de la subjectivité et
du tout-mémoriel79. Cette tension a ses antécédents. Songeons à Alexandre
Parent-Duchâtelet, cet autre enquêteur renommé, sondeur de la prostitution
parisienne au premier dix-neuvième siècle. Son existence, écrit Corbin, ne fut
« que conflit entre la distance imposée par le regard scientifique et la tentation
obsédante du contact qui lui fait entreprendre ses descentes vers le peuple80 ».
La formule s’applique à d’autres aujourd’hui, à une époque où l’histoire est
moins en crise qu’en flux.
Notes
*Je tiens à remercier Lionel Gossman pour ses réflexions sur un aspect de ce texte et,
surtout, Herrick Chapman pour sa lecture attentive et ses conseils judicieux.
1. Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot: sur les traces d’un inconnu
(1798-1876) (Paris: Champs-Flammarion, 2002 [1998]), 7-8. Afin de réduire l’appareil critique, je citerai les pages de cet ouvrage entre crochets dans le texte.
2. Roland Barthes, « De la science à la littérature », Le Bruissement de la langue (Paris:
Éditions du Seuil, 1984), 18.
3. Alain Corbin, « L’Impossible présence du roi », Les Usages politiques des fêtes aux
XIXe-XXe siècles, dir. Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky (Paris: Publications de
la Sorbonne, 1994), 77-116.
4. François Couperin, L’Art de toucher le clavecin, cité dans Marc Honegger (dir.), Science
de la musique, 2 vols. (Paris: Bordas, 1976), 2: 827.
5. Honneger, ibid., 2: 828. Voir aussi Encyclopédie de la musique, dir. François Michel, 3
vols. (Paris: Fasquelle, 1961), 3: 475.
6. Émile Benveniste, « Les relations de temps dans le verbe français », Problèmes de linguistique générale, 2 vols. (Paris: Gallimard/Tel, 1966 et 1974), 1: 241.
7. Ibid., 1: 242; et Benveniste, « De la subjectivité dans le langage », Problèmes de linguistique générale, 1: 259.
8. Sur cet aspect du livre, voir aussi Corinne Boujot, « Ruptures et innovations dans le
protocole de l’écriture scientifique », Ruralia, revue de l’association des ruralistes
français 3 (1998): 189-90.
9. Lucien Febvre, Martin Luther, un destin (Paris: PUF/Quadrige, 1988 [1928]).
10. Béatrice Didier, Le Journal intime (Paris: PUF, 1976), 9 et 16.
11. Voir Alexander Nehamas, Nietzsche: Life as Literature (Cambridge, Mass.: Harvard
University Press, 1985).
12. Jean Malaquais, Journal de guerre; suivi de Journal du métèque (Paris: Phébus, 1997),
21.
13. Dominique Kalifa, « L’historien et l’atome social », Critique 632-33 (janvier-février
2000): 34.
L’impossible présence de l’historien
105
14. Le journal de recherche « n’est pas pratiqué » par les historiens, écrit Guy Thuillier,
qui l’estime pourtant indispensable. Voir Guy Thuillier, L’Histoire entre le rêve et la
raison: introduction au métier de l’historien (Paris: Économica, 1998), 240 et 234. Sur
la publication de tels journaux, voir Florence Weber, « L’Enquête, la recherche et
l’intime ou: pourquoi censurer son journal de terrain », EspacesTemps 47-48 (1991):
71-81.
15. Didier, Journal intime, 18-19; et René Lourau, Le Journal de recherche: matériaux d’une
théorie de l’implication (Paris: Méridiens Klincksieck, 1988), 16.
16. Il s’avère que Corbin a effectivement commencé ce journal aux archives départementales, en attendant ses premiers cartons. Les questions ci-dessus n’en surgissent
pas moins dans l’esprit du lecteur.
