Les droits réels principaux en copropriété

Transcription

Les droits réels principaux en copropriété
Les droits réels principaux en copropriété
Mémoire réalisé par Kévin Moya
Sous la direction de Madame Nathalie Figuière
Master 2 Droit du patrimoine, spécialité « construction, urbanisme, contrat »
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Les droits réels principaux en copropriété
Mémoire réalisé par Kévin Moya
Sous la direction de Madame Nathalie Figuière
Master 2 Droit du patrimoine, spécialité « construction, urbanisme, contrat »
-3-
ABRÉVIATIONS
AJDI ...........................................
al. ..............................................
anc. ...........................................
art. ............................................
Bull. civ. .....................................
CA .............................................
ch. .............................................
Chron. ........................................
Civ. .............................................
comm. ........................................
Contra .........................................
D. ...............................................
Dal. Act. .....................................
DDHC ........................................
Défrénois ...................................
éd. .............................................
ibid. (ibidem) ..............................
i.e. (id est) ...................................
JCP .............................................
JCP G ..........................................
JCP N ..........................................
JORF ...........................................
obs. ............................................
op. cit. (opere citato) .................
p. ...............................................
préc. ..........................................
RDI ............................................
Req. ...........................................
RTD civ. ......................................
S. ................................................
s. ................................................
Actualité juridique de droit immobilier
alinéa
ancien
article
Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation
Cour d’appel
Chambre
Chronique
Chambre civile de la Cour de cassation
Commentaire
contraire (En sens -)
Recueil Dalloz
Dalloz actualité
Déclaration des Droits de l’Homme et du
citoyen de 1789
Répertoire du notariat Défrénois
édition
au même endroit
c’est-à-dire
Jurisclasseur périodique (Semaine juridique)
Jurisclasseur périodique édition générale
Jurisclasseur périodique édition notariale
Journal Officiel de la République Française
observations
dans l’ouvrage cité
page
précité
Revue de droit immobilier
Chambre des requêtes de la Cour de cassation
Revue trimestrielle de droit civil
Recueil Sirey
suivant(e)s (numéros ou pages)
-4-
SOMMAIRE
INTRODUCTION ....................................................................................................... 6
PARTIE 1 : ANALYSE THÉORIQUE DE LA COMPATIBILITÉ DU RÉGIME DE LA
COPROPRIÉTÉ AVEC LES DROITS RÉELS ..................................................................... 9
Section 1 : Les droits réels faussement incompatibles avec la copropriété .................9
Section 2 : L’inconcevabilité théorique du droit de jouissance privatif « réel et
perpétuel » sur une partie commune ..........................................................................16
PARTIE 2 : LES CONSEQUENCES PRATIQUES LIÉES A L’EXISTENCE D’UNE PROPRIÉTÉ
GREVÉE EN COPROPRIÉTÉ ....................................................................................... 25
Section 1 : L’importance des sujétions formelles à respecter .....................................25
Section 2 : Le bouleversement des relations avec la collectivité ................................28
CONCLUSION ......................................................................................................... 35
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................... 36
TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................. 38
-5-
INTRODUCTION
« La curiosité du juriste est, en effet,
sollicitée par cet étrange complexe
de propriété privative et de copropriété qui
se forme au sein d'un immeuble unique
sitôt qu'un des logements qu'il comporte
est aliéné ».
AZOULAI,
Le droit de la copropriété par appartements,
thèse dactyl. Paris, 1956, n° 5
Cette citation met en exergue le singularisme de la copropriété en ce qu’elle
combine à la fois propriété exclusive et propriété collective. Or, par essence la
propriété d’une chose est individuelle, elle ne saurait donc souffrir de tout pluralisme,
telle était d’ailleurs la volonté des révolutionnaires et des rédacteurs du Code civil de
1804. Cette conception de la propriété s’est forgée en réaction au système de l’Ancien
Droit qui tolérait les modes de propriété collective ad vitam aeternam. C’est la raison
pour laquelle les modes de propriété collective sont frappés de précarité temporelle à
l’instar de l’indivision qui en est l’illustration la plus marquante.
Cependant, soucieux d’être en adéquation avec une réalité urbaine
embryonnaire, les rédacteurs du Code Napoléon n’ont pas ignoré la situation dans
laquelle la propriété d’un immeuble était répartie entre plusieurs personnes. En effet,
l’ancien article 664 du Code civil1 énonçait de façon quelque peu sommaire un mode
de répartition des réparations et reconstructions lorsque que la propriété d’un
immeuble était divisée par étage entre plusieurs propriétaires. Cette disposition rend
compte d’une superposition de propriétés individuelles et non d’une copropriété
1
Anc. art. 664 du Code civil (abrogé par Loi 1938-06-28 art. 13 JORF 30 juin 1938) « Lorsque les
différents étages d'une maison appartiennent à divers propriétaires, si les titres de propriété ne règlent
pas le mode des réparations et reconstructions, elles doivent être faites ainsi qu'il suit : Les gros murs et
le toit sont à la charge de tous les propriétaires, chacun en proportion de la valeur de l'étage qui lui
appartient ; Le propriétaire de chaque étage fait le plancher sur lequel il marche ; Le propriétaire du
premier étage fait l'escalier qui y conduit, le propriétaire du second étage fait, à partir du premier,
l'escalier qui conduit chez lui et ainsi de suite ».
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entendue dans son acception moderne. D’ailleurs, le texte ne se réfère pas à cette
notion, mais uniquement à celle de « propriété ». Ainsi, le législateur de 1804 ne
transgressait pas sa volonté d’asseoir la propriété individuelle comme un véritable
modèle de société. D’une part, la copropriété n’était pas expressément reconnue et
d’autre part, les droits réels étaient limités dans le temps à l’exception près des
servitudes mais le législateur a atténué leur caractère perpétuel puisque l’article 706
du Code civil prévoit qu’elles s’éteignent par le non-usage trentenaire.
Au fil du temps, cette conception de la propriété fut néanmoins remise en
cause que ce soit par le législateur, la jurisprudence ou encore la doctrine. La loi du 10
juillet 19652 qui régit le statut de la copropriété des immeubles bâtis, participe
inéluctablement aux atteintes perpétrées à l’encontre de ce modèle de propriété. En
effet, cette loi met l’accent sur la coexistence de propriétés collectives et privatives.
Dès l’abord, l’article 1 alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 énonce « la présente loi
régit tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis dont la propriété est répartie,
entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une
quote-part de parties communes ». Il en résulte que chaque copropriétaire est avant
tout propriétaire de son lot. Le lot est composé de deux éléments à savoir d’une partie
privative dont l’article 2 de la loi précitée précise qu’elle est la propriété exclusive du
copropriétaire et d’une quote-part de parties communes, lesquelles sont l'objet d'une
propriété indivise entre tous les copropriétaires ou quelques-uns d'entre eux, aux
termes de l’article 4 de la loi précitée.
Force est de constater que la copropriété s’est inscrite durablement au sein de
notre paysage immobilier. Ce collectivisme inhérent à l’état de copropriété permet de
la rapprocher de la technique des droits réels. Dans l’un comme dans l’autre, plusieurs
personnes disposent de prérogatives sur un même bien.
La notion de droits réels fait l’objet d’une importante controverse opposant
deux courants principaux. Dans la théorie dite « classique » un droit réel est un pouvoir
direct et immédiat sur une chose, ainsi, la propriété serait le droit réel le plus complet
2
Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
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en ce qu’il contient tous les autres. Une autre analyse plus pertinente3 part du postulat
qu’un droit réel est un droit qui porte sur la chose d’autrui. Cette définition exclut la
propriété de la catégorie des droits réels.
Traditionnellement, on distingue les droits réels principaux des droits réels
accessoires, en ce que ces derniers ont pour principal objet de garantir l’exécution
d’une obligation, on y trouve par exemple l’hypothèque ou encore le gage. Les droits
réels principaux sont donc les servitudes, l’usufruit, le droit d’usage, le droit
d’habitation et d’une manière générale tous les droits auxquels la loi et la
jurisprudence attachent un caractère réel.
Il ressort avec évidence que la copropriété ainsi que les droits réels constituent
des entraves à la conception unitaire de la propriété, en cela ils sont intimement
apparentés. En sus, il appert que très peu de dispositions légales et réglementaires
traitent de la situation dans laquelle un droit réel vient grever un lot au sein d’un
immeuble en copropriété.
Comment s’articule la singularité du régime de la copropriété des immeubles bâtis
tel qu’il résulte de la loi du 10 juillet 1965 avec la technique des droits réels ?
