1 Grégory Gaultier Squash Entretien : Paris, Janvier 2009 En

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1 Grégory Gaultier Squash Entretien : Paris, Janvier 2009 En
Grégory Gaultier
Squash
Entretien : Paris, Janvier 2009
En italique, Matthieu Benoît, coach et kiné de Grégory Gaultier
5 –Le sport en général (partie 2)
Y a t il un gabarit idéal pour le squash ?
Le sien (Rires).
Quel est ton gabarit ?
1 mètre 76, pour 75 kg. Le numéro un mondial fait ma taille. Le gabarit idéal, c’est 1mètre 75
– 1 mètre 83. Si on est plus grand, on va être bon en allonge pour aller chercher des balles ou
pour couvrir le cours et volleyer, mais on sera plus lent, moins tonique, moins explosif. Plus
petit, on se fait vite balader. Donc environ 1 mètre 80, assez puissant en jambes, pas trop
lourd. Le numéro un mondial n’est pas un haltérophile, mais il est intelligent sur le court, avec
une bonne lecture du jeu et une excellente raquette. Il ne ressemble pas à Musclor.
Il vaut mieux faire 1 mètre 90 que 1 mètre 65 quand même.
C’est sûr.
Un grand peut toujours compenser par une allonge. Le petit fatigue vite.
Il faut être tonique. Même si on joue contre des grands, il faut savoir être le dominant, avec
une bonne présence physique sur le terrain.
Cela reste un sport de combat.
Nous sommes à deux sur le terrain ; on peut se bousculer. Il ne faut pas se laisser marcher
dessus sinon…
Quelle est la part du mental dans le squash ?
(Il se tourne vers Matthieu Benoît)
Cela dépend de la vision que l’on a. J’ai peut-être une vision un peu tronquée, mais, pour
moi, c’est le facteur limitant. Comme disait Greg, tu prends les dix meilleurs mondiaux : ils
savent tout faire avec la raquette et ils sont au top physiquement. L’un va être un poil plus
fort, ou plus endurant, mais ils ont tous à peu près les mêmes qualités. Ensuite, c’est l’aspect
mental, dans la gestion du jeu et de l’enjeu.
Au niveau du stress…
Quand Greg perd un match, c’est souvent un facteur mental : soit il lâche, soit il sort du jeu,
soit on l’a déconcentré, soit il s’est agacé. Il ne perd pas parce qu’il est moins fort dans le
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jeu. Mentalement, il peut sortir de sa dynamique, et les joueurs le jouaient beaucoup làdessus. C’est pour cela que nous travaillons mentalement. Les joueurs venaient le chercher ;
ils savaient qu’il était un peu impulsif. Ils venaient le titiller, le provoquer, pour qu’il
s’énerve…
Et que je sorte du match.
Parce que cela le révolte. Il est focalisé sur le truc qui l’énerve et il n’est plus sur le jeu. C’est
un facteur limitant à très haut niveau. Quand il joue le trentième mondial, il est trop bon
partout pour perdre.
Y a t il un côté aléatoire dans le squash ? Dans le foot, par exemple, beaucoup de matchs
se gagnent à un but d’écart, suite à une action qui a donné un but ou non, parfois sur des
petits riens. Au tennis, vu le nombre de points, en perdre un semble avoir moins
d’importance et cela paraît donc moins « aléatoire ». Qu’en est-il du squash ?
On retrouve les meilleurs sur les phases finales. C’est vrai que le jeu a tellement changé, avec
un système de score différent, et aussi parce que la nouvelle génération joue un squash
différent et que cela implique de l’adaptation. Les effets de surprise sont plus nombreux
qu’avant. Sur une saison complète, une personne ne va pas gagner tous les tournois.
Parce que le niveau est plus homogène.
Voilà.
Mais, quand tu dis « aléatoire », c’est le facteur chance ?
C’est le fait que cela se joue à un point, à un rien.
Dans les championnats du Monde, cela va se jouer à un point, voire un coup mal négocié…
Cela perturbe et c’est fini.
As-tu l’impression que le dopage est présent en squash ?
Non. Nous avons des contrôles anti-dopage inopinés, à l’entraînement et sur certains tournois.
Tu n’as pas l’impression qu’il y ait du dopage.
Ce n’est pas un sport où il y a beaucoup d’argent…
Il y a du dopage dans beaucoup de sports où l’argent n’est pas présent…
Ce sont souvent des sports où le facteur physique est prépondérant. Au squash, le facteur
limitant n’est pas physique.
