L`année 2000 et la redécouverte de l`œuvre de Foujita

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L`année 2000 et la redécouverte de l`œuvre de Foujita
Ebisu
L'année 2000 et la redécouverte de l'œuvre de Foujita
Yôko Hayashi-Hibino
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Hayashi-Hibino Yôko. L'année 2000 et la redécouverte de l'œuvre de Foujita. In: Ebisu, n°24, 2000. pp. 157-161;
doi : 10.3406/ebisu.2000.1066
http://www.persee.fr/doc/ebisu_1340-3656_2000_num_24_1_1066
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CHRONIQUES
L'année 2000 et la redécouverte de l'œuvre de Foujita
Plus de trente ans se sont écoulés depuis la mort de LéonardTsuguharu Foujita H EH mité en 1968. Cet artiste, né au Japon en 1886
mais naturalisé français à la fin de sa vie, est le premier peintre japonais
qui se soit montré actif dans le monde artistique parisien au XXe siècle.
Considérant Paris comme un lieu de travail et non pas seulement
d'apprentissage, il y connut un succès important dans les années
1920. Pratiquement tombé dans l'oubli par manque d'expositions et
de publications, son nom était même, jusque très récemment, quasiment
ignoré de la jeune génération japonaise. L'année 2000 a été l'occasion
pour son œuvre d'une nouvelle reconnaissance.
En septembre 2000, l'ancienne maison du peintre à Villiers-leBâcle, village de l'Essonne dans la banlieue parisienne, a été inaugurée
par le Conseil général de l'Essonne sous le nom de « Maison-atelier
Foujita ». C'est là que Foujita vécut de 1961 à sa mort. Cette maison,
donnée au département de l'Essonne par Mme Foujita au début des
années 1990, n'avait pu être ouverte à l'époque en raison de difficultés
budgétaires. L'intérieur de cette maison paysanne du XVIIF siècle,
rénovée par Foujita lui-même, a été reconstitué d'après des
photographies prises dans les années 1960, à l'époque où il y habitait.
Comme la Chapelle de Foujita à Reims, elle attire déjà beaucoup
d'amateurs de l'artiste (pour le moment, la visite se fait sur rendezvous). Les matériaux utilisés par Foujita pour ses tableaux ainsi que
ses photographies, également conservés à la Maison, constituent des
documents importants pour l'approfondissement des recherches sur
le peintre.
L'année 2000 a également marqué un tournant dans l'étude des
peintures de guerre de Foujita. La plupart des peintures destinées à
« enregistrer les batailles » (sakusen kirokuga f^^IBil®) du Japon
EBISU 24, Automne-hiver 2000, Maison Franco-Japonaise, Tôkyô, p. 157-161.
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pendant la Deuxième guerre mondiale avaient été envoyées aux Étatsunis par l'armée américaine après la guerre, mais ont été restituées au
Musée national d'art moderne de Tôkyô dans les années 1970, sous
forme de prêt à durée indéterminée. Les recherches sur ces tableaux,
longtemps frappées de tabou, commencent à se développer au Japon
depuis une dizaine d'années, et ont fait récemment l'objet de quelques
articles en France et aux États-unis. Pendant la guerre, de nombreuses
commandes furent passées à Foujita, et celui-ci réalisa plusieurs œuvres
importantes qui lui furent reprochées par la suite. Sasaki Shigeo
iÈL* ^fc^f?, directeur des Archives d'art contemporain du Japon {Gendai
bijutsu shiryô sentâMiXW4fS:¥f-^ > ? ~~ ), et à l'origine d'une collection
de documents sur ce thème rassemblée pendant plus de dix ans, a
organisé à la Galerie Kawafune, à Tôkyô, une exposition tenue du 21
août au 4 septembre 2000, et intitulée « Sur la piste des documents :
l'art pendant la Deuxième guerre mondiale » (shiryô de tadoni sensôki
no bijutsu '^Pr^tz}f&$&$&(DW$ï). Il a également achevé une
bibliographie portant sur « la guerre et l'art » (sensô to bijutsu i$c#- k.
W4l) dans la revue Kôzô fiii: (éd. Kôzô shuppanbu fSiatB^pB,
numéro 13, mai 2000), et tient depuis le mois de mai dernier la rubrique
« Foujita pendant et après la guerre » (Fujita no senchû - sengo JÏiEHtO
%$.$* • ifefâ) dans la revue bimestrielle LR (éd. Shoshi hakubutsushi
♦It • t$^I*, numéro 19 et suivants). Les archives de Sasaki Shigeo
sont en cours de déménagement (l'achèvement de l'opération est prévu
en 2001) au Centre national de recherche sur les biens culturels de
Tôkyô (Tôkyô kokuritsu bunkazai kenkyûjo ^^mjLJtlbStSf^P/f), et
permettront de mieux situer les œuvres de guerre de Foujita dans le
contexte historique et artistique des années 1940.
