Eleanor Powell, Judy Garland

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Eleanor Powell, Judy Garland
Fanny Beuré: Eleanor Powell, Judy Garland: s’affranchir des stéréotypes genrés par la danse et le chant
lui attachent alors des sacs de sable à la ceinture et elle développe un style de frappe très
proche du sol11.
Cette puissance est liée au quatrième élément clef de leur style : la générosité et
l’authenticité de la performance. Selon Richard Dyer, l’intensité émotionnelle est un des traits
essentiels de la persona de Judy Garland12. A l’écran, cette authenticité est renforcée par le
fait que, lors de la prise de vue, elle chante systématiquement par-dessus la bande sonore, là
où beaucoup d’autres interprètes font du playback. Par ailleurs, Powell, par l’immense sourire
qu’elle arbore pendant ses numéros, semble totalement insensible à l’effort. Ses prouesses les
plus spectaculaires deviennent alors des célébrations spontanées de la joie de danser.
Ces quatre caractéristiques stylistiques (compétence, originalité, puissance et
authenticité) placent Garland et Powell aux marges des normes genrées, notamment parce
qu’en découle une dimension d’« auteurité ». Les deux actrices sont d’authentiques créatrices,
en capacité d’imposer des choix artistiques face aux réalisateurs et producteurs, en décidant
comment arranger une chanson ou mettre en scène une danse. Parce qu’elles sont dotées de
ces dispositions artistiques inhabituelles, elles peuvent proposer des modèles de féminité
inédits, en rupture avec les stéréotypes hollywoodiens classiques. Ces derniers se caractérisent
à la fois par une relation ambiguë au modèle de la girl next door et par une faible intégration
dans le jeu hétérosexuel.
Un rapport ambigu au modèle de la girl next door
Sous certains aspects, les deux actrices incarnent parfaitement la « fille ordinaire »,
portant par sa fraîcheur et sa spontanéité l’exaltation de l’Amérique des petites villes. Ainsi
les personnages interprétés par Judy Garland sont-ils souvent liés à la ruralité : la petite
Dorothy du Kansas jure dans Le Magicien d’Oz que « there’s no place like home » ; dans
Easter Parade (Charles Walters, 1948) Hannah chante « I wanna go back to Michigan » ; à la
fin de Meet Me in St. Louis (Vincente Minnelli, 1944) Esther est ravie de constater que les
splendeurs de l’exposition universelle sont « Right here where we live, right here, in Saint
Louis » ; enfin Garland incarne dans Summer Stock (Charles Walters, 1950) une fermière en
salopette, qui chante sur son tracteur pour souhaiter à ses voisins une joyeuse moisson. De la
même façon, dans Broadway Melody of 1936 (Roy Del Ruth, 1935), le personnage d’Eleanor
11
Margie Schultz, op. cit., 1994, p. 5.
12
Richard Dyer, Heavenly Bodies. Film Stars and Society, 2nd ed., London and New York, Routledge Book,
2004, p. 151.
19