Responsabilité de l`administration
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Responsabilité de l`administration
La responsabilité de l’administration fédérale aux États-Unis1 PROJET D’ARTICLE Philippe Pradal, Avocat inscrit aux barreaux de New York et de Paris, Clerk de l'université Cornell détaché auprès de la cellule de droit comparé du Conseil d’État. Pour le publiciste de tradition civiliste, l’unicité de juridiction des pays de common law est comme la face visible de l’iceberg qui sépare les deux traditions juridiques. Si l’organisation même de notre droit est si différente de celle des États-Unis ou du Royaume-Uni, qui ne connaissent pas la distinction entre droit public et droit privé (Glendon, 1984 ; Horowitz, 1982), comment nos droits pourraient-ils converger ? Pourtant, à plus d’un égard, le droit de la responsabilité de l’administration fédérale américaine évoque une certaine ressemblance avec le droit administratif français. Précision étant faite ici que le droit américain de la responsabilité de l’administration diverge du droit administratif français en ce qu’il reconnaît à l’administration un grand pouvoir discrétionnaire. Toutefois, tant les principes qui animent l’évolution de ce champ du droit que la procédure au moyen de laquelle il s’articule permettent de jeter des ponts entre les deux traditions juridiques. Ainsi, à l’instar du droit administratif français, l’histoire des États-Unis a joué un grand rôle dans l’établissement du droit positif actuel (I). L’ancien adage britannique de l’immunité souveraine dont a bénéficié l’administration américaine jusqu’à l’immédiat après-guerre tire ses origines dans la common law britannique. Malgré le rôle prééminent de la jurisprudence aux États-Unis, c’est le législateur qui a fait bouger les lignes et permis que la responsabilité de l’administration soit recherchée lorsque celle-ci commet une faute (II). Le principe de séparation des pouvoirs et la difficulté à concilier indépendance de l’administration et contrôle du pouvoir judiciaire expliquent l’équilibre actuel du droit positif en faveur de l’administration aux États-Unis (III). Cependant, la dialectique qui oppose le principe de séparation des pouvoirs à celui de l’affirmation des libertés individuelles ne manquera pas de faire évoluer le droit positif, nous renseignant ainsi sur les valeurs de la société américaine (IV). I – Bref historique de la responsabilité de l’administration La responsabilité de l’administration fédérale aux États-Unis est récente. Il faut retracer l’histoire de son apparition pour comprendre l’équilibre actuel entre pouvoir de l’administration et respect des droits individuels et ce que cet équilibre révèle sur la société américaine. 1 Ce projet d’article paraîtra dans sa version finale dans la revue française d’administration publique à l’automne 2013. 1 Comme pour la plupart des doctrines de common law, il faut remonter à la règle de droit britannique pour en trouver les origines. Ainsi aux États-Unis, jusqu’à l’immédiat après-guerre, l’administration jouissait d’une irresponsabilité provenant de l’adage de l’immunité du souverain. Cette immunité – qui s’étendait à toutes les administrations de l’État fédéral – trouvait son fondement dans la maxime “le roi ne peut commettre de faute”2. Comme la Constitution américaine était silencieuse sur la capacité du citoyen à engager la responsabilité de l’administration, la Cour suprême faisant sienne la maxime royale, affirmait que le gouvernement des États-Unis et son administration ne pouvaient être poursuivis sans l’accord préalable du Congrès3. Avec le recul, il peut paraître étonnant que cette règle féodale et quelque peu inique ait survécu à l’avènement de la démocratie en Amérique. Pourtant, à la même époque de l’autre côté de l’Atlantique, Laferrière affirmait bien que « le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous, sans qu'on puisse réclamer d'elle aucune compensation » (1896, 13). Toutefois, l’immunité de l’administration américaine n’était pas tout à fait absolue. La Constitution prévoyait déjà que l’administration ne puisse pas exproprier sans s’acquitter d’une juste compensation4. En outre, à cette époque et jusqu’au Westfall Act (1988), la responsabilité personnelle des membres de l’administration pouvait être engagée. Il y avait par ailleurs une procédure qui consistait à demander au Congrès des États-Unis son accord pour qu’une administration fédérale soit poursuivie. Après un examen du dossier du requérant, le Congrès pouvait prendre ce qui était appelé une “loi privée” (private bill) autorisant l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’encontre de l’administration. Avant que ne soit adopté le Federal Torts Claims Act (“FTCA”), le nombre de recours déposés dans ce cadre, devant le Congrès atteignait environ 2300 par mandature (Jayson et Longstreth, 2011). Le traitement de ces recours prenait un temps considérable au législateur et ne permettait pas de rendre justice dans un délai raisonnable. La mise en place d’une commission du Congrès dédiée au traitement de ces recours