Se divertir, mais pas que

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Se divertir, mais pas que
SAMEDI 23 MAI 2015 “
18
Samael rejoue l’album
«Ceremony Of Opposites»
MAXIME SCHMID
CULTURE
MÉTAL
Le groupe fondé en Valais revisite ses
origines dans une série de concerts qui
commence ce soir à Genève. PAGE 19
nv
TEMPS
D’ARRÊT
«Fabrikk» plonge le spectateur
dans l’univers d’une fabrique
helvétique de pralinés menacée
par la délocalisation de sa production.
KEYSTONE
DOMINIQUE
DE RIVAZ
RÉALISATRICE,
ÉCRIVAINE
Escapade
polonaise
Il y a longtemps
que j’en rêve: visiter Gdansk, la ville
mythique de Solidarnosc, et filer
ensuite vers l’est,
vers la Mazurie
dont le nom m’a des allures de mazurka. Gdansk évoque en revanche pour
moi une ville sinistre et industrielle.
Car Gdansk est bien encore le port
principal de Pologne, même si les
chantiers navals misent actuellement
sur le vent (construction de mâts d’éoliennes) plutôt que sur les coques de
navire (2 coques en 2012 contre 32 en
1980 à l’époque glorieuse de Solidarnosc, lorsque 17 000 personnes y travaillaient contre 1700 aujourd’hui!).
Le train quitte Berlin au ralenti, il se
tortille à coups de klaxons qui scandent
tout le trajet. La traversée de la Pologne
vers le nord est rythmée par les champs
de colza, jaunes et or, éblouissants presque, et par les boissons offertes gracieusement par la compagnie ferroviaire. Et
voilà que je me retrouve sur un perron
de la jolie gare de Gdansk, fer forgé et
toits blancs, à deux pas de la vieille ville.
Chaque samedi,
quatre acteurs
culturels valaisans
commentent à tour
de rôle l’actualité.
FABRIKK Le nouveau spectacle de la Karl’s kühne Gassenschau a été
ovationné jeudi soir. A voir à Saint-Triphon (VD) jusqu’en septembre.
Se divertir, mais pas que...
PATRICE GENET
Hasard du calendrier ou ironie de
l’histoire, le jour de la première de
«Fabrikk» était signé le plan social entre la direction, les syndicats et les 257
employés de la raffinerie Tamoil de
Collombey. Jouée devant près d’un demi-million de spectateurs en Suisse alémanique l’an dernier et désormais installée à la carrière de Saint-Triphon
(VD) jusqu’en septembre, la nouvelle
grosse production de la troupe Karl’s
kühne Gassenschau (KKG), tout frais
lauréat du Prix du théâtre suisse décerné par l’Office fédéral de la culture, touche à une réalité qui a frappé de plein
fouet le Chablais ce printemps.
L’histoire? Celle d’une fabrique helvétique de pralinés qui séduit des investisseurs chinois. A tel point que ces derniers imposent à Ernesto Angelini – le
comédien genevois Laurent Deshusses,
touchant de vérité – et à ses employés
une cadence de production impossible
à tenir. Deux solutions, dès lors: sacrifier la qualité à la quantité ou délocaliser. «Les Chinois sont moins chers, plus
rapides, et posent moins de questions»,
lance ainsi Viktor Witschi – le Lausannois Julien Opoix, impitoyable –,
P.D.G. de la société commercialisant les
fameux pralinés Rondoro, au cœur des
convoitises.
Mondialisation et délocalisation
Cette tension poussera Angelini au
bord du suicide. Point d’orgue de la
guerre psychologique que se livrent
en lui rentabilité et attachement à sa fabrique et à ses employés: cette scène
particulièrement réussie – et très «gassenschauesque» – du cauchemar, où le
patron voit, impuissant, son équipe
contrainte au travail à la chaîne, réduite
à l’état de hamsters courant sans fin
Le comédien genevois Laurent Deshusses incarne le maître
chocolatier Ernesto Angelini. KEYSTONE
dans une gigantesque roue – carrée –
qui, embrasée, s’envole, folle, dans le
ciel de Saint-Triphon.
