La bordure frontalière des trafiquants de personnes en Afrique du Sud
Transcription
La bordure frontalière des trafiquants de personnes en Afrique du Sud
ARTICLES GÉNÉRAUX 68 RMF33 La bordure frontalière des trafiquants de personnes en Afrique du Sud Tesfalem Araia et Tamlyn Monson La construction d’une bordure frontalière imaginaire est centrale au trafic des personnes le long de la frontière entre l’Afrique du Sud et le Zimbabwe. Un projet de recherche sur l’industrie du trafic des personnes et ses effets sur les demandeurs d’asile potentiels a révélé qu’une majorité substantielle de ceux-ci qui ont traversé une frontière territoriale pour entrer en Afrique du Sud sont passés par le Zimbabwe.1 Un peu plus d’un cinquième des demandeurs d’asile étaient l’objet de trafic, et la majorité a payé pour l’aide qu’ils ont reçue. Le trafic des demandeurs d’asile était le fait – par ordre d’importance – de trafiquants, de compagnies de transport, d’autres immigrants, d’amis ou de proches, et, ce qui est alarmant, de fonctionnaires du gouvernement. Parmi ces clandestins, environ une personne sur cinq a subi des blessures physiques pendant le passage de la frontière. « Je suis la frontière », proclamait un trafiquant, illustrant ainsi une conclusionclé du projet. Les trafiquants se servent de la tromperie systématique des demandeurs d’asile pour manipuler la demande de passage. Cette désinformation et les omissions délibérées des trafiquants créent une frontière imaginaire qui, dans l’esprit des demandeurs d’asile éventuels, est bien plus hostile et menaçante que la réalité. Il en résulte que l’entrée non documentée par l’intermédiaire d’un trafiquant semble être le seul moyen de pénétrer sur le territoire Sud- Africain. Cela encourage une tendance vers le passage non documenté de la frontière, même parmi les personnes qui seraient habilitées à recevoir un permis de demandeur d’asile. En conséquence, l’augmentation de la population invisible crée un problème de gestion de la migration par l’état, tout en rendant les demandeurs d’asile éventuels plus vulnérables aux abus. Un terrain fertile pour les trafiquants Une des raisons centrales qui rend les demandeurs d’asile vulnérables à la tromperie sur les conditions à la frontière est le fait que plus des deux tiers d’entre eux n’ont pas connaissance de la possibilité théorique de demander asile avant de quitter leur pays d’origine. D’autre part, il existe une réalisation omniprésente de ‘amagumaguma’ – un terme couvrant les acteurs non-gouvernementaux responsables de diverses formes d’abus, d’exploitation et d’extorsion le long de la frontière. Pour certains, les ‘amagumaguma’ sont trafiquants sans scrupules qui attaquent leurs clients et qui leur volent leurs biens, les battent ou les abandonnent durant le passage de la frontière. Pour d’autres, les ‘amagumaguma’ représentent des bandits indépendants qui rôdent dans la zone frontalière, attaquant aussi bien les trafiquants que leurs clients. Pourtant, d’autres pensent qu’il s’agit d’une fiction, une ruse de la part des trafiquants fourbes pour stimuler le marché de leurs services en créant l’impression que l’aide d’un trafiquant est cruciale à la sécurité d’un passage. Une telle imagination populaire préoccupée par la menace d’amagumaguma et ignorante de l’existence de lois protégeant les réfugiés en Afrique du Sud offre un terrain fertile aux trafiquants. Les trafiquants professionnels se contentent parfois d’accompagner leurs clients réfugiés vers des officiels d’immigration au postefrontière, et qui, au terme de la loi, leur accordent le plus souvent un permis de transit légalisant temporairement leur séjour jusqu’à leur admission dans le système de réception des réfugiés. Bien que cela ne soit qu’une tâche quotidienne pour le Département des Affaires Intérieures (Department of Home Affairs – DHA) qui délivre gratuitement les permis aux personnes déclarant leur intention de demander asile, les trafiquants présentent cela comme un service irrégulier acquis uniquement au travers de contacts ou de pots-de-vin. Les demandeurs d’asile finissent donc par payer ce qui leur est fourni gratuitement et légalement. Les trafiquants qui font traverser la frontière à des clients en dehors des points d’entrée officiels dépendent du fait que leur clientèle ne sait rien des processus de protection des réfugiés. Ainsi, par action ou omission, ils trompent souvent les clients sur leur éligibilité à l’asile. Afin d’exiger des paiements additionnels pendant la traversée de la frontière, certains trafiquants font usage de contacts avec des officiels corrompus qui menacent les migrants d’être arrêtés et déportés, ce qui renforce l’impression que l’état sud-africain est fermé aux personnes fuyant la persécution, l’occupation la guerre ou les désordres civils. 