Les 10 ans de la loi Leonetti

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Les 10 ans de la loi Leonetti
Les 10 ans de la loi Leonetti :
doit-on encore légiférer sur la fin de vie ?
Colloque organisé par l’Université Lille 2
*****
La fin de vie saisie par le droit : le droit de la fin de vie
*****
Lille, le mardi 24 février 2015
*****
Introduction par Jean-Marc Sauvé 1 ,
vice-président du Conseil d’Etat
Mesdames et Messieurs,
Alors que, selon les travaux de Philippe Ariès, la personne malade a été
progressivement assimilée à partir du XIXème siècle à un mineur, « privé de ses droits et en
particulier du droit jadis essentiel de connaître sa mort, de la préparer et de l’organiser » 2 ,
notre époque semble se caractériser par un phénomène nouveau et remarquable, dont le droit
est à la fois le vecteur et le ferment : la tentative de réappropriation de la fin de la vie, sinon
des derniers instants. Si la fin de vie s’est médicalisée, elle est en effet devenue le temps de
l’exercice de droits nouveaux. Ce sont d’abord les droits généraux du malade, qui est tenu
informé de la gravité et de l’évolution de son affection, donne un consentement libre et éclairé
aux soins qu’il reçoit et participe ainsi par ses choix à la conduite de sa prise en charge
médicale. Mais ce sont aussi les droits spécifiques de la fin de vie reconnus notamment par la
loi du 22 avril 2005. La condition du patient moderne s’éloigne ainsi de la situation décrite
par Tolstoï 3 du malade tenu par son entourage et par le corps médical dans l’ignorance de sa
pathologie et « condamné à un état de puérilité » 4 .
Le droit de la fin de vie est, d’abord, celui des patients, de tous les patients, de ceux
qui sont conscients et lucides, comme de ceux qui ne sont plus en état d’exprimer leur
volonté. Ce droit est aussi celui des professionnels de santé : il sécurise les procédures
médicales ; il précise les obligations d’abstention ou d’intervention ; il délimite les
responsabilités de chacun. Le droit de la fin de vie intègre ainsi les exigences parfois
concurrentes de liberté, de dignité et de protection de la vie. L’évolution des techniques
médicales impose à intervalles réguliers de réexaminer la pertinence des dispositifs en vigueur
1
Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour
administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
2
P. Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Du Moyen Âge à nos jours, éd. du Seuil, 1975, p. 172.
3
L. Tolstoï, La mort d’Ivan Ilitch, éd. Folio Classique, 1997.
4
P. Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Du Moyen Âge à nos jours, éd. du Seuil, 1975, p. 205.
1
et de veiller continûment à l’effectivité des garanties offertes aux patients. Après 10 ans
d’application de la loi du 22 avril 2005, un premier bilan montre les atouts de notre
législation, mais souligne aussi nos marges de progression. Je souhaiterais revenir brièvement
sur les protections apportées au respect de la volonté libre et éclairée du patient en fin de vie
(I), avant d’envisager quelques pistes de perfectionnement (II).
*
*
*
I. L’état des lieux ou comment garantir le respect de la volonté libre et éclairée du
patient en fin de vie, qu’il soit en état de l’exprimer ou non.
Dans le sillage des lois du 9 juin 1999 5 et du 4 mars 2002 6 , garantissant les droits
fondamentaux des malades et le droit d’accès aux soins palliatifs, la loi du 22 avril 2005 7 , dite
« Loi Leonetti », a sécurisé et renforcé les capacités d’autodétermination des usagers se
trouvant en situation de fin de vie. Elle pose en effet un cadre général qui autorise la
limitation ou l’arrêt de traitements et s’applique à des situations de « fin de vie » - proche ou
imminente 8 -, comme à des processus pouvant y conduire 9 (A), dans le respect des volontés
exprimées ou présumées du patient (B).
A. Lorsqu’il est envisagé de limiter ou d’arrêter des traitements, le droit actuel
distingue deux situations, selon que le patient est ou non en état d’exprimer sa volonté.
