A propos de « l`analyse des pratiques professionnelles

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A propos de « l`analyse des pratiques professionnelles
A propos de « l’analyse des pratiques professionnelles »1
Par D.BONMALAIS à partir de trois auteurs de référence sur la question.
INTRODUCTION
« Analyse de pratiques » : Les auteurs ont cherché à délimiter ou restreindre ce groupe de
mots qui, selon Michelle Guigue, apparaît dans des domaines forts différents, si bien qu’en
fonction du contexte, de l’interlocuteur, il peut s’agir de psychologie clinique ou bien
d’ergonomie, d’ethnographie ou de sociologie…
Pour sa part, Jacky Beillerot précise qu’il s’agit bien d’analyse de pratiques professionnelles
et non de pratiques amoureuses, corporelles ou de pratiques sociales ou culturelles.
Dominique Fablet, à l’initiative de la publication d’une dizaine d’ouvrages sur ce thème, s’est
déclaré surpris par le foisonnement des pratiques d’analyse des pratiques professionnelles
dans divers champs. A cet effet, la définition initiale proposée en 1996 (ouvrage de
Blanchard-Laville et Fablet) a fait l’objet d’une évolution six ans après pour marquer la
spécificité « Analyse des pratiques professionnelles à orientation psychosociologique et
clinique ».
Cependant, selon Michelle Guigue, quelque soit le champ concerné, l’analyse des pratiques
professionnelles présentent quelques caractéristiques communes :
-
La référence à ce qui a existé, à ce qui a été effectivement fait2
Elles se différencient des normes ou prescriptions.
De ce fait, elles ne peuvent être réduites ni à l’imitation d’un modèle normatif, ni à
l’application d’une prescription.
1
Ouvrages de références :
1) Jacky BEILLEROT « L’analyse des pratiques professionnelles : pourquoi cette expression ? ».
(cahiers pédagogiques n° 346 – septembre 1996).
2) Dominique FABLET « Les groupes d’analyse des pratiques professionnelles : une visée avant tout
formative ». (connexions n° 82 2004/2, 105-117).
3) Michelle GUIGUE « Autour des mots : analyse de pratiques ». (recherche et formation n° 30 –
2002).
2
Quelle signification accorder à l’AP dans les cursus de formation initiale ?
Dans la phase de construction de l’identité professionnelle, sensibilisation des futurs professionnels aux
processus en jeu dans les situations d’interaction qui seront les leurs lorsqu’ils exerceront, également lors des
stages pratiques.
Découvrir l’intérêt d’une « mise en mots » des émotions et affects liés aux interactions en contexte
professionnel.
NB : Développement des groupes AP dans le milieu enseignant en FI depuis la création des IUFM.
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Dans ses ouvrages, Dominique Fablet s’interroge sur le recours aux modalités de travail en
groupe qui se développent à travers les groupes de paroles et les groupes d’analyse de
pratiques dans de multiples secteurs professionnels :
-
S’agit – il d’un déplacement de l’intérêt éprouvé dans les années 60 et 70 pour la
dynamique de groupe et plus globalement pour les ressources humaines ?
De difficultés identitaires tant sur le plan personnel que professionnel pour qu’on en
arrive d’ailleurs à confondre les deux expressions et ce qu’elles recouvrent ?
Afin de mieux faire connaître le dispositif d’analyse de pratiques professionnelles, plus d’une
dizaine d’ouvrages ont été édités depuis (coordination Blanchard-Laville, Fablet).
Nous verrons à travers cet éclairage théorique que l’analyse des pratiques ne relève pas de la
« coquetterie intellectuelle » comme l’affirment encore de nombreux responsables
institutionnels mais « qu’elle fait partie intégrante du travail de demain parce que la réflexion
sur sa pratique est une position méta-cognitive qui est devenue un facteur essentiel de
changement » (J.Beillerot).
I.
Une analyse préalable et nécessaire de l’expression « analyse des
pratiques professionnelles » - Jacky Beillerot.
1. « Pour y voir plus clair, il faut d’abord s’entendre… » sur :
-
« Pratiques »
Pourquoi parle t-on de pratiques plutôt que d’action, de fonction, de façon de faire ?
Il existe une différenciation depuis longtemps par les philosophes pour distinguer la vie active
et les conduites d’une part, de l’exercice et de la contemplation, de la théorie ou de la
spéculation de l’autre.
Dans le sens courant, est alors pratiques : toute application de règles, de principes qui permet
d’effectuer concrètement une activité, qui permet donc d’exécuter des opérations, de se plier à
des prescriptions.