On ne sait jamais…
On peut avoir des doutes sur certains joueurs, dans leur comportement.
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À mon avis, non.
Y a-t-il un « danger physique » dans le squash ? Une balle dans l’œil…
À leur niveau, jamais.
C’est déjà arrivé à un amateur, mais très rarement. Tu peux prendre un petit coup de raquette,
mais tu ne vois pas cela tous les jours.
Il n’y a pas de danger sur l’intégrité réelle des joueurs.
Pas de danger ! (Rires)
Pourquoi les Egyptiens sont-ils aussi forts ?
À un moment, un Egyptien a été numéro deux mondial et c’était une star dans son pays, parce
que le Président Moubarak faisait partie de sa famille, il me semble. Il a commencé à faire des
gros tournois en Egypte, dont celui aux Pyramides. C’est venu comme cela : le squash est
devenu sport national, diffusé à la télévision. Maintenant, de plus en plus de jeunes jouent,
trois joueurs sont le top cinq mondial. En France, nous avons une trentaine de gamins dans les
écoles de squash ; là-bas, ils sont quatre cents. Ils ont un réservoir hallucinant. Sur huit titres
de British Open en junior, ils en ont six.
C’est devenu un sport national ?
Après le football, c’est le deuxième sport.
C’est très pratiqué.
Et en France, quelle est l’image du squash ? Quand on parle de squash, comment
réagissent les gens ? C’est considéré comme élitiste, dur…
Dur, oui. La plupart des gens voient que cela permet de se défouler vite ; c’est le bon côté su
sport.
Y a-t-il une connotation urbaine ? J’entends beaucoup plus parler de squash depuis que
je suis en région parisienne.
(Hésitations)
C’est parce que Paris a beaucoup de clubs. Je pense que c’est pour cela.
Et pourquoi justement ? Le tennis est présent partout, et moins à Paris qu’ailleurs. Le
squash me semble plus présent dans les grandes villes. Est-ce parce que le maillage n’est
pas suffisamment important en France ?
Oui, peut-être.
Ce n’est pas homogène en France. Certaines ligues sont grosses ; d’autres très petites.
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Dans le Sud, il y a des gros clubs. Dans certains coins de la France, il n’y a pas grand-chose.
Le Centre, l’Est…
Ceux qui ont une heure de break au boulot, ils viennent, ils prennent un sandwich, ils jouent
quarante minutes et ils retournent au boulot. C’est sûr que si tu vas jouer au tennis pendant
quarante minutes… Il faut jouer deux heures au tennis. À Paris, cela fonctionne ainsi. C’est
pareil aux Etats-Unis : à New York, c’est rempli de businessmen, ils prennent leur « lunch
break » et vont jouer au squash. Ils ont leur dose en trente ou quarante minutes.
Le squash a l’image d’un sport dur, voire même, à une époque, dangereux pour le cœur.
Ce n’est pas plus dangereux que de jouer au badminton. C’est similaire.
Question piège : tu es un mauvais perdant ?
Je l’étais plus quand j’étais plus jeune. J’arrive plus à relativiser maintenant. Dès que je perds,
au lieu de tout casser, j’essaie de voir pourquoi j’ai perdu, d’analyser mes matchs. Avant,
c’était plus des crises de nerfs… C’est plus professionnel. La défaite est possible, je peux être
dans un mauvais jour ou tomber sur un joueur plus fort : il faut savoir analyser pour gagner la
fois suivante. C’est sûr que cela ne fait plaisir de perdre ; je suis un gagnant… Je ne vais pas
sourire…
Peux-tu me parler de tes relations avec Thierry Lincou (N.d.A. : numéro deux français,
ancien numéro un mondial et champion du Monde) ? Quel âge a-t-il ?
Il va avoir trente-trois ans…
Toi, tu as vingt-six ans ?
Oui.
Thierry Lincou était un peu le premier…
Oui. Il y a aussi eu Julien Bonnetat avant, qui a été numéro treize mondial. Son meilleur
résultat avait été une demi-finale au British Open. Ensuite, Thierry a été numéro un mondial,
champion du Monde.
