1 Dolls de Takeshi Kitano RENCONTRE AVEC FREDERIC

Transcription

1 Dolls de Takeshi Kitano RENCONTRE AVEC FREDERIC
Dolls de Takeshi Kitano
RENCONTRE AVEC FREDERIC SABOURAUD
Compte rendu de la soirée du Vendredi 14 mars 2003
les Studio ont eu, justement, le plaisir d'"accueillir" non seulement le dernier Kitano,
Dolls, en avant-première, mais aussi, par la même occasion, Frédéric Sabouraud,
critique de cinéma à L'Image, Le Monde.
* Quelques repères biographiques
Kitano est un personnage atypique dans le cinéma: il a subi l'étrange conjonction de
différentes influences. Fils d'un père joueur et d'une mère intellectuelle, il a d'abord
voulu être yakusa...Avant de devenir acteur et réalisateur pour le cinéma, il a travaillé
pour la télévision dans un registre plutôt comique.
* Dolls
Au commencement, étaient les marionnettes... Dans son dixième film , Kitano nous
propose de suivre trois histoires de couples, inspirées de mélodrames traditionnels
auxquels il a assisté lorsqu'il était enfant.
* De la présence des femmes dans l'œuvre de Kitano
Si dans Sonatine, femmes et relations amoureuses sont effectivement absentes,
dans Hana-bi et dans ce film, par exemple, il en est bien question, mais on est dans
l'à côté ou dans l'après: s'il y a du bonheur, c'est dans le passé. Ca a flanché, et ce
du côté de l'homme. On peut, à cet égard, faire des rapprochements avec l'œuvre de
Mizoguchi et de Kurosawa, notamment: l'homme se rendant compte de sa cruauté
vis-à-vis de la femme, et tentant de se racheter, est une notion qui traverse le
cinéma japonais.
* Marionnettes
Frédéric Sabouraud précise que dans Dolls, il s'agit moins de trois histoires, que "de
deux histoires ( le yakusa et son amour de jeunesse, la starlette de la chanson et son
groupie), tenues par l'histoire du couple enchaîné (il l'a quittée pour en épouser une
autre, elle a perdu la raison par désespoir: ayant appris la nouvelle avant le oui
fatidique, il part la rejoindre et s'attache - au sens propre - à elle, pour qu'il ne lui
arrive rien...) et encadrées au début et à la fin par les marionnettes. A un moment
donné, elles nous regardent: il s'agit du seul regard-caméra du film. Dans le plan
suivant, elles regardent le film et plus précisément les amants qui se trouvent
suspendus comme des marionnettes. Les rôles sont donc inversés: le couple
d'amants se rapprochent de plus en plus physiquement de ces figurines (cf. les
manteaux), tandis que les marionnettes semblent regarder le cinéma de Kitano, mais
aussi le monde d'aujourd'hui. Et nous, les spectateurs ne sommes-nous pas les
marionnettes de Kitano ?
*Damnation
Le jeune homme comme le vieux yakusa veulent racheter leur faute par rapport à
leurs compagnes abandonnées. Ces histoires contemporaines sont rattachées à un
temps immuable. Ainsi, l'histoire de ces deux amants, empruntée au répertoire
traditionnel, en fait une figure de couple éternel condamné à l'errance. Cette errance
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est une forme de damnation; ce qui renvoie aux mythes Oedipe, Héraklès... et à la
faute originelle, Adam et Eve, damnation que vont revivre les couples du présent. Par
exemple, ce fan qui va se crever les yeux pour ne pas voir le visage abîmé de la star
qu'il vénère: ça relève à la fois du mélo et de la mythologie. C'est de la tragédie, mais
inscrite dans le contemporain.
Si ce couple erre, c'est que l'histoire se répète et ne s'arrêterait jamais. Ce couple
"enchaîné" qui ramasse avec sa corde les petites feuilles rouges, comme il ramasse
les histoires, annonce les drames, les morts.
Frédéric Sabouraud ajoute que si les figures mythologiques étaient déjà présentes
dans les précédents films de Kitano, comme l'ange dans Hana-bi notamment,elles ne
le furent jamais autant que dans Dolls.
* Silence
Un spectateur souligne l'aspect récurrent du silence dans les films de Kitano:
les personnages parlent peu, ou sont muets, ou ne veulent plus parler. Serait-ce que
pour lui, la vraie communication s'établit dans le silence?