Dans la mesure où tout copropriétaire est avant tout propriétaire de son lot, il
est permis à celui-ci de consentir un droit réel sur sa propriété. D’un point de vue
théorique cette opération pose la question de sa compatibilité avec la spécificité de la
structure du lot. D’un point de vue pratique l’opération complexifie les relations au
sein de la collectivité.
Il convient dès lors de procéder à une analyse théorique portant sur la question de la
compatibilité du régime de la copropriété avec les droits réels (Partie 1) avant
d’envisager quelles sont les conséquences pratiques liées à l’existence d’une propriété
démembrée dans une copropriété (Partie 2).
3
« La propriété n’est pas le droit d’une personne sur la chose d’autrui, mais sur sa propre chose »
GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance, LGDJ, 1960, n°41, p. 109. Voir en ce sens ZENATI-CASTAING,
e
REVET, Les biens, PUF, 3 éd., 2008, n°291, p. 453 ; T. Revet, « Natures juridiques respectives de la nuepropriété et de l'usufruit », RTD civ. 2008, 512 ; ou encore pour une analyse détaillée des contradictions
de la théorie classique, BERLIOZ, Droit des biens, Ellipses, 2014, n° 339 et s., p. 371.
-8-
Partie 1 : Analyse théorique de la compatibilité du régime de la
copropriété avec les droits réels
Alors que les servitudes et le bail à construction ont été présentés comme
incompatibles avec le régime instauré par la loi du 10 juillet 1965, tout porte à croire
qu’il n’en est rien (section 1). A contrario, la reconnaissance jurisprudentielle du droit
de jouissance privatif sur une partie commune semble quant à elle inconcevable, tout
au moins tel que ce droit est défini c’est-à-dire comme un droit « réel et perpétuel »
(section 2).
Section 1 : Les droits réels faussement incompatibles avec la copropriété
Si la compatibilité de la copropriété avec les servitudes et le bail à construction
s’est heurtée à un refus de la jurisprudence, il appert que la doctrine est unanime pour
considérer que le bail à construction est compatible avec la copropriété (A) alors
qu’elle est plus mitigée s’agissant des servitudes en copropriété (B).
A. La compatibilité du bail à construction avec la copropriété
La conclusion d’un bail à construction confère au preneur un droit réel de
nature superficiaire sur le sol et sur les constructions existantes, ainsi qu’un droit de
propriété durant toute la durée du bail sur les constructions qu’il a édifié. Ainsi, le
bailleur conserve la propriété du sol.
Au vu de cette répartition des droits, la cour d’appel de Pau du 22 janvier 19924
s’est prononcée explicitement en faveur de l’incompatibilité du bail à construction
avec le régime de la copropriété, dans les termes suivants :
« Le statut de la copropriété, qui institue un régime particulier
d'indivision, est d'interprétation stricte et n'admet aucune autre dérogation que
l'usufruit et l'indivision expressément prévus.
4
CA Pau, 22 janv. 1992 : Juris-Data n° 1992-042360 ; JCP N 1993, II, p. 53, obs. B. Stemmer.
-9-
On voit mal comment un bail à construction comportant un droit de propriété
démembré pour le bailleur et un droit de superficie pour le preneur serait
compatible avec le régime de la copropriété alors que la construction et le
terrain sont indivis entre tous les copropriétaires ».
Nonobstant cet arrêt de la cour d’appel de Pau qui constitue la seule décision
de justice à s’être prononcée sur cette question, il est communément admis que le bail
à construction est compatible avec le régime de la copropriété des immeubles bâtis5.
La loi elle-même, permet cette coexistence entre les deux institutions puisque
l’article L. 251-5 alinéa 1er du Code de construction et de l’habitation dispose que « le
prix du bail peut consister, en tout ou partie, dans la remise au bailleur, à des dates et
dans des conditions convenues, d'immeubles ou de fractions d'immeubles ou de titres
donnant vocation à la propriété ou à la jouissance de tels immeubles ». En
conséquence, dans l’hypothèse où la contrepartie du preneur serait la remise d’une
fraction d’immeuble en cours d’exécution du bail, l’immeuble serait nécessairement
soumis aux dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965 et de son décret
d’application. La copropriété pourra également exister en présence de plusieurs
preneurs à bail. Les copropriétaires seront preneurs à bail et leur droit au bail fera
partie de leur lot de copropriété. A la fin du bail, la copropriété subsistera ou non, en
fonction du sort des constructions.
La compatibilité du bail à construction et de la copropriété est en revanche,
soumise à une seule et unique sujétion. En effet, pour que les deux institutions
puissent coexister, il est nécessaire que le règlement de copropriété déroge
expressément à la présomption légale édictée par l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965,
selon laquelle le sol est une partie commune.
En effet, le sol ne peut être une partie commune puisqu’il est la propriété du
bailleur et non du preneur qui ne dispose que d’un droit réel sur celui-ci. Le sol pourra
5
Voir en ce sens, R. Saint-Alary, in mélanges dédiés à Louis Boyer, « Baux à construction et copropriété »,
p.659 et s. ; GIVRON, GIVERDON, CAPOULADE, La copropriété, n° 59, p.27 ; J-L. TIXIER, Le Bail à
construction, n°108 et s. ; B. Stemmer, JCP N, n°7, 19 février 1993, 100232.
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cependant revêtir la qualification de partie privative dès lors que le bailleur est
également copropriétaire. Cette hypothèse est envisageable si le preneur lui remet un
lot en cours de bail à titre de loyer.
Il convient de souligner que les dispositions permissives au sein du statut de la
copropriété réputé pour son caractère impératif, sont à l’origine de la compatibilité de
son régime avec le bail à construction.
En définitive, pour ce qui est du bail à construction c’est la titularité, pour ne
pas dire la propriété du droit réel issu du bail, qui va déboucher sur l’instauration d’un
immeuble en copropriété, alors que d’ordinaire la mise en copropriété précède la
constitution des droits réels.
B. Les servitudes internes à la copropriété, un simple problème de fonds
La proximité des propriétés immobilières bâties s’est considérablement
accentuée par la densification urbaine. Cette proximité justifie l’existence des
servitudes c’est-à-dire de services instaurés entre deux fonds appartenant à des
propriétaires différents. En effet, il est nécessaire d’établir des relations entre les fonds
immobiliers. Cette nécessité est renforcée au sein d’une copropriété puisque ce
régime met en présence plusieurs droits de propriété sur les différents lots qui sont
eux-mêmes composés de droits de propriété concurrent sur les parties communes et
exclusif sur les parties privatives.
Si l’établissement d’une servitude au profit d’un fonds appartenant à une
personne extérieure à la copropriété ne semble pas susciter de vicissitudes
particulières puisque deux fonds sont facilement identifiables, il n’en est pas de même
s’agissant de l’instauration de servitudes internes à la copropriété. Les débats afférents
aux servitudes au sein d’une copropriété se sont portés sur leur instauration entre les
éléments de la structure du lot (1) à savoir, les parties privatives et les parties
communes, alors qu’il eut été bien plus opportun d’instaurer des servitudes entre les
lots (2).
- 11 -
1. Une orientation des débats sur les éléments de la structure du lot
a) Une structure hybride, source de complexité
La structure du lot de copropriété semble être la principale source des
vicissitudes posées par l’établissement de servitudes au sein d’une copropriété6. Aux
termes de l’article 1er alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 chaque lot comprend « une
partie privative et une quote-part de parties communes ». En application de l’article 6
de la loi précitée, il existe une indivisibilité des parties privatives et de la quote-part de
parties communes comprises dans un lot. Le lot de copropriété est donc une entité
abstraite car on ne peut la délimiter matériellement, cela n’empêche qu’il est l’objet
d’un droit de propriété.
b) Une position jurisprudentielle mitigée
Par un arrêt du 11 janvier 1989 la troisième chambre civile de la Cour de
cassation affirme qu’ « il y a incompatibilité entre la division de l'immeuble en lots de
copropriété et la création d'une servitude sur une partie commune au profit d'un lot
privatif »7. La solution est constante, mais l’attendu conclusif a évolué. Désormais, la
Cour de cassation motive la prohibition par la formule suivante : « une servitude
n'existe que si le fonds servant et le fonds dominant constituent des propriétés
indépendantes appartenant à des propriétaires différents et que tel n'est pas le cas
d'un immeuble en copropriété »8.