Vous jouez…
Nous nous tirons la bourre souvent. À New York, nous ne sommes pas dans la même partie de
tableau, mais nous nous sommes rencontrés en Arabie Saoudite et au Super Series. Au début,
c’était plutôt une bonne relation ; nous étions très proches. Au fur et à mesure, plus je me suis
rapproché de lui, plus cela s’est dégradé. La rivalité a un impact. Nous avons dû séparer le
côté amical du côté professionnel. À l’époque, nous étions toujours ensemble en tournoi.
Maintenant, nous sommes chacun de notre côté. Je ne m’occupe pas de lui ; il ne s’occupe pas
de moi. À Marseille ou à Aix, nous nous entraînons.
Ensemble ?
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De temps en temps. J’ai joué avec lui cette semaine. Avant, on ne parlait que de lui ; j’étais
derrière. Tant que je ne le battais pas, cela ne le dérangeait pas. Le jour où j’ai commencé à le
battre… Nous ne partagions plus la chambre ensemble. Ensuite, il y a des petites tensions sur
certains matchs. Cela reste un adversaire et chacun défend son bifteck. Je ne vais pas me
laisser marcher dessus, je veux gagner des titres et lui, c’est la même logique.
As-tu eu des modèles au squash ?
Oui, j’ai regardé beaucoup de matchs. À un moment, c’était un Pakistanais qui dominait la
discipline, Jansher Khan.
Comme le tigre dans le Livre de la Jungle.
C’est le plus grand joueur de tous les temps, avec huit titres de champion du Monde. Avant
lui, il y a eu Jahangir Khan. Jansher Khan avait un très beau jeu ; tout avait l’air simple. On
avait l’impression qu’il marchait sur un court de squash ; il baladait les adversaires. Je pense
aussi à un ami canadien, Jonathan Power, très doué avec la raquette, avec des coups variés. Il
m’a apporté beaucoup. Thierry a été un modèle sur le plan de la rigueur, le côté professionnel.
C’est cette facette que j’aimais bien, plus que son jeu en lui-même. Maintenant, j’aime bien
regarder certains joueurs.
As-tu des modèles dans d’autres sports de raquette ?
J’aime bien Roger Federer.
Le tennis est très populaire en France, les pratiquants sont nombreux, l’argent y est plus
présent. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Le squash et le tennis n’ont rien à voir, même si ce sont deux sports de raquette.
Tu pratiques le tennis ?
J’ai déjà joué.
Et où te situes-tu ?
Je ne sais pas si je serais bon, mais je sais bien taper dans la balle, sans avoir pris de cours. Je
suis capable de reproduire un geste en le regardant, à la télévision par exemple. Ensuite, je ne
sais pas si je serais bon au tennis. La taille est plus importante… En ce qui concerne la
reconnaissance, c’est sûr que le tennis est très médiatisé. Ce sport existe depuis longtemps,
alors qu’en France, cela existe depuis trente ans.
Et à l’étranger ?
Cela existe depuis un siècle en Angleterre, et il y a trois millions de joueurs.
Il y a moins de grands champions mythiques. Au tennis, on peut remonter à Lacoste, les
mousquetaires.
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Pourtant, même en Angleterre, le squash est moins populaire que le tennis. Est-ce parce
que le squash passe moins bien à la télévision ?
Peut-être.
Est-ce qu’un match de squash à la télévision « rend bien » ?
Maintenant, nous jouons sur des courts complètement vitrés, sur tous les tournois. Il est donc
possible de la placer n’importe où : à New York, nous jouons dans la gare de Grand Central
Station. Tu peux mettre des caméras dans tous les angles. C’est très bien filmé. Imaginons que
l’on montre du squash à la télévision : les personnes qui n’ont jamais pratiqué et qui ne
connaissent pas ne vont pas forcément accrocher. Une éducation du grand public est
nécessaire. Dans mon club, tous les gamins regardent du squash, parce qu’ils connaissent les
règles et qu’ils jouent. Mais pour quelqu’un qui n’a pas de culture squash… Demain, je
regarde du curling, je me dis : « C’est quoi ce truc ? ». Et, pourtant, on voit bien.
En dix ans, il y a eu beaucoup de progrès. Sur certains DVD, tu voies vraiment bien, tu ne
peux pas dire que tu ne voies pas la balle.
À Hong Kong, c’est filmé en direct à la télévision. En Egypte, c’est le même principe et c’est
nickel. À Hong Kong, ils mettent le court vitré dans un shopping mall, avec cinq mille
spectateurs autour du court, et des écrans géants pour montrer les ralentis.
