Rapport conjoint sur les affrontements intercommunautaires dans

Transcription

Rapport conjoint sur les affrontements intercommunautaires dans
Rapport conjoint sur les affrontements
intercommunautaires dans les préfectures de
N’Zérékoré et de Beyla
Du 15 au 18 juillet 2013, la commune urbaine de N’Zérékoré, le village de Koulé
Yakéta et la préfecture de Beyla ont été le théâtre d’un conflit interethnique qui a
opposé les communautés Koniaké et Guerzé (Kpèlè).
En effet, ce conflit d’une atrocité sans précédent dans la Région forestière a pour
point de départ un homicide commis à la station Shell de Koulé entre 3 heures et 4
heures du matin dans la nuit du 14 au 15 juillet 2013. L’auteur de l’homicide et
gardien de la station est guerzé et la victime, un jeune konianké du nom de Kalil
Keita, qui fut accusé d’avoir tenté de voler à ladite station.
Emportés par la colère et soutenant que le jeune était innocent, des koniakés du
village de Koulé se sont aussitôt rendus justice en s’attaquant aux populations
Guerzé et à leurs biens.
Dans la foulée, le corps de Kalil Keita fut transporté en catimini à l’hôpital régional de
N’Zérékoré par le nommé Alpha, président du syndicat des transporteurs routiers de
Koulé.
Dans le dessein d’envenimer la situation, il a informé par téléphone Monsieur
Aboudjan, président de la chambre préfectoral de commerce de N’Zérékoré qui, à
son tour, a transmis l’information à Morikè et Mamadi Gbèckè. Ensemble, ils ont
informé Abass avant de se concerter pour prendre la décision d’associer à leur
stratégie de représailles les nommés Amadou Kourouma et Kiboye dit ‘’Super’’,
handicapé physique ; tous deux anciens chefs rebelles de l’ULIMO. Rappelons que
mis à part les deux anciens chefs rebelles, les autres sont tous membres de l’union
régionale des transporteurs routiers de N’Zérékoré.
Les nouvelles ne tarderont pas à se propager dans la commune urbaine de
N’Zérékoré provoquant effectivement des représailles contre les mêmes populations
Guerzé qui, à leur tour, ont aussitôt commencé à riposter.
Ce conflit qui pouvait être maitrisé dès le départ, a malheureusement pris une
tournure dramatique engendrant des pertes énormes en vies humaines et des dégâts
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matériels considérables à cause du laxisme et de l’indifférence notoires des autorités
civiles et militaires.
Ce qui vient de se passer dans les préfectures de N’Zérékoré et de Beyla est une
situation dramatique, macabre et constitue une grave atteinte aux droits humains.
C’est pourquoi, nous le condamnons fermement. Cependant, force est de reconnaitre
que le mal dont souffre la Guinée, est en grande partie lié à l’impunité et au refus de
la vérité. Aussi, la démagogie est-elle devenue endémique et érigée en méthode de
gouvernance. Si nous voulons aller de l’avant, nous devons apprendre à voir et à dire
les choses telles qu’elles sont et non pas telles que certains esprits voudraient
qu’elles soient présentées au profit de leurs intérêts égoïstes et au détriment de
l’intérêt général.
C’est pour contribuer à éradiquer ce mal que nous, organisations guinéennes de
défense et de promotion des droits de l’homme, avons pris l’habitude, chaque fois
qu’il y a des violations massives des droits de l’homme, de nous déployer sur le
terrain pour recueillir les vraies informations afin d’édifier l’opinion nationale et
internationale comme c’est le cas ici.
I-De la description des événements
Selon les informations recueillies à Koulé, une des sous-préfectures de la préfecture
de N’Zérékoré, située à 42 km de la commune urbaine, par une équipe des
organisations de défense et promotion des droits de l’homme à savoir Les Mêmes
Droits pour Tous (MDT) et Avocats Sans Frontières Guinée (ASF Guinée), tout a
commencé par la mort du jeune koniaké Kalil Keita qui fut accusé d’avoir tenté de
voler à la Station Shell de Koulé appartenant à un guerzé du nom de Moriba Delamou
dit Zaoro Lèlè. La victime était un apprenti chauffeur d’un camion de transport en
commun immatriculé RC-4919-L.
Par rapport aux circonstances dans lesquelles Kalil Keita a trouvé la mort, il y a, selon
les autorités locales de Koulé, deux versions contradictoires qui s’affrontent et
s’excluent : la version du gardien de la Station Shell et celle du chauffeur dont Kalil
Keita était l’un des apprentis.
Selon le gardien de la Station, dans la nuit du 14 au 15 juillet 2013, trois bandits qui
tentaient de voler à la Station l’ont attaqué. Etant seul et en se défendant, il criait au
secours. Dans la foulée, il a réussi à abattre un de ces bandits par coups de
machette. C’est en ce moment que Siba Delamou, fils du propriétaire de la Station,
est sorti pour secourir le gardien et a tiré sur le second à l’aide d’un fusil avant de le
ligoter.
Pour sa part, le chauffeur du camion soutient avoir appelé ses trois (3) jeunes
apprentis pour le rejoindre à domicile afin de prendre leur repas de l’aube suivant les
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principes du mois de carême. Partis du camion où ils ont passé la nuit et de passage
à la station Shell, ils sont pris pour voleurs. L’un est abattu, le deuxième est blessé
par balle et ligoté, et le troisième a pu s’échapper.
Interrogé sur ses constats quand il est arrivé sur les lieux vers 4 heures du matin, le
sous préfet de Koulé a déclaré avoir constaté que :
-
le gardien de la Station était blessé à la tête et son fusil cassé en deux ;
-
le corps de l’apprenti tué était dans l’enceinte de la Station ;
-
l’apprenti blessé et ligoté était aussi dans l’enceinte de la station ;
-
il n’y avait aucune trace de sang sur la route, mais plutôt dans la station ;
-
il y avait un sac et un pied de biche qui appartiendraient aux assaillants.
