Décryptage : Chipotle, la recette qui fait peur à McDo

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Décryptage : Chipotle, la recette qui fait peur à McDo
Décryptage : Chipotle, la recette qui
fait peur à McDo
BENOIT GEORGES / CHEF DE SERVICE | LE 04/11
Malgré un récent problème d’infection à la bactérie E.coli, Chipotle
demeure l’étoile montante de la restauration rapide aux Etats-Unis.
L’enseigne tex-mex a bâti son succès sur une stratégie diamétralement
opposée à celle des fast-foods classiques.
Ronald McDonald n’est plus prophète en son pays. Depuis trois ans, les ventes de McDo aux
Etats-Unis reculent, et des centaines de restaurants ont fermé leur porte – une situation assez
inquiétante pour que le patron soit débarqué en janvier dernier. Si son successeur a légèrement
redressé le chiffre d’affaires, la tendance semble inéluctable : chez les Américains, en particulier
les jeunes, le hamburger ne fait plus recette. La mode est à la cuisine ethnique (notamment latino
ou asiatique) et au « fast casual », des restaurants rapides mais un peu plus chers, proposant
une alimentation un peu moins standardisée.
Ironie de l’histoire, la nouvelle star des fast-foods aux Etats-Unis est une ancienne filiale de
McDo. Fondé en 1993 et spécialisé dans les tacos et burritos, Chipotle Mexican Grill fut racheté
cinq ans plus tard par le géant du hamburger, alors en quête de diversification. A l’époque, cette
chaîne au nom exotique (il se prononce « tchipotlé », et désigne un piment fumé et séché) ne
comptait que dix-huit restaurants. En 2006, au moment où McDonald’s s’est désengagé de
l’entreprise, elle en avait près de 500. Neuf ans après, Chipotle, coté en Bourse, possède plus de
1.900 restaurants aux Etats-Unis et au Canada, et commence timidement à s’implanter en
Europe , où l’enseigne exploite douze établissements à ce jour. Si la greffe avec McDo n’a pas
pris, elle a en tout cas permis aux dirigeants de Chipotle de faire mûrir un modèle à part… et
même aux antipodes de leur ancien propriétaire.
1) Une offre réduite et préparée sur place
A l’origine, le fondateur de Chipotle, Steve Ells, n’est pas un entrepreneur, mais un chef cuisinier.
Diplômé en 1990 du Culinary Institute of America, l’une des meilleures écoles de cuisine d’outre-
Atlantique, il a fait ses classes dans un restaurant légendaire de San Francisco, Stars. De retour
dans sa ville natale de Denver, Colorado, c’est parce qu’il manquait d’argent pour ouvrir un
« vrai » restaurant qu’il a décidé de créer à la place un fast-food tex-mex, inspiré des
« taquerias » croisées en Californie, où il servirait ses propres recettes. Le menu n’a guère
changé depuis : quatre préparations de viande, du riz, des haricots, du maïs, que le client choisit
librement. A l’arrivée, un nombre limité d’ingrédients, mais une grande variété de compositions.
Le succès vient vite, un deuxième restaurant est ouvert dans la foulée. De son comptoir en
longueur viendra une autre particularité de Chipotle : les tacos, salades ou burritos sont
assemblés devant le client, qui termine son parcours à la caisse. Tout est cuisiné sur place à
partir de produits frais – jusqu’au guacamole, fabriqué chaque jour avec de vrais avocats. Pas de
frites surgelées, de salade en sachet ou de viandes précuites. Pas de menu complet, pas de
desserts, de café ou de petits-déjeuners, compléments de revenus habituels des fast-foods : le
client commande un plat, à la limite des chips de maïs et une boisson – mais il peut tout aussi
bien prendre un gobelet et se servir gratuitement à la fontaine à eau.
2) Un peu d’éthique dans l’assiette
Au départ, Chipotle se contentait de cuisiner des produits frais sans trop s’interroger sur leur
provenance. Mais au fil des ans, l’enseigne est devenue le fer de lance d’une production agricole
plus responsable – ce que résume un slogan adopté au début des années 2000, « Food with
integrity ». Dans une interview à Bloomberg , le père de Steve Ells a raconté que son fils avait eu
une révélation en visitant une ferme de poulets de McDonald’s : « Il est revenu en disant que
c’était la chose la plus dégoûtante qu’il ait vue de sa vie. » A partir de là, l’entreprise choisit de
travailler avec des petits producteurs, et de bannir les viandes nourries aux antibiotiques et aux
hormones – ce qui ne fut pas sans poser de problèmes dans un pays où l’élevage intensif est la
règle.