En Egypte, pour les championnats du Monde, les matchs étaient en prime time sur la chaîne
nationale.
En Arabie Saoudite, cela passe sur la chaîne nationale et ils ont viré un match de Champion’s
League pour mettre du squash.
As-tu des sponsors ?
Oui. Les deux plus gros sont Adidas et Dunlop.
Ta raquette, c’est Dunlop ?
Oui, Adidas, c’est l’équipement.
Tu en as d’autres ?
J’en ai eu. J’ai eu un partenariat avec la Française des Jeux, avec une compagnie qui fait des
courts de squash. Cette année, je vais signer avec une société de boissons énergétiques.
Ensuite, j’ai des contrats matériels : Sunto, un cardio-fréquencemètre pour vérifier le rythme
cardiaque en match et à l’entraînement.
Cela permet au préparateur physique d’avoir toutes les données sur son physique.
Quelqu’un s’en occupe ou tu le gères toi-même ?
Je regarde un peu, mais c’est quelqu’un qui s’en occupe.
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Le squash est-il un sport féminin ?
Beaucoup de femmes jouent en loisirs, moins en compétition.
Qu’est ce qui manque au squash en France ? Tu m’as parlé du côté éducatif. Une
dynamique s’est créée avec Thierry Lincou et toi. C’est un travail de longue haleine, il
faut être patient, ou est-il possible de faire de nouvelles choses, peut-être en capitalisant
sur des joueurs comme Thierry Lincou et toi ?
En France, nous essayons d’organiser de gros évènements pour attirer les médias. Un gros
tournoi a été organisé à Paris, diffusé à la télévision en direct. Il faut les placer à des endroits
stratégiques pour que les gens qui ne connaissent pas puissent les voir.
Je parle de cela parce qu’un sport comme le rugby s’est beaucoup développé ces vingt
dernières années…
Quand c’est devenu professionnel.
Le rugby s’est transformé d’un sport d’aficionados en sport plus populaire. Il y a eu le
passage en professionnel, la création d’une coupe du Monde. À Paris, le Stade Français
a créé une dynamique. Certains de ces points sont-ils reproductibles ?
(Hésitations)
En France, il n’y a que deux joueurs de très haut niveau.
C’est déjà bien…
Oui, mais avec deux joueurs, tu ne fais pas en France ce que tu as fait avec le rugby, avec
quinze clubs et un sport de masse.
Il faut des gros évènements, avec les meilleurs joueurs mondiaux, pour que les Médias soient
intéressés. Tu peux attirer le grand public et des acteurs qui mettent de l’argent sur la table.
Ensuite, il faut viser les écoles. Par exemple, dans mon club, beaucoup d’écoles viennent le
matin ou l’après-midi… Il faut intéresser les jeunes.
Les meilleurs Mondiaux sont au French Open ?
Quatre sur dix. La dotation n’était pas suffisante et c’était le premier French Open depuis très
longtemps.
Quelle était la dotation ?
Soixante mille Dollars. Les plus grosses se situent à deux cent cinquante mille.
Il faudrait le double pour attirer les meilleurs mondiaux et le placer dans un créneau nonconcurrentiel. Le French Open était deux semaines avant les championnats du Monde…
Il faudrait plus de points également.
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Quel est le tournoi le plus doté financièrement ?
L’Arabie Saoudite : deux cent cinquante mille dollars. Ils parlent de faire un championnat du
Monde à quatre cent mille, en 2010.
Le vainqueur prend quatorze pour cent.
Pour le vainqueur, le maximum, en Arabie Saoudite, c’est trente-sept mille dollars.
Quelles sont tes ambitions sportives ? Etre numéro un mondial et gagner les
championnats du Monde ?
Oui, et gagner un maximum de tournois. C’est ce qui compte, gagner les matchs et les titres.
Psychologiquement, il y a un côté dur. Sur un court, tu joues point par point ou avec une
vue plus large sur le match ?
Avant de passer à la finale, je dois jouer mon premier tour. Je prends les tours un par un. Cela
m’est déjà arrivé de me projeter en finale et de perdre au premier tour. Cela m’est arrivé deux
fois, en plus contre des joueurs à qui je mets des raclées en temps normal. À l’époque, j’étais
très confiant et cela m’a joué des tours. Il faut se méfier et ne prendre aucun match à la légère.
Prochaine lettre :
Grégory Gaultier
6 – Le quotidien.
© Loïc Henry / 2009 – 2010.
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