Poursuivant son intervention, le sous préfet a déclaré que, sur les lieux, il était en
compagnie de certains élus locaux de la place, en occurrence Monsieur Alain
Koulémou et Monsieur Vacé Konaté respectivement présidents de la jeunesse Guerzé
et de la jeunesse koniaké, et de l’autorité de la police judiciaire en la personne de
Monsieur Balla Béavogui, commandant du poste de la gendarmerie de Koulé.
Le sous préfet et les deux représentants des jeunesses ont unanimement décidé
d’évacuer le corps du jeune koniaké dans un lieu tenu secret. Cette démarche visait à
sensibiliser d’abord les membres de sa communauté avant de leur déclarer sa mort
pour éviter des représailles. Mais, Monsieur Balla Béavogui leur a demandé
d’attendre pour faire la photo du corps pour des besoins d’enquête et de compte
rendu à ses supérieurs hiérarchiques. C’est dans l’attente d’un photographe qu’on a
en vain cherché que les musulmans, majoritairement koniakés, sont arrivés sur les
lieux après la prière du matin aux environs de 6 heures.
A la vue du corps de leur ami, les jeunes koniakés ont immédiatement pris d’assaut
la Station malgré les prières et les supplications, les mains au dos, de Monsieur le
sous- préfet et des deux responsables des jeunesses guerzé et koniké. Profitant de
ce mouvement, le gardien se sentant menacé par la population, a pris la fuite.
Ce fut ensuite le tour du magasin de vente de pièces détachés, du dépôt de boisson
et du domicile de Monsieur Moriba Delamou, de partir en fumée. Ces réactions de
vengeance ne se sont pas limitées seulement à ce dernier et à ses biens. Elles ont
été étendues à d’autres membres de sa communauté d’appartenance, les guerzés.
C’est pourquoi, les guerzés, à leur tour, ont commencé à répliquer. De là, le village
de Koulé est pris de panique générale et sans savoir de quoi il s’agit, chacun de son
coté s’enrôle dans la bataille. Et c’était parti pour la guerre à Koulé!
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Photo de la station saccagée où le meurtre a eu lieu
Photo de la maison du propriétaire de la station incendiée
Aussitôt, pendant que Monsieur Alpha transportait d’urgence à N’Zérékoré et contre
le gré des autorités locales de la place le corps de Kalil Keita, certains koniakés ont
immédiatement contacté par téléphone leurs parents du quartier Dorota de la
commune urbaine de N’Zérékoré pour leur dire que les guerzés étaient en train de
tuer les koniakés à Koulé.
A Dorota, la tension monte et des barrages sont érigés sur les principales artères du
quartier par les jeunes Koniakés. A ces barrages, tous les passants identifiés comme
guerzés étaient attaqués, leurs biens retirés, détruits ou brûlés. Certains mêmes
étaient sommairement exécutés sur place. Ceux qui avaient la chance de s’échapper
portaient à la connaissance des siens leurs mésaventures. Très rapidement, la
nouvelle se repend dans tout Dorota et dans les autres quartiers de la ville comme
une trainée de poudre. La panique est générale cette fois-ci dans la commune
urbaine de N’Zérékoré.
Dans cette panique générale, le domicile du Sage Molou Holomo Hazaly à Dorota,
Guide spirituel de la communauté guerzé, fut la première cible où des assaillants
koniakés ont fait irruption. Cette attaque du Guide spirituel de guerzés fut l’élément
détonateur de ces affrontements intercommunautaires qui furent d’une atrocité
jamais égalée.
Pendant cette agression et après avoir plusieurs fois tenté en vain de joindre le Maire
de la commune urbaine de N’Zérékoré, par son fils David Massa, le Sage a eu
finalement au téléphone le préfet de N’Zérékoré et le procureur de la République
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près le Tribunal de Première Instance de N’Zérékoré pour les informer de l’attaque
de son domicile avant de leur demander de prendre des dispositions rapides pour
sauver sa famille, ainsi que les autres personnes de la communauté guerzé qui
avaient déjà trouvé refuge chez lui en vue de juguler la crise.
Ces autorités n’ont malheureusement rien fait pour apporter la protection sollicitée.
C’est ainsi que les assaillants ont lapidé les bâtiments, brûlé des voitures, incendié un
bâtiment dans lequel était couché un des fils du Sage, Foromo Zogbèlèmou, qui a
été calciné. Les autres membres de la famille du Sage, ainsi que les guerzés venus
d’ailleurs ont réussi de justesse à se sauver. Dans cette attaque, les assaillants ont
aussi réussi à mettre mains sur la personne du Sage et un autre membre du Conseil
préfectoral des sages de N’Zérékoré nommé Joseph Monèmou qui est depuis porté
disparu. Le Sage, quant à lui, a été victime de traitements cruels, inhumains,
dégradants et barbares à travers des bastonnades, des coups de pieds, des injures,
etc. Ce qui a valu son hospitalisation immédiate à l’Hôpital régional de N’Zérékoré. Le
domicile de David Massa Zogbèlèmou a connu le même sort que celui de son père :
des motos brûlées, des maisons saccagées et incendiées, etc.
Le conflit devenu ouvert à Dorota entre les koniakés et les guerzés s’est très
rapidement propagé dans presque tous les autres quartiers de la commune urbaine
par le dressage de barrages sur les axes routiers, par des tueries à l’aide des armes
de toutes sortes y compris des armes de guerre, par la destruction et/ou l’incendie
de bâtiments, de boutiques, d’engins roulants, par des actes de vandalisme et de
profanation contre des églises et des mosquées, etc.
Photos de corps mutilés et brûlés à l’Hôpital Régional de N’Zérékoré
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Pendant ce temps, les forces de sécurité brillaient par leur absence sur le terrain.
