Jacques Serena Auteur de romans, principalement publiés aux

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Jacques Serena Auteur de romans, principalement publiés aux
Jacques Serena
Auteur de romans, principalement publiés aux Éditions de Minuit.
Écrit aussi pour le théâtre. Auteur associé au T.N.S (Strasbourg), puis à Théâtre Ouvert
(Paris), puis au Théâtre Liberté (Toulon).
Créations : Rimmel, Quart d'heure et Velvette, à Paris, mises en scène par J. Jouanneau, A-L.
Liégeois, J-L. Martinelli. Rôles créés par Jeanne Balibar, Ludivine Sagnier, Océane Mozas,
Pierre-Louis Calixte, etc.
Parallèlement, anime depuis 1993 des ateliers d’écriture en milieux défavorisés et carcéraux.
Bibliographie
Isabelle de Dos, roman, Ed. de Minuit (1989)
Basse Ville, roman, Ed. de Minuit (1992)
Lendemain de Fête, roman, Ed de Minuit (1993)
Rimmel, théâtre, Ed. de Minuit (1997)
Gouaches, théâtre, Ed. Théâtre Ouvert (1999)
Velvette, théâtre, Ed. Solitaires Intempestifs (2000)
Quart d’Heure, théâtre, Ed. Solitaires Intempestifs. (2001)
Fleurs Cueillies Pour Rien, sur Gustave Klimt, Ed. Flohic (2003)
Les Fiévreuses, nouvelles, Ed. Argol (2005)
Plus Rien Dire Sans toi, roman, Ed. de Minuit 2002)
L’Acrobate, roman, Ed. de Minuit (2005)
Sous Le Néflier, roman, Ed. de Minuit (2007
Elles En Premier Toujours, Artisans, etc. Ed Remue.Net (2010)
Musaraignes, Ed. Remue Net. (2013)
Quelques pages
Extraits de « Méandres » (à paraître).
Tu respires encore, on dirait. Enfin, si on peut appeler comme ça ce que tu fais. Tu
t’accroches. Tenace, toi, on ne peut pas t’enlever ça. Pourquoi je viens encore te parler,
va savoir. Pourquoi je me laisse reprendre au vieux jeu de la fraternité avec toi. Ce
sentimentalisme, quand même. On ne parle plus la même langue, toi et moi, tu entends
bien. Vrai que tu ne parles plus. Même pas sûr que tu entendes. Tu pourrais faire un
signe. Le temps est révolu, où on pouvait se comprendre. Le mot est trop fort. Se
concilier, non. Où on pouvait se supporter. Si tu te voyais. Quand même, tu fais partie
de l’humanité. Tu crois que tu as le droit de représenter l’humanité comme ça. Arrête.
Comment tu oses. Cache-toi, au moins. Essaie de te glisser derrière la banquette. Ou
dessous, je ne sais pas, mais ne reste pas là où on peut te voir. Si tu crois que c’est
agréable. Si quelqu’un venait. Et quand ils vont revenir tous. Non, encore le mieux, tu
devrais dégager. Débrouille-toi, traîne-toi, rampe, roule sur toi-même, comme tu
voudras. On ne devrait même pas avoir à te le dire. Profite d’une nuit sans lune. Pendant
que je suis dans ma pièce en haut et que les deux autres sont occupés. Personne pour te
voir, tu raserais les murs, dans un dernier effort.
Non. Tu veux rester. Attendre, voir comment ça va aller. Mais c’est tout vu. De plus en
plus mal, tu vas aller. Cette crise que tu as, crois-moi, elle ne te lâchera plus. Ce que tu
ne peux pas faire cette nuit, tu pourras encore moins la prochaine. Sauf que ça risque de
durer encore longtemps. Les éternels moribonds, on connaît. S’économisent, et finissent
par nous enterrer. Salopard, avoue où tu as caché ta pelle. Tu pourrais rire, là. Tu n’es
pas bien enjoué, je trouve. Tu n’as jamais spécialement réjouissant, comme
interlocuteur, mais là. Un geste, un mot. Fais comme les gens. Ça n’arrange pas la santé,
j’ai lu ça, de garder ses pensées pour soi. Surtout celles du genre des tiennes. Moi, je te
dis tout. Vais encore t’en dire. Ce que ça a été, pour moi, cette histoire.
