La bordure frontalière des trafiquants de personnes en Afrique du Sud

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La bordure frontalière des trafiquants de personnes en Afrique du Sud
ARTICLES GÉNÉRAUX
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RMF33
La bordure frontalière des trafiquants
de personnes en Afrique du Sud
Tesfalem Araia et Tamlyn Monson
La construction d’une bordure frontalière imaginaire est centrale
au trafic des personnes le long de la frontière entre l’Afrique du
Sud et le Zimbabwe.
Un projet de recherche sur l’industrie du
trafic des personnes et ses effets sur les
demandeurs d’asile potentiels a révélé
qu’une majorité substantielle de ceux-ci qui
ont traversé une frontière territoriale pour
entrer en Afrique du Sud sont passés par le
Zimbabwe.1 Un peu plus d’un cinquième
des demandeurs d’asile étaient l’objet
de trafic, et la majorité a payé pour l’aide
qu’ils ont reçue. Le trafic des demandeurs
d’asile était le fait – par ordre d’importance
– de trafiquants, de compagnies de
transport, d’autres immigrants, d’amis
ou de proches, et, ce qui est alarmant, de
fonctionnaires du gouvernement. Parmi
ces clandestins, environ une personne
sur cinq a subi des blessures physiques
pendant le passage de la frontière.
« Je suis la frontière », proclamait un
trafiquant, illustrant ainsi une conclusionclé du projet. Les trafiquants se servent de
la tromperie systématique des demandeurs
d’asile pour manipuler la demande de
passage. Cette désinformation et les
omissions délibérées des trafiquants créent
une frontière imaginaire qui, dans l’esprit
des demandeurs d’asile éventuels, est bien
plus hostile et menaçante que la réalité.
Il en résulte que l’entrée non documentée
par l’intermédiaire d’un trafiquant semble
être le seul moyen de pénétrer sur le
territoire Sud- Africain. Cela encourage une
tendance vers le passage non documenté
de la frontière, même parmi les personnes
qui seraient habilitées à recevoir un permis
de demandeur d’asile. En conséquence,
l’augmentation de la population invisible
crée un problème de gestion de la migration
par l’état, tout en rendant les demandeurs
d’asile éventuels plus vulnérables aux abus.
Un terrain fertile pour
les trafiquants
Une des raisons centrales qui rend les
demandeurs d’asile vulnérables à la
tromperie sur les conditions à la frontière
est le fait que plus des deux tiers d’entre
eux n’ont pas connaissance de la possibilité
théorique de demander asile avant de
quitter leur pays d’origine. D’autre part,
il existe une réalisation omniprésente de
‘amagumaguma’ – un terme couvrant les
acteurs non-gouvernementaux responsables
de diverses formes d’abus, d’exploitation
et d’extorsion le long de la frontière.
Pour certains, les ‘amagumaguma’ sont
trafiquants sans scrupules qui attaquent
leurs clients et qui leur volent leurs biens,
les battent ou les abandonnent durant le
passage de la frontière. Pour d’autres, les
‘amagumaguma’
représentent des
bandits indépendants
qui rôdent dans la
zone frontalière,
attaquant aussi bien
les trafiquants que
leurs clients. Pourtant,
d’autres pensent
qu’il s’agit d’une
fiction, une ruse de la
part des trafiquants
fourbes pour stimuler
le marché de leurs
services en créant
l’impression que
l’aide d’un trafiquant
est cruciale à la
sécurité d’un passage.
Une telle imagination
populaire préoccupée
par la menace
d’amagumaguma
et ignorante de
l’existence de
lois protégeant
les réfugiés en
Afrique du Sud
offre un terrain
fertile aux trafiquants. Les trafiquants
professionnels se contentent parfois
d’accompagner leurs clients réfugiés vers
des officiels d’immigration au postefrontière, et qui, au terme de la loi, leur
accordent le plus souvent un permis de
transit légalisant temporairement leur
séjour jusqu’à leur admission dans le
système de réception des réfugiés.
Bien que cela ne soit qu’une tâche
quotidienne pour le Département des
Affaires Intérieures (Department of Home
Affairs – DHA) qui délivre gratuitement
les permis aux personnes déclarant leur
intention de demander asile, les trafiquants
présentent cela comme un service irrégulier
acquis uniquement au travers de contacts
ou de pots-de-vin. Les demandeurs d’asile
finissent donc par payer ce qui leur est
fourni gratuitement et légalement.
Les trafiquants qui font traverser la
frontière à des clients en dehors des points
d’entrée officiels dépendent du fait que
leur clientèle ne sait rien des processus
de protection des réfugiés. Ainsi, par
action ou omission, ils trompent souvent
les clients sur leur éligibilité à l’asile.
Afin d’exiger des paiements additionnels
pendant la traversée de la frontière, certains
trafiquants font usage de contacts avec
des officiels corrompus qui menacent
les migrants d’être arrêtés et déportés,
ce qui renforce l’impression que l’état
sud-africain est fermé aux personnes
fuyant la persécution, l’occupation la
guerre ou les désordres civils. 2
Un home
avec un
jeune
enfant
passé
sous une
barrière de
barbelés à
la frontière
entre
Zimbabwe
et l’Afrique
du Sud.