Mais la plus grande réalisation de l'année 2000 est sans conteste
la restauration, rendue possible grâce à une collaboration francojaponaise, de deux grandes peintures de Foujita conservées à la Maison
du Japon à la Cité internationale universitaire de Paris. Ces deux
tableaux intitulés L'Arrivée des Occidentaux au Japon (3 x 6m) et Les
Chevaux (2,35 x 4,57m), furent réalisés en 1929 pour la Maison du
Japon par Foujita, alors âgé d'une quarantaine d'années, et à l'apogée
de son activité artistique en France. Ayant reçu commande de tableaux
prenant pour thème l'histoire de la culture japonaise, Foujita s'inspira,
pour rester dans le goût de l'architecture de la Maison elle-même
(œuvre de Pierre Sardou qui rappelle un château japonais), des
paravents du début de la période moderne représentant des scènes
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de genre, et c'est pourquoi ces deux tableaux dégagent une atmosphère
plus japonaise que d'autres œuvres de l'artiste. Il s'agit dans les deux
cas de peintures à l'huile exécutées selon une technique particulière à
l'artiste, avec un fond recouvert de feuille d'or. La technique de Foujita,
l'emploi simultané de matériaux japonais et occidentaux comme l'encre
de Chine, les couleurs à l'huile, la feuille d'or et la colle d'origine
animale, fut très appréciée à Paris dans les années 1920, mais embarrassa
considérablement les restaurateurs français qui suivirent. Les peintures
de Foujita ne sont pas en effet de simples peintures à l'huile, et celles
de la Maison du Japon pâtirent de la restauration entreprise par les
Français dans les années 1970. En outre, soixante-dix ans après leur
réalisation, les tableaux avaient perdu, et depuis longtemps, leur
première fraîcheur.
Répondant à une préoccupation croissante devant l'état des
œuvres, une investigation sur la détérioration des tableaux a été
entreprise en février 1998, qui a permis de déceler un certain nombre
de signes de détérioration : apparition de craquelures sur toutes les
surfaces, soulèvements en certains endroits et grand nombre de petits
écaillages, taches, jaunissement du vernis et noircissement des couleurs
retouchées. Le tableau Les Chevaux présentait un état de dégradation
particulièrement grave du fait de son exposition près du vestibule :
passages fréquents et lumière extérieure.
Dès connaissance du résultat de cette investigation, un comité
de restauration des tableaux a été mis en place en janvier 2000, présidé
par Takashina Shûji itj^^lS, alors directeur du Musée national des
arts occidentaux (Kokuritsu seiyô bijutsukan HÛiffi^^fôrÊfi), à Tôkyô,
et un plan concret de restauration a été dressé. La collaboration de
restaurateurs français et japonais était nécessaire. Au total, onze
restaurateurs japonais venant de trois ateliers, experts de Foujita et
des techniques traditionnelles japonaises, ont été envoyés en France,
et ont travaillé avec quatre Français spécialistes de la peinture du
XXe siècle, dont Mme Géraldine Guillaume-Chavannes, restaurateur
indépendant et enseignant à l'Université de Paris I. Le Centre de
recherches et de restauration des Musées de France du Ministère
français de la culture ainsi que le Musée du Louvre ont collaboré à ce
travail sous la forme de prêt de matériel et d'analyse de données.
Le travail de restauration proprement dit s'est déroulé du
17 juillet au 17 octobre 2000 dans le salon de la Maison du Japon,
transformé pour la circonstance en atelier temporaire. Étant donné les
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dimensions importantes des peintures et la fragilité de leur surface, le
travail a été exécuté dans la Maison même pour éviter tout transport.
Afin de donner aux tableaux un aspect à la fois vieux et beau, il n'a
pas été procédé à un nettoyage excessif du vernis ni à une retouche
importante. Les restaurateurs ont pris les dispositions indispensables
à l'arrêt de la détérioration des tableaux en procédant au nettoyage
des toiles et en empêchant l'écaillage. Il en a résulté que les deux
tableaux, en dépit d'un temps de restauration très court, ont recouvré
un éclat riche (en atteste la peau blanche de la femme nue), et que
l'effet des feuilles d'or ressort considérablement. L'amélioration du
cadre d'exposition, en vue d'en faire un environnement plus approprié
aux œuvres, est en cours d'examen.
Les dépenses de cette restauration se montent à environ
90 millions de yens (6,4 millions de francs) au total : frais de restauration
technique, envoi de restaurateurs japonais en France, achat de matériel,
etc. Afin d'obtenir les fonds nécessaires à cette opération, en plus du
budget prdpre de la Maison du Japon, une aide a été accordée par la
Fondation du Japon (Maison de la Culture du Japon à Paris), par
diverses fondations et entreprises, ainsi que par des fonds privés. Les
contributions individuelles, provenant souvent d'anciens résidents de
la Maison mais aussi d'amateurs de Foujita, représentent également
une somme importante.
Lors du vernissage, organisé le 24 novembre 2000 en présence
de S.E.M. Ogura Kazuo 'MrfP^c, ambassadeur du Japon en France,
plus de cent personnes, conservateurs de musées, chercheurs,
restaurateurs, résidents japonais en France, résidents de la Cité
universitaire, se sont déplacées et ont pu apprécier, outre le résultat
de la restauration, le développement des échanges culturels francojaponais.
Ce projet de restauration a été l'occasion pour les restaurateurs
français d'approfondir leur connaissance de la technique de Foujita,
et la restauration d'autres œuvres de l'artiste a d'ores et déjà commencé.
Parmi les trois tableaux de Foujita présentés dans l'exposition « L'École
de Paris 1904-1929 — La part de l'Autre » au Musée d'art moderne de
la ville de Paris (du 1er décembre 2000 au 11 mars 2001), le Nu à la
toile de Jouy réalisé en 1922 sera restauré après l'exposition par l'un
des membres de l'équipe du projet de la Maison du Japon. La Maisonatelier Foujita possède encore cinq peintures à restaurer, et souhaite
obtenir des soutiens techniques et financiers de la part du Japon. La
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collaboration d'historiens d'art et de restaurateurs des deux pays sera
à nouveau nécessaire pour analyser les matériaux utilisés par Foujita.
Les soutiens artistiques du Japon à la France ont jusqu'ici
privilégié les objets d'art antérieurs à l'époque d'Edo, mais le XXF siècle
verra sans doute une plus forte demande de recherche et de restauration
des œuvres réalisées par les artistes japonais actifs à Paris au cours
du siècle précédent. Nul doute que ces projets seront l'occasion de
nouvelles collaborations franco-japonaises.
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