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Zidane va-t-il détrôner Platini ? Le “sportif du siècle” va-t-il devenir le patron des Bleus ? Est-il en conflit
avec le rugbyman Abdelatif Benazzi ? La presse populaire, du Parisien à l’Équipe, ne manque pas d’arguments pour entretenir un culte du héros qui relève à la fois du sport et de l’intégration à la française.
par Mogniss H. Abdallah, agence IM’média
Les scores sans précédent de
retour, permettent de dévelop-
rement sa une et ses chroniques
l’audience télévisuelle lors des
per l’identification aux acteurs
tantôt à la grande équipe de la
finales des Coupes du monde de
du sport de haut niveau.
capitale, le Paris-Saint-Germain,
football en 1998 (record absolu
La PQR ne cache généralement
tantôt aux Bleus. Dans les deux
avec 20,6 millions de téléspec-
pas son parti pris pour la grande
cas, le journal souligne les ver-
tateurs, soit 76 % de parts de
équipe locale, contribuant à
tus “intégrationnistes” du sport,
marché) et de rugby en 1999
forger l’état d’esprit du “tous
et il n’hésite pas à insister auprès
(14,2 millions, soit 79,6 %), tous
ensemble”, qui à l’exemple de
des joueurs-vedettes pour qu’ils
deux réalisés par TF1, témoi-
l’Olympique de Marseille ras-
se prononcent ouvertement sur
gnent de l’insolente santé du
semble la population, toutes dif-
le sujet.
sport à la télévision. On en ou-
férences confondues, autour de
blierait presque la presse écrite,
sa ville et de son club. Cette
en particulier les grands jour-
dynamique déjà ancienne de
UN VRAI RÔLE
SOCIAL À JOUER
naux populaires qui traînent sur
communion locale, qui contraste
Ainsi, Ali Benarbia, le meneur
les comptoirs de tous les cafés
avec la bipolarisation entre
de jeu du PSG en 1999-2000, ac-
de France et de Navarre, et qui
grandes équipes rivales d’une
corde une double page d’inter-
dès tôt le matin attisent la ferveur
même ville en Angleterre, en
view au Parisien du 9 juillet 1999.
des lecteurs-consommateurs. La
Italie ou en Espagne (cf. les der-
Sous le titre “J’ai un vrai rôle
presse quotidienne régionale
bys explosifs entre la Juventus
social à jouer”, Benarbia rap-
(PQR), le quotidien France Soir
de Turin et l’AC Torino, ou entre
porte aux journalistes qui l’ac-
ou encore l’Équipe couvrent en
le Barça et l’Espanyol de Barce-
compagnent dans les cafés
effet tous les jours l’actualité
lone), trouve un prolongement
arabes de Barbès les attentes
sportive, et prennent l’avantage
naturel dans l’adhésion collec-
des consommateurs avec les-
sur la télévision de par une
tive à l’équipe nationale de foot-
quels il vient de s’entretenir en
information de proximité ou une
ball ou de rugby. Le Parisien,
arabe. “Ils ont besoin de s’iden-
plus grande exhaustivité qui, en
par exemple, consacre réguliè-
tifier à un joueur qui soit des
N° 1226 - Juillet-août 2000 - 97
LA PRESSE POPULAIRE
AU DIAPASON DE LA FRANCE
“BLACK-BLANC-BEUR”
MÉDIAS
MÉDIAS
✒
et je ferai tout pour
faire venir les Arabes
N° 1226 - Juillet-août 2000 - 98
au Parc des Princes.”