Le mutisme des personnages est comme un contrepoint de quelque chose que l'on
ne voit pas. Ces personnages sont retirés du monde, monde où l'on parle trop. Ce
mutisme, mais aussi l'immobilité des corps ont un rapport avec le pathos, l'émotion,
un peu comme des larmes sèches. C'est un moyen pour Kitano de dépasser le
réalisme cinématographique et aller vers une autre forme. Dans ses films l'émotion
ne sera jamais suscitée comme une sorte de satisfaction du spectateur, satisfaction
dont on aurait presque honte. Kitano par son travail sur l'ellipse ( mots, gestes,
etc...), s'inscrit dans la lignée de Godard; on pourrait appliquer à son travail les
paroles de Fritz Lang au sujet du réalisateur du Mépris : "Je suis impressionné par la
manière dont il met en scène l'action: il ne filme pas l'action, mais les conséquences
de l'action."
Kitano laisse les spectateurs reconstituer ce qu'il ne montre pas, ce qui se passe
hors-cadre. Ainsi, il ne filme jamais le spectacle de l'horreur: comme pour le meurtre
des mafieux par exemple, on ne voit pas la tuerie. C'est quelque chose qui n'est pas
de l'ordre du montrable, et qui a été peut-être trop montré ailleurs.
* Des personnages "Freaks"
Dans le cinéma de Kitano, on trouve toujours des simples d'esprit, des imbéciles
heureux, des personnages largués qui ont une espèce d'innocence dans la bêtise.
* De l'influence du théâtre et de la peinture
Kitano travaille sur la frontalité: les personnages se trouvent face à nous et traversent
l'écran comme au théâtre.
Cette frontalité indique que l'on entre dans quelque chose de mental, d'onirique, que
l'on n'est plus tout à fait dans la réalité.
Sa façon de filmer a aussi à voir avec la calligraphie, la peinture: il faut que la forme
soit belle. Ainsi, lorsqu'il fait des travellings latéraux, a-t'on l'impression que la
caméra glisse. Dans ce film d'ailleurs, il a rarement opté pour des axes de caméra
classiques.
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* Couleurs
Frédéric Sabouraud souligne le travail de Kitano sur l'environnement des
personnages, et sa dimension écologique. Dans les trois histoires, on quitte la ville
pour retourner vers la nature ce qui est synonyme de retour à l'enfance, à
l'innocence. Le réalisateur filme ces divers paysages au fil des saisons avec lyrisme.
Les couleurs -notamment des lieux traversés- évoluent en fonction de l'état des
personnages: ainsi est-ce de la froideur qui se dégage des lieux liés au mariage, les
couleurs chaudes apparaissent quand le jeune couple retourne vers la nature.
Chaque couleur, chaque objet a un sens, a valeur de symbole. Kitano est un
maniériste: il fabrique du faux, de l'artifice (c.f.: les séquences sur les arbres rouges),
qui provoque une émotion encore plus forte que celle occasionnée par l'illusion de la
réalité.
* Le temps
Tous les cinéastes asiatiques travaillent sur le temps...
Dans ce film-là, on est du côté des morts: les personnages de Kitano, comme dans
Hana-bi, sont vivants, mais ils sont passés de l'autre côté du miroir. Leur façon de
voir le monde est à jamais marquée par cela: ainsi le jeune couple encordé, regarde
les vivants à travers une vitre ( avant d'être chassé par le serveur, parce que leur
misérable feu de trois brindilles risque de provoquer un incendie.). Frédéric
Sabouraud ajoute que les rares occasions où les gens s'adressent à ces deux
pauvres hères, c'est pour les insulter, les moquer. Kitano, dans Dolls, nous montre
sa réaction face à ce monde si civilisé, mais également son sentiment par rapport au
temps qui passe. Par la décomposition, on retourne à l'origine. La société, aussi
aseptisée soit-elle, ne peut éviter de se désagréger, de pourrir, mais ainsi, elle
retrouve une sorte d'éternité. La voiture du jeune homme symbolise parfaitement ce
propos : avant qu'il ne lie définitivement sa vie à celle de la jeune femme qu'il avait
abandonnée, son véhicule était rutilant, bien propre, à l'image de son avenir auprès
de la fille de son patron. En s'attachant à celle devenue folle de désespoir, il
abandonne ses signes extérieurs d'intégration, de réussite sociale : petit à petit, les
feuilles s'agglutinent sur la voiture, les saletés s'accumulent...
Ne serait-ce que pour le très beau film de Kitano et ce passionnant débat consécutif
à la projection, le quatrième festival de cinéma asiatique n'usurpait pas son
appellation de Plaisirs orientaux: rendez-vous en 2004 pour le cinquième opus !
Quant au sympathique Frédéric Sabouraud, il nous a déjà annoncé une prochaine
visite!
IG
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