17. Barthes, « De la science à la littérature », 18.
18. Maurice Blanchot, L’Espace littéraire (Paris: Gallimard-Folio Essais, 1993 [1955]), 24.
19. François Simonet-Tenant, Le Journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire (Paris:
Nathan, 2001), 13.
20. Alain Corbin, Historien du sensible: entretiens avec Gilles Heuré (Paris: La Découverte,
2000), 165.
21. « … s’identifier à Louis-François Pinagot », ibid., 163.
22. Olivier Dumoulin, Le Rôle social de l’historien: de la chaire au prétoire (Paris: Albin
Michel, 2003).
23. Ibid., 339. Christophe Charle évoque « une fonction tout à fait à part » de l’historien en France, pays où l’histoire est à la fois remède à, et source de crises politiques.
Voir Christophe Charle, « Être historien en France: une nouvelle profession? »,
L’Histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, dir. François Bédarida (Paris:
Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1995), 41.
24. Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire (Paris: Points-Seuil, 1996), 286 et 297-98.
Voir aussi Bédarida, « Les responsabilités de l’historien ‘expert’ », Passés recomposés:
champs et chantiers de l’histoire, dir. Jean Boutier et Dominiques Julia (Paris:
Autrement, 1995), 144.
25. Corbin fit notamment partie du comité scientifique du Centre de la mémoire
d’Oradour. Voir à ce sujet Jean-Jacques Fouché, « Le Centre de la mémoire
d’Oradour », Vingtième siècle 73 (2002): 129-30.
26. Voir Gérard Noiriel, « ‘L’univers historique’: une collection d’histoire à travers son
paratexte (1970-1993) », Genèses 19 (janvier 1995), repris dans son Sur la « crise » de
l’histoire (Paris: Belin, 1996), surtout 305-306.
27. Voir Paul Hollander, « Acknowledgments: An Academic Ritual », Academic Questions
(Hiver 2001-02): 63-76.
28. Pascal Ory, Les Collaborateurs, 1940-1945, 2ème édition (Paris: Points-Seuil, 1976), vi.
Il y a des exceptions, tels l’avant-propos des Combats pour l’histoire de Lucien Febvre, ou Mona Ozouf, « Présentation: l’image dans le tapis », L’École de la France:
essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement (Paris: Gallimard, 1984), 7-24. Mais
le recueil d’articles n’est pas la monographie ….
29. Voir, bien entendu, Pierre Nora (dir.), Essais d’ego-histoire (Paris: Gallimard, 1987).
30. Susan Carol Rogers, « Anthropology in France », Annual Reviews in Anthropology 30
(2001): 497 (c’est moi qui traduis); et, dans le même ordre d’idées, Joëlle Bahloul,
« France-USA: ethnographie d’une migration intellectuelle », Ethnologie française 21
(1991): 50-51. Sur ce mode auto-réflexif, voir Jay Ruby (dir.), A Crack in the Mirror:
Reflexive Perspectives in Anthropology (Philadelphie: University of Pennsylvania Press,
1982). Certains anthropologues français incorporent toutefois un compte-rendu de
leur enquête dans leur texte. Voir à ce sujet Philippe Carrard, « Une historienne et
le ‘personnel’: le Goût de l’archive d’Arlette Farge», Sociétés et représentations 13 (avril
2002): 244.
106
Stéphane Gerson
31. Précisons que la plupart des historiens américains résistent aussi à cette auto-réflexivité. Mais moins massivement, me semble-t-il, qu’en France: voir, par exemple,
l’introduction à Leora Auslander, Taste and Power: Furnishing Modern France (Berkeley: University of California Press, 1996). On lira aussi avec intérêt l’ouvrage qu’a
récemment dirigé Hans Daalder, une ego-histoire collective par des politologues de
l’Europe: Comparative European Politics: The Story of a Profession (Londres: Pinter,
1997). Les cheminements de l’œuvre et de la discipline y priment toutefois sur la
personne.