Tous ceux qui étaient en danger et qui appelaient au secours ne recevaient pas
l’assistance sollicitée. C’est seulement aux environs de 15 heures que nous avons
constaté la présence de quelques poignées de gendarmes et de policiers mal équipés
dans certains quartiers. Cette intervention timide et complaisante des forces de
défense et de sécurité a d'ailleurs exacerbé l’escalade de la violence. C’est ainsi que
l’autorité préfectorale a instauré un couvre-feu allant de 18 heures à 6 heures du
matin qui n’a malheureusement pas été respecté.
Le deuxième jour, c’est-à-dire le mardi 16 juillet 2013, la ville de N’Zérékoré
présentait un visage apocalyptique et un spectacle de désolation. Jamais de mémoire
des habitants de N’Zérékoré, l’on a connu pareil carnage. Cette situation est hélas
arrivée malgré les appels au calme la veille des Colonels Moussa Tiebro Camara et
Claude Pivi, tous deux originaires de la région.
Ce jour, les populations, qui avaient cru que le couvre-feu instauré le lundi soir les
protégerait, ont été surprises de constater que les exactions se sont poursuivies
toute la nuit, notamment par des exécutions sommaires. Cela a provoqué une
psychose générale et créé le sentiment que l’autorité de l’Etat est absente et qu’il
fallait assurer sa propre défense d’autant plus que des groupes de tueurs reprirent
leurs cyniques besognes de façon systématique et méthodique. Des barrages se
multiplient davantage avec des ripostes automatiques. Dans plusieurs quartiers, des
maisons d’habitation, des boutiques, des lieux de culte (Eglises et Mosquées), des
bars, moyens de déplacement, saccagés et incendiés, fumaient. Sur le plan humain,
le constat est ahurissant : beaucoup de morts et de blessés jonchaient le sol, des
gens brulés vifs, des mains et des pieds coupés comme ce fut le scénario en SierraLéone et au Libéria au plus fort de la rébellion.
D’autres corps brûlés à l’Hôpital de N’Zérékoré
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Toutes ces exactions étaient le fait des koniankés et des guerzés. Mais il faut
signaler la présence des milices donzos et des anciens rebelles de l’ULIMO dans les
rangs des koniankés et les atrocités les plus graves ont été commises par eux.
Ces scènes de violences ont continué jusqu’au mercredi, 17 juillet 2013. Ce n’est
que dans l’après midi de ce jour que le calme a commencé à revenir à Koulé et dans
la ville de N’Zérékoré grâce à l’arrivée des militaires venus d’ailleurs.
Ces violences ne se sont pas limitées seulement à la préfecture de N’Zérékoré. Elles
ont été récupérées par les koniakés de Moribadou, de Senko et de la ville de Beyla.
Dans ces localités, les biens (maisons d’habitation, boutiques, bars, moyens de
déplacement, etc.) appartenant à la communauté guerzé ont été pillés et incendiés
quand ils n’étaient pas emportés par les assaillants. Des églises ont également été
profanées, vandalisées et incendiées. Dans le cas spécifique de la ville de Beyla et
précisément dans le quartier Kissiboula, les kissis, les tomas, les manons et les
guerzés ont été mis dans le même sac, aucun n’a été épargné.
Pire, Docteur Tölon, guerzé et médecin chef en service à l’Hôpital préfectoral de
Beyla, a été sauvagement battu et a rendu finalement l’âme à l’Hôpital. Tous les
autres ont eu la vie sauve parce qu’ils ont eu la chance de trouver refuge au camp
militaire à temps.
II- Des constats faits sur le terrain
Sur le terrain, nos équipes avons fait les constats ci-après :
-
l’indifférence remarquée des autorités civiles et des forces de défense et de
sécurité dans le rétablissement de l’ordre et la protection des citoyens, ainsi
que leurs biens ;
-
le déploiement tardif des forces de défense et de sécurité sur le terrain, leur
nombre insignifiant, leurs sous équipements et le manque à leur niveau
d’esprit républicain dans la gestion de la crise;
-
la présence des rebelles de l’ULIMO et des donzos dans les rangs de
koniakés ;
-
la présence des armes (fusils de chasse calibre 12 et fusils de guerre) ;
-
le refus des militaires d’intervenir parce que, selon eux, l’ordre n’était pas
donné par leurs supérieurs hiérarchiques ;
-
des maisons, des boutiques, des bars et des hangars de
vandalisés, saccagés et incendiés ;
commerce
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-
des lieux de cultes (églises et mosquées) profanés, vandalisés, saccagés et
incendiés ;
-
des engins roulants (véhicules, motos, etc.) et autres biens mobiliers
emportés ou détruits et brulés ;
-
des blessés graves ;
-
des morts ;
-
des brulés vifs ;
-
l’utilisation d’armes de guerre par des anciens rebelles de l’ULIMO ;
-
le dressage des barrages ;
-
la destruction du centre AMA (Agence des Musulmans d’Afrique) par les
jeunes guerzés dans le quartier de Gbanhgana ;
-
l’intervention partisane de certains agents des forces de défense et de sécurité
avec quelques fois des tirs à balle réelle sur des citoyens n’appartenant pas à
leurs communautés ;
-
l’abandon des citoyens à eux-mêmes, car ceux qui étaient en danger imminent
et qui appelaient au secours les forces de défense et de sécurité ne recevaient
pas l’assistance sollicitée ;
-
l’incitation à la violence dans les sermons de certains imams dans certaines
mosquées, notamment dans des mosquées de Dorota ;
- la distribution d’armes et de munitions par les grands meneurs koniakés à
Dorota et à Belle-vue ;
- rassemblement, distribution des armes et des munitions, et embarquement de
jeunes koniakés dans deux minibus et un camion kia moteur pour Koulé comme
renfort ;
- l’attroupement de jeunes koniakés criant victoire au carrefour de Dorota au tour
d’un drapeau libérien hissé ;
- plusieurs milliers de déplacés
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Mosquée de Koulé incendiée et l’Eglise Protestante de N’Zérékoré incendiée
III- Analyse et interprétation
A la suite de nos constats de terrain corroborés par plusieurs témoignages reçus,
nous, organisation de défense des droits de l’homme, nous nous posons plusieurs
questions :
 Quelles sont les motivations réelles de ces représailles de la part des koniakés ?
