« Quand les Parcs Nationaux alpins français deviennent des
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« Quand les Parcs Nationaux alpins français deviennent des
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes « L’ESCROQUERIE DES « ECO-TAXES » : ANALYSE CRITIQUE DES DISPOSITIFS DE RESTRICTION ET DE CONTINGENTEMENT DE LA FREQUENTATION TOURISTIQUE DANS LES PARCS NATIONAUX ALPINS FRANÇAIS » Lionel LASLAZ * Résumé : Cette communication s’inscrit dans la thématique « pratiques touristiques et territoires » du colloque. Quels sont les effets et les motivations de l’instauration, de plus en plus fréquente, des « éco-taxes » ou des « éco-péages » ? Ceuxci se situent bien souvent dans le prolongement de constats de « saturation » ou de « sur-fréquentation », tels que de nombreux acteurs locaux, décideurs publics ou associations de protection de l’environnement les décrivent. L’alternative alors proposée pour faire face à cette forte présence touristique ou récréative est le recours à ces dispositifs (parkings payants, filtrage des entrées…). Il s’agit de limiter la fréquentation, parfois de façon sournoise et détournée, alors même que les discours et certaines mesures incitent à l’augmenter. Les Parcs nationaux des Alpes françaises sont des territoires à forts enjeux, tant en terme de « biodiversité », que de développement touristique, que de représentation d’espace idéalisé de « nature sauvage », selon les terminologies courantes. Le premier cas de site payant fut durant l’été 2005 le parking du Laus (Lac d’Allos, Parc National du Mercantour). D’autres sites alpins (cirque de Saint-Même dans le Massif de la Chartreuse, vallée de la Clarée dans les Hautes-Alpes, Opération Grand Site de France du cirque du Fer à Cheval…) ou d’autres Parcs nationaux (les Pyrénées avec le Pont d’Espagne) se voient affublés de ce type de mesures qui posent des problèmes éthiques, économiques et d’équité sociale, alors que les espaces de nature restent les derniers grands espaces de liberté et d’accès non payant en France. Déjà, le coût très élevé des séjours aux sports d’hiver opère une sélection drastique par l’argent dans l’accès aux territoires montagnards. Les éco-taxes reviennent au final à doubler la segmentation spatiale (ségrégation Homme/Nature en vigueur en France à travers la partition zone centrale/zone périphérique) d’une ségrégation sociale. Mots-clés : Alpes françaises, Parcs nationaux, segmentation spatiale, éco-taxes (éco-péages), sur-fréquentation, cœur, conflits environnementaux, rentabilisation économique. INTRODUCTION : INSTRUMENTALISER LA « SUR-FREQUENTATION » POUR JUSTIFIER LES TAXES… « Vous prétendez restreindre la fréquentation de ce massif à une élite méritante et vous ne cessez d’agrandir et de moderniser ses refuges. Vous entendez protéger le sanctuaire de la vie sauvage et vous ne cessez de chanter les vertus de vos parcs comme pour y attirer les foules. Singulières contradictions. » R. CANAC, 1985 : Vivre ici en Oisans, Glénat, p. 15 Cette citation extraite d’un ouvrage de R. CANAC illustre bien une des nombreuses contradictions des Parcs nationaux, entretenant de manière plus ou moins délibérée ou tacite une fréquentation qu’il dénonce parfois, la restreignant par différentes mesures. Les éco-taxes y contribuent. Elles ne sont pas spécifiques aux espaces protégés, et les Parcs nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) étaient jusque là à l’abri de ce type de pratiques, alors même qu’elles sont systématiques dans les Parcs d’Amérique du Nord ou d’autres régions du Monde. Les éco-taxes « visent à modifier le comportement des producteurs et des consommateurs en intégrant le coût des dommages environnementaux dans le prix du produit à l’origine de la pollution » (I.F.E.N., cité dans Espaces Naturels, n°5, janvier 2004, p. 