32. Thuillier, L’Histoire entre le rêve et la raison, 47. Voir aussi René Rémond, « Le contemporain du contemporain » Essais d’ego-histoire, dir. Nora, 294.
33. Christophe Prochasson, « Les jeux du ‘je’: aperçus sur la subjectivité de l’historien », Sociétés et représentations 13 (avril 2002), 224. Voir aussi Jean-Pierre Olivier de
Sardan, « Le ‘je’ méthodologique. Implication et explicitation dans l’enquête de terrain, » Revue française de sociologie 41, no. 3 (janvier-mars 2000): 417.
34. Carrard, « Une historienne », 227-28; et Prost, Douze leçons, 266-67. Pour une critique du genre, percu comme l’apanage de sommités de la discipline, voir Pierre
Bourdieu, Méditations pascaliennes (Paris: Éditions du Seuil, 1997), 44.
35. Jeremy D. Popkin, « Ego-histoire and Beyond: Contemporary French Historian-Autobiographers », French Historical Studies 19, no. 4 (automne 1996): 1154; et, sur la
notion d’épitexte, Gérard Genette, Seuils (Paris: Éditions du Seuil, 1987), 10.
36. Lourau, Journal de recherche, 15. Signalons deux exceptions récentes: Philippe
Artières et Dominique Kalifa, Vidal, le tueur de femmes: une biographie sociale (Paris:
Perrin, 2001); et Jean-Pierre Azéma, Jean Moulin: le rebelle, le politique, le résistant
(Paris: Perrin, 2003).
37. Arlette Farge, Le Goût de l’archive (Paris: Points-Seuil, 1997 [1989]), 43; et Michel
Foucault, « La vie des hommes infâmes », Les Cahiers du chemin 29 (15 janvier
1977), repris dans ses Dits et écrits 1954-1988, dir. Daniel Defert et François Ewald,
4 vols. (Paris: Gallimard, 1994), 3: 237-40.
38. Barthes, « Jeunes chercheurs », Bruissement de la langue, 98.
39. Thuillier, L’Histoire entre le rêve et la raison, 7, 32 et 44.
40. Corbin, Les Cloches de la terre: paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au
XIXe siècle (Paris: Albin Michel, 1994), 14.
41. Corbin, Historien du sensible, 154.
42. Ibid., 158.
43. Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle (1872), cité dans Roland Barthes, Michelet par
lui-même (Paris: Éditions du Seuil, 1954 et 1988), 78-79. Michelet évoqua une histoire « résurrectioniste » dans son premier cours au Collège de France, le 23 avril
1838. Voir Paul Viallaneix, introduction à Michelet, Oeuvres complètes, 21 vols.
(Paris: Flammarion, 1971-87), 4: 8-9.
44. Jacques Rancière, Les Mots de l’histoire: essai de poétique du savoir (Paris: Éditions du
Seuil, 1992), 92-102.
45. Corbin retraça également son parcours intellectuel et professionnel—à la première
personne—dans deux textes contemporains: « Désir, subjectivité et limites: l’impossible synthèse », EspacesTemps 59-60-61 (1995): 40-46; et « Du Limousin aux cultures sensibles », Pour une histoire culturelle, dir. Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli (Paris: Éditions du Seuil, 1997), 101-15. En 2001, il publia un second recueil
d’entretiens portant sur une thématique (l’appréciation et la construction de
l’espace) plutôt que sa personne ou son œuvre en tant que telles. Voir Corbin,
L’Homme dans le paysage: entretien avec Jean Lebrun (Paris: Textuel, 2001).
46. Aimé Savard interroge René Rémond: vivre notre histoire (Paris: Le Centurion, 1976).
Parmi ces recueils d’entretiens: Philippe Ariès avec Michel Winock, Un historien du
dimanche (Paris: Éditions du Seuil, 1980), postface; Raoul Girardet avec Pierre
Assouline, Singulièrement libre: entretiens (Paris: Perrin, 1990); Henry Rousso avec
L’impossible présence de l’historien
47.
