A vingt mille lieues l`un de l`autre
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A vingt mille lieues l`un de l`autre
Culture Arts. Au musée d'Amiens, une double exposition déconcertante autour de Pierre Puvis de Chavannes et du contemporain Philippe Ramette clôture l'année Jules Verne. A vingt mille lieues l'un de l'autre Par Henri-François DEBAILLEUX mardi 21 février 2006 (envoyé spécial à Amiens) Puvis de Chavannes (jusqu'au 12 mars). Philippe Ramette (jusqu'au 30 avril). Musée de Picardie, 48, rue de la République, Amiens (80), Tél. : 03 22 97 14 00. uels rapports y a-t-il entre Jules Verne, Puvis de Chavannes et Philippe Ramette ? La question se pose puisque l'exposition actuelle des deux derniers nommés au musée de Picardie d'Amiens, s'inscrit dans le cadre des manifestations qui, en 2005, ont commémoré le centenaire de la mort de l'écrivain. Si Verne et Puvis se sont indéniablement rencontrés, Ramette et l'auteur de Cinq Semaines en ballon n'ont à première vue guère de liens. Quant à Puvis et Ramette, ils sont pour le moins à vingt mille lieues l'un de l'autre. Escalier d'honneur. A l'origine, la présence de Pierre Puvis de Chavannes à Amiens relève d'un concours de circonstances. En effet, lorsque s'achève, en 1867, la construction du musée Napoléon, actuel musée de Picardie et premier grand palais des beaux-arts érigé en France, la ville n'a plus d'argent pour acquérir des oeuvres. L'Etat décide donc de donner deux toiles de Puvis symbolisant la guerre et la paix (acquises en 1961) pour orner le bâtiment elles seront marouflées sur les murs de l'escalier d'honneur. Ravi, Puvis en offrira par la suite douze autres, qu'il réalisera spécialement pour le lieu et qui constituent le plus bel ensemble au monde de ses oeuvres murales, installées dans tout l'escalier et dans la galerie qui porte aujourd'hui son nom. L'artiste était donc bien placé pour se voir consacrer l'actuelle exposition, «Puvis de Chavannes. Une voie singulière au siècle de l'impressionnisme» la première importante en France depuis celle de 1976 au Grand Palais. Mais le paradoxe, c'est qu'elle ne lui est pas exclusivement dédiée et qu'il ne s'agit donc pas, à proprement parler, d'une rétrospective. En effet, sur les quelque trois cents oeuvres présentées, la moitié est d'autres artistes. A cela deux raisons : d'une part, bon nombre de toiles de Puvis sont intransportables pour des questions de fragilité. D'autre part, Matthieu Pinette (le directeur des musées d'Amiens, commissaire de la manifestation) avait envie de replacer le peintre dans son temps, en passant de ses pères à ses héritiers, de montrer sa singularité, sa complexité et, de façon assez ambitieuse, de démontrer qu'il est l'une des clefs de l'art moderne. En gros de dépoussiérer son image d'artiste officiel, académique, voire pompier, un peu cul-bénit, avec une peinture allégorique, éthérée, aux tons layette et laitier, avec nus drapés à l'antique. Le parcours démarre avec, dans la première salle, des oeuvres des grands courants de la première moitié du XIXe siècle, le néoclassicisme et le romantisme, et de ceux qui furent ses maîtres, Ingres, Géricault, Chassériaux et même, de manière brève, ses professeurs comme Thomas Couture et Eugène Delacroix. Les deux salles suivantes montrent Puvis (à partir de ses débuts, peu connus, en 1846) confronté sur le mur d'en face à ses contemporains, d'abord ceux de l'école de Barbizon et du réalisme (Daumier, Millet), ensuite à Gustave Moreau, Edgar Degas... puis pêle-mêle, Rodin, Fantin-Latour, Van Gogh, William Bouguereau, Emile Bernard, Jean-Léon Gérôme. Et même Toulouse-Lautrec qui le détestait et le surnommait «Pubis de cheval». Avec des toiles au format modeste de Matisse, Picasso (qui appréciait Puvis), Léger... la quatrième salle évoque ses héritiers. Et le parcours se termine avec des portraits et autoportraits, aspect méconnu et surprenant. S'il sort effectivement Puvis du cadre strict du symbolisme (dans lequel il ne se reconnaissait pas) et s'il montre les différents angles de son oeuvre, dont certains agréablement inattendus, l'ensemble, avec une démonstration un peu brouillonne, n'en fait toutefois pas de manière évidente une source majeure de la modernité. Savant Cosinus. Quant à Philippe Ramette, Sylvie Couderc (la conservatrice commissaire de l'expo) a beau avancer l'hypothèse qu'il a, comme Jules Verne, un côté savant Cosinus, le rapprochement est un peu tiré par les cheveux. Aussi plutôt que de chercher un lien, mieux vaut regarder et plus exactement s'asseoir sur l'oeuvre que l'artiste a spécialement réalisée pour l'occasion. Dans le grand salon du musée, Ramette a en effet disposé trente bancs, en trois rangées de dix. On ne découvre pas tout de suite, qu'il a également accroché au plafond une horloge à quartz, histoire au sens propre du terme de suspendre le temps. Elle indique l'heure, en chiffres rouges, dénote complètement avec le décor et confirme qu'il a transformé l'espace en salle d'attente. Enfin, dans un coin, il a installé sur un socle le buste d'un mannequin habillé d'un harnais en cuir et d'un boîtier électronique qui simule de façon sonore et visuelle (une loupiote rouge) la pulsation cardiaque, comme autant de secondes qui s'égrènent. Fidèle à sa démarche qui le voit mettre en place des dispositifs pour créer des situations insolites et jouer sur l'absurde, Ramette génère ici un décalage entre la perception d'un temps collectif et d'un temps individuel. http://www.liberation.fr/page.php?Article=361115 © Libération