 La mort d’un présumé voleur peut-il justifier ces représailles contre toute une
communauté ?
 Qui est le véritable commanditaire et instigateur de ce conflit ?
 Pourquoi le Patriarche Molou Holomo Hazaly Zogbèlèmou, le Guide spirituel de la
communauté Guerzé fut la première cible des attaques koniakés dans la
commune urbaine de N’Zérékoré ?
 D’où les donzos et les éléments de l’ULIMO tirent leurs forces et leurs soutiens ?
 Pourquoi cette présence des donzos en Guinée Forestière ?
 Pourquoi les autorités administratives et les forces de défense et de sécurité sontelles restées laxistes et indifférentes pendant les premiers jours des
affrontements ?
 Ces autorités civiles et militaires ne sont-elles pas responsables de ce lourd bilan
enregistré lors de ce conflit ?
Nous considérons que ces évènements survenus dans les préfectures de N’Zérékoré
et de Beyla constituent à la fois des violations graves des droits de l’homme et des
abus intolérables à ces mêmes droits, c’est pourquoi nous les condamnons
fermement énergiquement. Ils constituent non seulement une véritable banalisation
de la vie humaine, mais aussi une atteinte au droit de propriété et à la liberté de
culte. Ils violent ainsi plusieurs dispositions de la Déclaration Universelle de l’homme,
de nos lois nationales et des Conventions Internationales ratifiées par la Guinée.
Parmi ces disposions nous pouvons citer :
 Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
qui stipule que : « Tous
les êtres humains naissent libres et
égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de
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conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un
esprit de fraternité » ;
 Article 5 de la Constitution guinéenne qui dispose que : « La
personne humaine et sa dignité sont sacrées. L’Etat a le devoir
de les respecter et de les protéger. Les droits et libertés
énumérés
ci-après
sont
inviolables,
inaliénables
et
imprescriptibles.
Ils fondent toute société humaine et garantissent la paix et la
justice dans le monde. »
C’est le lieu pour nous de dénoncer le recours à la vengeance privée par certains
citoyens au détriment de la justice officielle et institutionnalisée de l’Etat.
Les cas de justice privée enregistrés par exemple dans la région forestière sont très
nombreux. Et presque tous les conflits dans cette région sont dus au fait que lorsque
tel ou tel groupe social estime être victime d’une violation de ses droits ou d’une
injustice, plutôt que de s’adresser à la justice, il préfère se rendre justice. Dans la
région, presque aucun conflit n’échappe à cette logique illégale. Cela est valable pour
les individus également.
Sinon, comment un événement ponctuel qui s’est produit à la station Shell de Koulé
peut être vite récupérée dans la commune urbaine de N’Zérékoré et dans la
préfecture de Beyla pour non seulement s’attaquer au sage Molou Holomo Hazaly
ZOGBELEMOU, symbole et guide spirituel de la communauté guerzé, qu’ils ont tenté
d’assassiner, mais aussi aux guerzés et aux autres communautés forestières, ainsi
qu’à leurs biens de façon systématique et généralisée avec aussi l’utilisation d’armes
de toutes sortes (armes blanches, fusils calibre 12, armes de guerre …).
La question qu’on est en droit de se poser, est de savoir pourquoi le recourt à la
vengeance privée ?
C’est entre autre, parce que les citoyens n’ont pas confiance en la justice gangrénée
par la corruption, l’impartialité et l’incompétence. Il faut aussi relever que cette
justice inféodée à l’exécutif est très souvent instrumentalisée et fonctionne au gré
des intérêts politiques et égoïstes de certains dirigeants.
IV- De l’indifférence coupable des autorités
civiles et militaires
Selon nos constats sur le terrain, plusieurs faits mettent en exergue la défaillance de
la protection de l’Etat, surtout durant les deux premiers jours de la crise, ce en
violation flagrante de l’article 5 alinéa 1 de la Constitution guinéenne de mai 2010
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qui dispose : « La personne humaine et sa dignité sont sacrées. L’Etat a le
devoir de les respecter et de les protéger… ».
Au terme de cette disposition, l’Etat a le devoir et l’obligation de protéger ses
citoyens et tous ses citoyens en toutes circonstances et en tous lieux, sans aucune
discrimination fondée sur quelques motifs que ce soit. Cependant, dans le cas
d’espèce, force est de constater que cette protection de l’Etat a cruellement fait
défaut et à tous les niveaux.
En effet, comme signalé plus haut, au début des évènements dans la commune
urbaine de N’Zérékoré, quand les jeunes koniakés ont dressé des barrages dans le
quartier de Dorota et se sont attaqués au domicile du Patriarche Molou Holomo
Hazaly Zogbèlèmou, ce dernier, par son fils, a eu au téléphone le préfet de
N’Zérékoré et le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de
N’Zérékoré pour les informer de l’attaque de son domicile avant de leur demander de
prendre des dispositions idoine pour sauver sa famille, ainsi que les autres personnes
de la communauté guerzé qui s’étaient déjà refugiés chez lui. Le procureur de la
République lui a répondu en ces termes : « Allez voir les vieux koniakés pour
résoudre ça ». Quand au préfet, il dira au Patriarche : « Je suis à Koulé dans un duel,
c’est un vrai face à face ». Pire, le Maire de la commune urbaine de N’Zérékoré, le
Commandant de l’escadron mobile n°10 et le Commissaire central de police de
N’Zérékoré étaient injoignables en ce moment critique. Ces efforts du Sage sont
restés ainsi sans suite favorable.
Ce refus délibéré et coupable de ces autorités a malheureusement abouti à la mort
de son enfant, l’incendie et le pillage de son domicile, la destruction de ses biens, sa
maltraitance et son humiliation.
Cette inaction des autorités a surtout favorisé l’embrasement général de toute la ville
et les deux communautés, chacune pour sa part a organisé sa propre guérilla
urbaine. C’était la débandade et le sauve qui peut. Les gens se sont affrontés à
coups de bâtons, machettes, avec des fusils de chasse et des armes de guerre.