Moins disert mais pourtant omniprésent dans
les colonnes du quotidien, Zinedine Zidane
intervient davantage sur
les aspects sportifs. Tout
au plus concède-t-il :
“Je suis fier d’être Algérien” ; “jamais je n’oublierai d’où je viens.”(1)
Mais il accepte volonMÉDIAS
tiers de se faire prendre
en photo avec sa famille,
et laisse au journaliste
du Parisien Karim Nedjari le soin de tirer les
leçons de son parcours
de champion. Zinedine
Zidane, c’est “la fierté
pour tous ces immigrés d’Afrique du Nord,
silencieux d’une déchirure profonde et intérieure”, écrit ainsi le
chroniqueur sportif le
12 juillet 1998, “pour la
première fois depuis
leurs, de reconnaître leur style
merais que le PSG devienne le
leur arrivée sur le sol français,
de jeu. La côte de popularité
club de tous les Parisiens…
leur nouvelle patrie, qu’ils
des Noirs et des Arabes qui
J’irai moi-même dans les ban-
aiment, ils ont soudé leurs deux
réussissent est très forte auprès
lieues répondre aux questions
cultures. Avec un drapeau algé-
des gens venus de la rue. Pour
que les jeunes se posent. Le fossé
rien et français dans chaque
eux, c’est un espoir supplémen-
qui s’est creusé entre Paris et
main, ils ont cimenté leur iden-
taire de réussir leur intégra-
les banlieues est intolérable.
tité.” Zidane est désormais “un
tion.” Le PSG apparaît aux yeux
Chacun doit avoir la même
symbole d’un pays de toutes les
de beaucoup comme un club de
chance. Ceux qui réussissent
cultures”, conclut-il(2).
riches incapable de cristalliser
doivent se rapprocher des
un imaginaire populaire collec-
moins fortunés. Le public des
1)- Cité par le Parisien du
22 décembre 1998, et du 8 juin 2000.
tif ? Qu’à cela ne tienne : “J’ai-
stades est le reflet de la société
2)- Le Parisien du 22 décembre 1998.
“Ouf ! Ce ne sera pas encore pour
semble recueillir les suffrages
quotidien France Soir, qui titre
cette fois-ci”, se rassure notre
d’une certaine nostalgie “vieille
en une le 22 décembre 1998 :
lecteur en apprenant que le
France”, symbolisée par Michel
“Zidane, t’es le meilleur”, et sur
journal a anticipé sur la réalité.
Hidalgo, sélectionneur des Bleus
sa double page d’ouverture :
Le vétéran Didier Deschamps
de 1976 à 1984, et par Platini
“Zidane, champion de l’inté-
est resté “le patron” officiel.
lui-même, devenu quelque peu
gration”. France Soir et le
C’est que le syndrome Yannick
“pépère”. “Platini était plus lent,
Parisien sont très lus par la
Noah n’a pas complètement dis-
mais aussi plus adroit devant
communauté algérienne, notam-
paru : français lorsqu’il gagnait,
le but”, juge l’ancien avant-centre
ment pour les pages tiercé. Ceci
le champion de tennis redeve-
Jean-Pierre Papin. Zidane est
explique peut-être cela. Il n’en
nait camerounais dès qu’il per-
plus physique, plus rapide, il a
reste pas moins que leur couver-
dait ! Dans un climat de compé-
“la technique en mouvement”.
ture régulière de “l’effet Zidane”
tition impitoyable, être “les plus
Bref, il est plus moderne, en
contribue à inscrire le phéno-
forts”, gagner, relève de l’injonc-
phase avec le football d’aujour-
pour de vieux grincheux
déphasés les analystes
qui pronostiquaient “des
événements présentéistes
qui se vivent et s’épuisent
dans
l’acte”(3).
ZIDANE ÉLU
“SPORTIF
DU SIÈCLE”
La mise en exergue
du rôle de Zidane,
meneur de jeu de l’équipe
nationale française,
a rendu une nouvelle
fierté aux publics
issus de l’immigration.
était plus “opportuniste”,
il ressort du jeu de Zidane
“une immense générosité”.
Il travaille énormément et
“joue pour les autres”.
Cette ode à l’effort verra
Zinedine récompensé : il
est élu “sportif du siècle”
par les lecteurs du même
quotidien.
