Les raisons de l`altruisme

Transcription

Les raisons de l`altruisme
2009/05
Les raisons
de l’altruisme
par Mauro Sbolgi
Analyses &
Études
Société 1
Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente,
sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de
SIREAS sous la direction de Mauro SBOLGI, Editeur responsable. Les
questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui intéressent notre
public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de
rendre les textes accessibles à l’ensemble de notre public.
Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes
Monde et droits de l’homme
Notre société à la chance de vivre une époque où les principes des Droits de l’Homme
protègent ou devraient protéger les citoyens contre tout abus. Dans de nombreux pays ces
principes ne sont pas respectés.
Économie
La presse autant que les publications officielles de l’Union Européenne et de certains
organismes internationaux s’interrogent sur la manière d’arrêter les flux migratoires. Mais
ceux-ci sont provoqués principalement par les politiques économiques des pays riches qui
génèrent de la misère dans une grande partie du monde.
Culture et cultures
La Belgique, dont 10% de la population est d’origine étrangère, est caractérisée, notamment,
par une importante diversité culturelle
Migrations
La réglementation en matière d’immigration change en permanence et SIREAS est
confronté à un public désorienté, qui est souvent victime d’interprétations erronées des
lois par les administrations publiques, voire de pratiques arbitraires.
Société
Il n’est pas possible de vivre dans une société, de s’y intégrer, sans en comprendre ses
multiples aspects et ses nombreux défis.
Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur notre site www.sireas.be
Siréas asbl
Service International de Recherche,
d’Éducation et d’Action Sociale asbl
Secteur Éducation Permanente
Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles
Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58
[email protected] – www.sireas.be
Avec le soutien
de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
N
ous pouvons être satisfaits de vivre dans un monde à prévalence
chrétienne et dans une culture qui cultive les principes de la
tolérance, de la démocratie et de l’altruisme.
À en croire la presse, si nous la lisons assidûment, ou si nous regardons
la TV, nous serions apparemment les seuls à avoir atteint ce niveau de
civilisation et il serait dommage de ne pas partager ces valeurs avec d’autres
peuples, de ne pas stimuler d’autres cultures et d’autres pays où existent
encore le despotisme, la dictature, la pauvreté, la violence et l’obscurantisme
religieux. Nous ne pouvons pas être insensibles face à ces pays qui n’ont pas
atteint notre haut niveau de civilisation, nous devons les encourager, voire
les forcer à adapter leurs structures et systèmes politiques aux nôtres. C’est
la raison de notre altruisme !
Le monde occidental de l’hémisphère Nord s’est doté d’un organisme
de défense, l’OTAN, unissant au départ 12 pays situés sur les bords de
l’océan Atlantique (USA, Canada + 10 pays européens). L’OTAN s’est
élargi depuis et comprend aujourd’hui 28 pays pour défendre la paix au cas
où un de ces pays serait attaqué. Cette alliance est devenue une puissance
militaire capable d’attaquer n’importe où dans le monde. Elle dispose d’une
force nucléaire hallucinante. Elle pourrait détruire la planète. Certains de
ses membres sont capables de pousser l’ONU à prendre des décisions qui
correspondent à leur stratégie, ou même capables d’agir seuls, si l’ONU ne
donne pas son feu vert. C’est ce qui s’est passé dans le cas de l’Irak. L’ONU
n’ayant pas accepté d’entreprendre une guerre en Irak, les USA ont décidé,
avec la complicité de quelques pays membres, d’y « apporter la démocratie »
3
pour « libérer le pays de la dictature », et aussi pour le motif que ce pays
développait l’armement nucléaire, du moins selon certains rapports qui se
sont avérés faux par la suite.