Plus loin, au Nord à Beyla, situé à 142 km de N’Zérékoré, les autorités préfectorales à
tous les niveaux ont également brillé par le même refus délibéré et coupable de
protéger les citoyens. Les koniakés se sont très rapidement attaqués à la
communauté guerzé avant d’étendre leur agressions aux tomas, kissis, manons,
notamment dans le quartier kissiboula où ils sont majoritaires installés.
Plusieurs maisons d’habitation, des boutiques, des Eglises (protestantes et
catholiques), des engins roulants appartenant aux membres de ces communautés
ont été pillés, incendiés et/ou vandalisés, provoquant ainsi plusieurs milliers de
déplacés en direction de N’Zérékoré, Lola, Macenta, Yomou, Guéckédou et
Kissidougou.
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Comme vous pouvez le constater, si les autorités de la région avaient pris des
dispositions à temps, on aurait pu circonscrire ces exactions et éviter ainsi ce bilan
macabre enregistré quand on sait surtout que N’Zérékoré abrite la quatrième région
militaire de la République de Guinée.
En effet, quand des citoyens en danger à travers la ville de N’Zérékoré appelaient au
téléphone les forces de défense et de sécurité, celles-ci refusaient de les secourir en
prétextant qu’il n’y a pas suffisamment d’agents, ou d’équipements ou qu’elles n’ont
pas reçu l’ordre. Ce fut par exemple le cas quand la Cathédrale fut attaquée par des
assaillants koniankés.
Les religieux de la Cathédrale ont eu au téléphone les autorités du camp militaire de
N’Zérékoré pour leur demander de les secourir, il n’y a pas eu de suite favorable.
Il a fallu qu’un expatrié français travaillant à l’économat du Diocèse de N’Zérékoré,
entre en contact avec les autorités de son Ambassade pour en fin constater l’arrivée
d’un camion militaire en vue de leur apporter un semblant de protection qui n’a duré
que pour un petit temps. On ne sait à l’issue de quelle pression diplomatique ce
camion des forces de défense et de sécurité est arrivé in extremis.
Ceux qui étaient dans pareille situation et qui n’ont pas eu de secours ont été
exécutés ou ont vu leurs biens détruits s’ils ont pu se sauver en prenant la fuite. Ce
qui a malheureusement contribué à alourdir le bilan. C’est cette inaction qui a
contribué à l’incendie des deux principales églises de la ville de N’Zérékoré.
En outre, le comportement de certains militaires était contraire à ce que prescrit la
déontologie de leur profession dans ces affrontements intercommunautaires. En
effet, sur le terrain, quand un citoyen attirait leur attention sur une situation, ils
répondaient comme suit : « Je ne suis pas venu pour ça ». A cela s’ajoutent des tirs
à balles réelles sur des citoyens et des protections sélectives fondées sur l’ethnie.
C’est paradoxalement dans ce contexte qu’on parle à longueur de journée de la
réforme de l’armée ou des forces de sécurité avec des dépenses colossales, fruits du
travail de ces pauvres citoyens.
V- De la pratique de l’impunité
Après ces journées d’affrontements barbares et lugubres dans l’indifférence
coupables des autorités civiles et militaires et comme on le dit souvent, le pompier
après le feu, elles se sont lancées dans une vague d’arrestations tous azimuts,
arbitraires et sans aucun discernement de toutes les personnes qui avaient la
malchance d’être aux mauvais lieux et aux mauvais moments.
Ces arrestations ont curieusement épargné les meneurs et instigateurs principaux qui
ont été vus, identifiés et filmés sur le terrain des affrontements, notamment les
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personnes citées à l’entame de ce rapport qui ont eu le sinistre mérite de transporter
le conflit de Koulé à N’Zérékoré, ces personnes sont aujourd’hui libres de tous
mouvements et narguent même par endroit leurs victimes. Ceux-là qui avaient été
arrêtés ont été tous libérés contre le paiement à la gendarmerie des sommes
d’argent variant entre 100 000 et 200 000 francs guinéens selon la gravité des
charges poursuivies contre eux. Au jour d’aujourd’hui, on compte à la Maison
Centrale de N’Zérékoré une trentaine de personnes seulement arrêtées en lien avec
ces affrontements.
Pour preuve, le patriarche de N’Zérékoré, le sage Molou Holomo Hazaly Zogbèlèmou
et son fils David Massa ont porté régulièrement plainte pour assassinat, tentative
d’assassinat, coups et blessures volontaires, injures, destruction et incendie de biens
meubles et immeubles avec toutes les preuves à l’appui contre certaines personnes
clairement identifiées lors de l’assaut chez lui. Ces personnes malheureusement n’ont
jamais été inquiétées bénéficiant ainsi d’une impunité qui est de nature à
compromettre dangereusement la cohabitation pacifique entre les différents groupes
ethniques et les efforts de réconciliation.
Depuis un certain temps, dans la région forestière, on assiste à la pratique de
l’impunité sélective et à son utilisation à des fins politiques. Nous pouvons citer
plusieurs exemples. Mais pour une économie de temps et d’efforts, nous nous
limitons à deux exemples phares qui ont eu lieu dans la commune urbaine de
N’Zérékoré au cours du premier semestre de cette année 2013.
Le premier exemple est celui de l’imam Abdoul Kader Camara. En effet, le 12 juin
2013, la voiture d’un jeune guerzé a heurté la moto d’un jeune konianké qui roulait à
sens inverse, non loin de la Cathédrale. Le jeune kpèlè a été frappé sur instruction
de cet imam au motif que ce dernier est un ‘’cafre’’. Ce jeune guerzé a pu échapper
de justesse à la mort en abandonnant sa voiture sur les lieux qui, aussitôt, a été
incendiée sur ordre du même imam.