Si l’entreprise met en avant, notamment dans ses spots publicitaires, une agriculture
responsable, elle n’a pas pour autant cédé aux sirènes du bio, et refuse les OGM « dans la
mesure du possible » – ce qui n’est pas toujours le cas du maïs ou du soja. Mais le recours à des
produits frais et des circuits courts n’a pas que des avantages : en début de semaine, Chipotle a
dû fermer 43 restaurants de Seattle et Portland après une vingtaine de cas d’infection à la
bactérie E. coli . L’été dernier, des cas de salmonellose avaient obligé à fermer temporairement
des restaurants dans le Minnesota.
3) Un autre management est possible
Généralement, aux Etats-Unis comme ailleurs, les fast-foods sont synonymes de salaires faibles
et de turnovers élevés. Mais dans le modèle mis au point par Steve Elles, où tous les employés
doivent être capables de vendre et de gérer le magasin, mais aussi de cuisiner, il a fallu trouver
un moyen de fidéliser les meilleurs. Depuis 2005, l’entreprise a mis en place un programme,
pompeusement baptisé « restaurateur » (en français dans le texte), qui lie la paye et la promotion
non pas aux ventes des restaurants, mais à la capacité à faire évoluer les collaborateurs. Ce titre,
accompagné de bonus conséquents, incite les managers à repérer les bons éléments en
s’aidant, notamment, d’une liste de 13 caractéristiques où l’enthousiasme et la curiosité comptent
autant que la motivation ou la conscience professionnelle. Cela peut faire sourire, mais depuis la
mise en place du programme, le nombre de managers issus de la promotion interne serait passé
de 20 à 96 %, et le turnover s’est considérablement réduit.
Réputé pour payer plutôt bien ses troupes, Chipotle a, en revanche, été critiqué pour sa trop
grande générosité envers ses fondateurs. L’an dernier, la rémunération de Steve Ells et de son
co-PDG, Monty Moran, a fait bondir les actionnaires : 126 millions de dollars à eux deux pour la
période 2011-2013. L’affaire s’est soldée par un vote où 77 % des actionnaires se sont
prononcés contre le package, et par la promesse des dirigeants de revoir leur mode de
rémunération.
4) Grandir sans franchises
Quand la croissance des Burger King, McDonald’s et autres Subway repose largement sur un
réseau de franchisés, le roi du burrito possède l’intégralité de ses restaurants. Echaudés par la
période McDo, où ils furent obligés de céder leur licence à des franchisés de leur propriétaire,
Ells et Moran ont décidé qu’ont ne les y reprendrait plus, et que posséder directement tous les
points de vente était le seul moyen de garder pleinement le contrôle de la qualité. Un choix qui, à
ce jour, n’a pas empêché les Chipotle de se multiplier comme des petits tacos.
Aujourd’hui, alors que la barre des 2.000 restaurants en Amérique du Nord ne devrait pas tarder
à être franchie, se pose néanmoins la question de la saturation du marché. Si McDo compte sept
fois plus de restaurants, il est peu probable que les Etats-Unis puissent abriter autant de
Chipotle. Le groupe a bien tenté d’appliquer ses recettes à d’autres cuisines en créant les
enseignes ShopHouse (nouilles asiatiques) et Pizzeria Locale (pizzas), mais sans rééditer le
succès d’origine. D’où la volonté de venir croître en Europe. Mais le démarrage est encore lent,
notamment parce qu’il faut dans chaque pays, voire chaque ville, recréer une filière
d’approvisionnement responsable. Pour accélérer les choses, l’entreprise vient de recruter un
directeur exécutif français, Jérôme Tafani, chargé de l’expansion européenne. Faut-il s’en
étonner, c’est un ancien de… McDonald’s.
Chiffres clefs
Chiffre d’affaires : 4,11 milliards de dollars pour l’année fiscale 2014 (3,21 milliards en 2013).
Revenu net : 445.374 dollars en 2014 (327.438 en 2013)
Chiffre d’affaires moyen par restaurant : 2,53 millions de dollars au 30/09/2015 (2,47 millions
en 2014)
Capitalisation boursière : 19,4 milliards de dollars (au 03/11/2015). Le cours a reculé de 6 % le
21 octobre dernier après la publication de résultats inférieurs aux attentes des analystes.
Effectifs : 53.090 personnes (au 31/12/2014)
Nombre de restaurants : plus de 1.900 aux Etats-Unis (contre plus de 14.000 pour
McDonald’s), 10 au Canada, 7 au Royaume-Uni, 1 en Allemagne (Francfort) et 4 en France
(région parisienne). Plus de 190 ouvertures depuis le début de l’année, dont une en France
(Levallois-Perret).

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