Le Cadre d`Action Education 2030 de l`UNESCO du point de vue du

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Le Cadre d`Action Education 2030 de l`UNESCO du point de vue du
Département fédéral de l’économie,
de la formation et de la recherche DEFR
Secrétariat d’Etat à la formation,
à la recherche et à l’innovation SEFRI
Coopération en matière de formation
Benedikt Hauser
Le Cadre d’Action Education 2030 de l’UNESCO du point de vue du
SEFRI– chances, défis, limites (Berne, 19 février 2016)
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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Pour commencer, je souhaiterais clarifier un point. Je n’ai pas l’intention de résumer et de
juger la quarantaine de pages du Cadre d’action, et encore moins la prétention de vous indiquer comment l’utiliser. Le but de mon intervention est de vous montrer, en ma qualité
de représentant du SEFRI, comment ce Cadre d’action peut être interprété et utilisé. Les
modalités de mise en œuvre en Suisse seront fixées plus tard sous une forme qui doit encore être définie. Nous nous trouvons par conséquent dans une première phase de débat
ouvert. Mon intervention se veut une contribution à ce débat. Rien de plus.
Avant d’aborder les contenus proprement dits du Cadre d’action, il serait peut-être utile de
préciser d’abord son intérêt et sa fonction. Le Cadre d’action n’est pas juridiquement contraignant, et c’est bien ainsi. Il y a plusieurs points sur lesquels nous ne sommes pas
d’accord. Par exemple, le principe de gratuité de l’enseignement supérieur ou
l’enseignement dispensé dans la langue qui est parlée à la maison pendant les premières
années de l’école obligatoire. Nous avons tout autant de réserves quant à la conception
prétendument visionnaire de l’éducation qui aurait ce pouvoir de changer la vie. C’est par
trop général et trop instrumental. Chacun peut la comprendre et l’appliquer comme il veut.
Il n’empêche que des formulations telles que celle-là ne nous font pas vraiment avancer.
Bien sûr, nous avons proposé des modifications. Nos demandes n’ont pas abouti et cela
n’a rien d’exceptionnel. Dans un processus qui a vu plus de 180 Etats participer à
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l’élaboration de différents documents, on ne peut pas partir du principe que l’on va pouvoir faire valoir son point de vue à tous les niveaux.
Est-ce à dire que nous considérons ce Cadre d’action comme un tigre de papier sans intérêt pour la Suisse? Il n’y aurait rien de plus erroné que cette conclusion. Même sans être
juridiquement contraignant, un document de l’UNESCO ne peut être inutile. Il recouvre
un grand nombre de fonctions dont on ne pourra jamais assez mettre en avant
l’importance. C’est ce que je me propose de vous démontrer.
Le Cadre d’action est d’abord un instrument avec un double objectif: dresser un état des
lieux et faire œuvre de sensibilisation. Il nous rappelle
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qu’il y avait encore en 2013 757 millions d’adultes qui étaient analphabètes, et
il souligne
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qu’en 2013 250 millions d’enfants dans le monde en âge d’aller à l’école, dont
50 % ont été à l’école pendant au moins quatre ans, ne savent ni écrire ni compter. Preuve s’il en est que la qualité de l’enseignement, et non l’accès à
l’enseignement, joue un rôle essentiel. Ce qui compte, ce ne sont pas les taux de
scolarisation, mais bien les résultats scolaires.
Le Cadre d’action fait ressortir à juste titre
-
qu’en 2012, 36 % des enfants non scolarisés vivent dans des zones de conflit,
soit une augmentation de 30 % depuis 2000. Les guerres, les conflits intraétatiques, la migration et les catastrophes naturelles ont aussi dans le domaine de
l’éducation des conséquences désastreuses que l’on a trop souvent tendance à sousestimer.
Si le Cadre d’action peut permettre que nous prenions tous conscience à travers le monde
de ces états de fait et de leur dimension et que chacun réalise quelles sont les répercussions pour les individus eux-mêmes, pour la société et pour la politique, alors rien que
pour cela, ce cadre a une fonction essentielle.
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En deuxième lieu, le Cadre d’action peut servir à stimuler la réflexion critique. La nouveauté, et vous le savez, est que l’Agenda Education 2030 et les Objectifs du Millénaire
pour le développement ne s’appliquent pas uniquement aux pays du Sud, mais se veulent
universels. Qu’est-ce que cela signifie en termes d’éducation? N’attendez pas de moi que
je donne une réponse à cette question primordiale. Je vais plutôt me contenter d’indiquer
que nous devons d’abord nous interroger sur nos manières de penser et nos pratiques courantes. Cela veut dire quoi, concrètement? Et bien, que nous devons nous demander en
quoi ce que nous continuons, à tort selon moi, à appeler le Tiers Monde contribue au développement de l’éducation et de la recherche, dans quelle mesure l’hémisphère nord lui
est redevable et comment nous pouvons apprendre de lui. Et pas seulement cela.
