Trop chers traders
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Trop chers traders
zoom : 63% L'enquête 21/10/2009 page : 10 1/1 DES MONTANTS EXORBITANTS Â Pour garder ses meilleurs traders, BNP Paribas leur a offert près de 100.000 actions. Â Grâce à l’envolée des cours, ces primes ont atteint entre 4 et 7 millions d’euros pour les six plus gros traders. Â Les hedge funds versent aux traders débauchés chez BNP Paribas et Société Générale jusqu’à 50 % des gains réalisés. Trop traders En 2008, les champions des calculs algorithmiques ont été presque les seuls à avoir fait gagner de l’argent à BNP Paribas comme à la Société Générale. Que les marchés baissent ou montent, leur savoir-faire génère des centaines de millions d’euros de bénéfices. Mais ils sont très gourmands. Mécontents de voir leurs bonus restreints, ils vont voir ailleurs. volatilité des marchés. Et ce savoir-faire généraPAR MATTHIEU PECHBERTY teur de gros profits a fait d’eux les nouvelles stars des banques d’investissement. Les deux grands groupes bancaires français ont jusqu’alors soigné ébut 2009, les traders de BNP ces petits génies de l’informatique et des mathéParibas et de Société Générale matiques, sortis des Mines et de Polytechnique (SocGen) se réveillent avec la et qui jonglent à merveille avec ces automates. gueule de bois. 2008 a été une Basés à Paris, à New York ou à Tokyo, ils sont « annus horribilis ». Dans les une cinquantaine de traders et d’informaticiens métiers phares des dérivés ac- à travailler pour BNP Paribas, un peu plus à la tions, qui font la gloire des deux banques fran- Société Générale. En 2007 et 2008, ils ont à eux çaises, l’onde de choc de Lehman Brothers a été seuls généré environ 600 millions de revenus prise de plein fouet. Au quatrième trimestre, nets (après charges) chez BNP Paribas, et a prioBNP Paribas a perdu près de 2 milliards d’euros ri un peu plus chez SocGen. L’an passé, en pleine et SocGen 608 millions d’euros. crise, leur activité était l’une des Aidées par l’État, vilipendées rares à rester rentable. « Il n’y a par les politiques et l’opinion pas de raison que nous n’ayons CREDIT SUISSE pour les bonus qu’elles ont pas de bonus à cause des pertes versés à leurs traders, les deux des autres », explique un ancien DÉROULE LE banques n’ont plus le choix : de l’équipe de BNP Paribas, elles doivent leur imposer des qui, en 2007, a reçu 2,2 milTAPIS ROUGE sacrifices. Au mois de février, lions de dollars de bonus, dont les décisions tombent. Chez 1,7 million en cash. Les traders et accepte qu’ils BNP Paribas, ce sera « zéro bo« algorithmiques » dénoncent nus » pour toute l’équipe de déla responsabilité des dirigeants restent à Paris rivés actions au titre de 2008. de l’activité dérivés actions, qui alors que ses À la Générale, les bonus sont auraient profité de la mauvaise réduits d’environ 70 % par rapsituation de leur concurrent activités de traport à ceux de 2007, qui avaient Société Générale début 2008, déjà été sérieusement amputés moment de l’affaire Kerviel, ding sont basées au à cause de l’affaire Kerviel. pour investir massivement, générant des pertes catastrophià Londres. Crise oblige, la plupart des ques au quatrième trimestre. L’ambiance est également tenéquipes acceptent sans trop redue à la Société Générale, où chigner de se serrer la ceinture. Mais au sein de chacune des deux banques, une les traders réclament leur bonus en défendant petite bande de traders se rebelle. Pas question le très faible risque de leur business. À vrai dire, pour eux de renoncer à leurs bonus. Ces fron- leur métier ne peut pas générer de pertes. Le deurs ont un point commun. Ils sont les seuls trading algorithmique s’effectue sur des marà maîtriser ce qu’on appelle le trading « haute chés réglementés et contrôlés, consomme peu fréquence » ou « algorithmique », qui consiste de fonds propres et ne fait porter le risque par à réaliser des arbitrages extrêmement rapides, le bilan de la banque que pendant des périodes parfois en quelques secondes, grâce à des auto- très courtes, de seulement quelques minutes. mates. Que les marchés montent ou baissent, ils « Nous fermons nos positions tous les soirs », gagnent à tous les coups, puisqu’ils jouent sur la explique-t-on. Forts de leur succès, les traders D mediacompil - démode la revue de presse TIM WEGNER/LAIF-REA chers demandent une formule de calcul de leur bonus indépendante des autres métiers. Ils vont même jusqu’à réclamer la filialisation de leur activité pour avoir des bonus uniquement liés à leur métier. Le rêve de tous les traders. « Ils sont immatures, aucune banque ne donnera de formule de calcul pour des équipes aussi petites », explique un ancien manager de la Société Générale. Les dirigeants des dérivés actions, Yann Gérardin chez BNP Paribas et Christophe Mianné à la Générale, ne cèdent pas. Dans les deux banques, les situations évoluent en parallèle. Le trading haute fréquence est un microcosme. Tout le monde se connaît et les banques puisent régulièrement les unes chez les autres les experts dont elles ont besoin. Début février, la tension entre les traders et leurs