1. Lorsque le patient refuse un traitement dont l’absence ou l’arrêt met sa vie en
danger, sa volonté consciente, libre et éclairée doit être respectée par le médecin, qui doit
cependant « tout mettre en œuvre pour [..] convaincre [cette personne] d’accepter les soins
indispensables » et exiger d’elle une réitération claire de sa volonté dans un délai
raisonnable 10 . Dans ce cas, la mise en danger de sa propre vie, pouvant conduire au décès,
n’est limitée ni à l’hypothèse d’une « fin de vie », c’est-à-dire, au stade avancé ou terminal
d’une affection grave et incurable 11 , ni à celle d’une « obstination déraisonnable » 12 . Qu’il
soit ou non en « fin de vie », le patient peut en effet s’opposer non seulement à un traitement
inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, mais
aussi « à un traitement qu’il refuserait pour toute raison qui lui serait personnelle » 13 . Selon la
loi du 22 avril 2005, telle qu’interprétée par le Conseil d’Etat, le droit personnel de refuser un
traitement revêt une « portée générale » 14 : il n’est limité ni par l’état de santé du patient, ni
par la nature ou l’effet des traitements qu’il subit. Ce droit du patient ne saurait cependant
s’exercer d’une manière isolée : il est indissociable du droit à être informé par un médecin sur
« les conséquences de ses choix » 15 et, d’une manière générale, du droit d’être informé sur
5
Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.
Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
7
Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
8
L’art. L. 1111-13 du code de la santé publique, inséré dans la section intitulée « Expression de la volonté des
malades en fin de vie », mentionne la situation des personnes « en phase avancée ou terminale d’une affection
grave et incurable » et « hors d’état d’exprimer [leur] volonté ».
9
L’art. L. 1111-4 du code de la santé publique, inséré dans la section intitulée « Principes généraux », mentionne
« la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ».
10
Al. 2 art. L. 1111-4 du code de la santé publique.
11
Hypothèse que prévoit l’art. L. 1111-10 du code de la santé publique.
12
Al. 2 art. L. 1110-5 du code de la santé publique.
13
La révision des lois de bioéthique, étude du Conseil d’Etat, éd. La documentation française, 2009, p. 105.
14
CE, Ass., 14 février 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 10.
15
Al. 2 art. L. 1111-4 du code de la santé publique.
6
2
son état de santé, sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention
proposées et, en particulier, sur les risques graves, fréquents ou normalement prévisibles que
comporte leur mise en œuvre ou leur absence, en cas de refus 16 .
2. Lorsque le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut
limiter ou arrêter un traitement que dans le seul cas où celui-ci constitue une « obstination
déraisonnable » 17 , qu’il soit inutile, disproportionné ou qu’il n’ait d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie. Pour autant, dès lors que l’une de ces conditions est remplie,
l’arrêt peut être décidé que le patient soit 18 ou non 19 en fin de vie et quelle que soit la nature
du traitement prodigué. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat, « le législateur a entendu inclure
au nombre des traitements susceptibles d’être limités ou arrêtés, au motif d’une obstination
déraisonnable, l’ensemble des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des
fonctions vitales du patient » 20 et, notamment, l’alimentation et l’hydratation artificielles 21 . Si
le Conseil d’Etat n’a pas entrepris de définir plus précisément en quoi consiste l’obstination
déraisonnable, il a en revanche mis l’accent sur la méthodologie permettant de déterminer si,
quand et comment un traitement médical peut être arrêté ou limité : sur quels critères précis et
dans quelles conditions une telle décision peut-elle être prise ? Cette méthodologie doit
permettre, comme y insiste le Conseil d’Etat, d’appréhender chaque situation dans sa
singularité 22 . Le médecin doit tout d’abord, en présence d’un malade hors d’état d’exprimer
sa volonté et dont le maintien en vie dépend de la poursuite d’un traitement, se fonder sur des
éléments médicaux qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés
collégialement et porter sur l’état de santé actuel et prévisible du patient, sur l’évolution de cet
état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur la souffrance éventuelle et sur le
pronostic clinique 23 . Mais le médecin doit aussi prendre en compte la volonté que le patient
peut avoir antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et le sens. Si « le poids
respectifs de ces éléments médicaux et non médicaux ne peut être prédéterminé et dépend des
circonstances particulières à chaque patient »24 , le Conseil d’Etat a précisé que le médecin
doit accorder une « importance toute particulière » 25 à la volonté du patient. De même, il a
tenu à rappeler, dans son analyse de la compatibilité de la loi du 22 avril 2005 avec la
convention européenne des droits de l’Homme, que doivent être respectées les garanties
tenant notamment à la prise en compte des souhaits exprimés par le patient 26 .