S’interroger, c’est aussi arrêter de voir les pays du Sud comme des pays qui ont besoin de
notre aide et de notre charité, et à qui nous manifestons toute notre bienveillance, et les
considérer enfin comme des partenaires à part entière que l’on se doit d’associer à la politique internationale en matière d’éducation. Dans ce contexte, le SEFRI ne reste pas les
bras croisés. Il soutient par exemple la coopération entre l’Université de Neuchâtel et le
Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées, le CIMPA, un institut de
l’UNESCO qui organise des écoles de recherche en mathématiques dans les pays du Sud.
Il encourage également la collaboration entre l’Université de Fribourg et l’Institut
d’Etudes Avancées de Nantes, dont les activités principales englobent les échanges avec
des scientifiques de haut niveau issus de l’hémisphère sud et le traitement des nouvelles
interrogations soulevées par ces échanges. Ces exemples ne sont bien sûr qu’une goutte
d’eau dans la mer. Ne nous berçons pas d’illusions. Mais ils montrent malgré tout que l’on
peut déjà agir à ce niveau en adoptant une approche bottom-up.
C’est surtout l’ODD 4 qui amène à la réflexion critique. L’ODD 4, un objectif en matière
d’éducation qui vise non seulement la généralisation de l’apprentissage tout au long de la
vie mais aussi l’inclusion. Si nous partons d’une définition de l’inclusion comme le fait
pour tous les individus de bénéficier des mêmes possibilités pour participer à des formations de qualité, la mission qui nous incombe peut être décrite de la manière suivante. La
première chose à faire, c’est d’identifier les barrières qui freinent l’apprentissage. La deuxième, c’est d’analyser d’un point de vue scientifique les effets négatifs qui en résultent et
leurs causes. Et en troisième lieu, c’est de faire ressortir les possibilités qui s’offrent pour
les éliminer ou les neutraliser. Là aussi, il faudra remettre en question ce qui semble évident et élargir notamment les stratégies mises en place pour répondre aux besoins spéci-
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fiques des enfants souffrant d’un handicap en se demandant dans quelle mesure les enfants ayant des capacités exceptionnelles n’ont pas eux aussi besoin de mesures de soutien
spécifiques pour que leurs talents puissent être dépistés et valorisés suffisamment tôt. Ce
principe s’applique aussi, et aujourd’hui plus que jamais, aux personnes qui se voient
obligées de quitter leur pays car leur vie ou leur intégrité physique est menacée et qui ont
besoin d’une éducation de base et de formations qui soient adaptées à leur situation pour
pouvoir participer à la vie sociale et économique dans un contexte qui est nouveau pour
elles.
Reste que cette démarche de remise en question peut, et même doit, concerner aussi le
Cadre d’action lui-même. S’il pose comme postulat que responsabilité et transparence
sont des principes fondamentaux pour l’Agenda 2030 de l’ONU, il doit être lui aussi prêt
à être évalué selon ces principes. Je pense qu’il y a là des explications à donner et des mesures à prendre. Je citerais notamment la composition du Comité directeur d’éducation
2030, que le Cadre d’action propose de créer. Si la Banque mondiale et l’OCDE sont effectivement représentées au sein de ce comité, comme cela est prévu, ce point ne devrait
pas, à mon avis, être considéré comme une évidence d’entrée de jeu, mais faire d’abord
l’objet d’une discussion entre les pays membres de l’UNESCO et être justifié de manière
cohérente. Comme vous le savez, PISA et PISA for Development suscitent des critiques,
aussi bien des milieux scientifiques que du monde politique. La question est aussi de savoir à qui ce comité est tenu de rendre des comptes et en quoi consiste son cahier des
charges. J’espère vraiment que les prochains mois permettront de clarifier les choses.
J’en viens maintenant à la troisième fonction du Cadre d’action, en plus de celles de sensibilisation aux problématiques et de stimulation de la réflexion critique. Ce cadre sert
aussi et surtout d’instrument pour le lancement et la légitimation d’actions concrètes. Le
point réjouissant est qu’il est indiqué sans ambiguité que le Cadre d’action ne joue qu’un
rôle subsidiaire. Il a pour but de soutenir les politiques qui doivent être définies et mises
en oeuvre par les pays eux-mêmes. Le maître-mot est engagement de la dimension nationale, et non désengagement. Pour la mise en œuvre du Cadre d’action en Suisse, tout
plaide par conséquent en faveur d’une utilisation des mécanismes de collaboration entre
Confédération, cantons, entreprises et société civile qui existent déjà dans le domaine de
la politique de l’éducation et qui sont parfaitement rodés.
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Concrètement, je vois trois niveaux d’action possibles pour la Suisse. Le premier de ces
niveaux est celui du Cadre d’action lui-même. La Suisse peut continuer à faire valoir son
incontestable savoir-faire, tout comme le respect dont elle jouit à l’ONU et à l’UNESCO,
pour participer à la définition des processus qui aideront à la mise en oeuvre de l’Agenda
2030 et du Cadre d’action ou du monitorage tel qu’il est prévu.