L’esprit «Gassenschau»
Si jeudi soir le spectacle a tardé à trouver sa vitesse de croisière – première
francophone oblige, le rythme de jeu
entre le noyau dur de la KKG et les comédiens et figurants romands reste encore à affiner – «Fabrikk» a mis debout
le millier de spectateurs réunis sur le
gradin de la carrière chablaisienne.
Cascades, effets pyrotechniques, bagarres et poursuites «western», scène
finale ahurissante: la KKG se montre fidèle à sa réputation en proposant un
spectacle alliant prouesses techniques,
drôlerie, réflexion sur la société actuelle
et poésie – la palme à la scène de la
«pasticceria del Nonno», où Angelini
trouve l’inspiration pour sa ganache
au... ginseng.
Les employés de la fabrique sont
menacés par les Chinois. KEYSTONE
«Incroyable!»; «Génial!»; «Alors ça, ça
vaut le coup!» Les commentaires pris
au hasard d’une foule enthousiaste sont
ainsi venus confirmer ce que l’on savait
déjà: après les cartons de la KKG à
Saint-Triphon – «r.u.p.t.u.r.e.», «t.r.a.f.i.c»,
«AKUA» et «SILO 8» – la KKG se prépare à un nouveau carton.
Un succès dû en grande partie à l’excellent trio de premiers rôles romands:
Deshusses, Opoix (qui incarne également Willy Häberli, cadre en blouse
blanche chargé de faire respecter le règlement de la fabrique) et le Lausannois
Karim Slama, impayable et désarmant
dans son double rôle de salarié beau
gosse et d’interprète chinois tombé
amoureux de Yelena, employée originaire de Bosnie qui n’a connu «que deux
villes: Sarajevo et Renens».
«Sous ces airs humoristiques, ça fait passer plein de messages», a-t-on entendu
jeudi. C’est vrai. Et ce n’est pas rien. }
L’humoriste et comédien lausannois Karim Slama ne ménage pas
son talent pour donner corps à un interprète chinois. KEYSTONE
Gdansk, entièrement
détruite pendant
la guerre, est renée de
ses cendres et sa vieille
ville, aux fières maisons
marchandes, est
à couper le souffle.
Car vieille ville il y a! Et non des moindres! Gdansk, entièrement détruite
pendant la guerre, est renée de ses cendres et sa vieille ville, aux fières maisons marchandes, est à couper le souffle: un mélange de Copenhague, Hambourg et Amsterdam. A pied, presque
un pèlerinage, je file au Centre européen de solidarité, et je passe le cœur
battant la grille qui donnait accès au
chantier naval en 1980. L’imposant
bâtiment moderne, rouillé, s’inspire
d’une coque de bateau en construction.
Ses salles font revivre ¬ on retient une
larme d’émotion ¬ les incroyables moments de la lutte syndicale victorieuse
de Solidarnosc.
Et puis voilà la route, en direction de la
Mazurie. Le colza de nouveau, éblouissant, qui ondule. Des nids de cigognes
haut perchés et tous habités, cigognes à
leur toilette, quand elles ne traversent
pas la route d’un pas nonchalant. Car les
lacs sont là, les quatre mille lacs, rivières
et tourbières, qui les régalent de grenouilles, têtards, lézards, poissons, escargots dodus et j’en passe… Je marche.
Les forêts silencieuses, les rives aux reflets profonds, des troncs rongés par les
castors. Le chant du coucou.
Je reviendrai. Au sud du pays, la forêt
de Bialowieza, relique des forêts préhistoriques et dont le nom à lui tout seul
fait rêver, est unique en Europe. Encore
faudra-t-il qu’elle soit toujours là: la
joute est extrême en Pologne, entre
ceux qui veulent tirer profit de son bois
et ceux, clairvoyants, qui exigent qu’elle
soit enfin classée parc national. }

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