Cette solution est parfaitement justifiée puisque la condition afférente à la
dualité de propriétaire n’est pas remplie. En effet, l’instauration de servitudes entre
partie privative et partie commune est contraire à l’article 637 du Code civil qui impose
l’existence de deux fonds appartenant à deux propriétaires différents, or les lots de
copropriété sont inéluctablement composés d’une quote-part de parties communes.
Cette quote-part est l’émanation de l’état d’indivision dans lequel se trouvent les
6
GIVRON, GIVERDON, CAPOULADE, op. cit., n° 130, p. 62.
e
Civ. 3 , 11 janv. 1989, Bull. civ. III, n° 11.
8
e
Civ. 3 , 30 juin 1992, Bull. civ. III, n° 231.
7
- 12 -
parties communes et selon une jurisprudence ancienne et constante9, il est impossible
d’établir une servitude entre deux biens appartenant pour l’un à une personne en
pleine propriété et pour l’autre à cette même personne mais en indivision avec
d’autres. Dans la mesure où le copropriétaire est à la fois propriétaire de sa partie
privative et d’une quote-part de parties communes lesquelles sont en indivision, la
position jurisprudentielle est en étroite orthodoxie avec celle qui est la sienne en
matière de servitudes des immeubles en indivision.
Toutefois, s’agissant des servitudes instaurées entre des parties privatives au
sein d’une même copropriété après avoir été hostile à leur endroit, la Cour de
cassation les a bel et bien autorisées. En premier lieu, la troisième chambre civile avait
constaté l’existence d’une « une incompatibilité entre la division d'un immeuble en lots
de copropriété et la création, au profit de la partie privative d'un lot, d'une servitude
sur la partie privative d'un autre lot »10. Elle est revenue sur sa position par un arrêt du
30 juin 200411 en affirmant que « la division d'un immeuble en lots de copropriété n'est
pas incompatible avec l'établissement de servitudes entre les parties privatives de deux
lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts ». Un tel revirement était
escompté par une majorité d’auteurs, mais sans conteste il ne résout pas la question
de servitudes internes à la copropriété.
c) Une doctrine favorable à la compatibilité, ou presque
Ces arrêts rendus sur la compatibilité entre des servitudes et la copropriété ont
donné lieu à d’intenses débats en doctrine. La majorité des auteurs ont pris le contrepied de la position prétorienne, alors que pour soutenir cette dernière force est
d’observer qu’on ne trouva qu’une poignée d’auteurs. Ce mouvement doctrinal
minoritaire fut incarné notamment par Giverdon. Les arguments avancés par cet
9
e
Civ. 3 , 6 février 1973, Bull. civ. III, n° 101 ; 27 mai 2009, ibid. n° 125.
e
e
Civ. 3 , 2 décembre 1980, Bull. civ. III, n° 187 ; Civ. 3 , 11 janvier 1984 ibid. n° 6 ; 6 mars 1991 ibid. n°
75 ; 22 mars 1995 ibid. n° 87 ; 18 juin 1997 ibid. n° 143.
11
e
Civ. 3 , 30 juin 2004, n° 03-11.562, Bull. civ. III, n° 140 ; RTD civ. 2004. 753, Chron. Th. Revet ; D. 2005.
1134, note Giverdon, Capoulade ; JCP 2004, n° 43, p. 1906, obs. Périnet-Marquet.
10
- 13 -
auteur pour défendre le principe d’incompatibilité des servitudes et de la copropriété
reposent sur l’absence de caractère privatif du lot de copropriété. En effet, selon
l’auteur puisque le lot de copropriété n’est que la « synthèse » de la propriété
exclusive des parties privatives et de la propriété indivise des parties communes,
l’instauration d’une servitude en copropriété aurait pour effet de rompre cette
synthèse ce qui entrainerait la disparition du lot.
A contrario, la doctrine majoritaire dont les plus fervents défenseurs furent les
Professeurs Atias12, Aubert13 et Zenati14, soutient la parfaite miscibilité des servitudes
et de la copropriété. Certes, il existe une indivisibilité entre les parties privatives et les
parties communes. Toutefois, il ne semble pas que la volonté du législateur ait été
d’empêcher la constitution de servitude au sein d’une copropriété. En effet, en
substance l’article 6 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que « les parties communes et
les droits qui leur sont accessoires ne peuvent faire l'objet, séparément des parties
privatives, d'une action en partage ni d'une licitation forcée ».
Malgré la richesse de ces débats, il appert que l’objet des servitudes tel qu’il est
discuté ne permet pas de solutionner la question des servitudes en copropriété. En
effet, l’établissement de servitudes sur une partie commune au profit d’une partie
privative ne devrait pas être utile puisque les parties communes sont affectées à
l’usage de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux conformément à
l’article 3 de la loi du 10 juillet 196515. De même, l’établissement d’une servitude sur
une partie privative au profit d’une partie commune est contraire à l’usage exclusif
dont la partie privative est l’objet en vertu de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1965.
2. La nature du lot comme résolution du problème
12
C. Atias, « Naissance d'un principe : des servitudes en copropriété immobilière », D. 1987, Chron. 285.
J-L. Aubert, « Quelques mots à propos des servitudes en copropriété », JCP 1993. i. 3726 ; « La
constitution d'une servitude est incompatible avec le régime de la copropriété. Devoir de conseil du
notaire qui ne mentionne pas dans les actes de vente de certains lots cette incompatibilité », D. 1993,
156.
14
F. Zenati, « Pas de servitude dans une copropriété », RTD Civ. 1993, p. 618.
15
GIVRON, GIVERDON, CAPOULADE, op. cit., n° 130, p. 62.
13
- 14 -
A dire vrai, les controverses exposées précédemment puisent leur origine dans
le choix des biens entre lesquels les servitudes ont été établies. En effet, si l’on revient
aux dispositions légales afférentes au régime des servitudes on constate que seul un
« héritage » (i.e. un fonds immobilier) peut faire l’objet d’une servitude ou en être le
bénéficiaire. Au surplus, l’article 687 du Code civil précise que « les servitudes sont
établies ou pour l'usage des bâtiments, ou pour celui des fonds de terre ». On trouve
dans cette disposition un rappel explicite à la définition des immeubles par nature
instituée par l’article 518 du Code civil qui prévoit que « les fonds de terre et les
bâtiments sont immeubles par leur nature ». Analogiquement, il faut en déduire que
seuls les immeubles par nature16 peuvent constituer des fonds servants ou dominants.
Or, ni les parties privatives, ni les parties communes d’un immeuble soumis au statut
de la copropriété ne revêtent pareille qualité et ce, bien qu’elles fassent toutes deux
l’objet d’un droit de propriété exclusif pour les premières et collectif pour les secondes.
Les parties privatives et les parties communes constituent la structure du lot de
copropriété. Mais seul le lot de copropriété constitue un immeuble par nature17 c’est
pourquoi en copropriété, les servitudes internes ne peuvent être instaurées qu’entre
les lots18.
Ce n’est donc pas uniquement parce que les parties communes sont en
indivision entre tous les copropriétaires que des servitudes ne peuvent être établies
entre elles et les parties privatives, c’est aussi et surtout parce que ni les parties
privatives, ni les parties communes ne constituent des héritages au sens de l’article
637 du Code civil. Pour illustrer le propos, on prendra l’exemple d’un terrain sur lequel
une servitude de passage est établie. La partie du terrain où s’exerce la servitude de
passage ne constitue aucunement le fonds servant, elle n’est que l’assiette sur laquelle
s’exerce la servitude, tout comme les parties communes et privatives. C’est l’immeuble
grevé par la servitude qui constitue le fonds servant, à l’instar du lot.
16
Hormis les immeubles par nature spécifiques visés à l’article 520 du Code civil (plantations…).
e
Civ. 3 , 15 nov. 1989, Bull. civ. III, n° 213.
18
T. Revet, « Servitude entre lots de copropriété et responsabilité du bailleur », RTD civ. 2004. 753.
17
- 15 -
Cette analyse contredit ontologiquement l’état du Droit actuel qui place le
curseur des fonds servants et dominants sur les éléments de la structure du lot de
copropriété alors que la nature des lots de copropriété permet l’instauration de
servitudes entre eux. Les dispositions de la loi du 10 juillet 1965 et de son décret
d’application visent d’ailleurs alternativement la constitution de droit réel sur le lot19
ou sur le droit de propriété20 dont il est l’objet et non sur les parties privatives.
Section 2 : L’inconcevabilité théorique du droit de jouissance privatif « réel et
perpétuel » sur une partie commune
La Cour de cassation par plusieurs arrêts21 a reconnu la possibilité au syndicat
de copropriété de concéder un droit « réel et perpétuel » sur une partie commune de
l’immeuble à un copropriétaire ou à une personne ne revêtant pas cette qualité.