4). Cette fiscalité de l’environnement contribue à 2 % de la richesse nationale et le touriste doit donc payer pour réparer les dommages potentiels qu’il peut infliger au milieu. A la base, le postulat est donc l’opposition entre homme et nature et le caractère de prédation du premier sur la seconde. La valeur que confère la société à un espace se trouve renforcée par l’attribution d’une valeur monétaire en gage de droit d’accès à un espace rare (d’où la mesure) et menacée (d’où son caractère limitant). Ainsi, on ne cesse de gratifier ces espaces de toutes les qualités, et en parallèle on en limite l’accès par le prix. Il y a là un jeu schizophrène qui consiste à diaboliser le tourisme tout en tirant partie et en arguant des retombées économiques qu’il occasionne. Maître de conférences en Géographie, EDYTEM (Environnements, DYnamiques et TErritoires de la Montagne) - CNRS UMR 5204, université de Savoie. e-mail : [email protected] * 1 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes Fig. 1 : Localisation des trois Parcs nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour). La surfréquentation est considérée comme la « saturation et [le] dépassement de la capacité de charge lorsque les mouvements de personnes, nationaux ou internationaux, dépassent temporairement le niveau acceptable par l’environnement physique et humain de la zone d’accueil » selon la définition proposée par l’Organisation Mondiale du Tourisme. Celle-ci varie donc considérablement en fonction de la « fragilité » du milieu, difficile à quantifier, et de la sensibilité à la saturation exprimée par des populations, notion très subjective. C’est donc avant tout ce qu’un groupe social considère comme saturé et une forme de déterminisme « naturel ». Cette communication vise ainsi à démontrer l’instrumentalisation politique qui est faite de la « sur-fréquentation » (qui reste très ponctuelle dans le temps et dans l’espace et dont la terminologie s’avère scientifiquement très discutable), par la recherche de retombées économiques, sous prétexte de protection des milieux et de limitation des impacts. A partir des cas étudiés ici, peut-on prévoir une généralisation du phénomène des éco-taxes ? DES DISPOSITIFS DE RESTRICTION APPUYES SUR LE MYTHE D’UNE « SURFREQUENTATION » PARADOXALEMENT ENCOURAGEE Une fréquentation touristique est par définition très limitée dans le temps, et non pérenne en fonction des modes touristiques ; que dire du taux de remplissage des refuges et des gîtes qui ne cesse de diminuer depuis le début des années 1980 ? La sur-fréquentation s’appuie d’ailleurs sur la notion de capacité de charge, empruntée aux biologistes et répandue dans les sciences humaines, exprimant « un point de dépassement au-delà duquel la survie d’une espèce est menacée » (S. HERITIER, 2002). Mais elle demeure vivement contestée (S. F. Mac COOL & D. W. LIME, 2001). Les fonctionnaires américains ne veulent pas plus de 2 visiteurs/jour/ha de forêt dans leurs Parcs nationaux, alors que les forestiers français donnent une moyenne de 4 personnes/jour pour une forêt ordinaire. Les variations en fonction des contextes socio-culturels et des finalités des espaces sont donc fortes. 2 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes B. Debarbieux (1995) nuance : « il n’existe aucune définition unanime et universelle de la « capacité de charge touristique d’un site » ». La sur-fréquentation n’est qu’un élément de quantification de la fréquentation visant à justifier sa réduction. Le schéma suivant (fig. 2) replace dans une dimension temporelle (journalière) et spatiale (à l’échelle d’un versant) la notion de sur-fréquentation, qui ramenée à deux ou trois mois dans l’année (et les jours de beau temps), s’avère dont très relative. Fig. 2 : Représentation schématique de la « surfréquentation » La surfréquentation demeure au final un choix et une finalité politique de tous les acteurs : des Etablissements Publics Administratifs qui en tirent de la gloire (malgré les désagréments dans la gestion), des Conseils Généraux, des communes, des commerçants et des Offices de Tourisme… Elle a été produite par l’appel à la fréquentation, la publicité ; entretenue par des réseaux et des infrastructures (refuges, sentiers) ; choisie comme mode de réussite des espaces protégés… Elle est ainsi fortement instrumentalisée, comme lamentation systématique, comme argument d’aménagement (utilisé dans les deux sens, soit pour justifier un aménagement, soit pour en justifier l’absence : parkings, refuges, navettes pour éviter la surcharge des parkings), comme outil d’aménagement, en tentant de rééquilibrer entre les secteurs fortement fréquentés et les autres, enfin comme justificatif du repli : les espaces protégés ne sont pas faits pour être sur-[fréquentés, exposés, visités…], ils doivent être sous-[utilisés, parcourus…], donc il faut limiter (parkings payants)… Le terme de surfréquentation est donc abusif et contradictoire : c’est l’éternel paradoxe d’un Etablissement Public qui montre son succès et sa réussite par sa fréquentation, tente de se faire admettre au niveau local par les retombées de cette fréquentation, joue la carte de l’espace labellisé et de qualité, mais qui en même temps dénonce les effets de cette forte fréquentation et tente de la limiter dans certains secteurs ou de la diffuser vers d’autres, sans pour autant créer de nouveaux itinéraires. Toute forme de restriction de fréquentation dans les Parcs nationaux (et jusqu’à leur création même) s’appuie en fait sur le mythe de la « nature » en danger, soumise à des interventions néfastes de 3 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes l’extérieur, c’est-à-dire des sociétés humaines coupées du milieu, et dont la pénétration dans la « nature » doit être limitée, rejetée voire interdite (c’est le cas dans les Réserves Intégrales 1 ). Tableau 1 : Les sites les plus visités dans les Parcs Nationaux (zone centrale uniquement) Parcs Nationaux 1 Parc National de la Vanoise (sur plusieurs années) Site (routier ou fréquentation pédestre) Col de l’Iseran env. 50 000 (R) voitures 2 Col de la Vanoise 60 000 3 4 Plan du Lac L’Ecot 50 000 45 000 5 Prariond 38 000 6 7 L’Orgère Vallon de Chavière Porte de Rosuel Laisonnay 34 500 34 000 8 9 30 000 28 000 Parc National des Ecrins (2001) Site (routier ou fréquentation pédestre) Col des 50 000 Ruillans (téléphérique) Lac Lauvitel 47 000 Glacier Blanc Vallons du Sélé et de Clapouse Lac de la Douche Gioberney Col et Lac d’Arsine Refuge des Bans Dormillouse 44 000 36 000 34 000 32 000 29 000 28 000 27 000 Parc National du Mercantour (1991 et 2001) Site (routier ou fréquentation pédestre) Route de la 50 000 voitures Bonette (R) Route du Col de la Cayolle (R) Boréon (R/P) Lac d’Allos (P) 40 000 voitures 100 000 100 000 Madone de 50 000 Fenestre (R/P) Authion (R) 50 000 Vallée des 40 000 Merveilles (P) Gordolasque 30 000 (P) Secteur du Mont Mounier, Vignols-Longon, Lacs de HauteTinée. © L. LASLAZ, 2004. Sources : enquêtes de fréquentation des Parcs Nationaux. UNE RENTABILISATION DES PARCS NATIONAUX PAR LE BIAIS DE L’ARGUMENTAIRE DE LA PROTECTION DES MILIEUX Les Parcs nationaux seraient ainsi soumis à la prédation de la fréquentation touristique, alors même qu’une de leurs missions de base consistait en l’« éducation à l’environnement » ; voilà qui a de quoi surprendre. Ce paradoxe repose sur l’idée d’un tourisme de masse (vu comme l’« investissement par un grand nombre de personnes de lieux, territoires et réseaux jusque-là fréquentés par l’élite de ceux qui savaient et qui pouvaient fréquenter les espaces en question », F. DEPREST), qui est dénoncé à