La pratique, bien qu’incluant l’idée de l’application, ne renvoie pas immédiatement au faire
et aux gestes mais aux procédés pour faire.
Les pratiques sont observables parce qu’elles sont en parties répétitives. Elles peuvent être
observées ou décrites par des agents extérieurs. A l’inverse, elles peuvent être observées,
racontées ou récitées par leurs auteurs (cf. classification de Michelle Guigue).
Les pratiques sont des objets sociaux abstraits et complexes qui ne peuvent se
comprendre et s’interpréter que par l’analyse.
-
« Analyser »
Le mot analyse comporte une double origine et un double usage :
1. Décomposition en éléments de la matière (terme majeur de chimie)
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2. Décomposition en éléments des idées, des notions et des concepts (démarche et
méthode de pensée).
Analyser impose une opération de division, de fragmentation, de parcellisation et nécessite
des outils. Dans la réalité humaine, on a du mal à admettre que le tout est seulement la somme
des parties.
-
« Professionnelles »
Il s’agit bien de pratiques professionnelles, ce qui qualifie, restreint et délimite comme précisé
en introduction.
Professionnelles s’attachent à un métier et qu’il s’agit de transformations dans des conditions
économiques et sociales déterminées. L’activité dont il est question contribuant alors à la vie
productive d’un ensemble social.
2. L’analyse des pratiques professionnelles : Une nécessité …
Qu’est-ce qui autorise à préférer l’analyse faite par les auteurs eux-mêmes à une objectivation
mieux assurée par des observations multiples et armées ?
Qu’est ce qui autorise à penser qu’il y a analyse au moyen des discours ?
Le principe qui traverse tous les modes d’analyse est l’affirmation que le changement
des conduites humaines implique la collaboration libre du sujet aux changements, ce qui
n’exclut pas ses résistances, que c’est par sa conscience, puis sa compréhension des situations
et des phénomènes que le sujet accèdera à une possible transformation du réel.
« L’humain n’est pas une machine à computer ou à appliquer des protocoles ». Il y a le
principe d’un matérialisme complexe qui s’oppose au mécanicisme qui voudrait régir les
sociétés et les personnes comme des rouages3.
L’analyse des pratiques professionnelles doit sa fondation moderne au développement des
psychologies : psychologie sociale, du travail, psychanalyse, microsociologie…
II.
Une définition de l’analyse des pratiques professionnelles selon
Dominique Fablet.
Dans son ouvrage datant de 1996 (en collaboration avec Claudine Blanchard-Laville),
Dominique Fablet définissait ainsi l’analyse des pratiques professionnelles :
Les activités :
- Qui sont organisées dans un cadre institué de formation professionnelle, initiale
ou continue,
3
Face à une organisation du travail dont l’accent est principalement mis sur la productivité immédiate,
J. Beillerot fait le constat suivant : « l’AP se heurte souvent aux coureurs de performances parce que c’est un
travail de longue haleine, toujours à poursuivre, jamais définitivement achevé ». Se pose également le problème
des modalités de suivi sur le moyen terme quand il s’agit d’intervention externe !!
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-
Concernant notamment les professionnels qui exercent des métiers ou des
fonctions comportant des dimensions relationnelles importantes dans des champs
diversifiés de l’éducation, du social, de l’entreprise).
Dans sa définition, il intégrait également d’autres dimensions qui caractérisent l’analyse des
pratiques professionnelles : Les sujets sont invités à s’impliquer dans l’analyse, c'est-àdire à travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques et/ou à l’amélioration
des techniques professionnelles.
Les modalités de mise en œuvre : Elaboration en situation interindividuelle, le plus souvent
groupale, s’inscrit dans la durée et nécessite la présence d’un animateur, en général un
professionnel issu du milieu, garant du dispositif en lien avec des références théoriques
affirmées.
1. La finalité ou la visée poursuivie
Le travail conduit dans les dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles vise
essentiellement l’évolution de l’identité professionnelle des praticiens dans ses différentes
composantes :
-
Renforcer les compétences requises dans les activités professionnelles exercées,
Accroître le degré d’expertise,
Faciliter l’élucidation des contraintes et enjeux spécifiques dans leur univers
professionnel,
Développer des capacités de compréhension et d’ajustement à autrui.
La finalité professionnelle réside avant tout dans la professionnalisation des praticiens
par la FC ou la FI alors qu’on peut assigner d’autres objectifs au dispositif comme par
exemple la production de connaissance sur les activités professionnelles4 …
Le modèle de référence que constituent les « groupes Balint » est sous-jacent à une telle
définition5.