Compte tenu des conséquences potentiellement graves et irréversibles d’un arrêt de
traitement, des garanties procédurales ont été établies pour sécuriser le bien-fondé médical et
16
Al. 1 art. L. 1111-2 du code de la santé publique.
Al. 2 art. L. 1110-5 du code de la santé publique.
18
Art. L. 1111-13 du code de la santé publique.
19
Al. 5 art. L. 1111-4 du code de la santé publique.
20
CE, Ass., 14 février 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 12.
21
Comme l’a précisé l’étude réalisée sur la révision des lois de bioéthique (précitée, pp.106-107), « L’ensemble
des débats montrent toutefois que le Parlement a fait sienne la lecture du rapporteur. Ainsi, lors du débat au
Sénat, un amendement tentant de limiter les cas où il serait légal de procéder à l’arrêt de l’alimentation et de
l’hydratation a été repoussé. Même si, symboliquement, l’arrêt de l’alimentation d’un patient semble opérer une
transgression plus forte que les autres gestes, du point de vue médical, l’ensemble des actes de suppléance vitale
sont du même ordre. On doit donc tirer des débats parlementaires l’idée que le législateur a bien entendu inclure
l’arrêt des suppléances vitales dans la notion de traitement et qu’il a particulièrement examiné le cas de
l’alimentation car c’était celui qui posait le plus question. »
22
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n° 375081, pt. 17.
23
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n° 375081, pt. 17.
24
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 17.
25
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 17.
26
CE, Ass, 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt 13.
17
3
déontologique de cette décision. D’une part, celle-ci doit s’appuyer sur le plus grand
consensus médical : l’équipe de soins, si elle existe, doit être consultée ainsi qu’au moins un
autre médecin, non lié hiérarchiquement à celui qui a eu l’initiative de la procédure d’arrêt de
traitement 27 . D’autre part, cette décision doit « prendre en compte » les souhaits que le patient
aurait antérieurement exprimés, l’avis de la personne de confiance, si elle a été désignée, ainsi
que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un des proches 28 . Au terme de cette procédure, le
médecin peut ainsi être tenu de consulter jusqu’à sept catégories de personne, sans toutefois
être lié par chacun des avis recueillis.
B. Afin de présumer au mieux ce qu’aurait été la volonté consciente du patient,
un dispositif de directives anticipées lui permet d’indiquer au médecin ses souhaits
« relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de
traitement » 29 .
Lorsqu’un médecin estime qu’un traitement constitue une obstination déraisonnable, il
peut décider d’arrêter ou de limiter ce traitement. Avant de prendre une telle décision et
lorsque le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, il doit préalablement s’enquérir de
l’existence d’éventuelles directives anticipées 30 et, le cas échéant, il doit les prendre dûment
en compte 31 . Si le pouvoir d’appréciation du médecin est contraint par l’existence de
directives anticipées régulières, il n’est pas lié par elles. Ces directives doivent en effet être
conciliées avec la prise en compte et la mise en balance des éléments médicaux relatifs à l’état
de santé du patient, mais aussi d’autres éléments, non médicaux, permettant d’éclairer sa
volonté à partir de son cheminement personnel, de ses choix spirituels ou philosophiques, tels
qu’ils peuvent émaner de son entourage.
En outre, si les directives anticipées ne peuvent lier le pouvoir d’appréciation du
médecin, leur absence n’a pas de pouvoir bloquant. Le médecin peut, en effet, tenir compte
des souhaits du patient, lorsqu’ils sont exprimés sous une autre forme, par exemple au travers
de témoignages des membres de sa famille ou de proches. Il examine alors, éventuellement
sous le contrôle du juge, le caractère probant de ces témoignages et leur cohérence avec « la
personnalité, l’histoire et les opinions personnelles du patient » 32 . Lorsque des avis divergents
sont exprimés, parfois dans des circonstances très difficiles, le médecin s’efforce de dégager
une position consensuelle, mais l’absence d’opinion unanime ne saurait à elle seule faire
obstacle à sa décision d’arrêt de traitement 33 . A contrario, le médecin ne saurait être lié par un
consensus familial, quels que soient son étendue et son sens 34 . Si au terme de ses
investigations, il lui apparaît que la volonté du patient reste inconnue, celle-ci « ne peut être
présumée comme consistant en un refus (…) d’être maintenu en vie » 35 .