La guerre en Irak a fait des centaines de milliers de morts, en majorité
des civils, femmes et enfants, sans compter les scandales de la torture, les
violations des droits de l’homme à Guantanamo, etc. Et il faut ajouter
quelques centaines de milliers d’exilés, notamment parmi les minorités
chrétiennes. Ceux-ci vivaient en Irak en harmonie avec la population locale
depuis deux millénaires et sont maintenant dispersés, en grande partie en
Syrie, où ils vivent dans des conditions humanitaires déplorables, alors
qu’aucun pays occidental n’a prévu des programmes pour leur venir en aide
ou les accueillir en tant qu’exilés.
Sans revenir trop en arrière et remonter à la période de la guerre froide, les
exemples du Rwanda et du Congo nous poussent encore plus à la réflexion.
Est-ce par altruisme que les État Unis ont exigé que le Rwanda installe
une base militaire américaine à l’Est de ce pays pour veiller à la sauvegarde
de la paix en Afrique Centrale et y installer ou préserver la démocratie ?
Face au refus du président en place, J. Habyarimana, le monde occidental a
soutenu et financé un chef de guerre, Paul Kagame, pour envahir le Rwanda,
assassiner le président, et aussi le président du Burundi qui se trouvait dans
le même avion, ce qui a plongé le pays dans la guerre civile et le génocide. Ce
même monde occidental a installé l’envahisseur à la présidence de ce pays et
a ensuite soutenu l’organisation d’élections qui ont élu ( ?) Kagame, à 95 %
des voix, tout cela, a-t-on dit, pour préserver la démocratie et la paix dans
la région.
L’élection de Joseph Kabila au Congo, malgré le soutien financier
important du monde occidental pour l’organisation d’élections libres et
démocratiques, n’a pas été un très grand succès démocratique ni n’a permis
la stabilisation de ce pays. En effet, dans les provinces du Kivu, le Rwanda et
en particulier les troupes du président rwandais Paul Kagame, font la guerre
et poursuivent le pillage de la région, les viols et les assassinats, avec près de
4 millions de victimes. C’est une région particulièrement vulnérable parce
qu’elle est la plus riche de l’Afrique en gisement de minerais stratégiques :
uranium, diamant, coltan, cobalt, cuivre, etc. Enfin, grâce au président
Kagame, une base militaire américaine y a été installée.
L’importance géopolitique de cette partie de l’Afrique est évidente.
Par ses ressources, elle contribue à l’équilibre militaire et économique du
4
monde occidental, mais les médias restent fermes sur le sens de l’action
internationale  : apporter la paix et la démocratie dans la région. Il semble
bien, cependant, que la protection des intérêts stratégiques et économiques
de certains pays occidentaux passe bien avant le développement de la
démocratie.
Divers organismes nationaux et internationaux y contribuent à leur façon:
l’OMS pour la santé, le HCR pour les réfugiés, la FAO dans le domaine de
la lutte contre la faim, qui a échoué, et aussi l’Union européenne à travers
de nombreuses ONG qui développent des projets. Ces projets, dont les
financements sont souvent amputés de pourcentages importants en frais
administratifs, voyages, personnel et experts, exportent en même temps
des concepts et des opinions issues de notre culture et de nos valeurs, dont
notamment le concept d’altruisme. Mais l’aide au développement rapporte
plus que ce qu’on y investit. On dit souvent que 1 € investi dans le tiers
monde rapporte 4 € au pays riches. En effet, « Selon les propres chiffres de
la Banque mondiale, la dette que les pays du Sud avait contractée avant 1982
auprès du Nord a déjà été remboursée quatre fois (du fait du jeu des intérêts
composés)  1».
Par ailleurs, l’OMS, la FAO, le FMI et la Banque Mondiale agissent
souvent en exerçant des contraintes, en obligeant les État aidés à accepter des
compromis. Ces contraintes sont parfois énormes et ne visent pas toujours
le développement. Elles sont cause d’endettement et de dépendance :
concessions minières, exploitation des forêts et des lacs, contrats de
construction routière et ferroviaire,…
Seuls les ressortissants des pays qui dépendent de ces aides peuvent
témoigner des contraintes imposées par les organismes nationaux et
internationaux d’aide au développement, et comprennent autrement le fond
de notre altruisme.