4
Au regard des matériaux recueillis, d’autres fonctions pourraient être mise en œuvre : « Veille sur l’activité »,
« Observatoire », « recherche-dévelopement »…
5
Contrairement à ce qui est affirmé parfois, la visée des groupes « balint » n’est-elle pas thérapeutique mais
formative (Moreau Ricard – biographie intellectuelle de Balint). A la demande du National Health Service,
soucieux d’offrir une formation complémentaire en psychologie et psychiatrie aux médecins généralistes, Balint
propose un séminaire expérimental portant sur des situations cliniques rapportées par des participants en lieu et
place des cours et conférences habituelles. C’est bien d’un recours aux méthodes actives dont il s’agit selon les
auteurs.
Cependant, en référence au groupe « Balint », on relève une contradiction relative au statut de l’animateur du
groupe qui « n’est ni un pédagogue, ni un super pédagogue, ni un formateur au sens classique, ni un conseiller
pédagogique, ni un expert en diagnostic, ni un enseignant encore moins un thérapeute » mais son action requiert
néanmoins un certains nombre de compétences similaires « apercevoir les mécanismes psychiques qui sont à
l’œuvre derrière nos comportements professionnels, créer un atmosphère émotionnel libre et amical, permettre
l’abandon de l’idéal toute puissance professionnelle (A.Missenard), transformer le « lieu pour se plaindre » en
« lieu de transformation de la plainte » (M.Natanson).
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2. Le type de pratiques professionnelles considéré
Au regard de la définition proposée initialement, l’analyse des pratiques professionnelles
concerne de manière privilégiée les professionnels dont les activités comportent des
dimensions relationnelles importantes.
Cependant, le dispositif tend à se développer dans les différents secteurs d’activités même si
la distinction entre poïesis et praxis conserve sa pertinence6 (on peut même parler de
préférence pour les pratiques praxis).
Cette catégorie de pratique se trouve interrogée aujourd’hui par le modèle de la relation de
service (Dubet 2000) qui a tendance à réduire l’action et la spécificité du type de relation qui
lui est lié à une simple prestation.
2. Le système de référence utilisé
Malgré une multiplicité et la diversité des systèmes de références, une distinction est faite à
partir des approches poïesis et praxis :
-
-
D’un côté les approches relevant de l’analyse du travail (analyse des situations de
travail, ergonomie… qui se focalisent sur les aspects opératoires des activités dans une
relative extériorité par rapport aux agents et avec un souci de modélisation)7.
De l’autre les pratiques-praxis qui adoptent une position clinique, privilégiant les
dimensions relationnelles en jeu dans les activités considérées en invitant les
professionnels à s’engager dans le processus d’analyses.
Il s’agit ici d’un système de références théoriques basé sur la psychologie ou la psychologie
sociale (interaction, éclairage quant au travail de groupe et perspectives quant à la question du
changement) qui a grandement contribué au développement d’approches spécifiques
d’analyse des pratiques-praxis.
Depuis une trentaine d’années, on note une certaine convergence entre ces deux grands
courants d’analyse qui résulte :
- De l’apparition de nouveaux modes d’organisation du travail,
- L’inflexion des démarches de recherches.
Dans les deux cas, on s’intéresse davantage à l’activité individuelle et collective de
mentalisation, de formalisation des processus productifs par ceux là mêmes qui les réalisent
(Barbier – 2000).
Cependant, des questionnements apparaissent sur le mode de participation des professionnels
au processus d’analyse (démarche interne participative ou externe ?).
La mise en discours de l’agir professionnel s’est traduite par le développement d’approches
nouvelles :
- L’entretien d’explicitation (Vercmesh 1994)
6
Référence à Aristote qui distingue traditionnellement les activités de fabrication, de production d’objets
(poïesis) caractérisées par des visées d’efficacité technique et/ou stratégique, de celles qui visent autrui comme
être autonome (praxis). Il s’agit des métiers ou l’on parle « d’agir sur autrui, d’interventions sur autrui, métier de
l’humain…
7
A noter la notion de « psychodynamique du travail » (Christophe Dejours) en remplacement de la
psychopathologie du travail, discipline orientée vers l’identification des maladies mentales occasionnées par le
travail, discipline ayant échoué d’une certaine manière selon cet auteur.