partir d’arguments soit écologiste (tourisme « dévoreur » de paysages), soit culturel (touriste « idiot du voyage », acculturation) : - Le tourisme est vu comme une prédation systématique : A. E. SAVIGNAC, secrétaire général de l’O.M.T., affirme « vous ne pouvez pas laisser le tourisme pousser comme une mauvaise herbe, parce qu’il vous envahira comme une mauvaise herbe ». C. SEVEGNER (1999, p. 276) rajoute dans le cas des Parcs Nationaux de montagne : « il paraît évident […] que le tourisme a un pouvoir destructeur sur les milieux, et cette destruction des lieux est d’autant plus importante que le nombre de touristes est grand », après un premier chapitre intitulé « l’homme consommateur d’espace et véritable prédateur remettant en cause le fragile équilibre des montagnes françaises », dans lesquels on « sacrifie l’environnement au profit du développement ». Ce postulat, non démontré, s’avère extrêmement dangereux comme argument préconçu de limitation du tourisme. - Le touriste est vu comme une tare innommable (J.-D. URBAIN, 1991), avec des individus présentés comme irrespectueux et uniquement consommateurs de produits. - Le touriste est vu comme une source de problèmes, car les touristes font foule, et le pas vers la « sur-foule » est vite franchi ! 1 La seule existant en France est celle du Lauvitel (Oisans, Parc National des Ecrins), instituée par décret interministériel le 9 mai 1995 sur 689 ha. 4 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes Comme le résument J.-M. DEWAILLY et E. FLAMENT (1993, p. 191), « le tourisme diabolisé serait le nouvel opium du peuple, en ferait que développer la dépendance socio-culturelle, entraînerait la dégradation des mœurs et la ruine des cultures originales ». Le discours ambiant est empli de cette « haine de la foule » : « les parcs sont dans l’obligation de contrôler le tourisme de façon à ce qu’il ne leur échappe pas et qu’il ne détériore pas ce que le parc est censé protéger » écrit encore C. SEVEGNER (1999, p. 12). Le discours est prégnant chez les géographes comme dans d’autres communautés scientifiques, quitte à être contradictoire : « en freinant le tourisme, on risque d’entraîner une détérioration des paysages et des milieux dans les parcs nationaux », alors même que la thèse de doctorat veut démontrer que le tourisme dégrade. Ainsi, à la page 18 : « l’équilibre précaire des milieux montagnards fortement menacés par les actions humaines à la poursuite d’une rentabilité économique improbable », le contraire de la page 9 : « les parcs nationaux entrent tout à fait normalement dans les circuits économiques en favorisant la création d’activités et de richesses. Freiner le tourisme peut être vu comme une forme de racisme, en empêchant les touristes de profiter des paysages exceptionnels […] ». Fig. 3 : Le Pré de Mme Carle et son aménagement d’un parking de 700 à 1000 places, avec en arrière plan le fameux Glacier Blanc. La reconfiguration du parking avec des pierres venues du Portugal (pour 1,9 million de francs) a provoqué de vives tensions entre la direction du Parc et ses détracteurs. © L. Laslaz C’est aussi un choix de sites touristiques, certains « grands » sites doivent être protégés de cet afflux, d’autres peuvent continuer à être « assiégés » sans problème. B. PATIN et H. NICOLAS (in B. MOUTON, dir., 2000) indiquent que le Pré de Mme Carle (Vallouise, Parc national des Ecrins) reçoit 300 000 visiteurs, dont 150 000 du 14 juillet au 15 août. L’accès est presque exclusivement automobile avec près de 100 000 véhicules en 150 jours avec des pointes à 500 véhicules/jour en saison. Les dégradations « nuisaient à l’image paisible et sauvage [sic] du lieu » ; il est vrai que rien n’est plus « sauvage » qu’un parking dont la capacité a récemment été portée à sept cent places, régulièrement survolé par les hélicoptères du secours en montagne. L’Etablissement Public fait le choix des aménagements « réversibles » : « si nos successeurs et nos enfants souhaitent rendre au pré de Mme Carle son état original, tout est « démontable » sans difficulté » ! [notons qu’il est déjà bien que ce ne soit pas le terme « originel » qui soit employé !]