1 Discours prononcé par Patrick de Carolis, Président de France

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1 Discours prononcé par Patrick de Carolis, Président de France
Discours prononcé par Patrick de Carolis, Président de France Télévisions, le jeudi
17 juillet 2008 à Strasbourg à l’occasion du Colloque Européen sur les médias de
service public à l’ère du numérique.
(seul le prononcé fait foi)
Madame le Ministre,
Madame le Commissaire Européen,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Plusieurs points viennent d’être abordés dans les interventions que nous venons
d’entendre. Pour ma part, je souhaiterais évoquer devant vous trois thèmes de
réflexion qui me paraissent essentiels :
1. Le rôle des
télévisions publiques dans le sentiment d’appartenance à
l’Europe.
2. Le refus d’avoir en Europe deux publics pour une télévision à deux vitesses ;
3. Enfin le droit pour les télévisions publiques d’être présentes sur le marché des
nouveaux services audiovisuels.
L’identité de l’Europe c’est sa culture. Une culture riche, diverse vivante, mais dont
les racines s’entremêlent autour d’une même souche. C’est bien cette culture
commune qui a permis à nos prédécesseurs de dépasser les conflits de l’histoire
pour construire un projet politique commun.
Dans une société de communication comme la nôtre, l’audiovisuel est devenu le
principal vecteur culturel.
C’est par lui que se fait une grande partie de la transmission culturelle. C’est par lui
que se fait la découverte. C’est par lui que le débat d’idée devient public.
Dans ce contexte, les médias de service public ont un rôle essentiel à jouer et tout
particulièrement au plan européen.
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Aujourd’hui ce sont les services publics audiovisuels qui parlent de l’Europe et
qui la font aimer,
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ce sont les services publics audiovisuels qui expliquent l’Europe et qui la
rendent accessible et compréhensible aux téléspectateurs,
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enfin, c’est le service public qui est le meilleur ambassadeur de l’idéal
européen auprès des européens eux-mêmes.
Bien sûr, comme l’a dit récemment Sir Michaël Lyons, chaque Etat membre a
développé son propre modèle. Il n’existe donc pas de recette universelle qui pourrait
s’appliquer de Londres à Varsovie. Pour autant, il existe des valeurs communes et ce
sont ces valeurs que l’Union doit préserver.
En tout premier lieu, je voudrais dire très clairement que, contrairement à l’idée
défendue par certains diffuseurs privés, les services publics audiovisuels n’ont pas
pour vocation de répondre à la demande qui ne serait pas satisfaite par le marché.
Il ne peut pas y avoir en Europe deux publics pour la télévision :
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d’un côté un public « solvable » constitué de différentes cibles commerciales
et soumises en permanence à l’exposition publicitaire ;
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de l’autre, un public démonétisé qui n’ayant aucune valeur marchande auprès
des annonceurs serait abandonné aux télévisions publiques. Personne ne
veut ici, je crois, d’une télévision à deux vitesses coupant l’Europe en deux,
par une frontière invisible qui passerait non pas du Sud au Nord ou d’Est en
Ouest mais entre 2 catégories professionnelles :les SP+ et la ménagère de
moins de 50 ans. D’un côté une Europe de la consommation, de l’autre une
Europe de la paupérisation. D’un côté les paillettes de la télévision
commerciale, de l’autre l’austérité un peu ennuyeuse de la télévision publique.
Bien au contraire, les services publics européens ont un rôle moteur à jouer : ils
doivent :
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s’illustrer dans tous les genres pour rencontrer tous les publics,
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soutenir la création et l’innovation pour lutter contre cette uniformisation
culturelle qui guette nos écrans. Là où les chaînes privées soumises à la
pression de leurs actionnaires se contentent désormais d’adapter des formats
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et des standards internationaux, je pense ici à la télé réalité, les chaînes de
service public doivent maintenir et promouvoir les créateurs nationaux et
européens. C’est parce que l’Europe a su réguler le marché en obligeant les
télévisions d’Europe à diffuser + de 50 % de productions européennes qu’il
existe encore aujourd’hui sur le vieux continent une industrie audiovisuelle
digne de ce nom. Il n’est pas inutile de rappeler que les télévisions publiques
vont bien au-delà de cette obligation en dépassant très largement ce quota et
c’est parce qu’elles font cet effort que nos écrans n’apparaissent pas
totalement standardisés.