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-
La didactique professionnelle (Pastré 1999)
La clinique de l’activité (Clot 2001) ;
La distinction entre analyse du travail et analyse des pratiques peut prêter à discussion d’où
l’introduction d’un critère supplémentaire pour les différencier : l’approche est-elle globale ou
partielle ? (le processus d’analyse, appréhende t-il les activités dans leur totalité ou privilégie
t-il telle dimension, tel registre ou encore telle activité ?).
3. Les différentes catégories de dispositifs instaurés
Au regard de la définition proposée et des restrictions qui en résultent quant aux pratiques
considérées, les distinctions suivantes sont à opérer :
A) Le cadre de formation institué : FC ou FI ?
B) Activités de formation ou d’intervention ?
Le premier cadre fait référence à l’orientation « Balint ». Reste que l’appellation « groupe
Balint » a été utilisé un peu dans tous les sens d’où un certain éloignement des propositions
initiales de Balint.
Quels sont les critères qui permettent de distinguer « groupe Balint » et groupe d’analyse de
pratiques ?
3 critères selon M. Soula Desroches (1996-2000)
Nature de l’activité
Groupe Balint
Analyse des mouvements
Registre analytique ou non
transférentiels ou contre
du travail
transférentiels de praticiens
intervenant sur la réalité
psychique des sujets
Activité professionnelle
L’attention aux processus
inconscients est privilégiée
Mode d’implication et
d’investissement
Sujet en rapport avec sa
propre histoire
Analyse de pratiques
Registre psychosocial dans le
groupe AP.
Valeurs, représentations,
normes, croyances en rapport
avec les situations
professionnelles rapportées
par les participants sont
l’objet du travail
d’exploration.
Praticien en tant « qu’acteur
social »
Par delà leurs différences, la visée essentielle est le changement des personnes (remaniement
identitaire en FC, sensibilisation en FI).
Le deuxième cadre, activité de formation ou d’intervention ?
L’intervention se différencie de la formation. Il existe une ambiguïté sur les termes
« formation intra », « formation sur site », c’est souvent pour distinguer des « formations
inter-entreprises » ou « stages inter » qui ne permettent pas de caractériser la nature de
l’action, le type de processus à l’œuvre.
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En situation d’intervention8, les dimensions collectives se révèlent davantage prégnantes, le
changement concerne certes le sujet mais aussi les structures organisationnelles au sein
desquelles ceux-ci sont amenés à évoluer.
On utilise le terme d’intervention dans le cas où le travail s’engage à partir d’une demande qui
concerne les agents appartenant à une même organisation, un même collectif de travail qui
leur est commun.
La finalité de l’action n’est plus seulement le changement ou l’évolution des personnes qui y
participent mais aussi, peu ou prou celui de leur collectif de travail. Il est fait appel à un
intervenant externe (Consultant, Universitaire…) dont les références théoriques peuvent être
multiples (psychosociologie, psychanalyse, sociologie…).
III.
L’approche de Michelle Guigue
1. Une classification des dispositifs…
Le travail réalisé par Michelle Guigue, dans des contextes très hétérogènes, lui permet
d’attirer l’attention sur quelques points communs à tous les dispositifs :
-
-
L’analyse des pratiques professionnelles suppose non seulement la participation des
praticiens mais surtout leur implication volontaire, personnelle et professionnelle
(position récit de leurs pratiques et vécus ou position d’être observé dans une relation
avec un chercheur).
La coopération des praticiens est doublement indispensable : pour accéder au réel et au
vécu de ce réel.
Le chercheur ou l’animateur sont des médiateurs, des catalyseurs, le praticien participe
activement, directement à la construction du savoir, il y a co-construction.
L’analyse des pratiques professionnelles suppose un contrat clair et explicite entre les
praticiens et l’animateur ou le chercheur sur les modalités d’organisation, les objectifs, les
attentes des uns et des autres et, en dernier lieu sur les écrits qui pourront en être tirés9.
Parler en termes de « pratiques » suppose le rejet de discours génériques10.
Les différents types de dispositifs :
-
Ceux sous-tendus par des observations. La présence du médiateur est caractérisée par
une attitude d’observateur extérieur. Cette approche privilégie un projet de
connaissance.
8
Chantal Humbert « Démarche de projet et analyse des pratiques » attire l’attention sur les propositions de
certains cabinets pour des prestations « clés en main » ! Cette approche instrumentale peut être tentante au regard
de certaines situations d’urgence, mais le projet se réduit alors à son contenu et se limite à un document
conforme à la réglementation, se pose alors la question de la cohérence avec les pratiques internes. Elle insiste
sur le fait que formaliser un projet est un acte qui ne se réduit pas à une simple description des pratiques
professionnelles ! Cette « pensée sur » est souvent freinée, voire rendue impossible dans certains collectifs aux
prises avec des enjeux de pouvoirs.
