Financement des collectivités locales: Bâle III ou la fin du crédit facile

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Chronique
Financement des collectivités locales:
Bâle III ou la fin du crédit facile
Gaëtan Huet
La clôture de l’exercice budgétaire
2011 fut particulièrement difficile pour
les collectivités territoriales n’ayant
pas anticipé leur besoin de financement externe. Celles-ci ne sont pas
parvenues à se financer sur les derniers mois de l’année auprès des
bailleurs de fonds historiques. L’intervention de la Caisse des dépôts et
consignations a permis de corriger
cette situation en mettant à disposition
du monde local une enveloppe de trois
milliards d’euros sur fonds d’épargne
destinée au financement des prêts aux
collectivités territoriales et leurs établissements publics. L’examen des raisons qui ont conduit les banques à restreindre leurs offres de financement
permet de distinguer les causes
conjoncturelles – crise de liquidités
accentuée par l’agonie de Dexia –, des
raisons structurelles (accords de Bâle
III). L’année 2012 marque très certainement le point de départ d’une nouvelle
relation entre le secteur bancaire et le
monde local. Plus globalement, c’est
toute la stratégie financière du monde
local qui doit être redessinée, l’emprunt ne présentant plus un caractère
de recette certaine.
L’emprunt bancaire : un composant de
l’équilibre budgétaire.
Le besoin de financement externe du
monde local est limité. Il s’élève selon
les années entre 15 et 20 milliards d’euros 1. L’emprunt est une des ressources
participant à l’équilibre budgétaire des
budgets locaux. L’architecture budgétaire vertueuse des collectivités territoriales contraint ces dernières, contrairement à l’État, à financer les dépenses
gestion, les dépenses de personnel
ainsi que les frais financiers par des ressources récurrentes, à savoir les dotations et la fiscalité. De plus, elles sont
1
À titre de comparaison le besoin de financement
de l’État français s’élève à 179 milliards d’euros
en 2012.
dans l’obligation de dégager un excédent sur leurs ressources récurrentes
pour rembourser l’annuité de leur dette,
faute de quoi elles ne peuvent lever de
nouveaux emprunts. Cette dernière
règle vise à proscrire tout risque de
cavalerie financière, les collectivités
locales ne pouvant pas lever des
emprunts pour rembourser une dette
en place.
Avec ce cadre budgétaire contraignant, le recours à l’emprunt ne peut
avoir lieu que pour le financement des
investissements. Le besoin annuel de
financement externe dépendra donc
schématiquement de deux éléments :
– le niveau d’excédent dégagé sur les
recettes récurrentes (autofinancement),
– et le montant des investissements
réalisés dans l’année.
C’est la raison pour laquelle l’emprunt est – très justement – assimilé à
une variable d’ajustement budgétaire.
Sur les derniers mois de l’année, les
collectivités locales recourent à l’emprunt en fonction des investissements
réalisés dans l’exercice en cours afin
d’équilibrer leurs comptes administratifs. Il est important de souligner que
l’essentiel des investissements du
monde local (51,9 milliards d’euros en
2011) ne présente pas le caractère de
dépenses obligatoires. Ils résultent de
la volonté des élus à développer les
territoires et non de l’exercice obligatoire de compétences. Par conséquent,
une collectivité locale confrontée à des
difficultés financières peut tout à fait
décider de réduire drastiquement le
montant de ses investissements pour
ne pas recourir à l’emprunt. Ainsi sur la
base des budgets primitifs 2011, en ne
votant que 35,2 milliards euros d’investissement (contre 51,9 milliards), le
secteur public local n’aurait pas eu
besoin de recourir à l’emprunt sur
l’exercice 2011, l’autofinancement
associé aux recettes propres d’investissement couvrant l’intégralité du besoin
de financement. Les difficultés de
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financement rencontrées par le monde
local fin 2011 s’expliquent par le fait
que les collectivités n’avaient pas anticipé la défaillance du secteur bancaire.
Elles ont réalisé les budgets votés en
considérant qu’elles parviendraient à
trouver des financements bancaires
sur les derniers mois de l’année. Or
confrontées à une crise de liquidité
sévère et anticipant les nouveaux
ratios prudentiels de Bâle III, les
banques ont tout simplement stoppé
leur activité de financement fin 2011
dans une optique prudentielle. La
Caisse des dépôts et consignations,
bras armé de l’État, est donc intervenue pour faire face à la carence du
monde bancaire.