ne changea rien au problème; en outre, la pluralité des représentants siégeant dans une telle commission ne permettait pas de dégager de règle de droit claire et constante. La doctrine américaine n’a pas manqué de relever le caractère archaïque de cette procédure de demande préalable au Congrès découlant directement de l’adage de l’immunité du souverain. En outre, il y avait une véritable contradiction à maintenir ce principe d’irresponsabilité de l’administration au sein du monde anglo-américain où les valeurs démocratiques placent la liberté et la justice individuelle au cœur du système constitutionnel (Borchard, 1924). Malgré le consensus sur la difficulté de mettre en œuvre cette procédure permettant d’engager de façon extrêmement limitée la responsabilité de l’administration fédérale, les différents projets de loi visant à lever l’immunité de l’administration afin que sa responsabilité puisse être mise cause devant 2 En langue originale : The King can do no wrong. Voir Cohens v. Virginia, 19 U.S. (6 Wheat.) 264, 380 (1821), United States v. Clarke, 33 U.S. (8 Pet.) 436, 444 (1834), United States v. McLemore, 45 U.S. (4 How.) 286, 288 (1846). 4 Sur la juste compensation, voir le Vème Amendement, sur l’expropriation sans respecter une procédure équitable (« due process ») voir le XIVème Amendement §1. 3 2 les tribunaux n’aboutissaient pas. Ainsi entre 1921 et 1946, pas moins de trente projets de loi sur la responsabilité délictuelle de l’administration furent examinés par le Congrès sans aboutir. Le seul projet de loi qui durant cette période recueillit l’assentiment des deux chambres du Congrès, en 1929 fut retoqué par le droit de veto du président Coolidge. Il fallut attendre 1946 pour que le Congrès des États-Unis vote le Federal Tort Claims Act5 sur lequel repose encore aujourd’hui le régime de responsabilité de l’administration fédérale américaine. II – Le Federal Tort Claims Act (FTCA) : un cadre juridique pour engager la responsabilité de l’administration L’objet du FTCA est de permettre que la responsabilité de l'État fédéral soit recherchée devant les tribunaux, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions et du respect d’une procédure spécifique. Le FTCA dispose que seuls les tribunaux fédéraux sont compétents pour statuer sur la question de la mise en œuvre de la responsabilité de l'État fédéral6. Cette disposition paraît anodine ou tout au plus aller de soi à l'esprit cartésien du juriste de tradition civiliste pourtant elle n'est pas neutre dans un pays où le fédéralisme alimente certains antagonismes entre l'administration étatique et l'administration fédérale, qui trouve écho dans les juridictions. En outre, en matière de responsabilité administrative, la présence d’un jury est exclue7. L’administration n’est donc pas jugée tout à fait comme le citoyen ordinaire. Le Congrès était soucieux de ne pas soumettre à la vindicte populaire l’action de l’administration. Par ailleurs, seule la responsabilité de l'État ou de l'administration concernée peut être engagée, les agents qui commettent une faute dans le cadre de l'exercice de leur mission ne sont pas responsables. Cette disposition n’est pas sans rappeler la distinction française entre faute de service et faute détachable du service. Enfin, aucune action n'est recevable si elle intervient sans qu’il n’y ait eu de recours préalable auprès de l'administration dont la décision est attaquée8. Là encore, cette disposition du FTCA n’est pas sans rappeler la règle de la décision préalable, exigée en droit public français (De Laubadère et Gaudemet, 2001, 463)9. Ce n'est qu'après le 5 Répertorié au 28 U.S.C. §§ 1346(b) et seq. Le texte peut-être consulté en langue originale sur internet : http://www.law.cornell.edu/uscode/text/28/1346. 6 28 U.S.C.A. § 1346(b) 7 28 U.S.C.A. § 2402 8 28 U.S.C.A. § 28 9 Voir également, CONSEIL D'ÉTAT (2008), Les recours administratifs préalables obligatoires, Les Etudes du Conseil d’État, La documentation française, exposant notamment quelques exemples en droit comparé en son Annexe 5. 3 rejet de ce recours que le requérant pourra engager une action devant les tribunaux. Le silence de l'administration durant 6 mois vaut rejet. L’action du requérant est en outre encadrée dans des délais relativement courts. Ce dernier dispose de deux ans pour effectuer son recours administratif préalable, puis une fois cette voie de recours exercée, de 6 mois pour commencer une action devant le juge fédéral compétent. La mise en jeu de la responsabilité de l’administration fédérale américaine relève donc d’une procédure particulière. Ces éléments de procédure posés, il convient d’indiquer le droit applicable. En effet, l'objet du FTCA est uniquement de permettre que l'administration soit poursuivie, en responsabilité délictuelle. Ainsi, le FTCA prévoit que le droit applicable à la détermination de la responsabilité de l'administration est le droit étatique10. Il désigne en effet le droit de l'État dans lequel le comportement fautif (négligence ou inaction) de l'administration a eu lieu. Cette désignation primitive du droit