9
Le soutien de l’environnement institutionnel et la confiance que cet environnement accorde au dispositif sont
décisifs, quelque soit la volonté des participants eux-mêmes. Processus qui s’inscrit dans la durée.
10
En référence à D.A.Schön « quand quelqu’un réfléchit sur l’action, il devient chercheur dans un contexte de
pratique ».
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-
Ceux sous tendus par des mise en situation. La stratégie conjugue implication et
distanciation afin de ne pas être parasité par la crainte et le jugement des autres.
Suppose le volontariat, l’implication et la mise à l’épreuve mais dans des simulations
décalées et distanciées (recours à des séances filmées qui sont ensuite visionnées,
discutées et analysées).
-
Ceux sous tendus par des mises en discours. La relation est duelle et non groupale11.
L’entretien traite la personne questionnée comme un observateur de ses propres
actions mentales et matérielles remémorées (technique : les questions descriptives
seront privilégiées « quoi » ; « qu’est-ce », « comment ». Eviter le « pourquoi » qui
ouvre sur des discours justificatifs d’après coup).
-
Ceux qui s’appuient sur l’écriture. Balint insistait sur le caractère oral de l’analyse
des pratiques professionnelles, l’écrit perdrait de sa spontaneité ! La prudence est
recommandée quand il s’agit de lire et d’analyser les pratiques écrites et décrites.
L’impact du contexte d’énonciation, le rôle institutionnel de ces écrits en font un type
d’écriture travaillé et retravaillé où se mêlent rationalisation et fiction.
2. Des questionnements majeurs …
A travers son article, Michelle Guigue ne s’est pas engagée dans une démarche théoricienne et
abstraite en proposant un panorama de définition de l’analyse des pratiques, malgré de sérieux
enjeux épistémologiques qui ne pouvaient être traités dans l’espace imparti.
A partir de fragments d’analyse de pratiques professionnelles enseignantes, elle relève une
multiplicité de pratiques qui s’entrelacent : celles de l’enseignant, des élèves et aux marges
des parents.
Différents exemples viennent illustrer son propos dont un exemple tiré de l’ouvrage de
Claudine Blanchard-Laville – 1998. Les exemples cités soulèvent un certains nombres de
questions quant aux modalités de mise en œuvre de l’analyse des pratiques
professionnelles12 :
-
-
La difficulté de verbalisation (les pratiques annoncées mettent en jeu des processus de
mémorisation et de récapitulation compliqués lorsqu’il s’agit de les énoncer de façon
décontextualisée et synthétique).
L’échelle, c'est-à-dire la finesse, la précision de ce qui est dit ou noté,
L’orientation du regard et de l’écoute qui détermine différents types de relations entre
les pratiques elles-mêmes et les discours qui les décrivent, les racontent, les analysent.
3. Les trois pôles organisateurs (la situation, le professionnel comme personne
et le savoir).
La situation est définie comme complexe, incertaine, instable, présentant des conflits de
valeurs et associant des éléments environnementaux et du vécu. L’enjeu de l’analyse des
11
Ces modalités sont en contradictions avec les pratiques classiques qui préconisent une interaction dans un
cadre qui privilégie une action en groupe.
12
Nous pouvons également évoquer l’analyse des pratiques dans un contexte bureaucratique (M.P. Glod et G.
Theuveney) « la structure bureaucratique, c’est d’abord l’univers impitoyable de la règle, où l’analyse, la pensée,
le ressenti sont refoulés, l’AP est dérangeante dans ces structures … » mais tellement nécessaire !
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pratiques professionnelles consiste à repérer ce qui, dans le foisonnement d’une situation, font
sens et oriente les évènements.
La personne du professionnel, son histoire, ses émotions, ses affects, à une place décisive.13
Le savoir : L’analyse des pratiques est une stratégie réflexive qui développe nécessairement
des dimensions cognitives. Pour D.A. Schön, il s’agit de construire une épistémologie du
savoir professionnel en s’intéressant à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel.
L’analyse des pratiques ne vise pas l’exploration des concepts ou d’idées, c'est-à-dire des
manières de penser. Elle prend pour objet les manières de faire, c’est pourquoi l’ancrage dans
un cas particulier et les conditions d’exécution sont essentielles.
IV.
Conclusion.