Bâle III :
la perte d’attractivité
des collectivités territoriales
pour les banques
Les différentes crises financières survenues depuis 2007 ont fortement
ébranlé le système bancaire et mis en
valeur l’insuffisante qualité de leurs
fonds propres face à la croissance et la
complexité de leurs engagements.
Cette situation a donné naissance à une
crise de défiance sans précédent dans
la sphère financière, les intervenants
considérant que les risques auxquels
les banques sont exposées n’étaient
pas suffisamment couverts par des
fonds propres (ressources certaines).
Cette crise de défiance s’est traduite
dans les faits par une crise de liquidité,
laquelle a atteint son paroxysme fin
décembre 2011 / début janvier 2012
dans la zone euro. Ainsi mi-janvier 2012,
les sommes déposées auprès de la
Banque centrale européenne par les
banques de la zone euro se sont élevées
à 528 milliards d’euros. Autrement dit,
le système bancaire préfère placer ses
liquidités auprès de la banque centrale
européenne à un taux dérisoire de
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0,25 % plutôt que de financer l’économie réelle.
La réforme Bâle III 2 vise à renforcer le
système financier international et plus
exactement à renforcer la qualité des
fonds propres des banques par l’introduction de deux ratios :
– le LCR : Liquidity Coverage Ratio. Ce
ratio vise à faire face à de fortes crises
de liquidités à horizon un mois. Son
principe est simple : les réserves de
liquidité doivent être supérieures aux
fuites de liquidités générées par la perte
des possibilités de refinancement sur le
marché ou par les fuites des dépôts. Le
LCR est donc un ratio de court terme qui
exige des banques de détenir un stock
d’actifs sans risque, facilement négociables, au regard des flux nets décaissés stressés sur un mois. Ce ratio est un
ratio de liquidité ;
– le NSFR : Net Stable Funding Ratio. Ce
ratio vise à faire face à une crise de
liquidité spécifique à horizon un an. Son
principe est aussi simple que le précédent : le montant des besoins en ressources stables doit être inférieur au
montant des ressources stables. Ce
ratio est un ratio de solvabilité.
L’objectif de ces nouveaux ratios est
d’améliorer la capacité du secteur bancaire à absorber les chocs résultant des
tensions financières et économiques,
quelle qu’en soit la source, par un renforcement substantiel du traitement du
risque de contrepartie et par un meilleur
adossement de leurs fonds propres à
leurs engagements.
Ce nouveau système de pilotage de la
liquidité et de la solvabilité s’avère peu
favorable au secteur public local. Schématiquement, les prêts accordés aux
collectivités locales :
– consommeront des fonds propres aux
banques (le ratio NSFR). Le ratio nécessite de pouvoir disposer d’une collecte
clientèle de bilan stable et longue ou de
ressources de marché plus longues en
face d’une partie significative (65 %) des
encours de crédit. L’absence de ressources collectées avec la clientèle secteur public en rend le financement
dépendant d’appels aux marchés financiers ;
– et dégraderont le ratio de liquidité
(LCR) dans la mesure où contrairement
à la situation actuelle, les crédits aux
collectivités locales n’entreront pas
2
Les accorts de Bâle III sont des propositions de
réglementation bancaire édictées sous
l’impulsion du Financial Stability Board et du G
20 publié le 16 décembre 2010.
dans le périmètre des actifs liquides. La
durée exceptionnellement longue des
prêts accordés aux collectivités locales
les pénalise également.
Désormais obsédés par le respect de
ces deux nouveaux ratios afin de reconquérir la confiance des marchés et de
respecter les différents stress test, les
principaux acteurs bancaires désertent
progressivement le marché des collectivités territoriales. L’absence de risque à
laquelle est exposé le secteur bancaire
(le remboursement de l’emprunt est
une dépense obligatoire et les collectivités locales disposent de la capacité à
lever l’impôt 3) ne contrebalance pas le
« coût » supporté par le système bancaire au regard de ces nouveaux ratios
de solvabilité.
Pour réduire cette contrainte, il serait
techniquement possible de mettre fin à
la règle de la centralisation des fonds
des collectivités territoriales au Trésor
Public. En placent leurs liquidités
auprès du monde bancaire, le secteur
public local améliorerait l’appréciation
de la liquidité de ses crédits, lesquels
redeviendraient attractifs pour les
banques. Or l’État français, confronté à
des difficultés financières sans précédent, n’entend pas se priver d’une ressource bon marché et ce scénario est à
exclure.
Quel mode de financement
post 2011 ?
Le secteur public local découvre progressivement un nouvel environnement
financier et va devoir modifier sa stratégie financière.