applicable ne neutralise toutefois pas les règles de conflit de lois étatiques applicables. Ainsi lorsque la faute de l'administration a lieu dans l'État A et qu'elle cause un dommage dans l'État B, le FTCA désigne le droit de l'État A. Toutefois, si la règle de conflit de lois de l'État A désigne le lieu de survenance du dommage et non le lieu où la faute a été commise, le droit applicable sera celui de l'État B. En outre, le FTCA pose comme condition à l'engagement de la responsabilité de l'administration le fait que la conduite délictuelle ait été commise par l'agent de l'administration dans le cadre de ses fonctions11. Le droit étatique applicable détermine alors si la conduite est bien constitutive d'une faute commise dans le cadre des fonctions. De même, c'est la loi étatique qui détermine le montant et la nature des dommages et intérêts recouvrables. Le FTCA pose toutefois des limites et ne permet pas l'attribution de dommages et intérêts punitifs12 ; il prévoit que les intérêts ne commencent à courir qu'à compter du rendu de la décision et non à compter de la date d'exercice du recours préalable obligatoire13. La directive principale du FTCA est d'appliquer à l'administration une responsabilité identique à celle d'une personne privée dans des circonstances similaires. L'objectif de cette disposition est ni plus ni moins d'écarter la perception traditionnelle 10 28 U.S.C.A. § 1346(b)(1) 28 U.S.C.A. §1346(b) 12 Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) peuvent être définis comme les dommages et intérêts qui sont attribués en plus du dommage subi par le demandeur. En droit américain les dommages et intérêts punitifs permettent au juge de sanctionner le caractère blâmable du comportement du défendeur, dans le but de faire de son cas un exemple et dissuader toute autre personne d'avoir le même comportement blâmable. (Black's Law Dictionary, 9ème édition 2009). Ils sont une condamnation morale du défendeur (Voir l'opinion de Justice Stephens dans l'arrêt Cooper Industries v. Leatherman Tool, 532 U.S. 424, 432, 121 S.Ct. 1678, 1683 (2001)). Pour une étude approfondie mettant en exergue la résonnance de la fonction punitive des peines civiles en droit français, voir CARVAL Suzanne (1995), La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, L.G.D.J. 13 28 U.S.C.A. § 2674 11 4 d'immunité gouvernementale dont bénéficiait l'administration. Pourtant, dans les premières affaires dans lesquelles elle a eu à statuer, la Cour Suprême a pu interpréter cette disposition comme soustrayant l'administration à toute responsabilité lorsqu'une personne privée n'aurait jamais été responsable pour des faits similaires, dès lors que ceux-ci relevaient de l'exercice de la puissance publique14. Ce raisonnement fut ensuite abandonné afin de ne pas priver de tout effet le FTCA15. Toutefois, si ce texte pose le principe de la responsabilité de l'administration, il prévoit un certain nombre d'exceptions dont l'effet est de soustraire à la compétence du juge fédéral tout exercice du pouvoir discrétionnaire de la part de l'administration. Il convient d’exposer dans le détail cette exception qui est de loin la plus importante. On notera, par ailleurs, que l'administration ne peut être responsable sans faute et que sa responsabilité ne saurait être engagée par les fautes éventuellement commises par ses forces armées. Enfin, il convient d'indiquer que le FTCA ne porte que sur la responsabilité délictuelle de l'administration. Dès lors, toute action visant au respect d'un droit civique constitutionnel ne saurait être dirigée contre l'administration. Dans une telle hypothèse le requérant pourra uniquement se retourner vers l'agent de l'administration ou vers le Congrès directement. La volonté du législateur américain de maintenir une nette séparation des pouvoirs l’a conduit à conserver dans le champ du FTCA un périmètre d’irresponsabilité de l’action administrative. Ainsi la seule application d’une loi ou d’une réglementation par l’administration ne peut donner droit à dommages et intérêts quand bien même la loi ou la réglementation serait par ailleurs jugée invalide. Pour la Cour Suprême américaine, il s’agit du corollaire de la séparation des pouvoirs. Le FTCA permet d'engager la responsabilité de l’administration lorsque celle-ci a commis une faute dans l’application d’une loi ou d’une réglementation, mais pas pour le seul fait d’en avoir fait application. De même l’administration ne saurait être responsable pour le simple fait d’avoir adopté ou refusé d’adopter une réglementation, quand bien même cette décision aurait causé un dommage. A titre d’exemple, la décision de l’administration d’effectuer des travaux publics causant l’inondation de la propriété du requérant ne saurait engager la responsabilité de l’administration, mais serait qualifiée par le droit américain comme une expropriation nécessitant un dédommagement16. Dans le même esprit, le FTCA confère à l’administration une immunité dans la mise en œuvre ou l’absence de mise en œuvre de mesures relevant de son pouvoir discrétionnaire. Ainsi le paragraphe 2680(a) précise que “les dispositions de ce chapitre 14 Feres v United States, 340 U.S. 135, 71 S. Ct. 153, 95 L.Ed. 152 (1950) Indian Towing Co. v United States, 350 U.S. 61, 76 S.Ct. 122, 100 L.Ed. 48 (1955) 16 Coates v United States, 181 F 2d. 816 (8th Cir.1950) ; voir également le commentaire de PEROVICH J. D. (1970), "Liability of the United States under Federal Tort Claims Act for Damages from Flooding", American Law Reports Federal, Vol. 4, p.723 pour distinguer l’expropriation (taking) de la responsabilité de l’État pour faute. 