2 Un home avec un jeune enfant passé sous une barrière de barbelés à la frontière entre Zimbabwe et l’Afrique du Sud. ARTICLES GÉNÉRAUX Les abus et la corruption UNHCR/J Oatway Une pratique courante parmi les trafiquants est d’accepter une somme modique au début du passage de la frontière, puis d’extorquer des paiements additionnels aux moments où il y a de plus grands risques au cours du voyage. En plus de ces extorsions, les clients sont parfois abandonnés s’ils ne peuvent satisfaire les demandes de paiements additionnels. Les migrants faisant ainsi l’objet de trafic se font souvent voler leurs biens par les trafiquants ou par des bandes de criminels rôdant près de la frontière. Certaines de nos personnes interrogées ont été fouillées et dépouillées de toutes leurs possessions (y compris leurs bagages, leurs papiers, argent et téléphones portables), tandis que d’autres ont été forcées à se déshabiller et à échanger leurs bons vêtements pour des vêtements ou des chaussures sales ou déchirés. Il est possible que ces bandes, apparemment indépendantes, soient de mèche avec les trafiquants pour encourager les clients à se soumettre aux demandes d’argent supplémentaires. Lorsque les migrants ne se plient pas aux exigences de leurs assaillants, ils subissent souvent des agressions violentes. Des personnes interrogées ont fait part de nombreuses instances de violences et d’abus délibérés, dont des viols et des meurtres ; et ces rapports ont été vérifiés par les officiels et les ONG dans la zone frontalière. Une victime de viol, âgée de dix-huit ans et venant de Bulawayo, a été battue et violée sous la menace d’un couteau par deux membres d’une bande après qu’elle et une autre fille de rencontre furent ‘sauvées’ par un groupe d’hommes alors qu’elles allaient emprunter une piste qui les aurait menées vers des amagumaguma, selon eux. Récemment, une mission d’enquête après la fermeture d’un abri temporaire pour demandeurs d’asile a révélé que plusieurs femmes avaient donné naissance à des bébés à la suite d’abus sexuels. De nombreuses femmes avaient avec elles des mineurs lorsqu’elles ont subi des viols et des abus sexuels lors de leur passage de la frontière, et l’une d’entre elles a fait mention de sa détention dans un ‘camp de viol’ où des soldats Zimbabwéens coopéraient avec les trafiquants. Les recherches ont exposé des preuves de corruption parmi les officiels au sujet de l’industrie du trafic des personnes, dans les services de police comme dans les services d’immigration. Les officiels reçoivent régulièrement, parait-il, des ‘indemnités’ ou des pots-de-vin ad hoc, et sont encouragés par influence frauduleuse à faciliter le trafic Tesfalem Araia RMF33 des personnes et à protéger les trafiquants de l’arrestation et des poursuites. Certains officiers de police prennent participent activement, dit-on, à leurs propres services de trafic et conspirent à extorquer de l’argent aux migrants informels. La participation de fonctionnaires du gouvernement à l’industrie du trafic des personnes ne peut que renforcer les perceptions d’un état hostile et prédateur, et établir plus profondément la bordure imaginaire de laquelle les trafiquants dépendent pour leur commerce. Il est nécessaire de mener une enquête en profondeur et de déraciner les pratiques de corruption parmi le personnel du contrôle des frontières du Service de Police Sud-Africain et du DHA. Conclusion Bien que les mécanismes actuels de protection des réfugiés en Afrique du Sud semblent se soucier du respect du contrôle de l’immigration, le DHA commence à faire le plaidoyer d’une démarche de ‘gestion de la migration’ pour contrôler les frontières. Ceci demandera une meilleure communication des options d’immigrations ouvertes aux migrants en général et aux réfugiés en particulier. Le rôle que jouent la désinformation et le manque de connaissance sur la protection des réfugiés en Afrique du Sud suggère qu’il est nécessaire de rendre le processus public. Cependant, la recherche jette le doute sur des demandes faites récemment de renforcer la politique de contrôle des frontières. En fait, la perception actuelle d’une frontière fermée semble jouer un rôle central à encourager la migration non documentée. Non seulement les flux invisibles qui en résultent affaiblissent les droits des demandeurs d’asile, mais aussi la capacité de l’état à suivre et à gérer sa population immigrante. Tesfalem Araia ([email protected]) et Tamlyn Monson tamlynmonson@gmail. com) sont chercheurs auprès du Projet de Suivi des Droits des Migrants (Migrant Rights Monitoring Project) du Programme d’Etude sur les Migrations Forcées (Forced Migration Studies Programme) (http:// www.migration.org.za) de l’Université de Witwatersrand, Johannesbourg. 1. Tesfalem Araia, 2009, ‘Report on Human Smuggling Across the South Africa/Zimbabwe Border’, Migrant Rights Monitoring Project, Forced Migration Studies Programme. En-ligne sur http://www.refugeeresearch. net/node/277 2. L’Acte sur les Réfugiés en Afrique du Sud (South African Refugees Act) de 1998 ajoute la définition de la Convention de 1951 de ‘réfugié’ à celle de la Convention de l’OUA en 1969 gouvernant les Aspects Spécifiques des Problèmes des Réfugies en Afrique. 69