A titre liminaire, il y a lieu de relever le paradoxe que suggère le droit de
jouissance privatif d’une partie commune. En effet, si les dispositions de la loi du 10
juillet 1965 qui prévoient que les parties communes sont « affectées à l'usage ou à
l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux » et que les parties
privatives sont « réservées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé », ne sont
pas d’ordre public car non visées par l’article 43 de la même loi, il n’en demeure pas
moins que l’affectation de ces parties relève de leur nature et de l’essence même du
statut de la copropriété des immeubles bâtis. D’autant que l’usage exclusif est le seul
critère qui permet de distinguer les parties privatives des parties communes, il en va
de l’esprit de la loi du 10 juillet 196522. C’est ainsi que certains auteurs ont qualifié ce
19
Articles 4, 5, 6 et 32 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967.
Article 23 al. 2 de la loi du 10 juillet 1965.
21
e
Civ. 3 , 4 mars 1992, n° 90-13.145, Bull. civ. III, n° 73 ; IRC 1992. 237, note Capoulade ; RDI 1992. 240 ;
D. 1992. 386, note Atias ; Defrénois 1992. 1140, note Souleau ; Administrer janv. 1993. 13 ; RTD civ.
e
e
1993. 162, note Zénati ; Civ. 3 , 17 juin 1997, n° 96-10506 ; Civ. 3 , 2 décembre 2009, n° 08-20310.
22
C. Atias, « Propriété indivise et usage privatif ; terrasses et terrains privées en copropriété
immobilière », JCP N, n° 42, 16 octobre 1987, 10109.
20
- 16 -
droit
d’« hérésie » 23 , de « non-sens juridique » 24 et même de « pratique contra
legem »25.
Outre ces considérations, il appert qu’un droit de jouissance privatif portant sur
une partie commune de copropriété ne peut être à la fois réel et perpétuel, c’est
pourquoi l’existence de ce droit est théoriquement inconcevable. En effet, ce droit ne
peut avoir un caractère réel lorsqu’il est concédé à un copropriétaire (A) et il ne peut
être perpétuel lorsqu’il est concédé à une personne étrangère à la copropriété (B).
Cette incompatibilité est donc de nature à remettre en cause l’existence même du
droit dit « réel et perpétuel » de jouissance privatif d’une partie commune.
A. Le défaut de réalité du droit de jouissance privatif consenti à un
copropriétaire sur une partie commune
L’impossible nature réelle du droit de jouissance privatif sur une partie
commune de copropriété (1), impose une recherche de la qualification à donner à la
situation dans laquelle un copropriétaire use et jouit privativement d’une partie
commune (2).
1. L’impossible réalité du droit de jouissance privatif consenti à un
copropriétaire sur une partie commune
a) La définition des droits réels contredisant l’existence même du droit
sui generis
Un droit réel est un droit qui grève la propriété d’autrui et non simplement un
pouvoir sur une chose, il est donc impossible pour un copropriétaire de se voir
reconnaître un droit réel sur les parties communes puisque celles-ci lui appartiennent
déjà en pleine propriété malgré l’état d’indivision. En effet, les parties communes sont
23
C. Atias, art. préc.
BERLIOZ, op. cit., n°270, p. 370.
25
BERLIOZ, op. cit., n°270, p. 370.
24
- 17 -
l’objet d’une indivision perpétuelle26 entre les copropriétaires et comme le souligne les
Professeurs Zenati et Revet tout indivisaire « n’est propriétaire que pour une part, mais
il n’en demeure pas moins propriétaire de la totalité ». Partant, cette conception des
droits réels rend impossible la concession d’un droit réel sur une partie commune à un
copropriétaire.
b) La comparaison avec les servitudes
La reconnaissance par la jurisprudence 27 d’un droit de jouissance privatif
prétendument réel sur une partie commune, semble être destinée à combler
l’impossibilité d’établir des servitudes entre parties privative et commune. C’est
pourquoi, selon Aubert28 ce nouveau droit sui generis d’origine prétorienne n’est « rien
d’autre qu’une servitude dont on ne veut pas dire le nom ».
Il est vrai que la nature même des droits réels corrobore cette analyse, puisque
ceux-ci ne sont rien d’autre que des servitudes innomées29 instituées non pas au profit
d’un fonds, mais au profit d’une personne. La principale différence entre les servitudes
et les autres droits réels réside dans la qualité du bénéficiaire du service. Si les
servitudes sont instaurées au profit d’un fonds, les autres droits réels grèvent un bien
pour l’utilité d’une personne. Par ailleurs, les biens susceptibles d’être grevés de
servitudes sont plus restreints puisqu’il ne peut s’agir de certains immeubles par
nature alors que l’usufruit par exemple peut être établi sur toute sorte de biens
meubles ou immeubles30. Mises à part ces distinctions, la technique du droit réel est
parfaitement assimilable à celle des servitudes. D’ailleurs, en droit romain la notion de
servitude englobait celle d’usufruit et des autres droits réels31 et sa technique était à
l’origine de la création de ces droits. Ainsi, on parlait de « servitudes personnelles »
26
Article 4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
Civ. 3e, 4 mars 1992, préc.
28
J-L. Aubert, « quelques mots à propos des servitudes en copropriété », JCP 1993. i. 3726.
29
ZENATI-CASTAING, REVET, op. cit., n° 297, p. 459.
30
Article 581 Code civil.
31
Université Numérique Juridique Francophone, Histoire du droit Privé : la propriété, Lecon 5 : la
technique romaine, J. Poumarede ; ZENATI-CASTAING, REVET, op. cit., n°291 p. 454.
27
- 18 -
pour l’usufruit et ses diminutifs et de « servitudes réelles » pour les servitudes
prédiales.
En vertu l’adage « nemini res sua servit », nul ne peut avoir de servitude sur sa
propriété, ni de droit réel32. C’est sur ce fondement que la Cour de cassation33 a rendu
impossible la constitution d’une servitude sur un fonds en indivision au profit d’un
autre fonds appartenant à un des indivisaires uniquement. Dès lors, tout comme les
servitudes entre parties privative et commune, la concession d’un droit réel à un
copropriétaire devrait être proscrite. De la même manière que les servitudes sur une
partie commune de copropriété demeurent interdites, on voit mal comment d’autres
droits réels attribués à des copropriétaires, pourraient grever ces parties indivises. Il en
résulte une impossibilité de conférer un caractère réel au droit de jouissance privatif
d’un copropriétaire.
2. Des propositions de qualifications plus adéquates
Si la qualification de droit réel n’est pas acceptable, d’autres outils de notre
Droit permettent de qualifier la situation dans laquelle un copropriétaire jouit
privativement d’une partie commune à la copropriété. Il suffit pour cela de faire appel
au droit commun de l’indivision (a), ou alors d’admettre que rien ne différencie cette
situation de celle d’un propriétaire (b). Dans un sens comme dans l’autre la
qualification de droit réel est éludée.
a) La jouissance et l’usage privatif d’une chose en indivision
Si le droit sui generis est présenté - faussement - comme ayant la même nature
réelle qu’une servitude, force est de constater qu’il n’aboutit pas au même résultat. Le
droit de jouissance privatif d’une partie commune conféré à un copropriétaire exclut
les autres copropriétaires de leur possibilité de jouir de cette partie commune, alors
32
B. Kan-Balivet, « La nature juridique du droit de jouissance exclusif sur les parties communes »,
Défrénois, 30 septembre 2008, n°16, p. 1765 (paragraphe n°26).
33
e
Civ. 3 , 6 février 1973, préc.
- 19 -
que l’instauration d’une servitude permet d’accéder aux utilités de la chose
conjointement avec le propriétaire, en l’occurrence avec les autres copropriétaires.
L’exclusivité dont dispose le titulaire du droit sui generis est le principal apport de cette
création prétorienne puisqu’il peut déjà jouir des parties communes en sa qualité de
copropriétaire.