15 5 et de la section 1346(b) de ce titre ne s’appliquent pas – (a) toute action [...] fondée sur l’exercice ou la mise en œuvre ou l’absence d’exercice ou de mise en œuvre d’un fonction ou d’un devoir relevant du pouvoir discrétionnaire, de la part d’une agence fédérale ou d’un employé de l’administration, qu’il soit fait ou non abus de ce pouvoir discrétionnaire. ” III – Le pouvoir discrétionnaire de l'administration : une exception à la responsabilité de l'administration, aux contours imprécis La question essentielle est alors d’identifier le champ d’application du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Cet exercice délicat revient à la jurisprudence des Cours fédérales extrêmement généreuses en la matière. Ainsi les décisions reconnaissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont nombreuses. A titre d’exemples, ont été jugées couvertes par le pouvoir discrétionnaire de l’administration les décisions de réglementer les institutions financières17, de mener une inspection de sécurité18, d’interdire sur le territoire l’importation de fruits susceptibles d’être dangereux sur le plan sanitaire19, ou encore de déléguer à un sous-contractant privé le ramassage des ordures20. L’étude de la jurisprudence fédérale donc rend extrêmement difficile voire impossible la délimitation du périmètre de cette exception. Le blanc-seing consenti au nom de l’exception du pouvoir discrétionnaire est tel, qu’une partie de la doctrine remet en cause l’efficacité même du dispositif (Niles, 2002 ; Fishback, 2011). En effet, que l’administration ait commis une faute, ait été négligente ou ait abusé de son pouvoir discrétionnaire, dès lors que son action ou son abstention relève de son pouvoir discrétionnaire, elle jouit d’une véritable immunité. Cette protection systématique de l’action de l’administration est permise car l’exercice de son pouvoir discrétionnaire échappe purement et simplement à la compétence du juge. Impossible pour ce dernier d’examiner le fond de l’affaire. Un tel “trou noir ” dans le régime de la responsabilité de l’administration trouve sa justification dans le respect de la séparation des pouvoirs (Kent, 1991) dont la conception peut sembler poussée à l’extrême aux États-Unis, tant elle y est une valeur fondatrice (Greene, 1994). En effet, si le Congrès confère à l’administration un pouvoir discrétionnaire, l'autorité judiciaire ne peut confisquer ce pouvoir en imposant une responsabilité quelconque à cette dernière. D’ailleurs, si la loi confère à l’administration un pouvoir discrétionnaire, elle peut également le lui retirer en réglementant très précisément son action21. Selon un autre point de vue, l’immunité gouvernementale repose également sur le fait que certaines décisions de l’administration ne peuvent être 17 United States v Gaubert, 499 U.S. 315, 111 S.Ct. 1267, 1274, 113 L.Ed.2d 335 (1991) United States v SA. Empresa de Viaco Aerea Rio Grandense, 467 U.S. 797, 104 S.Ct. 2755, 81 L.Ed.2d 660 (1984) 19 Fisher Bros. Sales, Inc. v United States, 46 F3d 279 (3d Cir.1995) 20 Andrews v. United States, 121 F.3d 1430 (11th Cir. 1997) 21 Berkovitz by Berkovitz v. United States, 486 U.S. 531, 108 S. Ct. 1954, 100 L.Ed.2d 531 (1988) 18 6 jugées par rapport à un standard particulier et par conséquent ne peuvent être constitutives de faute (Peterson et Van der Weide, 1997). Dans chaque action en responsabilité, le problème est donc de distinguer les décisions ne relevant pas de la compétence du juge car couvertes par le pouvoir discrétionnaire de l’administration de celles susceptibles de relever de la responsabilité délictuelle de l’administration. L’étude de la jurisprudence de la Cour suprême permet de mieux comprendre la portée de “ l’exception de pouvoir discrétionnaire ” dont jouit l’action de l’administration aux États-Unis. Au lendemain de l’adoption du FTCA, la Cour développa une analyse fondée sur la distinction des décisions dites de planification et des décisions opérationnelles. Les décisions de planification, comportant généralement des éléments importants de politiques économiques ou sociales, relevaient naturellement du pouvoir discrétionnaire de l’administration, tandis que les décisions opérationnelles n’impliquaient pas un tel niveau de discrétion et par conséquent entraient dans la compétence du juge. Mais cette distinction n’était pas forcément facile à caractériser. Le premier arrêt semblait focalisé sur le “ niveau ” décisionnaire22 alors que les arrêts suivants prenaient en compte la nature de la décision23. C’est sans doute la raison pour laquelle