Concernant le secteur bancaire. Le
nombre d’acteurs présents sur le marché des collectivités locales va se
réduire – au mieux – à une demi-douzaine d’intervenants récurrents. Par
ailleurs, ces derniers vont demeurer sur
des stratégies de conservation de part
de marché, afin de ne pas dégrader
leurs ratios de solvabilité. De plus,
depuis trop longtemps négligée, l’analyse du risque de contrepartie fait son
grand retour. Ainsi les conditions de
financement proposées dépendront en
grande partie de la qualité de signature
3
Le cas des régions mérite d’être nuancé : dans
le cadre de la réforme de la taxe professionnelle,
les régions ont perdu l’essentiel de leur
autonomie fiscale et ne conservent que le
produit de la carte grise comme levier fiscal (soit
environ 9 % de leurs recettes réelles de
fonctionnement).
de la collectivité locale. Cette dernière
devra démontrer à la banque qu’elle est
en mesure d’honorer ses engagements
sur les années à venir.
Le cas de Dexia ajoute une difficulté
supplémentaire. Partenaire historique
du monde local, Dexia représentait
40 % du marché du financement aux
collectivités territoriales. L’incertitude
qui entoure encore le devenir de cet établissement rend difficile l’identification
de la capacité de financement du
monde bancaire.
Les seules certitudes résident dans le
fait que le secteur bancaire ne pourra
pas couvrir l’intégralité du besoin des
financements du monde local, que les
marges bancaires proposées seront
plus élevées que celles enregistrées au
cours des années 2000 et que ces dernières dépendront directement de la
situation financière des collectivités
locales.
Plusieurs pistes existent pour boucler
le tour de table du financement des
budgets locaux :
– la réduction des durées d’investissement. Traditionnellement, les collectivités locales s’endettent sur des durées
longues (supérieures à 15 ans). Ce profil d’emprunt antiéconomique 4 permet
de lisser budgétairement la charge liée
aux remboursements des emprunts.
Or, l’offre bancaire étant désormais
rare et chère au-delà de 7 ans, les collectivités locales ont tout intérêt, dans
la mesure du budgétairement supportable, à « mixer » les durées d’emprunt ;
– l’émission obligataire, quelle soit
locale (auprès des particuliers) ou non.
Ce mode de financement est déjà mis
en place par les plus grandes collectivités. En raison des contraintes liées à
l’accès au marché (coût) et de l’absence
de souplesse de cet endettement,
l’émission obligataire ne pourra absorber qu’une mineure partie du besoin de
financement ;
– l’Agence de financement des investissements locaux, si elle parvient à voir le
jour et à se financer auprès des marchés, pourra contribuer à hauteur de
10 % à 15 % au financement du monde
local. Mais les obstacles institutionnels
et économiques qui se dressent devant
l’agence (garantie de l’État ou pas,
agence exposée aux mêmes contraintes
de Bâle III en fonction de son statut)
4
Aucun ménage n’accepterait de financer son
véhicule privé par un crédit de 15 ans.
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confèrent à cet outil de financement un
caractère encore incertain. Par ailleurs,
l’hypothèse du paiement d’un « droit
d’entrée » à l’agence réserve cet outil de
facto aux grandes collectivités ;
– le recours accru aux montages concessifs pour faire :
• financer directement par le secteur
privé une partie des investissements
publics,
• supporter le coût de ces financements aux usagers des secteurs
publics délégués.
Vers une nouvelle stratégie financière. Bon nombre de collectivités
locales ont déjà intégré ces éléments à
leur préparation budgétaire 2012 en
anticipant des baisses de dépenses
d’investissement comprises entre 10 %
et 20 %. Si cette réactivité des acteurs
locaux est salutaire pour la situation
financière du monde local, elle risque
de s’avérer désastreuse d’un point de
vue macroéconomique, l’investissement local représentant 75 % de l’investissement public en France.
Par ailleurs, la raréfaction des ressources va contraindre les collectivités
locales à améliorer leur processus d’arbitrage budgétaire. Les méthodes et
outils de planification se propagent très
rapidement dans le monde local (pro-
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grammation pluriannuelle des investissements, mise en place de budget en
autorisations de programme et crédit
de paiement, introduction d’un arbitrage des dépenses de fonctionnement
générées par la construction d’un équipement). Plus que jamais le vote d’un
budget devra s’inscrire dans une stratégie pluriannuelle visant à mieux adosser dans le temps les emplois et les ressources. Gaëtan HUET
Consultant en Finances Locales