À force de se focaliser sur
tion permanente. Malheur aux
le génie de Zidane, la presse
meneur de jeu de l’équipe natio-
vaincus ! Et le Parisien du 19 juin
commence néanmoins à provo-
nale française a rendu une nou-
en rajoute : il imagine les Bleus
quer des frustrations chez cer-
velle fierté aux publics issus de
“invincibles”, et cite le joueur
tains. Des vendeurs de jour-
l’immigration. Mais “à force de
Frank Lebœuf : “la France est
naux et des libraires témoignent
charger la baraque (sic) sur les
tout simplement meilleure que
de l’exaspération croissante de
épaules de Zidane, que se pas-
les autres nations”.
certains clients. “L’autre jour,
serait-il si la France perdait ?”,
“Arrêtez de dire qu’on est les
un Antillais qui m’achète le
s’inquiète tel lecteur du Pari-
meilleurs !”, tempère Zidane
Parisien tous les jours s’est vio-
sien, en égrenant les unes du
dans un sursaut d’humilité. Il sait
lemment emporté”, raconte un
journal au début de l’Euro 2000.
que derrière cette prétention de
libraire. “Mon client en rage,
“Zidane prend le pouvoir”, s’en-
supériorité se profile la question
brandissait le journal : ‘Y’en a
flamme ce quotidien le 14 juin
posée dans une pleine page du
que pour Zidane ! Et Thuram
2000, qui voit déjà le “leader
Parisien du 19 juin 2000 : “Qui
naturel de l’équipe de France”
est le meilleur ?” Va-t-il détrô-
porter le brassard de capitaine.
ner Michel Platini ? Ce dernier
La mise en exergue du rôle du
MÉDIAS
d’hui. De surcroît, si Platini
mène dans la durée, au
risque de faire passer
N° 1226 - Juillet-août 2000 - 99
On retrouve ce lyrisme dans le
3)- Michel Maffesoli, sociologue,
in France Soir, 12 juillet 1999.
✒
N° 1226 - Juillet-août 2000 - 100
MÉDIAS
alors ? ! Nous autres les Antil-
auraient dénigré dans la presse
vant, sous le titre “Comme deux
lais, pourquoi on parle jamais
marocaine un Zidane incapable
frères”. Entre eux, écrit Olivier
de nous ?’” Les tensions entre
d’aligner deux phrases de suite,
Margot, “s’est imposée l’idée
communautés immigrées en
et donc indigne de porter le flam-
d’une histoire commune, débu-
France, exprimées à travers l’al-
beau de l’intégration. Benazzi,
tée dès l’enfance, pourtant vécue
légeance à tel ou tel champion,
lui, serait un “vrai” immigré,
de chaque côté de la Méditer-
mettent à mal le bel optimisme
éloquent et conscient, qui se bat
ranée”. Comme pour couper
affiché autour du mythe de la
sur le terrain et défend la cause
court aux ragots, Benazzi dit à
fête universelle du sport. Certes,
jusqu’au Haut Conseil à l’inté-
Zidane : “Ma mère est algé-
elles n’apparaissent souvent que
gration, où il siège. Quand le
rienne de Tlemcen”, et raconte
de façon larvée, sous forme de
Parisien du 16 février 2000 a
ses virées en Algérie pour des
rumeurs colportées au café du
titré “Benazzi : ‘je veux m’as-
mariages. “Le discret maître des
commerce. On est encore loin
seoir à la place de Zidane’”, on
mots” est né à Oujda, au Maroc,
du hooliganisme anglais ou du
a dû se pincer. La presse va-t-elle
près de la frontière avec l’Al-
nationalisme exacerbé d’une par-
à son tour monter en épingle
gérie. Venu à l’âge de vingt ans
tie des supporters turcs. Mais,
l’opposition Zidane-Benazzi ? À
jouer à Cahors puis à Agen, il
insidieuses, elles sont d’autant
la lecture du papier, nous voilà
participe à des matchs interna-
plus difficiles à circonscrire.
rassurés. Il s’agissait d’une bou-
tionaux avec l’équipe de rugby
tade, d’une gauloiserie triviale.