cette distinction semble avoir été abandonnée par la Cour suprême. Dans les années 1980, la Cour Suprême sembla adopter de nouveaux critères pour déterminer si l’action de l’administration relève de son pouvoir discrétionnaire. Dans l’affaire Berkovitz le requérant attaquait l’administration pour avoir consenti une licence d’exploitation à un vaccin contre la polio sans avoir au préalable reçu les données requises par la réglementation en vigueur et démontrant que le vaccin était sans danger. Passant en revue sa jurisprudence, la Cour articula un raisonnement en deux étapes : (i) il faut déterminer si l’administration avait une marge de manœuvre, puis (ii) dans l’affirmative, si la décision de l’administration se fonde sur des politiques économiques, sociales ou stratégiques24. S’il est répondu par la négative à la première question, l’administration ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire. La deuxième question a pour but d’identifier la latitude dont dispose l’administration afin d’établir si son action doit être soumise à l’exception de pouvoir discrétionnaire. Dans l’affaire Berkovitz, l’existence d’une réglementation privait l’administration de tout pouvoir discrétionnaire. Pour la doctrine américaine, l’équilibre alors atteint par la jurisprudence produisait parfois des résultats difficiles, mais compréhensibles. Ainsi, le dommage causé aux citoyens par l’administration en raison de l’application d’une politique publique, impossible à évaluer objectivement, ne pouvait faire l’objet d’un dédommagement sur le fondement du FTCA. Des soldats ou des civils ayant été soumis à des radiations ou 22 Dalehita v United States, 346 U.S. 15, 43, 73 S.Ct. 956, 971, 97 L.Ed.1427 (1953) United States v S.A. Empresa de Viacao Aera Rio Grandense, 467 U.S. 797, 104 S.Ct.2755, 81 L.Ed.2d 660 (1984) 24 « decisions grounded in social, economic, and political policy », Berkovitz by Berkovitz v. United States, 486 U.S. 531, 108 S. Ct. 1954, 100 L.Ed.2d 531 (1988), p 537 23 7 exposés à de l’amiante furent déboutés de leur requête25. En revanche, les dommages causés par une action de l’administration d’ordre technique, n’impliquant aucune application d’un pouvoir discrétionnaire (au sens de Berkovitz) étaient susceptibles d’engager la responsabilité de l’administration. Ainsi les victimes de fautes professionnelles médicales étaient fréquemment dédommagées26. Mais au début des années 1990, la Cour Suprême va perturber cet équilibre précaire en étendant de manière très significative l’exception de pouvoir discrétionnaire en acceptant de l’appliquer aux actions de l’administration “susceptibles [de relever] d’une analyse politique ”27. Dans l’affaire Gaubert 28, l’actionnaire majoritaire d’une institution financière spécialisée dans l’épargne et les prêts hypothécaires, prétendait que deux agences fédérales de prêts immobiliers (Federal Home Loan Bank Board et Federal Home Loan Bank of Dallas) avaient, par leur négligence dans la gestion quotidienne de l’épargne et des prêts, causé d'importantes pertes économiques. Le requérant demandait 100 millions de dollars de dommages et intérêts. En première instance le requérant fut débouté au motif que la gestion relevait du pouvoir discrétionnaire de l’administration. En appel, la Cour du Fifth Circuit réforma partiellement la décision en décidant que l’action de l’administration relevait du pouvoir discrétionnaire jusqu’à ce que celle-ci ne devienne de nature “opérationnelle ”. Acceptant de statuer par la procédure du certiorari29, la Cour suprême décida de trancher la question de savoir si les décisions dites “opérationnelles ” ou relevant d’un niveau de gestion très bas, ne pouvaient pas relever du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Sous la plume de Justice White, la Cour débouta le requérant et expliqua qu’ “une action relevant du pouvoir discrétionnaire implique un choix ou un jugement ; [et] que rien dans cette acception ne faisait référence exclusivement à l’exercice de la planification ou de l’élaboration de politiques publiques. ” Dès lors que, “la gestion quotidienne des affaires bancaires […] requiert l’exercice régulier d’un jugement sur l’étendue des possibilités la plus sage ” la Cour ne pouvait que conclure à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Si la solution de l’espèce ne semble pas contredire les jurisprudences précédentes, la question de savoir s’il fallait un jugement de nature “politique ” de la part de l’administration pour que son action soit couverte par son pouvoir discrétionnaire était 25 Sur l’amiante: In re Joint E. & S. Asbestos Litig., 891 F.2d 31 (2d Cir. 1989), sur les radiations: In re Consolidated United States Atmospheric Testing Litig., 820 F.2d 982 (9th Cir. 1987). 26 A titre d’exemple : Lather v. Beadle County, 879 F.2d 365 (8th Cir. 1989) ; Jablonski v. United States, 712 F.2d 391 (9th Cir. 1983) ; Jackson v. Kelly, 557 F. 2d 735 (10th Cir. 1977) 27 Gaubert, p325 28 Voir note 16. 