48.
49.
50.
51.
52.
53.
54.
55.
56.
57.
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
65.
66.
107
Philippe Petit, La Hantise du passé (Paris: Textuel, 1998); et Jacques Le Goff avec
Jean-Maurice de Montremy, À la recherche du Moyen Age (Paris: Louis Audibert,
2003). Voir aussi Rémond avec Marc Leboucher, Une mémoire française (Paris:
Desclée de Brouwer, 2002).
Voir Michelet, La Cité des vivants et des morts: préfaces et introductions, dir. Claude
Lefort (Paris: Belin, 2002).
Rémy Rieffel, « Les historiens, l’édition et les médias », dans Bédarida, L’Histoire et
le métier d’historien, 57-73, citations aux pages 70 et 71. Sur cette médiatisation, voir
aussi Christian Delacroix, « Une crise de l’histoire? (les années 1980-1990) », in
idem, François Dosse et Patrick Garcia, Les Courants historiques en France, 19e-20e siècles (Paris: Armand Colin, 1999), 273-75.
Joël Candau, Mémoire et identité (Paris: PUF, 1998), 198.
Corbin, Historien du sensible, 162; et Corbin, « Histoire et subjectivités », dans Yves
Michaud (dir.), L’Histoire, la Sociologie et l’Anthropologie (Paris: Poches Odile Jacob,
2002), 154.
Danielle Musset, « La généalogie: de l’enquête à la quête », Passions ordinaires. Football, jardinage, généalogie, concours de dictée …, dir. Christian Bromberger (Paris:
Hachette, 2002 [1998]), 128-34; et Claire-Emmanuelle Lorquin, « La généalogie ordinaire », La Généalogie entre science et passion, dir. Tiphaine Barthelemy et Marie-Claude
Pingaud, (Paris: Éditions du CTHS, 1997), 408. Voir aussi l’ouvrage récent de MarieOdile Mergnac (dir.), La Généalogie, une passion française (Paris: Autrement, 2003).
Daniel Fabre, « L’Histoire a changé de lieux », Une histoire à soi: figurations du passé
et localité, dir. Alban Bensa et Daniel Fabre (Paris: Éditions de la Maison des sciences
de l’homme, 2001), 21.
Sylvie Sagnes, « De l’archive à l’histoire: aller-retour », ibid., 72-3.
Musset, « La généalogie », 137; et Sagnes, « L’écriture de la généalogie », Généalogie
entre science et passion, 174-76.
Algirdas Julien Greimas et Eric Landowski, « Introduction: les parcours du savoir, »
dans idem (dir.)., Introduction à l’analyse du discours en sciences sociales (Paris:
Hachette, 1979), 27.
Corbin, Historien du sensible, 65. Sur ces modes d’écriture comme fondement d’autorité, voir Renato Rosaldo, « From the Door of His Tent: The Fieldworker and the
Inquisitor », James Clifford et George E. Marcus (dir.), Writing Culture: The Poetics
and Politics of Ethnography (Berkeley: University of California Press, 1986), 77-97; et
Clifford, « On Ethnographic Authority », dans son The Predicament of Culture: Twentieth-Century Ethnography, Literature, and Art (Cambridge, Mass.: Harvard University
Press, 1988), 21-54.
Voir, par exemple, Corbin, Le Village des cannibales (Paris: Aubier, 1990), 166.
François Hartog, « Un genre nouveau ou un document d’un nouveau genre? » Le
débat 49 (mars-avril 1988): 128.
Corbin, Les Cloches de la terre, 14.
Corbin, Historien du sensible, 147.
Ibid., 163.
Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire (Paris: Gallimard, 1975), 47.
Corbin, Le Monde retrouvé, 9. Voir aussi Corbin, « Le vertige des foisonnements:
esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et contemporaine 39, no. 1 (janvier-mars 1992): 103-26; et « Prélude à une histoire de
l’espace et du paysage sonores », dir. Michel Porret et François Rosset, Le Jardin de
l’esprit: textes offerts à Bronislaw Baczko (Genève: Droz, 1995), 51-63.