Quand ‘’ce guide religieux’’ a été arrêté et conduit à la police, ce sont les jeunes
koniankés qui se sont mobilisés au mépris de nos textes de loi pour aller le libérer de
force. Ainsi va la loi en Guinée ; la volonté codifiée du plus ‘’fort’’.
Le deuxième exemple est le cas de l’union des transporteurs routiers de N’Zérékoré.
En effet, cette union, composée presque uniquement de koniankés, est longtemps
demeurée l’unique syndicat en charge du transport à N’Zérékoré. Au cours du
premier semestre de cette année 2013, un nouveau syndicat, appelé syndicat libre,
qui a reçu son agrément du gouvernement guinéen s’est heurté, pendant son
installation à N’Zérékoré, à l’opposition farouche de l’union des transporteurs
routiers.
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Face à la monté de la tension, au lieu que l’autorité s’implique pour faire respecter la
loi, elle a au contraire purement et simplement retiré l’agrément obtenu par le
nouveau syndicat, ce en violation flagrante de la loi.
La situation s’est rapidement détériorée et le conflit d’intérêts devenant vif, l’union
des transporteurs routiers, pour la défense de ses intérêts, a déplacé le problème
sous l’angle ethnique en déclarant que ce sont les guerzés qui veulent prendre la
gare routière et avoir le monopole du transport à N’Zérékoré. Plus grave, les
membres de cette union sont allés vandaliser et incendier le siège du syndicat libre.
En réponse à ce comportement hors loi, le syndicat libre des transporteurs a saisi les
autorités judiciaires d’une régulière plainte. Aucune suite n’a été donnée à cette
affaire et les présumés auteurs, qui se promènent librement, n’ont jamais fait l’objet
de poursuite.
C’est l’ensemble de ces accumulations d’impunités , de rancœurs, d’absence de
protection des citoyens doublée avec cette espèce de justice à deux vitesses et de la
démagogie avérée des différentes délégations gouvernementales envoyées sur le
terrain qui constituent le terreau des récurrents conflits qui ensanglantent la région,
notamment le conflit du 15 au 18 juillet 2013 qui fait l’objet du présent rapport.
En tant qu’organisations de défense et de promotion des droits de l’homme, nous ne
sommes pas et nous n’avons jamais été opposés à une quelconque arrestation et à la
tenue d’un quelconque procès pourvu que ces arrestations et ces procès soient
justes, équitables, conformes à la loi et faits dans le strict respect des droits de
l’homme.
Mais la question que nous nous posons ici est de savoir pourquoi l’affaire de
Galakpaye (préfecture de Yomou) qui opposait les guerzés et les koniakés et l’affaire
de Saoro (préfecture de Yomou) qui opposait les citoyens dudit village à la Société
Guinéenne de Palmier à Huile et d’Hévéah (SOGUIPAH) ont été rapidement jugées
et que l’affaire de l’’’imam’’ Abdoul Kader camara et autres et l’affaire de l’Union des
Transporteurs Routiers n’ont connu aucune suite bien que des plaintes aient été
régulièrement portées devant la justice. Il en est de même que le massacre de
Zogota qui est porté devant la justice et qui traine par manque de volonté politique.
VI- De la participation des milices de l’ULIMO et
des Donzos
Il n’est de secret pour personne que le gouvernement actuel entretient des milices,
notamment les donzos dont l’existence s’est révélée avec l’arrivée du parti le
Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) au pouvoir. Ils ont d’abord envahi la
capitale Conakry avant de prendre la direction de la Guinée Forestière suite à la
pression des médias. La majeure partie de ces milices s’est retrouvée à N’Zérékoré
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où ils ont eu pour résidences, la forêt du premier mai, une cour sur la route de
Gonoo dans le quartier Tilépoulou et Horoya sur la route de Gouécké. Quant aux
éléments de l’ULIMO, ils résident à Horoya et à Dorota où ils sont mélangés avec les
populations civiles.
Pour faire sentir leur pouvoir on ne sait contre qui et pour le compte de qui, les
donzos ont osé un jour faire un défilé à travers la ville de N’Zérékoré arborant des
tenues traditionnelles tachetées de rouge avec des cauris et des talismans. Ils ont à
cette occasion fait une démonstration de force grandeur nature. Ils ont également
interdit l’accès aux populations à la forêt du premier mai qui est un espace public où
ces populations également passent pour relier différents quartier de la ville de
N’Zérékoré. .
La société civile et les populations ont vigoureusement dénoncé et protesté contre
cette interdiction qui était de trop et ont à l’occasion demandé le départ des donzos
de N’Zérékoré. A cette réaction populaire, ils se sont dispersés à travers la ville.
Nous ne savons pas pour quelle raison, mais la participation aux affrontements
intercommunautaires de ces deux groupes de milices aux côtés des koniakés et avec
surtout l’usage des armes de guerre a été sans équivoque. C’est le cas par exemple
d’un groupe de l’ULIMO qu’on avait identifié dans un étage à Boma-Sud lourdement
armé et qui tiraient sur les populations. Pour notre part, ce qui est évident, est que
de tels actes ont toujours des motifs cachés et inavoués.
VII-Du fanatisme religieux
Dans la commune urbaine de N’Zérékoré, il faut redouter le fait que le fanatisme
religieux gagne dangereusement du terrain. Il est le fait de certains extrémistes
parmi lesquels il faut citer l’imam Abdoul Kader Camara dont nous avons parlé plus
haut. C’est cet imam qui avait ordonné qu’on tue le jeune guerzé Victor et qu’on
brûle la voiture de ce dernier. Quand il donnait l’ordre, voici les propos qu’il a tenus
en koniaké : « Alou ya fa, Alou ya djéni, Gbèrèssè lé, dôlômina lé, Kafri lé». Ce qui
signifie en Français : « Tuez-le, brûlez-le, c’est un guerzé, un buveur de vin, c’est un
mécréant, c’est un cafre ».
