Eux présidents», les scénarios de 2017 : Bruno et Donald

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Eux présidents», les scénarios de 2017 : Bruno et Donald
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : Bruno et Donald (épisode 1/2)
FICTION POLITIQUE – À peine élu président de la République, Bruno Le Maire
entend déjà imprimer sa marque.
«Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient
être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux
épisodes pour convaincre, ou non…
«M. le président, pardonnez-moi de vous déranger, mais le président des
États-Unis souhaite vous parler de toute urgence au téléphone. Je bascule
l’appel sur votre ligne sécurisée?»
Assis à son bureau, Bruno Le Maire resta de longues secondes silencieux. Il
mit le haut-parleur, posa le combiné, puis se leva pour faire quelques pas
qui le conduisirent à l’une des fenêtres qui donnent sur le parc de l’Élysée.
«Monsieur le président, vous êtes là?» s’enquit timidement la secrétaire
particulière du chef de l’État, à qui le chef de la cellule diplomatique de
l’Élysée, debout devant elle, faisait des signes de la main d’un air anxieux.
Comme le temps passait et qu’à la Maison-Blanche, visiblement, on
s’impatientait, l’homme chuchota à la jeune femme en articulant bien chaque
syllabe: «Qu’il se magne, bon sang, ça urge! C’est tout de même pas n’importe
qui au bout du fil!»
«Monsieur le président? Il faudrait, si je puis me permettre, que vous vous
dépêchiez, car votre prestigieux correspondant semble, comment dirais-je, un
peu pressé…»
Le président Le Maire quitta la fenêtre, se rapprocha du bureau et, les mains
derrière le dos, dit à haute voix: «Faites savoir à ce M. Trump que je le
rappellerai demain. Dans l’immédiat, j’ai trop à faire. Ne lui dites pas que
je n’ai pour lui que commisération et mépris, c’est secret-défense!»
Interloquée, la secrétaire particulière du président de la République
répondit: «Ah? Euh… oui, bien sûr, monsieur le président.» Puis elle
raccrocha.
«Bruno Le Maire raccroche au nez du président des États-Unis!»
Bruno Le Maire se rassit dans son fauteuil et, dans la solitude de son
bureau, partit d’un grand rire: «De Gaulle n’aurait pas fait mieux! Bravo,
mon Bruno! S’il s’appelle Donald, moi, je ne me prénomme pas Pluto…!» Il
sourit en songeant que, dans moins d’une heure probablement, l’information se
répandrait sur Internet et que certains médias résumeraient la chose en
titrant: «Bruno Le Maire raccroche au nez du président des États-Unis!» Ce
qui d’ailleurs arriva.
Ce lundi 15 mai 2017, vingt-quatre heures après son entrée officielle à
l’Élysée, le nouveau chef de l’État imprimait déjà sa marque. Ce qui lui
valut, sitôt que fut connu l’incroyable pied de nez fait à Donald Trump, un
frénétique coup de téléphone de Dominique de Villepin, son ancien mentor,
dont il dirigea le cabinet jadis, du temps de Matignon. «Allô, Bruno! Pardon!
Allô, monsieur le président? Sur ce coup-là, vous fûtes grandiose! Gaulliste
de chez gaulliste! J’adore! Ce gros plouc de Donald doit enrager et c’est
bien fait pour lui! Ah là là, ce type! Aucune grâce! Aucune allure! Aucun
esprit! Aucune somptuosité! Vraiment pas comme vous et moi! Décidément,
Bruno, je vous ai bien appris l’âme même du gaullisme! La France, la France
et toujours la France! Puisque vous aimez l’Allemagne et que vous parlez
l’allemand, j’ai envie de dire: “La France über alles”, et pardonnez-moi
cette sorte d’oxymore! En tout cas, l’histoire de ce coup de téléphone est
formidable! Vertigineux présage pour ce quinquennat! Je vous laisse et
retourne à René Char! Vous connaissez mes dévorantes obsessions! Et si
d’aventure, vous le proustien, ne savez que faire ce soir, couchez-vous de
bonne heure, comme le divin Marcel! Et l’inspiration viendra, comme elle lui
est venue!» Et l’ancien premier ministre raccrocha. Le président Le Maire
sourit en reposant le combiné et songea que Dominique de Villepin ne
changerait jamais. Puis, il ferma les yeux et tenta d’imaginer les premiers
jours de son quinquennat.