. L’« insertion » dans le paysage est également retenue, avec outre le parking, une aire d’accueil de 2000 m2 empierrée, avec réhabilitation de 2 km de sentiers. Aménagements lourds pour l’accueil touristique « massif », régulation de ce dernier, interdiction coexistent donc dans le même Parc national. Et malgré les discours officiels, les Parcs nationaux cherchent aussi à apparaître comme des acteurs économiques locaux. Les éco-taxes servent ainsi le 5 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes discours qui consiste à dire que les Parcs nationaux « coûtent de l’argent » et qu’ils doivent donc en rapporter. Pour cette raison, entre autres, il n’y a pas d’unanimité de la part des « défenseurs » de l’environnement (pour certains partisans de la circulation libre et gratuite en montagne) autour de ces mesures. ORIGINE ET DIFFUSION DU PHENOMENE GENERALISATION DE L’ESCROQUERIE ? DES ECO-TAXES : VERS UNE Les Parcs Nationaux sont-ils à l’avènement des éco-péages ? A compter du 1er juillet 2005 et durant les deux mois d’été, le parking du Laus (Allos, Parc national du Mercantour) est payant (cinq euros par véhicule de 9 h à 17 h). En 1991, il accueillait 40 000 visiteurs en juillet-août, et plus de 400 véhicules sur le parking et la route d’accès. Un parking gratuit a été aménagé dans la forêt trois kilomètres en aval. Pour la première fois dans l’histoire des parcs nationaux alpins français, un parking est payant. « Il y avait trop de monde, les gens se garaient n’importe où et gênaient la circulation » assure-t-on à la Maison du Parc de Colmars-les-Alpes pour justifier une mesure « impopulaire ». A titre de comparaison, le Pont d’Espagne (J.-M. Diano in B. Mouton dir., 2000) est situé à la confluence des vallées de Gaube et de Marcadeau, en zone centrale du Parc national des Pyrénées. Un programme d’aménagement (1992) en a fait le premier parking payant des Parcs nationaux français. L’auteur concède : « des difficultés ont été rencontrées, les premières années, pour faire Fig. 4, 5 et 6 : Photographies prises à Allos (© L. Laslaz, 7 juillet 2005). De gauche à droite on distingue : - la « porte » du parc située à proximité du parking du Laus, avec la signalétique et la réglementation. Le Lac d’Allos, première destination de marche du P.N.M., est à une demi-heure de marche. - le panneau qui vient d’être installé indiquant qu’un parking nouvellement créé en forêt, 4 km en aval, est payant et… obligatoire. - le parking en question avec la guérite de contrôle permettant de s’assurer que les touristes ont bien payé leur stationnement. admettre le principe de péage (surtout auprès des locaux) ». Mais le parking contribue à plus de 23.6 % des 6.5 millions de francs de recettes d’exploitations enregistrées en 1996 dans un des sites les plus fréquentés de la chaîne. Une telle retombée vaut bien un micro-conflit… Sous l’intitulé policé « faire contribuer les visiteurs à la gestion d’un site naturel », P. Moisset (in B. Mouton dir., 2000) explique les moyens trouvés pour rentabiliser ces « grands » sites. Il est particulièrement singulier qu’au plus haut niveau de l’Etat (Directrice de la Nature et des Paysages, Ministère de l’Environnement), on incite à « rentabiliser » alors que pendant des décennies, l’Etat a fait passer le message aux élus qui voulaient investir sur leurs 6 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes territoires qu’il fallait aussi protéger. Cela revenait à renoncer à certains aménagements, dont