du Maroc, ce qui lui vaudra
LA TROISIÈME
MI-TEMPS
DE BENAZZI
En réalité, les deux champions
quelques tracasseries pour sa
se respectent et s’admirent réci-
sélection sous les couleurs de
proquement. Le journal l’Équipe,
la France lors de la Coupe du
Ainsi, une rumeur persistante a
qui agrège un lectorat au-delà
monde 1991. Benazzi s’imposera
fait circuler le bruit d’un conflit
des clivages idéologiques, orga-
comme capitaine de l’équipe qui
entre Zinedine Zidane et le rug-
nisera une journée-rencontre
remporte le grand chelem en
byman Abdelatif Benazzi, recou-
entre Benazzi et Zidane à Turin
1997, puis comme le joueur
vrant la vieille rivalité entre l’Al-
pour le confirmer, et en publie
emblématique d’un Quinze de
gérie et le Maroc. Des immigrés
le 31 mars 2000 un récit émou-
France qui battra les fameux
All Blacks néo-zélandais lors
d’une magnifique demi-finale de
la Coupe du monde 1999.
Mais la fameuse “troisième mitemps” du rugby, Benazzi la
consacre aussi à l’intégration.
Revenant à sa relation avec
© Amir Nour-Eddine/IM’Média.
Zidane, il affirme : “Entre nous
deux, il y a de la fraternité, mais
aussi une forme de reconnaissance culturelle, raciale, même
si le mot n’est pas tout à fait
juste… Quand, comme Zizou,
on est capable de faire chavirer
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MÉDIAS
de bonheur et de fierté tout un
Kouider, Jean-Pierre Masdoua
tant, même la défaite a semblé
pays, on se dit qu’on aura
ou Kamel Chouaref ont mis en
belle. Tous les journaux ont
quelque chose à raconter à nos
place de nouveaux réseaux asso-
publié un placard publicitaire
enfants. Les différences existent.
ciatifs nationaux comme Sport
de France Télécom à l’effigie
Il faut les respecter et se dire
insertion jeunesse (SIJ) ou Droit
d’Abdelatif, avec un pathétique
que les hommes sont aspirés
de cité, disposant d’importants
“Allo maman bobo”, mettant en
par des émotions communes,
relais institutionnels et média-
exergue le slogan “Communi-
au-delà de l’intolérance, de l’in-
tiques. Abdelatif semble d’ail-
quer est une force”. L’Équipe du
compréhension, des égoïsmes.”
leurs connaître ces acteurs, qui,
8 novembre 1999 a fait sa une
Zidane, admiratif devant cette
comme lui, veulent transmettre
sur un vibrant “hommage aux
éloquence, dit : “Franchement,
les valeurs sportives de volonté
vaincus”, avec un superbe por-
il ne me reste qu’à l’écouter.”
et de travail dans la vie sociale
trait de Benazzi. Tête baissée,
et familiale. Et, à la différence
le bandeau de rugbyman ensan-
TRANSCENDER
LA DÉFAITE
sans doute de Zidane, Benazzi
glanté et l’œil tuméfié, le héros
ne représente pas le modèle de
terrassé qui a voulu décrocher
Benazzi, qui a été décoré de la
la victoire comme une impéra-
la lune dégage une force blessée
Légion d’honneur pour son enga-
tive fin en soi. De ce point de
qui impose le respect. Quand le
gement auprès du Haut conseil
vue, son immense popularité lors
phénomène d’identification à
à l’intégration, consacre aussi
de la Coupe du monde de rugby
un champion issu de l’immigra-
une démarche d’“intégration
en 1999 apporte des enseigne-
tion est capable de transcender
citoyenne par le sport” com-
ments significatifs quant à l’évo-
la défaite à ce point là, on est en
mencée au début des années
lution des esprits. En effet,
droit d’imaginer que la France
quatre-vingt-dix. Des champions
l’équipe de France a perdu sa
“black-blanc-beur” existe bel
de boxe comme Khalil el Kandili,
finale contre l’Australie, et pour-
et bien !
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