Mais ses pensées le conduisirent d’abord à revivre cette tumultueuse primaire
des Républicains et ce jour de fin août 2016 où Nicolas Sarkozy avait
officiellement annoncé sa candidature. Depuis le temps qu’il attendait ce
moment, Bruno Le Maire avait minutieusement préparé la réaction qu’il
servirait aux médias à cette occasion. L’ancien chef de l’État avait donc
fait connaître sa décision d’une façon fracassante, et toute la planète
politique, qui pourtant s’y attendait depuis des lustres, en fut
tourneboulée. Ce jour-là, Bruno Le Maire avait choisi de se rendre à
Colombey-les-Deux-Églises, et on l’informa de l’annonce de l’ancien chef de
l’État tandis qu’il se recueillait devant l’immense croix de Lorraine. Il se
retourna, vit la meute de journalistes qui de lui attendaient une phrase. Et
elle vint. Très brève.
Bruno Le Maire lâcha quatre mots qui firent beaucoup plus de bruit qu’une
longue phrase
«Monsieur Le Maire, lança un jeune reporter de L’Est républicain, que pensezvous de la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy à la primaire des
Républicains?» Bruno Le Maire le regarda d’un œil bienveillant et lâcha ces
quatre mots qui firent beaucoup plus de bruit qu’une longue phrase: «Nicolas
qui, dites-vous?» C’était énorme.
La guerre était déclarée, et, contre toute attente, Bruno Le Maire la
remporta deux mois plus tard. Nicolas Sarkozy eut beau répéter que «Le Maire,
c’est Juppé en jeune», rien n’y fit. Il gagna la primaire et fut élu
président de la République six mois plus tard, triomphant de Marine Le Pen,
contre laquelle on avait érigé un tonitruant «Front républicain». François
Hollande, qui était arrivé en quatrième position au soir du premier tour,
derrière Jean-Luc Mélenchon (lequel déclara ce soir-là que «la révolution
bolivarienne en France, c’est inévitablement pour 2022, et qu’en conséquence
tous les propriétaires, tous les bourgeois, tous les laquais du grand capital
et tous les suppôts des multinationales devraient commencer à s’inquiéter»),
se retira à Tulle et consacra le reste de ses jours à écrire d’ennuyeux
ouvrages sur la gauche réformiste, lesquels connurent de piètres succès de
librairie. À l’exception d’un, titré Leonarda et moi, qui fut vendu à un
million d’exemplaires et suscita autant de crises de fou rire.
Bruno Le Maire retourna devant la fenêtre du bureau présidentiel et observa
le parc de l’Élysée. Il se remémora sa victoire (60/40) face à Marine Le Pen
quelques jours plus tôt, son discours, ce soir-là, prononcé, transgression
inouïe, au pied de l’Arc de triomphe, tandis que le soleil disparaissait
derrière les tours de la Défense, et sa phrase fameuse, que les journaux,
depuis, disséquaient jusqu’à plus soif: «Mes chers compatriotes, je vous
l’annonce ce soir: la France est de retour. La France éternelle, qui va de
Clovis jusqu’à nous et ne fait pas de différences entre ses enfants, qu’ils
se soient illustrés ou qu’ils se soient fourvoyés! Oui, de l’histoire de
France, ce cher et vieux pays, je prends tout! Louis XVI et Robespierre!
Louis XIV et Voltaire! Charlemagne et Danton! Saint Louis et Bonaparte!
Richelieu et Clemenceau! Jeanne d’Arc et François Mitterrand! Et aussi,
pourquoi pas, François Hollande et Henri Queuille (même si ce sont les
mêmes)! Mais bien sûr, et avant tout, le général de Gaulle! Tous Français!»
La foule avait chaviré. Mais dès que chavirent les foules naissent les
problèmes, phénomène que se chargea de lui rappeler, ce 15 mai 2017, Valérie
Pécresse, nommée premier ministre la veille.
Le téléphone en effet sonna sur le bureau présidentiel et Bruno Le Maire
décrocha. La voix de tout à l’heure se fit entendre: «Monsieur Le président?
J’ai Mme le premier ministre en ligne. Je vous la passe?
– Oui, tout de suite.»
Valérie Pécresse était beaucoup plus importante que Donald Trump
Valérie Pécresse était beaucoup plus importante que Donald Trump, ce qui se
conçoit aisément si l’on est un homme de goût, et d’autant plus si l’on vient
d’être élu président de la République et que le nouveau chef du gouvernement
vous appelle de toute urgence.
«Allô, Valérie?
– Bruno? Dis-moi, il faut que je te voie pour mon discours de politique
générale à l’Assemblée. Je sais, c’est après les législatives, dans plus d’un
mois, mais ça se prépare, ce genre de truc. C’est mon côté bûcheuse, tu sais
bien. De ce qui me remonte, j’ai déjà contre moi des sarkozystes ultrarevanchards, des juppéistes aigris, des fillonistes vindicatifs, trois ou
quatre morizetistes déchaînés, des moranistes énervés et des maritonistes
ulcérés. Quant au Front national, il est sur le sentier de la guerre. Si ça
ne tenait qu’à moi, je te ficherais ma main dans la figure de Marine pour lui
rabattre son caquet! Bon, sinon, je fais comment?»