les impacts étaient supposés supérieurs. C’est une posture pour le moins ambiguë, surtout pour des sites qui sont propriétés communales et sur lesquels l’Etat s’invite comme gestionnaire, sous le prétexte qu’il s’agit de « grands » sites. Les espaces protégés de montagne sont parmi les derniers espaces gratuits, par rapport au ski qui devient de plus en plus ségrégatif, et aux activités touristiques diverses. Les étudiants ou les chômeurs ont aussi le droit de randonner. Pour certains membres de Mountain Wilderness, association de défense de la montagne rassemblant à l’origine surtout des alpinistes, « c’est plus du racket que de la protection de l’environnement » (S. Dulout, cité in AlpiRando, 2003, n° 249). Ces éco-péages peuvent sembler une aberration, à la fois économique, sociale et juridique, si l’on reprend la distinction entre espace public (en accès libre, un espace sociétal) et privé qu’établit J. LEVY. En outre, ses effets « écologiques » sont discutables (la fréquentation ne sera-t-elle pas en hausse si l’on considère que le paiement attire ?) et son aspect éthique sans doute encore plus. Payer c’est donc contribuer à transformer l’espace « naturel » encore plus en zoo. Avec des exigences de voir de la faune, voire de ramener un souvenir, comme de la flore ? C’est rentrer dans le jeu d’une consommation de nature « parquée » et « clôturée », et non de découverte. Enfin, d’un point de vue fonctionnel, les possibilités d’avoir accès au site en question par d’autres itinéraires, par la fraude, par le passage des véhicules avant l’ouverture des « guichets » font douter de son utilité. Les éco-taxes sont extrêmement critiquables à plus d’un titre (L. Laslaz, 2005) : logique récurrente de séparation nature/culture ; exclusion (l’homme n’a pas sa place dans les « espaces de nature » ; mais en d’autres termes, pour la gagner, il faut qu’il la paie) ; fréquentation limitée, mais sur des bases économiques ; contradiction aux missions de découverte du public et d’éducation à l’environnement des Parcs nationaux, mais aussi de promotion des espaces de « nature » ; opposition aux politiques actuelles qui font que pour être accepté socialement, un Parc national doit recourir à une promotion de ses sites, et a fortiori de ses sites principaux. Pour toutes ces raisons, elles n’ont qu’un but, la rentabilisation économique des Parcs nationaux. Si plusieurs de ceux-ci (ou plusieurs « portes » de parcs) se voient ainsi affublés de péages, il semble évident que les rentrées financières seront substantielles. En instaurant des guichetiers des espaces « naturels », les Parcs nationaux s’orientent vers une posture à double tranchant. D’une part, ils enrayent une acceptation sociale balbutiante par le paiement, y compris par des autochtones, sur des territoires appropriés ; d’autre part, ils s’affirment comme outils économiques supplémentaires à l’échelon national, voire à l’échelon local. Mais l’argumentaire de la reproduction de ce qui se fait outre-Atlantique est vite adopté ; effectivement, dans les Parcs nationaux états-uniens, l’entrée est payante, gérée par des agents de l’Etat fédéral. Fig. 7 et 8 : bâtiment de péage à l’entrée d’Arches national Park (Utah, Etats-Unis). Les touristes, qui se déplacent dans ces parcs très vastes en voiture, doivent s’acquitter d’un péage comme droit d’entrée. © B. Feuillet, septembre 2006. 