29 La procédure de certiorari est un filtre des recours portés devant la Cour suprême. Conformément à la Rule 10 du règlement de la Cour suprême, l’examen d’un pourvoi par la Cour n’est pas une affaire de droit mais de "discrétion judiciaire". Ainsi la Cour suprême, afin de décider si un pourvoi doit être examiné ou non, prend en compte le fait qu’il existe un conflit entre les juridictions inférieures sur une question de droit fédéral ou l’originalité de la question de droit soulevée par l’espèce. Pour une présentation détaillée de la procédure de certiorari, voir WATTS Kathryn A. 2011, "Constraining Certiorai using administrative law principles", University of Pennsylvania Law Review, Vol. 160, No.1, p.1-68 8 demeurée sans réponse jusqu’alors. Tranchant en faveur de l’administration, la majorité de la Cour souscrit à l’approche suivante : “Lorsqu’une politique publique établie, expressément ou implicitement par la loi, la réglementation, ou les recommandations d’une agence gouvernementale permet à l’agent de l’administration d’exercer un pouvoir discrétionnaire, il doit être présumé que les actes de l’agent relève de cette politique lorsqu’il fait usage de son pouvoir discrétionnaire. […] La question ne porte donc pas sur l’intention subjective de l’agent lorsqu’il se prévaut du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi ou la réglementation, mais sur la nature de ses actions et sur le fait que celles-ci soient susceptibles de relever d’une analyse politique.” Tous les moyens sont bons pour sauver l’action de l’administration. Sans identifier le fondement d’une telle création jurisprudentielle, sans “découvrir ” comme le fruit des jurisprudences passées cette nouvelle “présomption discrétionnaire ”, la Cour Suprême mit un coup d’arrêt sévère à l’extension de la responsabilité de l’administration initiée par le FTCA. Ainsi l'étude empirique du professeur Nelson (2009) sur la jurisprudence des cours fédérales de première instance, révèlent que le pourcentage de réussite de l’administration dans l’affirmation de l’exception de pouvoir discrétionnaire devant les tribunaux est passé de 69,9% avant Gaubert (de 1946 au 25 mars 1991) à 76,3% (du 26 Mars 1991 au 31 décembre 2007). En outre, l’étude révèle, sur les périodes considérées, que l’exception de pouvoir discrétionnaire est invoquée dans deux fois plus d’instances après Gaubert que dans les quarante-quatre années précédentes. Mais l’effet de la jurisprudence Gaubert n’est pas uniquement quantitatif. En effet, même dans les hypothèses où les agents de l’administration ont agi sans prendre en compte des motivations relevant de politiques publiques, l’exception de pouvoir discrétionnaire vient servir de bouclier à l’état américain qui se retranche derrière la présomption établie par cette jurisprudence. Dès lors qu’il est crédible qu’une décision relevant de la mise en œuvre d’une politique publique aurait pu fonder l’action délictueuse, l’agent est présumé avoir fait usage de son pouvoir discrétionnaire. Pour contredire cette présomption le requérant doit alors convaincre la cour qu’aucune politique publique n’aurait pu motiver l’action délictueuse, argument difficile à déployer face à l’administration qui peut systématiquement évoquer la gestion de ses ressources, toujours insuffisantes. La solution retenue par la Cour Suprême dans l’arrêt Gaubert a suscité les foudres de la doctrine américaine. Les critiques qui peuvent être formulées sont en effet assez nombreuses. D’abord, la solution retenue est inéquitable pour le requérant et le citoyen en général. En effet, c’est au requérant que revient la lourde charge de devoir renverser la présomption. Cette condition vient s’ajouter à un dispositif procédural prévu par le FTCA qui était déjà en la défaveur du requérant. En outre, Gaubert semble donner un blancseing à l’administration quand bien même celle-ci serait négligente. De fait cette décision se départit d’une éthique de responsabilité de l’administration qui s’était petit à petit mis 9 en place au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. A trop vouloir protéger l’administration, la règle de droit incite celle-ci à ne pas investir dans une prise de décision responsable, ni dans la recherche de la solution la plus sûre. En outre, pour certains commentateurs, la solution est contraire à l’esprit même du FTCA. Comme l’avait énoncé le juge Cardozo, la doctrine de l’immunité du souverain est assez sévère lorsqu’elle s'applique dès lors qu'elle constitue un obstacle incontournable à l'engagement de la responsabilité de l’administration pour que les juges ne s’engagent pas dans un exercice d’interprétation des textes qui étendrait son application. Or la solution retenue dans Gaubert va au-delà de la lettre de la loi. Par ailleurs, l’adoption même du FTCA se justifiait par le fait qu’en règle générale il n’y avait pas lieu de vouloir traiter l’administration différemment du citoyen dans les actions en responsabilité. Les limites procédurales et de fond posées par l’arrêt Gaubert constituent, en ce sens, un véritable retour en arrière (Niles, 2002). Enfin, la solution de l’arrêt Gaubert pourrait avoir également un effet pervers et inciter l’administration à déléguer