Michelle Guigue met l’accent sur l’ancrage conjoncturel de l’analyse des pratiques qui
produit un savoir local et évite de ce fait les dérives rhétoriques et les discours prescriptifs
réducteurs. En prise sur l’action et sur le vécu, l’analyse des pratiques ouvre selon elle, de
multiples perspectives : scientifiques, pragmatiques et coopératives.
Jacky Beillerot insiste sur la nécessité de l’analyse des pratiques professionnelles dans notre
société contemporaine au regard de la transformation du travail, de son organisation, de ses
activités qui requièrent davantage d’intelligence, de conception, de savoirs abstraits
qu’auparavant. De ce fait, il y a lieu de développer la réflexion, la réflexivité, la nécessité de
penser ce que l’on fait dans le cadre d’une liberté et un engagement accrus et non par une
robotisation accélérée.
L’analyse des pratiques professionnelles engage selon lui, des questions essentielles14 :
-
Sur l’évolution des rapports entre théories et pratiques sociales,
La critique d’une maîtrise de la réalité par des règles toutes faites,
Le sens de la formation continue dans son rapport avec le travail.
Sur la dimension liée à la formation, Dominique Fablet insiste sur la perspective de formation
et de professionnalisation des groupes d’analyse de pratiques, quels que soient les catégories
de dispositifs et les systèmes de références utilisés. Cette approche fait clairement la
distinction avec les groupes de paroles qui ont d’autres finalités.
13
En référence à Balint qui indique dans les conclusions d’un séminaire d’analyse des pratiques : « Dès le début,
nous désirions que le rapport fait par le médecin tienne le plus grand compte de ses réactions émotionnelles en
face de son malade ou même de son implication possible dans les problèmes de son malade ». Cette approche
pose le problème de la distanciation du professionnel.
14
Ces questionnements sont partagés par d’autres auteurs, à titre d’exemple : Hugues Lenoir dans son article
« l’avenir radieux de l’ingénierie » N’est –il pas temps de réfléchir à ce trop bel outillage méthodologique qui
s’impose à nous et surdétermine nos pratiques sans que nous ayons toujours une analyse ou une conscience
claire ? Ne doit-on pas oser quelque fois contre les idées reçues ? L’auteur de proposer une « rupture avec les
pratiques d’ingénierie exogène au bénéfice d’une ingénierie endogène portée par les apprenants et co-produite
avec eux », l’ouverture « d’espace de liberté qui permettront sans coercition manifeste, de se réapproprier, pour
une part, les dispositifs contraints », « d’échapper aux rigidités du système pour redevenir acteur, il est grand
temps de renoncer à des dispositifs à courte vue, l’analyse du contexte, la définition des besoins, le repérage des
contraintes sont trop souvent réalisés par des institutions sans consultation des intéressés, une telle pratique
révèle le paradoxe de l’ingénierie ». Il convient donc de « développer et relancer des formes d’ingénierie
coopérative » hors des logiques économicistes et/ou technocratiques qui dominent aujourd’hui ».
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L’analyse des pratiques se révèle être un outil très productif, d’abord pour son caractère
heuristique, elle est un élément de professionnalisation et de production de savoirs nécessaires
à l’expertise, ensuite par le travail réflexif sur soi, souligné par Jacky Beillerot, qui est une
occasion de conscientisation de l’identité professionnelle.
Séminaire d’analyse des pratiques, identité professionnelle et situation groupale …
Le séminaire d’analyse des pratiques est un lieu privilégié de construction de l’identité
professionnelle. Selon Jane Moll, « on fait l’expérience que le groupe15 peut être un lieu
d’émulation, d’enrichissement, voire de création, un espace de nidification où germent des
idées nouvelles. Lieu de sécurité affective, de solidarité et d’élaboration intellectuelle, lieu
d’apprentissage de l’altérité et de la socialité, de par les échanges qui y ont lieu, le groupe
fonctionne comme un parent de recours à qui l’on confie, de séance en séance, ses petits
progrès ou ses plaintes renouvelées. Ainsi se construit progressivement l’identité
professionnelle de chacun ».
15
A mettre en lien avec les propos de P.Dosdes « l’analyse clinique de la part professionnelle de la personnalité
et des défenses professionnelles » : Il y a beaucoup de situations professionnelles dans l’éducation et le travail
social qui sont extrêmement lourdes pour le psychisme des professionnels et qu’il est de la responsabilité
institutions de fournir les aides psychologiques. Le groupe peut de ce fait constituer un élément de ces aides.
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