27
II de l’art. R. 4127-37 du code de la santé publique.
Al. 5 de l’art. L.1111-4 et II de l’art. R. 4127-37 du code de la santé publique.
29
Al. 1 art. L. 1111-11 du code de la santé publique.
30
R. 1111-20 du code de la santé publique.
31
Art. L. 1111-13 du code de la santé publique.
32
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 30.
33
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 31.
34
Le médecin peut ainsi refuser d’engager une procédure d’arrêt de traitement et décider le transfert d’un patient
vers une unité de soin d’éveil, contre l’avis du conjoint, voir TA de Strasbourg, ord., 7 avril 2014, Mme Shirer
épouse Thiébault et Mlle Thiébaut c/ Hôpitaux civils de Colmar et Hôpitaux universitaires de Strasbourg,
n°1401623.
35
CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°375081, pt. 17.
28
4
Après la présentation de l’état des lieux, c'est-à-dire des règles destinées à garantir le
respect de la volonté du patient, il faut maintenant examiner les voies d’améliorations
possibles de sa situation en fin de vie.
II. Les perspectives ou comment rendre plus effectifs les droits des patients en fin
de vie.
Après 10 ans d’application de la loi du 22 avril 2005, force est de constater que ni les
patients, ni les professionnels de santé ne se sont vraiment approprié les droits et les
procédures prévues pour sécuriser les situations de fin de vie. C’est dans ce contexte qu’est
présentée la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des
personnes en fin de vie, présentée par MM. Claeys et Leonetti. Il s’agit de rendre plus
effectifs leurs droits et de permettre la prise en charge de certaines situations délicates et
parfois conflictuelles(B). C’est le cas en particulier lorsque le patient n’est pas en état
d’exprimer sa volonté et que le médecin est, par suite, contraint de la présumer à partir d’un
faisceau d’indices non hiérarchisés et éventuellement divergents (A).
A. Selon les données de l’Institut national des études démographiques (INED), seules
2,5% des personnes décédées ont rédigé des directives anticipées 36 . En outre, une décision
d’arrêt de traitement est prise près d’une fois sur deux sans que la famille y soit associée, alors
même que plus des deux tiers de ces décisions concernent des patients qui n’étaient pas en
état d’exprimer leur volonté 37 . Les facteurs expliquant cette application limitée sont de
plusieurs ordres : ils tiennent à l’inexistence, au caractère parfois inexploitable et à
l’inaccessibilité des directives.
1. Le premier facteur consiste en un manque d’information des personnes sur
l’existence et les modalités de ce dispositif, comme l’ont montré les conclusions du débat
public sur la fin de vie 38 . Cette carence vise en particulier les personnes souffrant d’une
affection potentiellement grave, auxquelles il est rarement proposé de consigner leurs
directives lors de leur prise en charge.
Lorsqu’elles sont informées de l’existence de ce dispositif, les personnes concernées
peuvent en outre être dissuadées de formaliser leurs directives, soit en raison de la complexité
des données médicales et éthiques à prendre en compte, soit en raison d’une indétermination
de leurs préférences et même d’une certaine méfiance à l’égard de leurs propres prédictions
en matière de fin de vie, soit parce que ces directives ne revêtent qu’une portée consultative et
non contraignante à l’égard du corps médical 39 .
2. Lorsqu’elles sont rédigées, les directives peuvent être inexploitables, soit parce
qu’elles n’ont pas été actualisées trois ans après leur rédaction, soit parce que les options
thérapeutiques envisagées ne sont pas pertinentes au regard de l’état de santé du patient, soit
parce que les choix retenus par ce dernier sont présentés d’une manière insuffisamment
précise et circonstanciée. Ces lacunes tiennent notamment à l’absence de formulaire-type
élaboré en fonction de la nature et du degré d’avancement des affections graves les plus
répandues.
36
« Les décisions médicales en fin de vie », Population & Société, INED, n°494, novembre 2012, p. 4.
« Les décisions médicales en fin de vie », Population & Société, INED, n°494, novembre 2012, pp. 3-4
38
Rapport du Comité consultatif national d’éthique sur le débat public concernant la fin de vie, octobre 2014, p.
25.
39
IGAS, Fiches contributives à la mission de réflexion sur la fin de vie, décembre 2012, RM2012-157, p. 26.