Barthes, Michelet, 16.
C’est le titre de son premier chapitre: voir Certeau, La Possession de Loudun (Paris:
Gallimard/Archives, 1990 [1970]).
C’est moi qui souligne.
108
Stéphane Gerson
67. Sur ce point, voir, infra, la contribution de Dominique Kalifa et son « L’historien et
l’atome social », 38. Jean-Luc Mayaud évoque un « permanent aller-retour » entre
l’individu choisi et ces groupes: « Saisir l’histoire dans la singularité individuelle? »,
Ruralia, revue de l’association des ruralistes français 3 (1998): 161.
68. On songe à Lucien Febvre, qui situait l’écriture de l’histoire dans son monde social,
la rattachant aux horizons de l’historien, mais sans renoncer à la possibilité de
« parler au nom de l’homme » et d’accéder à une vérité universelle. Voir Febvre,
« De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien, » dans ses
Combats pour l’histoire (Paris: Pocket, 1992 [1953]), 15; et Certeau, Écriture de l’histoire, 18-19.
69. Corbin, Historien du sensible, 70; et Rioux, « La mémoire collective, » dans Pour une
histoire culturelle, 347. Sur les dangers du local et du particulier, voir aussi JeanClément Martin et Charles Suaud, Le Puy du Fou, en Vendée: l’histoire mise en scène
(Paris: L’Harmattan, 1996), 11; et Jean-Michel Leniaud, L’Utopie française: essai sur le
patrimoine (Paris: Mengès, 1992), 30-35.
70. Philippe Delerm, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (Paris: Gallimard, 1997), 12.
71. Voir Olivier Mongin, « Les discordances de l’histoire et de la mémoire, » Esprit 26667 (août-septembre 2000): 6-15.
72. Jean-Marc Leveratto et Fabrice Montebello, « Faire l’histoire des hommes du fer, »
dans Bensa et Fabre, Histoire à soi, 52 et 57-58; et Hélène Clastres et Solange Pinton,
« Les maçons de la Creuse: la mémoire et le mythe, » ibid., 105-108.
73. Régis Bertrand, « Érudits et historiens de Haute-Provence depuis le XVIIe siècle, »
Provence historique 38, no. 151 (janvier-mars 1988): 306.
74. Des historiens français s’interrogent sur le rapport entre histoire et demande sociale
mais, le plus souvent, dans des textes théoriques ou méthodologiques dont le rapport avec leurs travaux historiques demeure ténu. Un exemple parmi d’autres: Écrire
l’histoire du temps présent: en hommage à François Bédarida (Paris: CNRS Éditions,
1993). Voir aussi les réflexions de Gérard Noiriel, Les Origines républicaines de Vichy
(Paris: Hachette, 1999), 288.
75. Certeau, Écriture de l’histoire, 65 et 49.
76. Ibid., 111.
77. Corbin, « Histoire et subjectivités », 144.
78. Nora, « Entre mémoire et histoire », Les Lieux de mémoire, dir. Nora, 7 vols. (Paris:
Gallimard, 1984-92), 1: La République, xxxiii; et Nora, « Présentation », Essais d’egohistoire, 5-6.
79. Dumoulin, Rôle social de l’historien, 318-19 et 326; et Popkin, « Historians on the
Autobiographical Frontier », The American Historical Review 104, no. 3 (juin 1999):
725-28. Sur le flou qui entoure la fonction de l’émotion dans l’écriture de l’histoire,
voir Artières, Farge et Pierre Laborie, « Témoignage et récit historique », Sociétés et
représentations 13 (avril 2002): 205.
80. Corbin, « Présentation » à Alexandre Parent-Duchâtelet, La Prostitution à Paris au
XIXe siècle (Paris: Éditions du Seuil, 1981), 24-25.

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