7 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes Fig. 9 et 10 : Tioga Pass (9945 feets, soit 3000 mètres d’altitude), le plus haut col routier vers la Californie, au Yosemite national Park (Californie, Etats-Unis) : péage d’entrée au sein du Parc national. © B. Feuillet, septembre 2006. En France, mais hors des Parcs nationaux, les éco-péages sont aussi en vogue depuis quelques années. Dans le cas du cirque du Fer à Cheval (commune de Sixt, Haute-Savoie), une Opération Grand Site de France (retenue en 1993), initiée en 2001, a conduit à interdire l’accès automobile à proximité du cirque (B. Feuillet, 2005). Les parkings en aval du site entrent en service en juillet 2001, avec droit de péage. La boucle de bitume permettant aux véhicules de circuler au bas du site est retirée. Le but est d’assurer des retombées économiques de la fréquentation touristique estivale forte (cars d’organismes de voyages), qui jusque là se traduit par le passage par le chef-lieu sans véritable incidence commerciale. La convention d’Opération Grand Site de 2001, arrivée à terme en 2004, n’est désormais plus valable et l’O.G.S. est arrêtée. La pression de la commune et la volonté de l’Etat de démontrer les remontées économiques d’une opération de protection comme celle d’un Grand Site de France, par ailleurs très contraignante localement, expliquent ces mesures. Dans le cas du cirque de Saint-Même (Parc naturel régional de Chartreuse), la communauté de communes des Entremonts en Chartreuse, qui gère le site, annonce dans ces tracts, distribués au péage d’entrée du parking : « pour préserver ce site, nous avons décidé d’en réguler la fréquentation par un stationnement limité et payant ». Là encore, c’est l’impossibilité de gérer les flux touristiques et une forte fréquentation de citadins (bassins grenoblois et chambérien) qui incite au financement des aménagements par un péage d’accès. CONCLUSION : PRATIQUES DE MONTAGNE ESTIVALES OU HIVERNALES, UNE MULTIPLICATION DES RESTRICTIONS… Au final, ces éco-taxes posent la question de la conception des espaces publics, de la liberté de mobilité au sein d’espaces communs. Les conflits autour des usages et des pratiques de la montagne alpine se multiplient, que ce soit en été (pratique du VTT ou des sports de plein air dans le cœur des Parcs nationaux) ou en hiver (volonté d’imposer un forfait pour la pratique des raquettes ou du ski de randonnée), mais aussi sur toute l’année, comme la circulation des véhicules à moteur dans les espaces « naturels » (L. Laslaz, 2007). L’enjeu devient de plus en plus présent au fur et à mesure de la multiplication et de la diversification des pratiques sportives et récréatives et de l’augmentation de leur nombre de pratiquants. Les tendances récentes au développement de la mobilité dite « douce » contribuent à la diabolisation des véhicules individuels dans l’accès aux espaces de « nature », a fortiori les plus emblématiques d’entre eux que constituent les Parcs nationaux. La nouvelle loi sur les Parcs nationaux de 2006 et la charte en cours de rédaction dans ces derniers vont imposer des choix politiques aux acteurs locaux et aux Etablissements Publics, concernant le recours à ce type de taxes d’entrée dans les Parcs nationaux, pour lesquelles il n’existe pas véritablement de tradition ni de règle commune. Il en va de la conception de la protection en France comme de la démocratie d’accès du plus grand nombre à ces espaces de « nature ». 8 6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes Bibliographie BERQUE A., 2000. Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Belin, coll. « Mappemonde », 271 p. CANAC R., 1985. Vivre ici en Oisans, Glénat, coll. « Hommes et montagnes », 154 p. CAZELAIS N., NADEAU R. et BEAUDET G., dir., 1999. L’espace touristique, P.U.Québec, coll. « Tourisme », 287 p. COLLENOT A., 2004. Les parcs nationaux et le tourisme durable : vers la Charte Européenne du Tourisme durable, mémoire de DESS, A.T.E.N. DEBARBIEUX B. et MAJASTRE J.-O., dir. 1991. « Homo touristicus : du tourisme ordinaire en montagne», R.G.A., Tome 79, n°4, 138 p. DEBARBIEUX B., 1995. Tourisme et montagne, Economica, coll. « Géographie », 107 p. DEPREST F., 1997. 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