Le président Le Maire ferma les yeux un moment et pensa à 1958 et aux années
qui suivirent. Des images défilèrent dans son esprit. Le Grand Homme. Le
quarteron. Le «Hélas, Hélas! Hélas!», puis le «J’ai besoin de vous!».
L’impérieuse nécessité de marquer sa suprématie, d’invoquer l’Histoire,
d’impressionner ses adversaires, d’être gigantesque, craint, invincible.
«Valérie? Tu sais ce que tu leur dis, à tes sarko-juppéo-fillono-morizetomaritonistes, à la Marine et à son Philippot de malheur? Que désormais il n’y
a qu’un seul et vrai chef à la tête du pays, et que c’est moi! Bref, Valérie,
tu me pardonneras d’être vulgaire une seule seconde, mais tu leur dis:
“Mesdames et messieurs, je vous emmerde!”»
Dans son bureau de Matignon, Valérie Pécresse observa le plafond et, passant
son doigt dans une boucle de ses cheveux , répondit d’une voix douce au
nouveau président de la République:
«Bruno, tu sais quoi? Ces vieux tromblons nous prennent, toi et moi – si tu
me permets -, pour de jeunes cons. Ben, on va leur faire comprendre qui
c’est, Raoul! Je vais te remettre tout ce petit monde d’équerre! Je
t’embrasse, bise.»
Bruno Le Maire raccrocha et songea qu’il avait décidément bien fait de nommer
Valérie Pécresse à Matignon. Puisqu’il n’y avait personne dans le bureau, il
laissa libre cours, et à voix haute, à ce que certains appelleraient bientôt
son «côté macho». «C’est une fille et elle parle comme les filles. Droit et
direct. Elle est pragmatique, organisée, réaliste, opiniâtre. Bref, le
contraire de nous, les mecs. Moi, je m’occupe de l’essentiel, elle, du reste.
Elle va te passer tout ce petit monde au Kärcher, je me régale déjà!»
«Monsieur le président? C’est M. de Villepin. De vous à moi, si je puis me
permettre, il semble, comment dirais-je, un peu exalté…»
À ce moment précis, le téléphone sonna, et ce fut à nouveau la secrétaire
particulière du président de la République. «Monsieur le président? C’est
encore M. de Villepin. De vous à moi, si je puis me permettre, il semble,
comment dirais-je, un peu exalté…»
Passèrent dix secondes. «Allô, Bruno? C’est encore Dominique! J’ai réfléchi!
Vous êtes le nouveau de Gaulle, l’affaire est entendue! Mais prenez garde!
Tous les trotte-menu et tous les margoulins de la création, les vils, les
médiocres, les méprisables sont déjà à vos trousses! Sans parler, bien
entendu, des fascistes du Front national, vous savez bien, ceux qui ont voulu
assassiner notre Grand Homme! Donc, il faut foncer! Dites à votre première
ministre – comme on dit aujourd’hui – de frapper fort lors de son discours de
politique générale! Je la connais bien, la Valérie, elle était à l’Élysée
avec moi! Du sang corse coule dans ses veines, et c’est plutôt bon signe!
Pour tout changer, il lui faut derrière elle des hussards et non de jeunes
gens efféminés qui dissertent sur le sexe des anges! Conseil d’un vieil ami!
Je vous laisse et retourne à René Char!»
Le président Le Maire raccrocha et parla tout seul dans son bureau: «Il est
gentil, le Dominique, mais je n’ai pas besoin de lui pour savoir qu’il faut
faire la révolution dans ce pays vermoulu!»
Mais le téléphone sonna à nouveau. C’était Valérie Pécresse. «Monsieur le
président, Bruno? Les intermittents du spectacle viennent de nous faire
savoir qu’ils se mettent en “grève préventive” à cause de notre projet de
réforme de l’assurance-chômage et qu’en conséquence il n’y aurait pas de
Festival d’Avignon! Dans les milieux culturels, on dit que c’est hyper grave!
On fait quoi?»
Bruno Le Maire sourit puis lâcha: «Ma chère Valérie, tu leur dis qu’ils
aillent se faire voir ailleurs. Comme Donald et comme beaucoup d’autres. Si
le Festival d’Avignon était intéressant, depuis le temps, ça se saurait!
Bref, toutes les conneries, c’est fini. Times are changing!»
Source :© «Eux présidents», les scénarios de 2017 : Bruno et Donald (épisode
1/2)