On comprend bien évidemment que pour des raisons de commodité pratique
certaines parties communes (balcons, loggias, terrasses…) doivent être à l’usage d’un
seul copropriétaire. Mais, les règles traditionnelles de l’indivision semblent pouvoir
répondre à cette nécessité. Assurément, l’article 815-9 du Code civil permet à un
indivisaire de pouvoir jouir et user privativement d’une chose indivise. Voilà une autre
raison pour laquelle le droit de jouissance privatif ne peut être assimilé à un véritable
droit réel, il ne s’agit en réalité que d’un simple aménagement de l’usage et la
jouissance des parties communes34.
b) Les difficultés de distinction avec la propriété
Cette situation constituant à octroyer l’exclusivité d’une partie commune à un
seul copropriétaire peut aussi être assimilée à celle dans laquelle un indivisaire
acquiert le bien indivis par usucapion35. En effet, l’indivisaire est déjà propriétaire du
bien indivis et la prescription acquisitive n’a pour seule effet que de lui admettre le
droit d’exclusivité. C’est ainsi qu’on a pu parler pour qualifier le droit de jouissance
privatif sur une partie commune de copropriété de « propriété exclusive inavouée » 36.
En sus, les critères dégagés en jurisprudence quant à l’appropriation d’un droit
de jouissance d’une partie commune par voie de prescription acquisitive ne
permettent pas de le distinguer de l’acquisition par prescription des parties communes
à titre de propriétaire. Et ce, nonobstant une dichotomie expresse selon laquelle « un
droit de jouissance exclusif sur des parties communes n'est pas un droit de propriété et
34
BERLIOZ, op. cit., n° 360, p. 395.
Voir par exemple en ce sens, T. Revet, « Une propriété exclusive inavouée : le partie commune d’une
copropriété objet d’un droit de jouissance privatif prescrit par un copropriétaire », RTD civ. 2008, p. 693.
36
T. Revet, art. préc., RTD civ. 2008, p. 693.
35
- 20 -
ne peut constituer la partie privative d'un lot »37. En effet, s’il est possible d’acquérir le
droit réel par prescription, on voit mal comment distinguer le comportement du
titulaire d’un droit de jouissance privatif sur une partie commune de celui d’un
propriétaire38. Cependant, la Cour de cassation persiste et refuse de qualifier le droit
de jouissance privatif, de droit de propriété39.
De prime abord, cette solution semble idoine malgré toutes les incohérences
qui en résultent, car la reconnaissance d’un droit de propriété individuel sur une partie
commune pourrait dans certains cas entraîner la disparition de la copropriété. Il en
sera ainsi dès lors que la partie commune objet de la jouissance privative, est la seule
partie commune de la copropriété. Dans ce cas, la qualification de propriété du droit
de jouissance privatif sur la partie commune aurait pour effet de lui soustraire la
qualification de partie commune, elle deviendrait instantanément une partie privative.
Cette hypothèse constitue sans nul doute un cas d’école dont les vicissitudes peuvent
être résolues par une modification du règlement de copropriété, mais elle méritait
d’être relevée.
Il résulte de tout ce qui précède que le droit de jouissance privatif d’une partie
commune ne peut revêtir la qualification de droit réel lorsqu’il est consenti à un
copropriétaire. Corrélativement, cette qualification devient parfaitement admissible
lorsque le droit de jouissance privatif est concédé à une personne étrangère à la
copropriété, en revanche dans une telle hypothèse, le droit réel ne pourra pas être
perpétuel.
B. La perpétuité impossible du droit réel conféré sur une partie commune à
une personne étrangère à la copropriété
37
e
e
e
Civ. 3 , 19 déc. 1990, n° 89-12.526 - Civ. 3 , 4 mai 1995, n° 93-11.121 - Civ. 3 , 6 juin 2007, n° 0613.477, Bull. civ. III, n° 98 ; AJDI 2007, 575, obs. O. Guérin ; JCP 2007. I. 197, n° 5, obs. H. Périnete
Marquet ; Civ. 3 , 8 oct. 2008, n° 07-16.540.
38
I. Degage, « La distinction entre la propriété et la jouissance d’une partie commune acquise par
prescription », Défrenois, 28 février 2012, n°4, p. 179.
39
e
Civ. 3 , 6 juin 2007, préc.
- 21 -
Très étonnamment, la Cour de cassation a également qualifié le droit de
jouissance exclusif sur une partie commune dont le titulaire n’était pas un
copropriétaire, de droit « réel et perpétuel »40. Cette décision pour le moins étrange
est, pour reprendre les mots d’un auteur, « juridiquement incompréhensible »41, car
elle se heurte aux principes élémentaires du droit des biens. En effet, si la perpétuité
d’un tel droit pouvait être acceptable ce n’était qu’à la condition que son titulaire soit
propriétaire d’un lot (2), lorsqu’il en va autrement cet état contredit l’essence même
des droits réels (1). En revanche, il est possible de considérer que les décisions
relatives au droit réel de jouissance spéciale mettent un terme à cette situation (3).
1. Le principe des droits réels nécessairement temporaires
De prime abord, il convient de rappeler que l’existence de droits réels
perpétuels est contraire à la conception traditionnelle du droit de propriété telle
qu’issue de notre héritage révolutionnaire. En effet, dans le but de mettre un terme au
domaine utile de l’Ancien Droit, la perpétuité des droits réels fut proscrite.
L’objet même de la limitation temporelle des droits réels réside dans la
protection du droit de propriété. C’est pourquoi, les droits réels légaux sont tous
limités dans le temps mis à part les servitudes, mais il ne s’agit pas là d’une véritable
exception puisqu’elles s’éteignent par le non-usage trentenaire contrairement à la
propriété qui est imprescriptible42 et ne peut se perdre par le non-usage43. D’ailleurs,
certains auteurs considèrent que le droit de jouissance privatif sur une partie
commune ne peut se perdre par le non-usage44 au motif que la Cour de cassation
40
e
Civ. 3 , 2 déc. 2009, n° 08-20.310, Bull. civ. III, n° 266 ; RDI 2010, p. 315, note J.-L. Bergel ; D. 2011, p.
199, obs. C. Atias ; AJDI 2010. 644, note Tomasin ; Administrer 2010, n° 432.42, note Capoulade.
41
SABATIÉ, Copropriété, n°04.15, p.26.
42
Article 2 de la DDHC 1789 ; article 2227 code civil.
43
Cass. Req. 12 juillet 1905, « Le Cohu c/ Morvan », DP 1907, 1, 141, obs. Potier ; S. 1907. 1. 273, note
Wahl.
44
J-L. BERGEL, « Le droit de jouissance exclusive de parties communes de copropriété confère à son
titulaire un droit réel et perpétuel pour lequel il n’est tenu que de frais d’entretien et de réparation », RDI
2010, p. 315 ; ou encore, GIVRON, GIVERDON, CAPOULADE, op. cit. , n° 104, p. 49.
- 22 -
affirme que « l'usage effectif de ce droit était sans incidence sur sa pérennité »45.
Certaines juridictions du fonds ont d’ailleurs adopté ce principe46. Cette analyse
contribue grandement à assimiler le droit de jouissance privatif à une propriété
exclusive comme ceci a pu être exposé antérieurement. La précarité des droits réels
est ainsi nécessaire à la sauvegarde de la propriété une et indivisible telle qu’elle
innerve notre Droit. Toutefois, la jurisprudence a transgressé ce principe et ce,
précisément en ce qui concerne le droit de jouissance privatif sur une partie commune.
2. Une exception pour la copropriété justifiée en apparence
La justification du caractère perpétuel du droit de jouissance privatif relève du
rapport d’accessoire que le droit entretien avec le lot objet d’un droit de propriété
pour son titulaire. Dès lors, en vertu de la règle « accessorium sequitur principale » ce
droit est rattaché au droit de propriété que le copropriétaire détient sur son lot. Cette
solution n’est justifiée que lorsque le droit de jouissance privatif est consenti à un
copropriétaire, mais elle n’est plus acceptable lorsque le droit est consenti à un tiers à
la copropriété. D’autant que cela est conforté par les avancées jurisprudentielles en
matière de droit réel de jouissance spéciale.
3. Le droit réel de jouissance spéciale ou la reconnaissance de l’impossible
perpétuité du droit réel de jouissance privatif consenti à un tiers à la
copropriété
Par un arrêt très remarqué dit « Maison de Poésie » du 31 octobre 201247, la
troisième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu au visa des articles 544 et
1134 du Code civil, la liberté pour un propriétaire de consentir un droit réel conférant
le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien, sous réserve des règles d’ordre
public.
45
e
Civ. 3 , 4 mars 1992, préc.
e
CA Paris, 23 ch., 3 mars 2005, Juris-Data n°2005-267067.
47
e
Civ. 3 , 31 oct. 2012, n° 11-16.304.
