L`équipement médical est-il taxable?
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L`équipement médical est-il taxable?
Jurisprudence médicale L’équipement médical est-il taxable? Les frais de bureau des omnipraticiens et spécialistes en cabinets privés auraient pu subir des hausses importantes Le 10 août 2005, le juge Peter Bradley, de la Cour du Québec, est venu confirmer une décision rendue près de 15 mois plus tôt par le Tribunal administratif du Québec (TAQ), dans laquelle on refusait à la Ville de Québec le droit d’ajouter à l’évaluation foncière des immeubles sur son territoire la valeur des équipements médicaux des cliniques médicales. L’oto-rhino-laryngologiste Raymond Thériault, propriétaire du Centre médical Mailloux sur le boulevard Sainte-Anne à Québec, abritant notamment plusieurs cliniques médicales, avait vu le rôle de la valeur foncière de son immeuble passer radicalement de 2 M$ à 5,07 M$ entre 2001 et 2004, après qu’un de ses locataires eût installé deux appareils d’imagerie par résonance magnétique et un appareil de tomodensitométrie. Cette augmentation dans la valeur foncière de l’immeuble entraînait des taxes supplémentaires annuelles de plus de 100 000 $, montant qui aurait pu être refilé en partie aux médecins locataires. La Ville de Québec avait même exigé un remboursement rétroactif des taxes des années passées pour un total de 225 000 $. La décision rendue par le TAQ, rapportée en partie ici, est instructive tant pour les propriétaires de cliniques médicales que pour les milliers de médecins, omnipraticiens et spécialistes qui pratiquent au moins une journée par semaine en cabinet privé. En effet, les projets de la Ville de Québec, qui auraient pu s’étendre à toute la province si le Tribunal lui avait donné raison, misaient par la suite sur une taxation massive des chaises de dentistes et de médecins, notamment en cabinet privé. La toile de fond Tout a débuté en septembre 1998, lorsqu’un locataire de l’immeuble, Clinique de radiologie St-Pascal et les radiologistes de l’hôpital de l’EnfantJésus, a installé dans ses locaux un appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) acheté au coût de 1 260 000 $. Quatre ans plus tard, en septembre 2002, le locataire installe un 30 S A N T É I N C . M A I / J U I N 2 0 0 6 second appareil d’imagerie par résonance magnétique et un appareil de tomodensitométrie (TACO), acquis respectivement pour la somme de 1 387 385 $ et 388 475 $. D’entrée de jeu, il convient de préciser que l’unité d’évaluation est formée d’un édifice commercial de deux étages avec un sous-sol aménagé, un terrain de 45 800 pieds carrés et 101 cases de stationnement asphalté. Le locataire avait du même coup entrepris des investissements immobiliers de 150 000 $ au printemps 2002, avec émission de permis de la Ville, pour l’agrandissement de la clinique radiologique au sous-sol, au rez-de-chaussée et au premier étage. C’est ainsi qu’en août 2003, l’évaluateur municipal émettait successivement deux avis de modification du rôle de la valeur foncière de l’immeuble, avec les caractéristiques qui suivent. Ce faisant, la valeur de l’évaluation municipale de l’immeuble faisait un bond de 2 M$ à 5,07 M$ : inscription au rôle d’un TACO Siemens 1998 et d’un IRC Siemens 1998, d’une valeur contributive de 1,87 M$ et inscription au rôle d’un IRC Siemens 2002 et travaux de réaménagement d’une valeur contributive de 1,2 M$. Loi sur la fiscalité municipale C’est dans ce contexte que le Dr Thériault a contesté devant le Tribunal administratif du Québec les avis fonciers de la Ville de Québec. Bien que les trois équipements au cœur du litige soient des meubles « attachés », ils ne sont Jurisprudence médicale ou pérennité. En effet, le roulement de ces appareils est relativement élevé dans ce domaine hautement spécialisé qui souffre d’une désuétude technologique accélérée. La volonté démontrée par le locataire de changer les appareils selon l’échéance de leur vie technologique utile et d’enlever ces appareils de très grande valeur à la fin du bail contredit l’intention que lui prête l’intimée d’attacher ces meubles pour une période indéfinie. pas boulonnés au plancher de l’immeuble. L’équipement médical peut-il alors être considéré « immeuble » au sens de la Loi sur la fiscalité municipale? Le Tribunal a été appelé dans le passé à statuer à plusieurs reprises sur les portées de la définition du concept d’« immeuble » au sens de la Loi sur la fiscalité municipale. Sa plus récente analyse est ainsi libellée : un objet mobilier attaché à perpétuelle demeure par n’importe qui à un immeuble par nature. Basé sur cette définition, l’enjeu était énorme : tous les appareils médicaux boulonnés ou solidement fixés au sol sont-ils des immeubles pour autant? Ce faisant, tous ces équipements essentiels à la médecine seraient-ils comptabilisés au rôle d’évaluation foncière des édifices qui les abritent? C’est ce qu’espérait la Ville de Québec. « Deux autres cliniques médicales, à Sainte-Foy et à Gatineau, ont également reçu dernièrement des hausses importantes au rôle d’évaluation foncière, à la suite de la taxation d’équipement médical », nous disait le Dr Thériault. « J’ai investi près de 60 000 $ en frais d’avocat (pour faire annuler les certificats d’évaluation et éviter les déboursés en taxes pour des années à venir); le jugement servira assurément de jurisprudence pour tous mes collègues. » Pour trancher dans le présent litige, le TAQ doit donc se pencher principale- « Deux autres cliniques médicales, à Sainte-Foy et à Gatineau, ont également reçu dernièrement des hausses importantes au rôle d’évaluation foncière, à la suite de la taxation d’équipement médical » ment sur le concept d’attache « à perpétuelle