37
5
3. Enfin, même valides, précises et pertinentes, les directives anticipées demeurent
souvent peu accessibles au corps médical qui n’est pas systématiquement informé de leur
existence et pas toujours en temps utile 40 . Si les directives anticipées sont l’expression d’un
choix personnel, elles ne sauraient cependant être un choix isolé, ni rester un choix totalement
secret. Elles doivent être prises à la lumière des informations médicales et des conseils
délivrés par un médecin de référence. Dans le respect des règles de confidentialité et de secret,
elles doivent être communiquées au médecin de ville 41 et, en cas d’hospitalisation, être
versées au dossier médical 42 . Elles peuvent aussi être transmises à une personne de confiance,
à un membre de sa famille ou à un proche 43 . Leur diffusion n’implique pas nécessairement
communication de leur contenu, mais, au moins, comme le prévoit déjà le code de la santé
publique 44 , des mesures de publicité ou de signalement quant à leur existence, le patient
restant libre d’organiser leur divulgation à différents degrés et selon ses préférences
personnelles.
B. Une rénovation du dispositif actuel paraît ainsi souhaitable. Dans la
perspective de la réforme de notre législation, plusieurs points méritent une attention
particulière.
1. En premier lieu, il est proposé par la proposition de loi créant de nouveaux droits en
faveur des malades et des personnes en fin de vie de renforcer l’autorité des directives
anticipées et de leur donner une force contraignante. Mais ce renforcement ne saurait conduire
à des décisions automatiques d’arrêt ou de limitation de traitement susceptibles de
méconnaître des directives postérieures contraires du patient ou d’annihiler le pouvoir
d’appréciation des médecins.
Car les directives anticipées ne sauraient être opposables au patient lui-même. Ses
droits de rectification et de révocation doivent être préservés et même « sanctuarisés » : tout
patient, par tout moyen et à tout moment, doit être en mesure de modifier ou de supprimer
aisément et sans formalité les directives qu’il a rédigées45 . Lorsque le patient est dans un état
d’inconscience, ses directives expriment une présomption de volonté ; elles sont une
approximation, certes très forte, de ce qu’aurait été sa volonté consciente. Mais cette
présomption ne peut être irréfragable : elle doit pouvoir être écartée, lorsqu’un faisceau
40
Voir, sur ce point Penser solidairement la fin de vie, rapport à François Hollande, Président de la République
française, Commission de réflexion sur la fin de vie en France, 18 décembre 2012, p. 46. L’article R. 1111-19 du
code de la santé publique dispose cependant que « les directives anticipées doivent être conservées selon des
modalités les rendant aisément accessibles pour le médecin appelé à prendre une décision de limitation ou d'arrêt
de traitement dans le cadre de la procédure collégiale définie à l'article R. 4127-37 ».
41
Al. 2 art. R. 1111-19 du code de la santé publique.
42
Al.4 art. R. 1111-19 du code de la santé publique.
43
Al. 3 art. R. 1111-19 du code de la santé publique.
44
L’al. 3 de l’art. R. 1111-19 du code de la santé publique prévoit ainsi que « les directives anticipées peuvent
être (…) confiées par [leur auteur] à la personne de confiance mentionnée à l’article L. 1111-6 ou, à défaut, à un
membre de sa famille ou à un proche. Dans ce cas, leur existence et les coordonnées de la personne qui en est
détentrice sont mentionnées, sur indication de leur auteur, dans le dossier constitué par le médecin de ville ou
dans le dossier médical défini à l'article R. 1112-2. ». L’al. 4 du même article précise en outre que « toute
personne admise dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social peut signaler l'existence
de directives anticipées ; cette mention ainsi que les coordonnées de la personne qui en est détentrice sont
portées dans le dossier médical défini à l'article R. 1111-2. »
45
Voir art. L. 1111-11 et art. R. 1111-18 du code de la santé publique.
6
d’indices probants et circonstanciés démontre qu’elles ne correspondent plus à la volonté du
patient.
En outre, le caractère contraignant des directives à l’égard des médecins ne saurait être
absolu. Compte tenu des effets potentiellement irréversibles d’un arrêt ou d’une limitation de
traitement, plusieurs clauses de sauvegarde doivent pouvoir être actionnées par le médecin.
En cas d’urgence vitale, le médecin n’ayant pas connaissance des directives doit pouvoir
intervenir sans risquer de commettre une illégalité. Il doit aussi pouvoir être délié de
l’obligation de les suivre, lorsqu’elles lui apparaissent manifestement inappropriées à la
situation médicale du patient. Enfin, il ne saurait être lié par des directives illégales, qui lui
prescriraient par exemple de donner délibérément la mort.