plus de pouvoir aux agents se trouvant au plus bas de l’ordre hiérarchique, plutôt que les enjoindre à agir de telle ou telle façon. En effet, leur donner plus de pouvoir permet de leur laisser une part de ce pouvoir discrétionnaire, dont ils seraient ensuite présumés avoir fait usage. A titre d’exemple, une agence ayant la gestion d’une autoroute pourrait adopter un corpus de règles et donner comme directive à ses agents de s’assurer que des garde-fous soient posés tout le long d’une autoroute et remplacés dans un délai de trois jours après un accident les ayant endommagés. Une telle règle imposerait une obligation au personnel de l’administration qui s’il ne la mettait pas en œuvre se rendrait coupable de négligence. A l’inverse, si l’administration donnait à son personnel tout pouvoir pour s’assurer de la sécurité des autoroutes, le fait de ne pas remplacer ce garde-fou endommagé sous trois jours résulterait du choix discrétionnaire de le faire qu’après avoir modifié la signalisation en bordure de route. Nul doute que dans la première hypothèse un juge conclurait à la responsabilité de l’administration en cas de dommage causé par l'absence de mise en œuvre de cette consigne de sécurité, alors que dans la deuxième hypothèse, le juge s’interdirait d’examiner si la décision prise était raisonnable. En réponse aux critiques esquissées ci-dessus les quelques rares défenseurs de la solution retenue par l’arrêt Gaubert mettent en exergue le fait que celle-ci donne une consigne claire aux tribunaux de première instance et se traduit par une plus grande sécurité juridique (Zillman, 1995). Concédons bien volontiers qu’après Gaubert un requérant a plus de chance d’être débouté dès le début de la procédure, sans que le fond de son recours ne soit examiné, le juge se reconnaissant incompétent. La critique de Gaubert est aisée mais l’art est difficile. Faisons-nous donc l’écho des propositions doctrinales visant à rendre plus équitable le droit de la responsabilité de l’administration fédérale aux États-Unis. 10 IV – Réformer le régime de responsabilité de l’administration fédérale américaine : dialectique des valeurs de la société américaine Pour la grande majorité de la doctrine la jurisprudence Gaubert doit être abandonnée, mais une fois éliminée la présomption qu'elle institue, les solutions proposées diffèrent. Pour les uns, il convient de mieux définir ce qui relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration, pour les autres il convient tout simplement de ne plus protéger l’administration lorsque celle-ci exerce son pouvoir discrétionnaire. Cet intense débat doctrinal sur l’état du droit positif révèle le tiraillement actuel entre stricte séparation des pouvoirs et garantie des droits individuels. La majorité de la doctrine américaine semble être attachée au respect d’un principe fort de séparation des pouvoirs et accepte l’existence d’un champ d’action de l’État dans lequel le juge ne doit pas s’immiscer, pour autant que celui-ci soit de dimensions raisonnables. Toutefois, une minorité d'auteurs plus attachés au principe de la primauté de l’individu ne voit pas d’autres alternatives que la suppression pure et simple de l’exception de pouvoir discrétionnaire. Sans exposer dans le détail l’ensemble des propositions visant à définir le périmètre du pouvoir discrétionnaire de l’administration, on peut néanmoins évoquer les principales solutions envisagées. La position la plus conservatrice est celle qui consiste à vouloir simplement redéfinir de façon plus restrictive les notions de “politiques économiques, sociales et stratégiques ” utilisée dans la deuxième étape du test établi par la jurisprudence Berkovitz. Cette approche semble difficile à mettre en œuvre sans procéder à une revue de la substance de ce que constitue le pouvoir discrétionnaire de l’administration. Or la lettre du FTCA ne donne pas cette compétence aux juges. Des propositions plus audacieuses invitent à étudier le processus de prise de décision (Kent, 1991 ; Hyer, 2007) ou la fonction de la décision (Niles, 2002) afin de savoir s’il y a eu ou non exercice du pouvoir discrétionnaire. A l’autre bout du spectre se trouve une approche un peu radicale : la suppression pure et simple de l’exception de pouvoir discrétionnaire prévu par le FTCA. Cette modification drastique du régime nécessiterait une intervention du Congrès qui devra faire preuve d’un grand courage politique pour combattre l’idée reçue selon laquelle supprimer ce rempart contre la mise en cause de la responsabilité de l’État signifierait nécessairement alourdir les finances de l’État qui prêterait plus le flan à l’indemnisation de ses administrés30. La question est en effet de savoir si la suppression de l’exception de pouvoir discrétionnaire transformerait le régime actuel de responsabilité de l’administration de manière tellement radicale qu’elle paralyserait l’action de l’administration. 