Il y a aussi des membres de l’Union des transporteurs routiers de N’Zérékoré qui
avaient tenté et qui s’entêtent encore de construire une mosquée [sur financement
de l’Agence des Musulmans d’Afrique (AMA)] au sein de la gare routière de
N’Zérékoré qui est un lieu public appartenant à tous sans considération de religion.
En plus des comportements qu’on vient d’examiner et bien d’autres encore, certains
faits récemment observés dans la commune urbaine de N’Zérékoré prouvent encore
le développement du fanatisme religieux dans cette ville. En effet, pendant le récent
conflit armé entre koniankés et guerzés, quatre actes posés par les koniankés à
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N’Zérékoré et observés sur le terrain appuient irréfutablement cette thèse du
développement du fanatisme religieux :
 Selon des témoignages concordants, dans des mosquées de Dorota, des Imams
koniankés, dans leurs sermons, exhortaient les jeunes koniankés à la violence, à
ne pas reculer, à prendre courage et à foncer. Ces mosquées où l’amour du
prochain et la paix devraient s’enseigner étaient transformées par ces Imams en
des lieux d’exhortation à la violence et aux atrocités.
 Pendant le conflit, et là c’est un constat appuyé par des témoignages, toute
personne qui était arrêtée par les koniankés et qui ne répondait pas « Moalékoum
Salam » à leur slogan religieux «Salam Moalékoum! », était sauvagement
maltraitée si par chance elle n’était pas exécutée sommairement.
 Quand les koniankés étaient prêts à attaquer, à agresser ou à tuer, ils scandaient
«Allah Akbar ! ».
 Plus grave encore, quand la crise intercommunautaire a atteint son paroxisme, les
koniankés ont appelé à la guerre sainte (le djihad) pour impliquer à leurs côtés
tous les musulmans de la localité. Pour atteindre cet objectif qu’ils n’ont pas pu
atteindre, après avoir en vain tenté de vandaliser la Cathédrale, ils ont attaqué et
incendié l’Eglise protestante évangélique de Dorota. L’Eglise protestante baptiste
œuvres et mission internationale de Dorota et l’Eglise protestante évangélique
située dans le quartier Nyèn près du stade du 3 Avril ont connu le même sort.
 La riposte des guerzés a poussé les koniakés à déclarer la guerre sainte et ils sont
allés vers les autres communautés musulmanes pour inviter à combattre dans
leur rang. Mais, heureusement, les communautés ethniques vers lesquelles ils
sont partis n’ont pas coopéré. Nous avons reçu plusieurs témoignages
concordants de la part de plusieurs membres de la communauté peulh et malinké
dans ce sens. Si les koniakés avaient obtenu la coopération entière de toutes ces
communautés, il y aurait eu un embrasement général de la région, pourquoi pas
du pays tout entier.
Mais cet état de fait est généré par une situation que beaucoup de personnes
constatent et murmurent tout bas et que nous allons dire à haute voix ici. En effet,
en Guinée, la laïcité prévue par notre Constitution n’est que théorique. Dans les faits,
nos gouvernants posent des actes qui dénotent qu’il n’y a pas une séparation nette
entre l’Etat et la religion, et que l’Etat n’observe pas de neutralité vis-à-vis des
religions, alors que, conformément à la définition donnée par le lexique des termes
juridiques, la laïcité de l’Etat signifie que l’Etat est par nature un phénomène non
religieux et qu’il doit adopter vis-à-vis des religions une attitude si non d’ignorance,
du moins d’impartialité, de neutralité.
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Tous ces faits cités ici et bien d’autres encore qu’on n’a pas cités créent dans l’esprit
de certains l’idée et dans leur cœur le sentiment qu’il y a en Guinée une religion
d’Etat qui est la leur. C’est certainement cette idée et ce sentiment qui animent ces
fanatiques.
VIII-De la responsabilité de l’Etat
Les autorités civiles et militaires sont en grande partie entièrement responsables du
lourd bilan enregistré lors de ce conflit entre les koniakés et les guerzés du moins
dans la commune urbaine de N’Zérékoré. En effet, ces autorités ont brillée par leur
laxisme et leur indifférence notoires les deux premiers jours des affrontements.
Plusieurs faits et témoignes corroborent cette affirmation comme mentionné plus
haut.
Il y a eu violations des droits de l’homme par omission, abstention de la part de
l’Etat, il a manqué à ses obligations constitutionnelles et conventionnelles de
protéger les citoyens et leurs biens en toutes circonstances et en tous lieux. Ces
violations des droits de l’homme s’expliquent par plusieurs raisons :
1- le fait que c’est l’administration centrale qui a envoyée à N’Zérékoré les donzos
qui ont participé aux hostilités et ont commis des exactions à cette occasion
implique la responsabilité de l’Etat ;
2- La présence massive des ex combattants de l’ULIMO ayant participé aux
affrontements intercommunautaire sans que l’Etat n’intervienne pour les
arrêter et mettre hors d’état de nuire dénote clairement sa responsabilité
l’Etat ;
3- L’intervention partisane des autorités civiles et militaires au niveau régional
dénote aussi la responsabilité de l’Etat ;
4- Le refus de déployer à temps les forces de défense et de sécurité sur le terrain
et leurs sous équipements expliquent le lourd bilan humain et matériels
enregistré lors du conflit et l’Etat en est responsable ;
5- Le comportement des différentes délégations gouvernementales qui se sont
succédé à N’Zérékoré et qui, malheureusement au lieu de s’atteler aux vraies
causes du problème, ce sont intéressées à cette question savoir entre koniaké
et guerzé qui est le premier venus en banalisant ainsi les vraies causes du
conflit et les pertes en vies humaines.
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IX-Du bilan
Les affrontements dans la région forestière étaient d’une telle violence et d’une
atrocité qu’il a été difficile d’avoir un bilan chiffré et exact. En effet, du début de la
crise jusqu’à la date du 18 juillet 2013, nos agents sur le terrain à N’Zérékoré,
notamment à l’Hôpital régional, ont comptabilisé 98 morts. Ce nombre n’inclut pas
les dizaines de corps trouvés dans des puits dans certains quartiers, ainsi que les
morts de Koulé et de Beyla, et des dizaines de portés disparus.