Jo, le délitement avec Jo, c’est de là, d’après moi, que c’est parti. Que ça repart. Je
filmais ta Jo mais rien n’allait plus. Avant même de filmer, je devais parlementer une
heure pour qu’elle accepte de se remettre le large sweat, du blanc sur la figure et du noir
autour des yeux. Il fallait bien ça pour donner à sa figure fade du tragique. Et puis, une
fois prête, elle ne suivait pas les directives. Après dix secondes, elle tirait la langue, me
présentait son majeur. Je n’avais rien contre l’impromptu, en principe, sauf que là. Cet
impromptu-là je l’avais sous tous les angles, alors bon. Pas la peine d’insister, quand
elle était comme ça. Je la laissais se rhabiller, m’écartais pour la laisser passer, en
passant elle m’écartait encore. Le temps de fermer la maison, j’allais devoir essayer de
la ramener, si possible avant que tu sois rentré.
Elle n’allait jamais loin. Ce soir-là, dans le premier bar. J’ai pensé en être quitte pour
vingt minutes au comptoir. De ces minutes à nuque raide à force de fixer l’écran télé en
hauteur, à ignorer les gaillards qui la touchaient, leurs rires, quand ils criaient de le dire
si ça ne me plaisait pas. Ça ne me plaisait pas, mais je fixais l’écran. Je me sentais bien
décalé et c’était le genre de bar à gaillards bien chauds qui guettaient le prétexte pour
tabasser du décalé. Et puis quoi, Jo, les hommes la voulaient, je le savais. Et pour le cas
où je l’aurais oublié, elle venait me le rappeler. J’opinais, d’accord, ils la voulaient, oui,
tous. J’abondais, d’abord c’était vrai, et puis je devais l’accommoder, tenais à continuer
mes bouts d’essai avec elle. Une fois arrangée à ma façon, elle faisait bien illusion
comme fiévreuse. De temps à autre, j’essayais de lui rappeler qu’à l’heure qu’il était tu
devais être rentré. Je tentais de la tirer vers la sortie, essayais d’être discret tout en
restant quand même un peu ferme. Elle se dégageait d’un coup de coude, non mais
lâche-moi.
Alors, je me retrouvais assis avec elle. J’avais réussi à la caler à côté de moi à une
table du fond. Le serveur m’avait dans le nez, chaque fois que je voulais payer, ce
n’était pas le moment, ça ne le serait jamais pour moi. Je leur faisais ça, aux serveurs,
quand ils me voyaient avec Jo. En me tenant à carreau, ça pouvait rester larvé. Sauf que
Jo parlait fort, avec cette brusquerie de quand elle avait bu. J’avais beau lui souffler
d’arrêter, elle répétait qu’un gaillard lui avait mal parlé, le gros là-bas, lui absolument, il
lui avait dit, elle ne savait plus quoi, il fallait aller lui demander. Moi essayant de la faire
rester assise avec moi, à cette table du fond, dans le coin le plus pénible du bar. Elle, en
phase critique, moi guère mieux, ma tête presque collée à la sienne. Vue plongeante sur
sa jupe découvrant ses cuisses, quand elle étirait d’un coup ses jambes, ces gestes
brusques qu’elle avait dans ces cas, crispants, il faut bien dire les choses. Et il n’y a plus
eu dans le bar que des gaillards esseulés, vexés de l’être, ruminant à distance l’un de
l’autre. Même en évitant de les voir, pas moyen de ne pas sentir la rage sourde. Deux,
tombés lourdement dans les bras l’un de l’autre, ont commencé un slow, tellement lent,
j’ai mis du temps à comprendre qu’ils se battaient. Jo pinçait mon bras, gémissait, ses
yeux se plissaient à me défier et d’un coup elle détendait ses jambes, sans raison, du
surprenant fatigué, coup dans leau. Son regard sur moi, s’embuant, la bouche disant
connard, mais d’un ton, une espèce de couinement. Après, qui sait. Des gaillards ont dû
rôder autour de nous. Puis de moi seul. Puisqu’il semblerait qu’elle soit sortie avec un,
en me laissant là, mon front collé à la table.

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