patrons est à son comble. La guerre éclate alors que les premiers traders menacent de démissionner. Le bras de fer s’engage et les menaces commencent à être mises à exécution. Les banques françaises sont tiraillées. D’un côté, elles sont sous la pression de l’État. Mais de l’autre, dans un contexte de crise, BNP Paribas et Société Générale ne peuvent se permettre de laisser partir des traders qui leur font gagner autant d’argent. Les deux banques finissent par se plier aux exigences de ces petits princes des marchés. Quelques semaines après avoir déclaré qu’elle n’avait pas versé de bonus dans les métiers actions, BNP Paribas déroge à sa propre règle. Le 20 février, elle propose à sa petite équipe des bonus qui seront payés en trois fois à la fin des mois de juin 2010, 2011 et 2012. Ils sont attribués en actions BNP Paribas. Le titre cote alors 22 euros, contre près de 56 euros aujourd’hui. Les traders les plus gâtés reçoivent près de 100.000 actions, des dizaines de millions d’euros sont mis sur la table. On leur demande évidemment de garder le secret sur leur rémunération baptisée « retention package » (prime destinée à retenir les traders, Ndlr). Le mot « bonus » est devenu tabou. En ce début d’année 2009, la banque figure parmi les bons élèves auprès des pouvoirs publics, qui lui ont prêté 5,1 milliards d’euros. Elle ne tient pas à ce que les bonus versés à ces quelques privilégiés soient divulgués au grand public. La banque souligne toutefois que ces rémunérations étaient déjà « conformes aux règles établies ultérieurement par le G20 ». À la Société Générale aussi, les rebelles ont obtenu gain de cause. La banque leur a proposé de verser en trois fois — fin mars 2009, 2010 et 2011 — des bonus exceptionnels plus généreux. Yann Gérardin et Christophe Mianné pensent avoir calmé leurs troupes. Mais rien n’y fait. Les banques sont prises à leur propre piège. Début avril, alors que le premier tiers du bonus vient d’être versé à la Générale, une équipe de cinq personnes démissionne en bloc. Ils sont débauchés par un ancien de la Société Générale, Pierre-Yves Morlat, qui avait quitté la banque après l’affaire Kerviel pour re- joindre Credit Suisse. Parmi eux figure le responsable mondial de l’activité trading haute fréquence, Laurent Laizet. La banque helvétique déroule le tapis rouge et accepte même qu’ils restent à Paris, avenue Kléber, alors que ses activités de trading sont basées à Londres. À la Société Générale, Christophe Mianné fulmine. Réputée championne du monde dans les dérivés actions, la banque n’avait jamais connu pareil affront. Quelques jours plus tard, c’est l’enchaînement, SocGen perd de nouveau quatre personnes à New York. Au total, ce sont près de quinze traders et informaticiens, indispensables pour programmer les automates, qui sont sur le départ. Chez BNP Paribas, la situation n’est pas plus enviable, notamment à New York. Cinq traders ont donné leur démission. Début avril, la banque décide de stopper l’hémorragie et accepte d’avancer 25 % du paiement des bonus à son équipe de traders algorithmiques. Ils seront versés en quatre fois de fin juin 2009 à fin juin 2012. Fin juin, le cours du titre BNP Paribas a déjà été multiplié par 2,5 et les actions sont payées en cash. La hausse fulgurante du titre permet à ces traders de voir leur bonus exploser. Les six plus gros montants atteignent même entre 4 et 7 millions d’euros. Un quart est payé en cash fin juin mais cela ne suffit pas. Le responsable du trading haute fréquence pour l’Asie, basé à Tokyo, est approché par Goldman Sachs. Soucieux de le retenir, BNP Paribas lui offre un bonus garanti pour 2009 de 4 millions de dollars. Début juillet, quelques jours après le versement de 25 % du bonus promis quelques semaines plus tôt, la banque subit une nouvelle vague d’une dizaine de départs à Paris et à New York. Ceux de Paris, une poignée, sont recrutés par le célèbre fonds d’investissement Millenium. Aux États-Unis, ils rejoignent un fonds pour créer une activité de trading algorithmique. Ils vont y retrouver les quatre traders qui viennent de quitter… la Société Générale ! « La triste morale de cette histoire est que ce petit jeu fait le lit des fonds d’investissement à la défaveur des banques », explique un observateur avisé. Car à l’inverse des banques, les hedge funds n’ont aucune contrainte de rémunération. Aux États-Unis, les traders des deux banques françaises décrochent leur Graal. Le calcul de leur bonus est désormais écrit dans leur contrat. Ils toucheront 50 % des gains qu’ils réalisent. Une formule qui va permettre à ces traders, déjà riches, d’amasser une fortune considérable. « Ce métier n’a plus rien à faire dans les banques, car elles n’ont désormais plus les moyens de s’aligner sur les bonus des hedge funds », conclut, non sans ironie, l’un d’entre eux. De fait, chez BNP Paribas, le trading algorithmique a perdu près de la moitié de ses équipes. Sur les neuf premiers mois de l’année 2009, ses revenus ont atteint 150 millions d’euros. Quatre fois moins que l’an passé. © 2009 La Tribune - Tous droits de reproduction et de représentation réservés.