demeure ». C’est donc dire que la Cour doit étudier le lien qui existe entre les appareils médicaux et l’immeuble. En d’autres mots, advenant le départ de la clinique radiologique, estce que l’immeuble serait encore fonctionnel ou habitable? Les appareils sontils essentiels à la vocation de l’édifice? À cette fin, certains facteurs, comme l’utilisation des lieux, la nature ou la vocation d’un bâtiment, la nécessité d’un objet pour une entreprise ou un bâtiment, sont souvent considérés comme des indices précieux pour établir l’intention d’attacher à perpétuelle demeure. Pour répondre à ces questions, le TAQ s’est basé sur des preuves solides et une inspection des bâtiments. Il est arrivé aux conclusions suivantes : > L’on voit que ces appareils sont appelés à être remplacés, changés, déplacés, désinstallés, modifiés, réinstallés fréquemment, une situation qui est difficilement compatible avec le caractère d’une certaine permanence > En acceptant la définition de la Ville de Québec et en qualifiant d’immeubles les appareils médicaux du présent litige, le Dr Thériault se retrouverait à remettre plus de 130 000 $ en frais de taxes supplémentaires, ce qui ferait considérablement baisser les revenus nets opérationnels de son édifice. Puisque la valeur d’un édifice est basée sur sa capacité à générer des revenus nets, la valeur économique de son édifice se verrait réduite de moitié. Pourtant, les évaluateurs des deux parties s’entendent pour dire que la valeur de l’édifice, sans l’ajout au rôle foncier des appareils médicaux, est de 2 M$, ce qui ne ferait aucun sens advenant le nouveau rôle foncier. > La preuve révèle que l’immeuble sous étude est un édifice commercial mixte comprenant des commerces, des bureaux administratifs, des bureaux de médecins, des laboratoires, des cliniques de radiologie, etc. Ces bureaux et salles d’examen de médecins pourraient être consacrés à d’autres services professionnels du type comptabilité, assurances, finance, administration, etc. La vocation de l’immeuble n’est pas strictement médicale et limitée à cette fin. Les revenus de location au pied carré de l’immeuble sont représentatifs du marché économique d’un tel édifice; rien ne permet donc de singulariser ce bâtiment ou de le qualifier d’« hospitalier » ou de « médical », liant l’appareil à l’immeuble. La destination commerciale des lieux pourrait très bien se réaliser en l’absence de ces appareils, tout comme c’était d’ailleurs le cas en 2002 avant l’entrée des plus récents équipements. 31 M A I / J U I N 2 0 0 6 S A N T É I N C . Jurisprudence médicale > S’appliquant par ailleurs à établir l’attache « à perpétuelle demeure », le représentant de la Ville de Québec fait une preuve documentaire élaborée des travaux qu’a nécessités l’installation de ces appareils, soulignant notamment le fait qu’un mur a dû être ouvert pour permettre l’entrée de l’un des appareils, que des volées d’escalier ont dû être temporairement enlevées et replacées pour permettre le levage d’un autre appareil et que le plancher de l’étage a dû être renforcé sous l’un des appareils. Outre le fait que ces travaux n’ont laissé aucune trace ni changé la destination ou la configuration du bâtiment, la partie adverse a quant à elle souligné que c’est justement parce que le bâtiment est non dédié à cette utilisation qu’ils ont dû être entrepris. > Dans le même ordre d’idées, on présente le cas d’une clinique similaire, la Clinique St-Louis, logée dans un bâtiment récemment construit qui abrite un IRM neuf où on a prévu des portes de dimensions appropriées pour y faire entrer et sortir au besoin de tels appareils, qui ne sont par ailleurs pas boulonnés. De par ces caractéristiques, le représentant de l’évaluateur municipal ne peut que constater qu’il ne songerait pas, dans de telles conditions, à leur attribuer une qualité d’immeuble au sens de la Loi sur la fiscalité municipale. Aux yeux du TAQ, le résultat d’une telle interprétation est inquiétant. Ainsi, les mêmes appareils que ceux sous considération, « L’intention du législateur ne peut être d’infliger un traitement fiscal différent à deux équipements entre lesquels il n’y a aucune différence objective. » servant aux mêmes fins, mais localisés dans un bâtiment différent, voire voisin, échapperaient au fisc du simple fait qu’ils peuvent être entrés et sortis sans travaux particuliers. Le TAQ voit ici une conséquence incohérente avec l’objet de la loi. L’intention du législateur ne peut être d’infliger un traitement fiscal différent à deux équipements entre lesquels il n’y a aucune différence objective. > Si l’objet n’est utile qu’à l’exploitation du commerce, sans qu’il soit utile à l’im- meuble lui-même dans lequel on veut exploiter un commerce, on ne peut alors conclure que cet objet est attaché à perpétuelle demeure. Ce serait par exemple le cas d’une caisse enregistreuse qui, bien qu’étant utile à l’exploitation d’un restaurant, n’ajoute rien à l’immeuble luimême, ne le complète en rien, même en tenant compte de la vocation spécialisée de l’immeuble. Dans ce cas, seule la clinique de radiologie serait affectée par l’absence des appareils. Pour toutes ces raisons, la TAQ a accueilli les recours du Dr Thériault et a déclaré inopportuns les deux certificats successifs de l’évaluateur municipal. La valeur de son immeuble a été remise à 2 M$. La Ville de Québec a porté la cause en Cour du Québec, qui a confirmé à son tour le jugement du Tribunal administratif du Québec. Maintenant, avis aux intéressés : si le propriétaire de votre édifice ou de votre bureau médical tente de vous refiler une hausse de frais de bureau ou de loyer, assurez-vous que sa demande ne soit pas motivée par une municipalité un peu trop gourmande… ⌧