Pour preuve, les autorités hospitalières de N’Zérékoré ont, par le passé, l’habitude de
nous communiquer facilement les bilans en cas d’affrontement. Cette fois-ci, quand
nous sommes allés pour avoir le dernier bilan hospitalier, elles nous ont laissé
entendre que les autorités administratives leur ont fait l’interdiction de communiquer
ce bilan à quiconque.
Nous en voulons pour preuve, lors de son passage à N’Zérékoré pendant le conflit, le
Ministre de la communication Mr Tokpa Césaire Kpoghomou avait fermé
momentanément la Radio Liberté FM parce que, selon lui, cette radio intoxiquait la
population.
En réalité, c’est parce que cette radio venait au contraire de diffuser, tel quel, un
message d’apaisement que le Sage Molou Holomo Hazaly Zogbèlèmou venait de
prononcer à l’adresse des populations, notamment les guerzés, et à la demande des
autorités. Dans une partie de ce message, le sage a dit que, lorsque les événements
venaient juste de commencer dans la commune urbaine de N’Zérékoré, précisément
à Dorota, par le dressage de barrages par quelques jeunes koniaké seulement, il a
informé au téléphone plusieurs autorités dont le préfet et le procureur de la
République tout en les invitant à prendre toutes les dispositions utiles et à temps
pour éviter le pire. Et le sage a conclu cette partie du message en disant que ‘’c’est
parce que les autorités n’ont rien fait que ce qui est arrivé est arrivé’’. Après la
fermeture de la Radio Liberté FM conformément aux ordres du Ministre, le même
message du sage, censuré cette fois ci par les autorités, parce que tronqué de la
partie où le sage les incriminait, a continué à être diffusé par la radio rurale en
boucle. Par la suite et paradoxalement, le même ministre avait ordonné la
réouverture de cette radio en prétextant que le Directeur de ladite radio est gentil.
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X-Recommandations
Suite à ces événements que nous déplorons, nous organisations de défense et de
promotion des droits de l’homme, signataires du présent rapport faisons les
recommandations suivantes :
Aux autorités administratives et politiques
 Mettre en place une commission nationale indépendante d’enquête afin de
mener des investigations nécessaires sur les exactions commises dans les
préfectures de N’Zérékoré et de Beyla, le cas échéant situer les
responsabilités ;
 Ordonner et opérer le démantèlement et la neutralisation de toutes les milices
ULIMO et donzo qui sévissent impunément en Guinée Forestière ;
 Identifier et perquisitionner sans exception tous les lieux suspects servant de
caches d’armes dans les préfectures de N’Zérékoré et de Beyla ;
 Arrêter et juger tous les instigateurs, les commanditaires et tous les auteurs et
complices d’exactions commises pendant la crise ;
 Prendre toutes les mesures appropriées pour éviter la récidive de ce conflit ;
 Renforcer le dispositif de défense et de sécurité dans la région ;;
Aux organisations nationales et internationales de défense des droits de
l’homme et à la communauté internationale
 A la communauté internationale, nous recommandons l’envoi en Guinée d’une
commission d’enquête internationale pour que la lumière et toute la lumière
soit faite sur ce conflit, situer les responsabilités et juger les présumés
responsables conformément à la loi ;
 A toutes les organisations nationales et internationales de défense des droits
de l’Homme et à la communauté internationale, nous recommandons que
justice soit faite et que le processus de réconciliation puisse être redynamisé;
 Nous invitons les organisations de défense des droits de l’homme comme
MDT, ASF-Guinée, RADDHO, OGDH, HCDH, … à s’impliquer d’avantage dans
un processus de rénormalisation de la cohésion sociale en Guinée ;
 Nous demandons au Réseau Avocats Sans Frontières de bien vouloir envoyer
en Guinée une commission d’enquête et d’assistance judiciaire aux victimes ;
 Nous invitons le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits
de l’Homme et toutes les organisations de protection des défenseurs des
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droits de l’homme à garantir la sécurité des activistes des droits de l’homme
en Guinée ;
 Dénoncer vigoureusement la présence des Donzos et des anciens rebelles
ULIMO pour leur départ définitif de la Guinée forestière ;
A la société civile
 Exercer le lobbying dans la neutralité, l’indépendance et l’objectivité vis-à-vis
des autorités politiques et administratives pour que la lumière soit faite sur les
cas de violations des droits humains à Koulé, à N’Zérékoré et à Beyla ;
 Encourager les victimes à se constituer en association et à porter plainte contre
l’Etat, les instigateurs et les meneurs de ces exactions.
Au x forces de défense et de sécurité
 Faire preuve d’impartialité dans le rétablissement et le maintien d’ordre
 Désobéir aux ordres manifestement illégaux par respect à la constitution et
aux lois de la République.
Aux autorités religieuses et traditionnelles
 Que chaque leader religieux introduise dans son sermon et son homélie les
principes cardinaux de l’acceptation de la différence, de la cohabitation
pacifique, du respect de la culture de l’autre et de la tolérance religieuse.
 Que chaque leader traditionnel fasse replonger les nouvelles générations dans
l’esprit des engagements de cohabitation pacifique et des pactes scellés entre
les ancêtres ;
A toute la population
 De coopérer avec la justice dans la réalisation des différentes enquêtes
permettant de mettre aux arrêts les présumés coupables en les dénonçant aux
autorités compétentes ;
NB: Les ONG Mêmes Droits pour Tous (MDT) et Avocats Sans Frontières Guinée
(ASF/Guinée), signataires du présent rapport, tiennent à remercier vivement les ONG
PACEM in Terris, Alliance Post Universitaire pour le Développement Communautaire
(APUDEC), Humanitaire pour la Protection de la Femme et de l’Enfant (HPFE) et le
Conseil Préfectoral de la Société Civile de N’Zérékoré pour leur engagement et leur
collaboration dans la recherche des informations.
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