Il n’en demeure pas moins que les campagnes publiques pour financer
l’aide aux pays sous-développés suscitent de grands élans de générosité et
d’altruisme, ce qui prouve que la notion d’altruisme est très ancrée dans
l’occident chrétien. Selon les termes de l’Évangile, la « charité » (l’amour) est
1 Alain Houziaux, L’aide au tiers-monde, à qui profite-t-elle ? http://protestantsdanslaville.
org/documents-archive/M52.htm
5
présent et remue les cœurs d’une partie importante de la population,
prête à alléger la souffrance, la pauvreté et la maladie d’autres
personnes ou d’autres peuples.
En nous référant à notre histoire, on trouve des exemples
d’altruisme gravés dans notre culture : Saint François d’Assise, riche
gentilhomme qui a tout donné aux pauvres avant de se faire moine,
Mère Teresa qui a consacré sa vie aux enfants de Calcutta, le père
Damien qui a soigné les lépreux jusqu’à en mourir …
Un PDG d’une banque connue nous a expliqué que sa banque
avait créé une fondation parce qu’elle voulait que son personnel
sache que cette banque s’implique dans des projets réalisés par des
organismes sociaux. En effet, lorsque des actions altruistes sont
présentées dans les médias comme un élan de la société en faveur
des plus faibles, c’est un discours qui touche, qui « fait chaud au
cœur » et qui probablement renforce l’estime du personnel pour son
employeur.
Des européens qui ont vécu longtemps au Japon ont constaté que
la notion d’altruisme n’y est pas très valorisée. Si on voit tomber
quelqu’un dans la rue au Japon, il ne faut pas l’aider. Cette personne
doit se relever toute seule. Sinon on risque d’être surpris par une
réaction de refus, car la personne qui accepte d’être aidée contracte
une dette vis à vis de celui ou celle qui l’a aidée. Si quelqu’un lui
sauve la vie, elle lui doit la vie. La culture japonaise est donc bien
différente de celle de l’occident chrétien. Imaginons un seul instant
ce qui se serait passé si l’occident chrétien n’avait pas été influencé
par les principes « aimez-vous les uns les autres, aidez les malades,
les affligés, les pauvres, etc. ». Ces injonctions qui ont forgé
notre civilisation depuis 2000 ans constituent une grande richesse
d’humanité et de solidarité.
Cependant, lorsqu’on passe à l’idéologie ou à la politique, on
voit apparaître de nombreux paradoxes, dont le paradoxe de faire la
guerre pour sauvegarder la paix.
Ou celui d’aider l’autre pour s’aider soi-même.
Les soldats de l’OTAN qui se sacrifient mais qui tuent des
civils sans en connaître les vraies raisons sont représentés dans les
médias comme motivés par de l’altruisme, du dévouement, voire de
l’héroïsme,  et cela donne bonne conscience. D’autres par contre, les
6
victimes de ces guerres, comprennent ce drame de notre histoire comme
une preuve d’injustice , de violence, une manifestation de leur instinct
prédateur.
On peut donc se demander si le motif d’altruisme n’est pas trop souvent
utilisé pour donner bonne conscience sans analyser les mécanismes qui
entraînent les famines et le pillage des ressources du Tiers Monde. Ainsi,
la FAO, qui a dépensé des milliards pour lutter contre la faim dans le
Tiers Monde, reconnaît ne pas avoir atteint son but mais n’analyse pas en
profondeur les vraies raisons de cet échec.
La notion d’altruisme est trop facile à utiliser dans les médias parce qu’elle
fait référence dans notre culture et à des hommes et des femmes qui ont tout
donné. Son usage est révoltant quand il vise à justifier d’autres objectifs.
7
8