Le deuxième niveau d’action possible, ce sont les mesures que l’on peut rattacher à l’aide
aux pays en développement et en transition et qui voient s’engager ensemble, ou chacune
de leur côté, des instances étatiques comme la Direction du développement et de la coopération (DDC), Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), de
nombreuses organisations privées et également, depuis peu, des entreprises privées. En ce
qui concerne l’éducation, la principale mesure qui doit être citée ici est l’encouragement
de l’éducation de base et de la formation professionnelle. Formation professionnelle qui,
et on ne peut que s’en réjouir, est explicitement présentée dans le Cadre d’action comme
étant équivalente à la formation académique.
Pour ce qui est du troisième niveau, je pense aux mesures qui doivent être mises en place
en Suisse et en premier lieu à l’inclusion. Même si, sur ce point, nous avons déjà réalisé
d’importants progrès, il existe encore des obstacles à l’éducation, à tous les niveaux, de
l’éducation des jeunes enfants, en faveur de laquelle votre Commission s’investit de manière exemplaire, jusqu’à l’enseignement supérieur et la formation continue. A cela
s’ajoutent, comme dans toutes les sociétés qui, comme celle de la Suisse, ne cessent de se
diversifier, de nouvelles injustices et de nouveaux obstacles. Il me semble par conséquent
important de ne pas poursuivre l’objectif inatteignable d’une éducation idéale, débarrassée
définitivement de toutes les inégalités. Nous devons bien au contraire développer une capacité à identifier les obstacles à l’éducation et élaborer des stratégies qui nous permettent
d’apprendre de nos erreurs et de traiter la problématique de l’éducation d’une manière
toujours plus anticipative et proactive.
Au chapitre des mesures pour la Suisse, j’évoquerais en deuxième lieu la formation informelle, la formation non formelle et l’apprentissage tout au long de la vie. Je ne pense
pas seulement à la question, telle qu’elle se pose sûrement, des catégories de population
éloignées de la formation qui doivent elles aussi pouvoir se former ou au potentiel de la
formation continue pour lutter contre la pénurie de personnel qualifié. Il me semble tout
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aussi capital de prendre systématiquement en compte les possibilités qu’offrent la formation informelle et la formation non formelle lorsqu’il s’agit de stimuler ou de développer
quelque chose. Concrètement, faire naître un intérêt pour les MINT et pour certaines professions ou une volonté de participer à la vie sociale et politique ne doit pas être l’apanage
des écoles professionnelles, des gymnases ou des universités. N’oublions pas l’importance
que revêtent la formation des parents ou, de manière générale, la mise sur pied de formations continues pour les groupes et les communautés qui se définissent et se reconnaissent
en fonction de leur culture, de leur langue commune, de leur travail, de leur âge, de leur
religion ou des activités de loisirs qu’ils pratiquent ensemble.
Et enfin, comme troisième axe de mesures à prendre par la Suisse lors de la mise en œuvre
des priorités définies dans le Cadre d’action, je nommerais le domaine de l’éducation au
développement durable. J’aimerais rappeler à cette occasion que le Conseil fédéral a approuvé il y a un peu moins d’un mois sa Stratégie pour le développement durable 20162019, qui est associée, et c’est là une nouveauté, à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de
l’ONU. Pour des questions de temps, je ne vais pas vous présenter ni commenter les explications concernant la stratégie sur l’éducation. L’occasion en sera donnée dans le cadre
du processus que le service fédéral concerné, c’est-à-dire l’Office fédéral du développement territorial, lancera prochainement pour la mise en œuvre de la stratégie. Je voudrais
juste indiquer que nous avons déjà quelque chose à offrir. Il n’est pas exagéré de dire que
rien n’a jamais été autant fait en Suisse pour l’encouragement de l’éducation au développement durable. Nous ne devons pas néanmoins nous leurrer et croire que nous avons fait
tout ce qu’il fallait. Nombre de mesures qui ont été lancées n’ont pas encore été appliquées et sur la carte de l’EDD de la Suisse, il y a encore, comme sur les atlas des siècles
passés, des zones en blanc, car l’EDD n’est pas encore arrivée jusqu’à elles. L’EDD n’est
pas non plus quelque chose de statique et de gravé à jamais dans le marbre. Plusieurs développements, tels que Industrie 4.0 ou le fait que les gens soient de moins en moins enclins à participer au débat politique s’il ne les concerne pas personnellement, auront sans
nul doute une influence sur l’EDD. Il y a donc encore beaucoup d’inconnues. Une chose
est néanmoins claire à mes yeux: les problèmes qui se posent ne peuvent être résolus que
par la collaboration à l’échelle internationale et non en faisant cavalier seul. Le Cadre
d’action rappelle d’ailleurs ce principe et encourage tous les pays à y adhérer. C’est plus
important que jamais et rien que pour ce principe-là, il est incontestable que le Cadre
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d’action présente un intérêt indéniable pour la Suisse. Nous nous réjouissons de contribuer
à sa mise de œuvre en comptant sur votre précieux soutien.
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