ARTICLES GÉNÉRAUX
Les abus et la corruption
UNHCR/J Oatway
Une pratique courante parmi les trafiquants
est d’accepter une somme modique au
début du passage de la frontière, puis
d’extorquer des paiements additionnels
aux moments où il y a de plus grands
risques au cours du voyage. En plus de
ces extorsions, les clients sont parfois
abandonnés s’ils ne peuvent satisfaire les
demandes de paiements additionnels. Les
migrants faisant ainsi l’objet de trafic se font
souvent voler leurs biens par les trafiquants
ou par des bandes de criminels rôdant près
de la frontière. Certaines de nos personnes
interrogées ont été fouillées et dépouillées
de toutes leurs possessions (y compris
leurs bagages, leurs papiers, argent et
téléphones portables), tandis que d’autres
ont été forcées à se déshabiller et à échanger
leurs bons vêtements pour des vêtements
ou des chaussures sales ou déchirés. Il est
possible que ces bandes, apparemment
indépendantes, soient de mèche avec
les trafiquants
pour encourager
les clients à se
soumettre aux
demandes d’argent
supplémentaires.
Lorsque les
migrants ne se
plient pas aux
exigences de leurs
assaillants, ils
subissent souvent
des agressions violentes. Des personnes
interrogées ont fait part de nombreuses
instances de violences et d’abus délibérés,
dont des viols et des meurtres ; et ces
rapports ont été vérifiés par les officiels
et les ONG dans la zone frontalière.
Une victime de viol, âgée de dix-huit ans et
venant de Bulawayo, a été battue et violée
sous la menace d’un couteau par deux
membres d’une bande après qu’elle et une
autre fille de rencontre furent ‘sauvées’
par un groupe d’hommes alors qu’elles
allaient emprunter une piste qui les aurait
menées vers des amagumaguma, selon
eux. Récemment, une mission d’enquête
après la fermeture d’un abri temporaire
pour demandeurs d’asile a révélé que
plusieurs femmes avaient donné naissance
à des bébés à la suite d’abus sexuels. De
nombreuses femmes avaient avec elles
des mineurs lorsqu’elles ont subi des viols
et des abus sexuels lors de leur passage
de la frontière, et l’une d’entre elles a fait
mention de sa détention dans un ‘camp
de viol’ où des soldats Zimbabwéens
coopéraient avec les trafiquants.
Les recherches ont exposé des preuves de
corruption parmi les officiels au sujet de
l’industrie du trafic des personnes, dans les
services de police comme dans les services
d’immigration. Les officiels reçoivent
régulièrement, parait-il, des ‘indemnités’ ou
des pots-de-vin ad hoc, et sont encouragés
par influence frauduleuse à faciliter le trafic
Tesfalem Araia
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des personnes et à protéger les trafiquants
de l’arrestation et des poursuites.
Certains officiers de police prennent
participent activement, dit-on, à
leurs propres services de trafic et
conspirent à extorquer de l’argent aux
migrants informels. La participation
de fonctionnaires du gouvernement à
l’industrie du trafic des personnes ne
peut que renforcer les perceptions d’un
état hostile et prédateur, et établir plus
profondément la bordure imaginaire de
laquelle les trafiquants dépendent pour
leur commerce. Il est nécessaire de mener
une enquête en profondeur et de déraciner
les pratiques de corruption parmi le
personnel du contrôle des frontières du
Service de Police Sud-Africain et du DHA.
Conclusion
Bien que les mécanismes actuels de
protection des réfugiés en Afrique du Sud
semblent se soucier du respect du contrôle
de l’immigration, le DHA commence
à faire le plaidoyer d’une démarche de
‘gestion de la migration’ pour contrôler les
frontières. Ceci demandera une meilleure
communication des options d’immigrations
ouvertes aux migrants en général et
aux réfugiés en particulier. Le rôle que
jouent la désinformation et le manque de
connaissance sur la protection des réfugiés
en Afrique du Sud suggère qu’il est
nécessaire de rendre le processus public.
Cependant, la recherche jette le doute
sur des demandes faites récemment de
renforcer la politique de contrôle des
frontières. En fait, la perception actuelle
d’une frontière fermée semble jouer un
rôle central à encourager la migration
non documentée. Non seulement les flux
invisibles qui en résultent affaiblissent
les droits des demandeurs d’asile, mais
aussi la capacité de l’état à suivre et
à gérer sa population immigrante.
Tesfalem Araia ([email protected])
et Tamlyn Monson tamlynmonson@gmail.
com) sont chercheurs auprès du Projet de
Suivi des Droits des Migrants (Migrant
Rights Monitoring Project) du Programme
d’Etude sur les Migrations Forcées (Forced
Migration Studies Programme) (http://
www.migration.org.za) de l’Université
de Witwatersrand, Johannesbourg.
1. Tesfalem Araia, 2009, ‘Report on Human Smuggling
Across the South Africa/Zimbabwe Border’, Migrant
Rights Monitoring Project, Forced Migration Studies
Programme. En-ligne sur http://www.refugeeresearch.
net/node/277
2. L’Acte sur les Réfugiés en Afrique du Sud (South
African Refugees Act) de 1998 ajoute la définition de la
Convention de 1951 de ‘réfugié’ à celle de la Convention
de l’OUA en 1969 gouvernant les Aspects Spécifiques des
Problèmes des Réfugies en Afrique.
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