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Enfin, les télévisions de service public doivent continuer à pouvoir être à la
pointe des nouvelles technologies. Elles doivent être présentes sur tous les
secteurs, sur tous les réseaux et s’adapter à tous les nouveaux modes de
diffusion. Il leur faut non seulement assurer leur présence et leur
développement, mais je considère qu’elles doivent garder leur pouvoir
d’initiative pour tous les progrès techniques qui peuvent améliorer le service
dû aux téléspectateurs. Plus que jamais, les télévisions de service public
doivent être les pionnières de ces progrès technologiques. Je veux prendre
ici, et vous m’en excuserez, un exemple français. Sans le volontarisme du
Conseil supérieur de l’audiovisuel et surtout l’investissement direct de France
Télévisions, jamais la télévision numérique terrestre n’aurait réussi son
implantation en France. Ce service gratuit, aujourd’hui plébiscité par les
téléspectateurs, garant d’une nouvelle diversité de l’offre et donc du
pluralisme, a été combattu publiquement par les groupes privés alors en
situation de duopole. Si demain, pour des raisons économiques, les services
publics européens devaient abandonner l’un ou l’autre des nouveaux supports
de diffusion, c’est la diffusion de ces progrès techniques qui serait remise en
question. Mais ce ne serait pas là l’unique conséquence ; les services publics
renonceraient de facto à exercer leur mission c’est-à-dire à s’adresser à tous
les groupes et à tous les individus qui composent la société.
Une telle ambition ne peut être portée par chacun des services publics européens
que si leur financement est assuré. Ces financements peuvent être entièrement
publics ou à l’inverse très largement assurés par les ressources publicitaires.
L’Europe présente à peu près tous les schémas.
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Quel que soit le modèle économique adopté par les Etats membres, il est essentiel
que chaque service public puisse continuer à avoir le droit de tirer des ressources
propres de certaines de ses activités pour pouvoir autofinancer son développement.
Pour cela, je crois qu’il ne doit pas être exclu que certains services notamment dans
les services de consommation à la demande puissent être payants. Je tiens ici à
rappeler une vérité trop souvent oubliée, la notion de service public n’est pas
nécessairement liée à la gratuité. Elle peut exiger de la part du consommateur une
participation même modique au financement du service.
Si la télévision, et plus généralement l’accès à tous les programmes du service
public, doivent être accessibles gratuitement, il n’y a aucune raison pour que les
services supplémentaires ne puissent être accessibles moyennant une contrepartie
financière. Quand France Télévisions permet à ses téléspectateurs, par le biais de
son offre de vidéo à la demande, d’échapper aux contraintes de la programmation et
donc de visionner quand ils le souhaitent des images qu’ils n’ont pas pu regarder, ce
service, parce qu’il exige le paiement de droits d’auteur et de droits de production
tout comme il requiert de véritables prouesses technologiques, doit être payant dans
le respect bien évidemment du droit de la concurrence, et je me tourne là vers
Madame Neelie KROES.
Au moment de terminer mon propos, je le dis ici avec force et conviction : rien ne
serait pire qu’un service public auquel on interdirait le marché des services au
prétexte qu’il est public. Ces services publics ne pourraient plus alors financer leur
développement et se verraient condamnés très rapidement à l’obsolescence
technique et donc à terme au mutisme.
Cette perspective n’est pas souhaitable :
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ni pour la vitalité de ce secteur économique,
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ni pour le débat démocratique,
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ni pour la construction européenne et l’idéal qu’elle porte.
Je vous remercie.
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