46
- 23 -
Subséquemment, la même juridiction a précisé le régime ratione temporis de
cette nouvelle institution en permettant aux parties de convenir librement de sa durée
sous réserve de toute perpétuité48. L’espèce portait sur un droit d’usage établi sur une
partie commune au profit d’une personne morale. Cette situation est donc analogue
au droit de jouissance privatif consenti à une personne extérieure à la copropriété,
c’est pourquoi il est permis de considérer que ce droit doit désormais être qualifié de
droit réel de jouissance spéciale lequel ne peut être perpétuel49.
Cet arrêt n’a pas pour objet de mettre fin à la pratique du droit de jouissance
privatif « réel et perpétuel » sur une partie commune qui malgré son inconcevabilité
demeure parfaitement applicable lorsqu’il est concédé à un copropriétaire. L’apport
incident de cet arrêt, est semble-t-il, de nous éclairer sur le régime temporel des droits
réels portant sur une partie commune et concédé à une personne non-propriétaire
d’un lot. En effet, comme nous l’avons exposé précédemment rien ne justifie qu’un tel
droit réel sur une partie commune puisse être consenti sans limitation de durée à un
tiers à la copropriété. C’est pourquoi il est permis à juste titre de considérer que l’arrêt
de 2015 opère un revirement par rapport à la solution dégagée en 2009 qui rendait
possible la concession d’un droit « réel et perpétuel » à un non-copropriétaire.
48
e
Civ. 3 , 28 janv. 2015, n° 14-10013. Dans cet arrêt, la Cour a également précisé le régime supplétif du
droit réel de jouissance spéciale consenti à une personne morale, lequel est celui de l’usufruit et des
droits d’usage et d’habitation.
49
H. Périnet-Marquet, JCP G n° 18, 4 mai 2015.
- 24 -
Partie 2 : Les conséquences pratiques liées à l’existence d’une
propriété grevée en copropriété
La constitution d’un droit réel sur un lot de copropriété bouleverse
l’organisation et le fonctionnement de la copropriété dans les relations entre le
syndicat et le propriétaire du lot (section 2), c’est la raison pour laquelle cette
opération est sujette à des exigences au plan formel (section 1).
Il convient de préciser dès à présent que sauf indication contraire les règles et
principes dégagés pour l’usufruit sont applicables aux droits d’usage et d’habitation et
inversement, mais s’agissant des autres droits réels la question demeure ouverte.
Section 1 : L’importance des sujétions formelles à respecter
A l’instar de la cession d’un lot, la constitution d’un droit d’usufruit, d’usage ou
d’habitation implique l’accomplissement de certaines formalités. L’objectif de ces
exigences formelles est d’assurer l’opposabilité du règlement de copropriété au
titulaire du droit réel (A) et réciproquement, d’assurer l’information du syndicat des
copropriétaires quant au titulaire du droit réel sur un lot (B).
A. L’opposabilité du règlement de copropriété au titulaire du droit réel
L’entrée en copropriété emporte nécessairement adhésion au règlement
conventionnel de copropriété. Ce document de nature contractuelle définit le
fonctionnement de la copropriété ainsi que les droits et obligations des copropriétaires.
C’est à raison de cette nature que l’article 4 du décret du 17 mars 1967 impose
certaines mentions obligatoires au sein des actes constitutifs de droit réel sur un lot de
copropriété. Ainsi, l’acte constitutif doit mentionner expressément que le titulaire du
droit réel a eu préalablement connaissance du règlement de copropriété, de ses
- 25 -
modificatifs et de l’état descriptif de division, à condition qu’ils aient été publiés au
fichier immobilier conformément à l’article 13 de la loi du 10 juillet 1965.
En réalité, malgré les dispositions de l’article 4 du décret précité, la
connaissance préalable du règlement de copropriété n’a pas pour effet de lui rendre le
document opposable50 mais seulement de l’informer quant au contenu des obligations
qu’il recèle. En effet, l’opposabilité est effective une fois le document publié au service
de la publicité foncière (anciennement dénommée Conservation des hypothèques),
c’est d’ailleurs tout l’objet de cette formalité.
Pour des raisons évidentes, l’article 4 précité prévoit à son second alinéa que
même en l’absence de publication les documents s’imposent au titulaire du droit réel
dès lors que l’acte constitutif stipule expressément qu’il a eu préalablement
connaissance desdits documents et qu’il adhère aux obligations qui en découlent. Dans
cette hypothèse, la communication préalable rend les documents opposables au
titulaire du droit réel.
En tout état de cause, que le règlement de copropriété et l’état descriptif de
division aient été publiés ou non, le titulaire du droit réel doit en avoir eu
préalablement connaissance. Pour ce faire, il peut procéder de trois manières. Tout
d’abord, il peut s’adresser directement à son cocontractant ou au syndic de
copropriété. Ensuite, en s’adressant au service de la publicité foncière du lieu de
situation de l’immeuble. Enfin, en contactant le notaire dépositaire de la minute du
règlement et de ses modificatifs. En pratique, il reviendra au rédacteur de l’acte
constitutif (généralement l’agent immobilier ou le notaire) de s’assurer du respect de
ces formalités sous peine de voir sa responsabilité engagée.
Enfin, selon les dispositions de l’article 5 du décret du 17 mars 1967,
préalablement à l'établissement de la convention constitutive du droit réel immobilier,
le syndic est tenu d'adresser au notaire chargé de recevoir l'acte, un état daté qui
permettra d'informer le titulaire de ses futures obligations.
50
LAFOND, ROUX, Code de la copropriété, p. 507, n°2.
- 26 -
B. L’information du syndicat quant au titulaire du droit réel
L’octroi d’un droit réel confère à son titulaire une partie des utilités du lot, dès
lors, l’article 6 du décret du 17 mars 1967 impose la notification de cette opération au
syndic, « sans délai » c’est-à-dire immédiatement après que l’acte ait été conclu. Cette
notification permettra en outre, au syndic de tenir à jour la liste des copropriétaires et
des titulaires de droits réels en mentionnant leur état civil, leur domicile réel ou élu et,
s'il s'agit d'une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et son
organe représentant.
L’article 6 du décret précité est très général quant au type d’opération
concerné mais il est limitatif s’agissant des types de droits réels concédés. Cette
disposition légale vise, en effet, les opérations de transfert et de constitution des
droits d’usufruit, d’usage et d’habitation, à titre gratuit ou onéreux.
Peut-on considérer que le transfert et la constitution d’autres droits réels ne
doivent pas être notifiés au syndic ? A priori oui, dans la mesure où d’autres
dispositions de la loi du 10 juillet 1965 et de son décret d’application se réfèrent
expressément au démembrement de propriété et aux droits réels 51 de manière
générale ou de façon exhaustive à l’usufruit et à ses diminutifs que sont les droits
d’usage et d’habitation 52 . Cependant, pour plus de rationalité il conviendrait
d’appliquer ces dispositions à tous les droits réels et notamment au droit réel de
jouissance spéciale.
Cette obligation incombe aux parties ou au notaire qui a établi l’acte constitutif.
En cas de manquement, le syndic pourra obtenir la condamnation in solidum du
propriétaire et de l’usufruitier à payer les charges relatives au lot53.
51
Art. 23 de la loi du 10 juillet 1965, art. 4 du décret du 17 mars 1967.
Art. 6, 32, 61, 65 du décret du 17 mars 1967.
53
e
CA Paris, 23 ch. B, 27 janvier 2007 ; Loyers et copr. 2007, comm. 107, obs. G. Vigneron.
52
- 27 -
Section 2 : Le bouleversement des relations avec la collectivité
Lorsqu’un lot de copropriété est grevé par un droit réel, la collectivité se voit
augmentée. Cet accroissement du nombre d’interlocuteurs complique le paiement des
charges (A) et la représentation aux assemblées générales (B). Il conviendra enfin,
d’évoquer la situation particulière de l’usufruitier par rapport aux autres titulaires de
droits réels sur un lot, en ce qui concerne la possibilité de contester les décisions prises
en assemblée générale des copropriétaires (C).
A. Le paiement des charges de copropriété d’un lot grevé
Le démembrement portant sur un lot de copropriété complexifie les relations
financières qu’entretiennent le syndicat et les copropriétaires. C’est pourquoi, au
stade de l’obligation à la dette, la situation du syndicat tend à être renforcée (1) par la
reconnaissance de plus de solidarité entre le propriétaire du lot et le titulaire du droit
réel. La solidarité permet au syndicat de ne pas être inquiété par la question épineuse
de la répartition des charges de copropriété entre le propriétaire et le titulaire du droit
réel sur le lot (2).