2. En second lieu, lorsqu’est arrêté ou limité un traitement, doit être envisagée, en
aval, une prise en charge palliative visant, le cas échéant, « à soulager la douleur, à apaiser la
souffrance physique, à sauvegarder la dignité du malade et à soutenir son entourage » 46 . Ce
droit aux soins palliatifs, déjà reconnu 47 , n’est pas pleinement effectif, y compris en situation
de fin de vie. Selon l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), sur les 91% des
patients décédés à l’hôpital en court séjour et susceptibles de bénéficier de soins palliatifs,
seul un tiers d’entre eux ont effectué un séjour identifié comme comportant de tels soins48 . Un
constat encore plus alarmant a été fait en ce qui concerne les décès survenus dans les services
d’urgence 49 . Les facteurs de la carence des soins palliatifs sont multiples et tiennent
notamment à des disparités locales mais aussi à l’absence d’une « culture palliative » qui
conjuguerait soins palliatifs et curatifs 50 . C’est dans ce contexte que la proposition de loi
présentée par MM. Claeys et Leonetti entend renforcer les droits existants des malades en fin
de vie et consacrer un droit nouveau. Elle propose en effet de réaffirmer sans restrictions le
droit à la limitation et à l’arrêt des traitements, le droit à l’accompagnement médical, le droit à
ne pas souffrir et, en outre, d’ouvrir un droit nouveau : le droit à une mort apaisée par une
sédation profonde et continue, associée à l’arrêt de tout traitement, lorsque le pronostic vital
est engagé à court terme.
Ce droit, mis en œuvre à la demande expresse du patient ou selon ses volontés
présumées, serait déclenché dans trois cas 51 :
- lorsque le patient, atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est
engagé à court terme, présente une souffrance réfractaire au traitement ;
- lorsque la décision du patient, atteint d’une affection grave et incurable, d’arrêter un
traitement engage son pronostic vital à court terme ;
- lorsque, sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et du respect de la
procédure collégiale, la poursuite des soins constitue, pour un patient hors d’état
d’exprimer sa volonté, une obstination déraisonnable.
46
Art. L. 1110-10 du code de la santé publique.
Voir la consécration de ce droit : al. 4 art. L. 1110-5 et art. L. 1110-9 du code de la santé publique. Voir en cas
d’arrêt ou de limitation d’un traitement à la demande du patient : al. 2 de l’art. L. 1111-4 du code de la santé
publique ; en cas d’arrêt ou de limitation d’un traitement constitutif d’une obstination déraisonnable et subi par
un patient hors d’état d’exprimer sa volonté : al. 2 art. L. 1111-13 du code de la santé publique.
48
IGAS, Fiches contributives à la mission de réflexion sur la fin de vie, décembre 2012, RM2012-157, p. 11.
49
IGAS, Fiches contributives à la mission de réflexion sur la fin de vie, décembre 2012, RM2012-157, p. 12.
50
Voir, sur ce point Penser solidairement la fin de vie, rapport à François Hollande, Président de la République
française, Commission de réflexion sur la fin de vie en France, 18 décembre 2012, p. 35.
51
Rapport de présentation et texte de la proposition de loi de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, créant de
nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, pp. 21-23.
47
7
C’est cet ensemble de dispositions qui vont être prochainement soumises à la
délibération de la Représentation nationale.
*
*
*
Si les droits des patients en fin de vie n’ont cessé de se développer et de se renforcer
mutuellement, il est à présent nécessaire d’évaluer la clarté et l’effectivité des dispositifs
existants et d’envisager de nouvelles étapes. Je ne doute pas que les travaux d’aujourd’hui
puissent y contribuer. Je laisse par conséquent la parole à Mme Coralie Leuzzi, doctorante et
chercheuse à l’Université Lille 2, sur le thème « Vulnérabilités et fin de vie », avant d’écouter
ma collègue Sophie-Caroline de Margerie sur le traitement procédural de l’affaire Lambert,
Mme Madeleine Munier-Apaire, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, sur le
passage du référé-liberté au référé sur la vie, et enfin Mme Johanne Saison, maître de
conférences à l’Université Lille 2, sur les droits des patients en vie de vie.
8

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