30 Discretionary Function Exemption of the Federal Tort Claims Act and the Radiation Exposure Compensation Act: Hearings on H.R. 1095, H.R. 2372, and H.R. 2536 Before the Subcommittee on Administrative Law & Governmental Relations of the House Committee on the Judiciary, 101st Congress 91 (1989) declaration de Stuart M. Gerson, Assistant Attorney General, Civil Division, Department of Justice. 11 Selon Jonathan R. Bruno, la suppression de l’exception ne soumettrait pas l’action de l’administration au poids d’une responsabilité insupportable. En effet, le droit du tort aux États-Unis est bordé de quelques garde-fous qui permettraient vraisemblablement d’éviter les excès. En outre, les dommages et intérêts punitifs et le recours au jury sont exclus par le FTCA en cas de mise ne cause de la responsabilité de l’administration. L’exception de pouvoir discrétionnaire n’est alors que le fossé qui protège le château : c’est la première ligne de défense, mais certainement pas la seule (Bruno, 2012). En effet, sans exposer de manière exhaustive le droit du tort américain, il convient d’en relever certaines caractéristiques. D’abord, à de rares exceptions près, il est quasiment impossible de demander des dommages et intérêts pour une perte dite purement économique31. Le droit de la responsabilité américaine s’applique ainsi à ne dédommager en principe le plaignant que lorsqu’il y a eu atteinte à son intégrité physique ou dommages à ses biens matériels. Pour se prémunir de toute interférence de la common law (et de son évolution) des différents États sur ce point, le FTCA pourrait être amendé afin de prohiber le dédommagement du dommage purement économique. A cette limite substantielle de taille, s’ajoute le droit du tort américain qui ne reconnaît pas de principe de responsabilité générale, et qui ne doit pas être pris pour l’équivalent du droit civil français de la responsabilité délictuelle. A titre d’exemple, aux États-Unis comme en Angleterre, il n’y a pas de bon samaritain, ni d’obligation de secourir une personne en danger. Une personne n’est responsable envers un tiers que s’il est démontré qu’il existe en common law ou par l’effet de la loi un devoir envers ce tiers. Par conséquent, rayer du FTCA l’exception de pouvoir discrétionnaire n'aboutirait pas nécessairement à une croissance exponentielle de la responsabilité de l’administration. En revanche, cela permettrait au citoyen d’obtenir l’examen du fond de son recours dans un plus grand nombre d’instances. Jonathan R. Bruno fait toutefois remarquer que la suppression de l’exception du FTCA ne permettrait pas forcément d'abandonner l’exception de pouvoir discrétionnaire. En effet, la doctrine constitutionnelle de la séparation des pouvoirs a été récemment utilisée pour sauver l’exception de pouvoir discrétionnaire. Ainsi, en matière maritime régie par le Suits in Admiralty Act (2006)32, le dispositif qui permet la mise en cause de la responsabilité de l’administration en matière délictuelle ne prévoit pas d’exception de pouvoir discrétionnaire. Pourtant les Cours d’appel fédérales statuant en matière maritime ont à plusieurs reprises eu l’occasion d’affirmer que “les principes de la séparation des pouvoirs 31 Il existe une littérature abondante sur la notion de "pure economic loss", en droit américain et en droit anglais, à titre d'exemple on recommandera la lecture d'un article récent, PALMER Vernon Valentine (2011), "The great spill in the gulf . . . And a sea of pure economic loss: reflections on the boundaries of civil liability", Penn State Law Review, Vol.116, p.105-143 32 46 U.S.C. §§ 30901-30918 (2006) 12 commandent au judiciaire de ne pas décider des questions relevant des autres pouvoirs”33 au motif que “le principe de séparation des pouvoirs […] revêt une telle importance qu’il commande aux cours d’appliquer une exception de pouvoir discrétionnaire aux lois qui sont silencieuses sur le sujet”34. Cet alignement sur le régime général, somme toute assez logique, démontre l’attachement du pouvoir judiciaire à respecter sa conception stricte de la séparation des pouvoirs. L’effet combiné des jurisprudences Berkovitz et Gaubert restreint probablement de manière excessive l’accès à la justice du citoyen lorsque celui-ci essaie d’engager la responsabilité de l’État. Ce grief a été largement entendu et relayé par la doctrine. La prochaine évolution en la matière, jurisprudentielle ou législative ne manquera pas de renseigner sur le pacte social américain. L'opposition symbolique entre séparation des pouvoirs et garantie des droits individuels ne saurait être irréductible. Références bibliographiques DE LAUBADERE André, GAUDEMET Yves (2001), Traité de droit administratif, 16è éd., L.G.D.J, Tome 1. BORCHARD Edwin M. (1924), "Governmental Responsibility in Tort", Yale Law Journal, Vol. 34, No.1, p.1-45 BRUNO Jonathan R. (2012), "Immunity for « discretionary » functions: a proposal to a mend the Federal Tort Claims Act", Harvard Journal on Legislation, Vol.49, p.411-450 FISHBACK David S. (2011), "The Federal Tort Claims Act is a Very Limited Waiver of Sovereign Immunity – So Long as Agencies Follow Their Own Rules and Do Not Simply Ignore Problems", U.S. Attorneys’ Bulletin, Vol. 59, p. 16-30. 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