1. Le renforcement de la situation du syndicat au stade de l’obligation à la
dette
Le recouvrement des charges est un point névralgique de la copropriété,
comme en atteste l’augmentation constante des copropriétés en difficultés54. Aussi,
pour favoriser le recouvrement des charges en cas de démembrement d’un lot, il est
fréquent que le règlement de copropriété prévoie des clauses de solidarité.
Auparavant, ces clauses étaient réputées non-écrites par la jurisprudence55 sur le
fondement des dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965 et de son décret du
54
Dominique Braye, Agence nationale de l’habitat - Rapport : "Prévenir et guérir les difficultés des
copropriétaires", Bibliothèque des rapports publics - La Documentation française.fr.
55
CA Paris 27 oct. 1989, Loyers et copr. 1989, p. 541 ; CA Versailles 28 juin 1990, Rev. Administrer nov.
1990, p. 54 ; CA Paris 21 décembre 1994 ; Loyers et copr. 1995, comm. 180.
- 28 -
17 mars 1967 qui n’envisagent pas de solidarité entre le propriétaire du lot et le
titulaire du droit réel. Cette solution conduisait à ce que le fonctionnement de la
copropriété soit entravé dans une mesure non-acceptable par la constitution d’un
droit réel sur un lot. Certains auteurs ont cependant salué cette position en
considérant qu’il existe une indépendance entre les droits de l’usufruitier et ceux du
nu-propriétaire56.
Toutefois, la tendance prétorienne s’est inversée en deux temps, tout d’abord
en admettant la possibilité au syndicat d’obtenir la condamnation in solidum du
propriétaire et du titulaire du droit réel pour le recouvrement des charges (a), puis en
reconnaissant la validité des clauses de solidarité stipulées au sein des règlements de
copropriété (b).
a) La possibilité d’obtenir une condamnation in solidum
Au début du siècle, la Cour de cassation57 a considéré :
« qu'aucun texte légal ou règlementaire n'exonère un copropriétaire,
sous prétexte qu'aurait été constitué un droit d'usage et d'habitation, de
l'obligation de paiement des charges instituées par l'article 10 de la loi du 10
juillet 1965, la cour d'appel, qui a retenu que M. X... avait conservé son droit de
propriété et qui, en présence d'une demande de condamnation in solidum,
n'était pas tenue de régler les rapports entre les titulaires des droits démembrés,
a légalement justifié sa décision de ce chef ».
Les juridictions du fonds ont suivi cette impulsion donnée par la Cour de
cassation, dès lors, le syndicat des copropriétaires est en mesure d’obtenir la
condamnation in solidum du propriétaire du lot et du titulaire d’un droit d’usage et
d’habitation sur ce lot. Cette solution a également été admise pour un lot grevé
56
C. Giverdon, AJDI 2000, p.825 ; Contra ZENATI-CASTAING, REVET, op. cit., n° 334, p. 492 pour qui
« L’usufruitier n’est pas un usager juxtaposé au propriétaire et indépendant de lui ».
57
e
er
Civ. 3 , 22 févr. 2000, n° 98-17.231, Bull. civ. III, n° 40 ; JCP N 2000, 1190, note Djijo ; Gaz. Pal. 1 déc.
2000, AJDI 2000, 824, obs. Giverdon ; Administrer août-sept. 2000, 36, note Capoulade, RDI 200, 149.
- 29 -
d’usufruit58 . La possibilité d’obtenir la condamnation in solidum n’est donc plus
uniquement une sanction du défaut de notification de la constitution du droit réel au
syndic, mais un principe applicable en toute circonstance.
b) La validité des clauses de solidarité
Toujours dans un sens favorable au syndicat des copropriétaires, la
jurisprudence a opéré un revirement en admettant la validité des clauses de solidarité
au sein des règlements de copropriété59. Les différences entre la solidarité et la
condamnation in solidum sont très minces et d’ordre procédural60, elles concernent
principalement l’interruption de la prescription au stade de l’exécution de l’obligation.
En présence d’une clause de solidarité l’assignation d’un seul des débiteurs
interrompra la prescription à l’égard de tous les débiteurs alors qu’il sera nécessaire
d’assigner tous les débiteurs condamnés in solidum pour interrompre la prescription
contre tous.
Tout bien considéré, il est désormais admis, à rebours d’une doctrine
minoritaire61, que le syndicat n’a pas à procéder à la répartition de charges de
copropriété entre le propriétaire du lot et le titulaire d’un droit réel62.
2. La répartition des charges de copropriété entre propriétaire de lot et
titulaire de droit réel au stade de la contribution à la dette
En cas de condamnation in solidum ou en présence d’une clause de solidarité,
le juge n’a pas à procéder à la répartition des charges entre le propriétaire du lot et le
titulaire du droit réel63. En cas d’usufruit, c’est la loi qui règle cette répartition. Pour ce
qui concerne les droits d’usage et d’habitation, il y a lieu de se référer à l’acte
58
CA Versailles, 25 janvier 2000, Loyers et copr. juillet 2010 n° 7, comm. 200.
e
o
e
Civ. 3 , 30 nov. 2004, n 03-11.201, NP, Administrer avr. 2005. 34, note Alfandari ; CA Paris, 23 ch., 27
novembre 2008, Loyers et copr. mars 2009, comm. 72.
60
BENABENT, Les obligations, n°794, p.568.
61
GIVRON, GIVERDON, CAPOULADE, op. cit., n° 526, p. 245.
62
e
CA Paris, 23 ch. B, 12 déc. 2002, Loyers et Copr., Juillet 2003, comm. 163.
63
e
Civ. 3 , 22 février 2000, n°98-17231, Loyers et Copr. 2000, 150.
59
- 30 -
constitutif du droit réel et si aucune répartition n’y est prévue, aux règles du Code civil
applicables à l’usufruit64.
L’article 605 du Code civil met les « réparations d’entretien » à la charge de
l’usufruitier et les « grosses réparations » à celle du propriétaire. L’article 606 du Code
civil définit les grosses réparations mais compte tenu de la vétusté de ce texte qui n’a
pas été modifié depuis 1804, la jurisprudence considère que les grosses réparations
sont celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale65. A
l’inverse, les réparations d’entretien ne sont pas définies, mais il est possible de
considérer négativement qu’il s’agit de toutes les réparations hormis celles relevant
des « grosses réparations ».
Ces qualifications légales sont soumises à l’appréciation souveraine des juges
du fonds66. Pour exemple, il a été jugé que l’usufruitier est redevable des frais de
fonctionnement des éléments d’équipements communs et que le propriétaire du lot
doit quant à lui s’acquitter des dépenses nécessaires à la réfection totale d’une
installation électrique, ou d’un ascenseur67. Cela étant, la réfection d’une installation
de chauffage a pu être mise à la charge de l’usufruitier68.
B. La représentation aux assemblées par un mandataire commun
1. Les carences du régime applicable avant la loi du 24 mars 2014
A l’origine l’article 23 alinéa 2nd de la loi du 10 juillet 1965 prévoyait qu’ « en cas
d'indivision ou d'usufruit d'un lot, les intéressés doivent, sauf stipulation contraire du
règlement de copropriété, être représentés par un mandataire commun qui sera, à
défaut d'accord, désigné par le président du tribunal de grande instance à la requête de
l'un d'entre eux ou du syndic ». Force est d’observer que seule la constitution d’un
usufruit était visée mais la jurisprudence avait étendu l’application de cette disposition
64
e
er
Civ. 3 , 14 novembre 1996 ; RJDA janv. 1997, n°105 ; CA Paris, 1 mars 2007, Loyers et copr. 2007. 137.
e
Civ. 3 , 13 juillet 2005, n° 04-13764.
66
e
Civ. 2 , 7 déc. 1961, Bull. civ. II, n° 842.
67
e
CA Paris 23 ch. B, 12 janvier 2006 ; Loyers et copr. 2006, comm. 86 obs. G. Vigneron.
68
e
CA Paris 2 ch. A, 11 janvier 2000 ; Loyers et copr. 2000, comm. 122 ; RDI 2000 p. 236, obs. P.
Capoulade.
65
- 31 -
pour les lots grevés d’un droit d’usage ou d’un droit d’habitation69. Étrangement, le
règlement de copropriété pouvait éluder l’application de cette disposition alors même
qu’elle était d’ordre public puisque visée par l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 aux
termes duquel toute clause contraire devait être réputée non-écrite. En conséquence,
les règlements de copropriété pouvaient déroger à l’obligation de désigner un
mandataire commun pour la représentation de l’usufruitier et du propriétaire aux
assemblées générales.
2. Les avancées de la loi du 24 mars 2014
La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové70 dite
loi « ALUR », est venue corriger les imperfections de l’article 23 alinéa 2nd de la loi du
10 juillet 1965, qui dispose désormais qu’ « en cas d'indivision ou de démembrement
du droit de propriété, les intéressés doivent être représentés par un mandataire
commun qui est, à défaut d'accord, désigné par le président du tribunal de grande
instance à la requête de l'un d'entre eux ou du syndic ». Il est intéressant de remarquer
que le champ d’application du texte a considérablement été étendu puisque le terme
« usufruit » a été remplacé par celui de « démembrement du droit de propriété » ce
qui inclut tous les types de droits réels consentis à une personne.
De plus, le règlement de copropriété ne peut plus prévoir de stipulation
contraire à cet article ce qui le met en cohérence avec son caractère d’ordre public. La
loi « ALUR » est entrée en vigueur le 27 mars 2014, par conséquent toutes les clauses
insérées dans les règlements de copropriété dérogeant à l’obligation de désigner un
mandataire commun sont réputées non-écrites, même si l’insertion est antérieure à
cette date. En effet, en présence d’un effet légal attaché au contrat - ce qui est le cas
69
e
e
CA Paris 23 ch., 14 janvier 1994 ; D. 1994, somm. p. 121, note C. Atias ; Civ. 3 , 28 juin 1995 ; RDI 1995,
p. 786, obs. P. Capoulade.
70
Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
- 32 -
du réputé non-écrit71 - la jurisprudence admet l’application de la loi aux contrats en
cours72.
Le texte conserve la possibilité de saisir le président du tribunal de grande
instance lorsque le propriétaire et le titulaire du droit réel ne se sont pas entendus sur
la désignation d’un mandataire commun. Fort heureusement, le syndic bénéficie de
cette faculté d’agir, il aura d’ailleurs tout intérêt73 à l’exercer en cas de carence du
propriétaire et du titulaire du droit réel dans la mesure où leur représentation par un
mandataire commun est essentielle à la bonne tenue des assemblées. En effet, d’une
part, l’absence de mandataire commun alourdit considérablement le fonctionnement
de la copropriété puisqu’en pareil cas, il faut convoquer le propriétaire et le titulaire du
droit réel et leur notifier à tous deux le procès-verbal d’assemblée74. D’autre part, le
non-respect de ces obligations entraine de fâcheuses conséquences puisque
l’assemblée générale peut être annulée par celui des deux qui n’a pas été convoqué75
ou qui ne s’est pas vu notifier le procès-verbal d’assemblée76.
C. La contestation des décisions prises en assemblée des copropriétaires
L'article 42 alinéa 2nd de la loi du 10 juillet 1965 permet aux copropriétaires
défaillants ou opposants de contester, devant le tribunal de grande instance du lieu de
situation de l’immeuble, les décisions prises en assemblée générale dans un délai
d'action de deux mois à compter de la réception du procès-verbal d’assemblée
générale. Selon un arrêt de la cour d’appel de Paris77, l’usufruitier d’un lot bénéficie de
la qualité de copropriétaire au sens de l’article 42 de la loi précitée, puisqu’aux termes
de l’article 597 du Code civil, il jouit de tous les droits dont le propriétaire peut jouir.
71
En ce sens A. Reygrobellet, « Nouvelles dispositions pour le bail commercial : quelles entrées en
er
vigueur ? », JCP N n°31-35, 1 août 2014, 1262.
72
e
e
Civ. 3 , 18 févr. 2009, n° 08-13.143, JurisData n°2009-047098 ; Bull. civ., III, n° 40 ; Civ. 3 , 3 juill. 2013,
n° 12-21.541 ; Loyers et copr. 2013, comm. 275, note E. Chavance.
73
Commission relative à la Copropriété, recommandation n° 1 du 19 mars 2008 relative aux
convocations des assemblées générales.
74
e
Civ. 3 , 30 mars 2011, n° 10-14.381 ; Bull. civ. 2011, III, n° 365.
75
e
CA Paris, 23 ch., 27 novembre 2008, Loyers et copr. mars 2009, comm. 72.
76
e
Civ. 3 , 30 mars 2011, n° 10-14.381 ; Dal. act. 21 avril 2011, Note Y. Rouquet.
77
e
CA Paris, 23 ch. B, 26 juin 2008 ; Loyers et copr. 2008, comm. 260, obs. G. Vigneron.
- 33 -
Cette solution ne semble pas pouvoir être étendue aux autres titulaires de droits réels,
puisqu’elle est inhérente au statut de l’usufruitier.
- 34 -
CONCLUSION
En définitive, force est d’observer que les rapports entre la copropriété et les
droits réels sont riches d’enseignements tant sur le plan théorique que sur les aspects
pratiques des implications qu’ils recèlent. En effet, en dépit d’une jurisprudence
abondante et d’une doctrine passionnée, l’état actuel du Droit objectif ne permet pas
de répondre aux nombreuses vicissitudes et contradictions que les deux institutions
suscitent lorsqu’elles sont confrontées. Cette modeste contribution met l’accent sur
certaines de ces difficultés tout en s’efforçant d’apporter quelques positions
envisageables.
- 35 -
BIBLIOGRAPHIE
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J-L. Aubert, « La constitution d'une servitude est incompatible avec le régime de la
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T. Revet « Une propriété exclusive inavouée : le partie commune d’une copropriété
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- 37 -
:
des
servitudes
en
copropriété
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ....................................................................................................... 6
PARTIE 1 : ANALYSE THÉORIQUE DE LA COMPATIBILITÉ DU RÉGIME DE LA
COPROPRIÉTÉ AVEC LES DROITS RÉELS...................................................................... 9
Section 1 : Les droits réels faussement incompatibles avec la copropriété ............. 9
A. La compatibilité du bail à construction avec la copropriété................................9
B. Les servitudes internes à la copropriété, un simple problème de fonds...........11
1. Une orientation des débats sur les éléments de la structure du lot .............12
a) Une structure hybride, source de complexité ..........................................12
b) Une position jurisprudentielle mitigée ....................................................12
c) Une doctrine favorable à la compatibilité, ou presque ...........................13
2. La nature du lot comme résolution du problème .........................................15
Section 2 : L’inconcevabilité théorique du droit de jouissance privatif « réel et
perpétuel » sur une partie commune .................................................................. 16
A. Le défaut de réalité du droit de jouissance privatif consenti à un copropriétaire
sur une partie commune ....................................................................................17
1. L’impossible réalité du droit de jouissance privatif consenti à un
copropriétaire sur une partie commune .......................................................17
a) La définition des droits réels contredisant l’existence même du droit sui
generis .....................................................................................................17
b) La comparaison avec les servitudes.........................................................18
2. Des propositions de qualifications plus adéquates .......................................19
a) La jouissance et l’usage privatif d’une chose en indivision .....................19
b) Les difficultés de distinction avec la propriété .........................................20
B. La perpétuité impossible du droit réel conféré sur une partie commune à une
personne étrangère à la copropriété .................................................................22
1. Le principe des droits réels nécessairement temporaires ............................22
2. Une exception pour la copropriété justifiée en apparence ..........................23
3. Le droit réel de jouissance spéciale ou la reconnaissance de l’impossible
perpétuité du droit réel de jouissance privatif consenti à un tiers à la
copropriété ....................................................................................................23
- 38 -
PARTIE 2 : LES CONSEQUENCES PRATIQUES LIÉES A L’EXISTENCE D’UNE PROPRIÉTÉ
GREVÉE EN COPROPRIÉTÉ ....................................................................................... 25
Section 1 : L’importance des sujétions formelles à respecter................................ 25
A. L’opposabilité du règlement de copropriété au titulaire du droit réel .............25
B. L’information du syndicat quant au titulaire du droit réel ...............................27
Section 2 : Le bouleversement des relations avec la collectivité .......................... 28
A. Le paiement des charges de copropriété d’un lot grevé ...................................28
1. Le renforcement de la situation du syndicat au stade de l’obligation à la
dette...............................................................................................................28
a) La possibilité d’obtenir une condamnation in solidum ............................29
b) La validité des clauses de solidarité .........................................................30
2. La répartition des charges de copropriété entre propriétaire de lot et
titulaire de droit réel au stade de la contribution à la dette .........................30
B. La représentation aux assemblées par un mandataire commun ......................31
1. Les carences du régime applicable avant la loi du 24 mars 2014 .................31
2. Les avancées de la loi du 24 mars 2014.........................................................32
C. La contestation des décisions prises en assemblée des copropriétaires .........33
CONCLUSION ......................................................................................................... 35
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................... 36
TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................. 38
- 39 -